Aller au contenu

Voyage autour du monde/notice

La bibliothèque libre.
Voyage d’une femme autour du monde
Traduction par W. de Suckau.
Hachette (p. Notice-vii).


NOTICE
SUR MADAME IDA PFEIFFER
NÉE REYER[1].


Mme Ida Pfeiffer est, à coup sûr, la plus étonnante et la plus intrépide voyageuse qui ait jamais existé. Née en 1795, à Vienne (Autriche), elle se maria vers 1820 et passa dans cette ville la plus grande partie de sa vie, livrée aux soins domestiques et à l’éducation de ses deux fils ; mais elle était possédée d’une violente passion de voyager qui, dans son esprit, se confondait avec la noble ambition d’ajouter quelque chose par ses efforts personnels à la somme des connaissances humaines.

Dans un âge où le repos devient une nécessité, Mme Ida Pfeiffer a quitté ses foyers pour parcourir le monde. Si l’on trouve chez elle tous les traits caractéristiques de la ménagère allemande, ces qualités pâlissent devant l’éclat de hautes qualités beaucoup plus rares chez ses compatriotes, une curiosité ardente, un courage inébranlable, un sang-froid intrépide et une volonté de fer. Quand Mme Pfeiffer a dit : « J’irai là, je verrai telle chose, » les rochers ont beau dresser leurs pics, les précipices ouvrir leurs gouffres béants, rien, pas même la menace d’une mort presque certaine, ne la fait reculer, et, grâce à sa persévérance inouïe et à son étoile, elle sait toujours se frayer un chemin pour parvenir à son but !

Dès l’âge le plus tendre, nous dit M. Depping, Mme Pfeiffer a été piquée de la tarentule. Enfant, elle s’échappait pour voir les chaises de poste ; elle enviait le sort du postillon et le suivait des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu dans un nuage de poussière. L’horizon de la jeune fille s’agrandit bientôt, car les relations de voyages qu’elle lisait, ou plutôt qu’elle dévorait, lui avaient montré l’Océan, des vaisseaux flottants, et le monde dont ils faisaient le tour. La vue des montagnes qui se perdaient dans le lointain lui arrachait des larmes ; c’est elle qui le dit dans la préface d’un de ses ouvrages. Femme, son plus grand bonheur était d’accompagner son mari dans de longues excursions. Restée seule après la mort de M. Pfeiffer et l’établissement de ses enfants, elle n’eut plus d’autre pensée que de transformer en réalité les rêves de toute sa vie. Elle pouvait disposer d’une petite somme, fruit de vingt ans d’économie, et nous la voyons, en 1842, à l’âge de quarante-sept ans, commencer le cours de ses longs voyages.

« Née à la fin du dernier siècle, dit-elle, je pouvais voyager seule. »

Elle partit pour la terre sainte dans un véritable ravissement. Sans guide, elle traversa les deux Turquies, la Palestine et l’Égypte[2]. « Et voyez, ajoute-t-elle : j’en suis revenue. »

Mais ce ne fut pas pour longtemps. Des plages brûlantes de la Syrie elle passa, par une transition assez brusque, dans les régions glacées du Nord, visita la Suède, la Norvége, la Laponie et même l’Islande, pays sur lesquels elle a publié de curieux détails[3].

« Les voyages en Islande, dit Mme Pfeiffer, sont beaucoup plus pénibles qu’en Orient. Je supportais plus aisément la chaleur excessive de la Syrie que ces affreux ouragans accompagnés de vent et de pluie, que l’âpreté de l’air et la rigueur du froid qui glaçait cette île. »

Mais ces deux excursions au Nord et au Midi n’étaient que des parties de plaisir, comparées au long voyage que Mme Pfeiffer allait entreprendre. Petite de taille, mais douée d’une complexion robuste, d’une force morale à toute épreuve, elle quitta Vienne le 1er mai 1846 pour faire son premier voyage autour du monde.

Partie de Hambourg sur un navire danois qui se rendait directement au Brésil, elle aborde à Rio-de-Janeiro, dont elle décrit la rade sans pareille ; puis elle franchit le cap Horn, touche à Valparaiso, et fait voile vers Canton en relâchant à Taïti. La Chine n’est pour elle qu’une étape sur la route de Ceylan, de Madras, de Calcutta ; mais le luxe et les mœurs de l’Angleterre, qu’elle retrouve dans ces cités opulentes, ont peu de séductions pour Mme Pfeiffer. Elle s’embarque sur un bateau à vapeur qui la conduit par le Gange à Bénarès, l’Athènes de l’Inde, d’où, elle gagne Delhi, l’ancienne capitale de l’empire mogol. De là, une charrette à bœufs la conduit à Bombay, sur les côtes de la mer d’Arabie, qui forme le golfe Persique. Mme Pfeiffer, bien entendu, pénétrera dans le golfe, remontera le Tigre, et visitera Bagdad, la ville des califes ; une mule se chargera de la transporter de Bagdad à Mossoul, au milieu des ruines de l’ancienne Ninive.

De Mossoul à Tauris, la seconde ville de Perse, il n’y a qu’un pas, trois ou quatre cents lieues. Mme Pfeiffer fut reçue très-gracieusement à Tauris par le vice-roi, héritier du trône de Perse ; mais il n’en fut pas de même aux frontières de l’empire russe, où elle se réjouissait de retrouver une terre civilisée. Elle avait compté sans les bureaux de douanes, sans les stations de poste, sans les formalités infinies du passe-port. Aussi s’écrie-t-elle dans son désespoir :

« Oh ! mes bons Arabes ! Oh ! Turcs, Persans, Hindous, j’ai traversé paisiblement vos contrées. Qui m’aurait dit que je rencontrerais tant d’obstacles sur cette terre chrétienne ? »

Quoiqu’il en soit, Mme Pfeiffer entrait saine et sauve à Vienne, dans le cours de 1848. L’intéressant récit de ses aventures parut deux ans plus tard[4].

Mais il restait encore à Mme Pfeiffer bien des contrées à voir, sans parler de l’Afrique intérieure, où, faute d’argent, elle dut renoncer à pénétrer.

Elle se remit en route avec une somme de deux mille cinq cents francs que lui avait accordée le gouvernement autrichien à titre de récompense. Partie de Londres en 1851 (au mois de mai), elle s’aventura seule à pied au centre de Bornéo, visita Java et Sumatra, passa quelque temps au milieu de la tribu cannibale des Battaks, et trouva, aux îles Moluques, un passage gratuit pour la Californie. Elle ne tarda pas à fuir cet abominable pays de l’or, comme elle le dit, et alla débarquer au Pérou. Là, naturellement attirée par la chaîne des Andes, elle fit l’ascension des pics toujours neigeux du Chimborazo et du Cotopaxi. Quelques mois après, elle parcourait à loisir les principaux États de l’Union américaine, et débarquait à Londres vers la fin de 1854. C’est la relation de ce second voyage, publiée à Vienne en 1856, que nous donnons dans ce volume sous le titre : Mon second voyage autour du monde (Meine zweite Weltreise).

En 1856, au mois de juillet, Mme Ida Pfeiffer a visité Paris, où la Société de géographie l’a reçue parmi ses membres, et lui a décerné une médaille d’honneur. C’était un nouveau stimulant pour l’infatigable voyageuse, qui devait entreprendre la plus dangereuse de ses expéditions, doubler encore une fois le cap et visiter l’île de Madagascar, où on lui avait cependant dit qu’il régnait des fièvres mortelles.

Il n’a fallu rien moins que le bruit d’une expédition du gouvernement français contre l’île de Madagascar et les plus pressantes supplications des membres de la Société de géographie de Paris (MM. Alfred Maury et V. A. Malte-Brun), qu’elle fréquentait pendant son séjour dans cette ville, pour la faire renoncer à son voyage à Madagascar.

Mme Ida Pfeiffer, après avoir quitté Paris dans les premiers jours du mois d’août, se rendit d’abord à Londres, où elle fut présentée à la Société royale de géographie. De Londres elle s’embarqua pour la Hollande, où elle ne resta que peu de jours. Le 31 août, elle quittait Rotterdam sur le bateau Zalt Bommel, qui faisait route pour Java. C’est ici que s’arrêtent nos dernières nouvelles sur cette célèbre voyageuse.

Le récit des voyages de Mme Pfeiffer est empreint des nobles sentiments qui distinguent cette femme honorable à tous égards. Son style est simple et naturel. Elle raconte sans emphase ce qu’elle a vu, et, loin d’imiter beaucoup de voyageurs qui laissent le champ libre à leur imagination trop brillante, elle ne prend pour guide que la vérité, et retrace fidèlement ses impressions sans jamais charger les couleurs de ses tableaux. Aussi les suffrages du monde savant et lettré ne lui ont-ils pas manqué, et nous citons comme l’un des plus précieux la lettre suivante de M. Alexandre de Humboldt :

« 

Je prie ardemment tous ceux qui en différentes régions de la terre ont conservé quelque souvenir de mon nom et de la bienveillance pour mes travaux, d’accueillir avec un vif intérêt et d’aider de leurs conseils le porteur de ces lignes,

Madame Ida Pfeiffer,


célèbre non-seulement par la noble et courageuse confiance qui l’a conduite, au milieu de tant de dangers et de privations, deux fois autour du globe, mais surtout par l’aimable simplicité et la modestie qui règne dans ses ouvrages, par la rectitude et la philanthropie de ses jugements, par l’indépendance et la délicatesse de ses sentiments. Jouissant de la confiance et de l’amitié de cette dame respectable, j’admire et je blâme à la fois cette force de caractère qu’elle a déployée partout où l’appelle, je devrais dire où l’entraîne son invincible goût d’exploration de la nature et des mœurs dans les différentes races humaines. Voyageur le plus chargé d’années, j’ai désiré donner à Mme Ida Pfeiffer ce faible témoignage de ma haute et respectueuse estime.

Potsdam, au château de la ville, le 8 juin 1856.

Signé : Alexandre de Humboldt.
 »


À ces paroles si bien senties du doyen des savants de l’Europe, nous ajouterons seulement quelques lignes d’une lettre adressée par Mme Pfeiffer à un de ses amis. Elles serviront à rectifier l’idée qu’on s’est faite à tort de son caractère viril :

« Je souris, dit-elle, en songeant à tous ceux qui, ne me connaissant que par mes voyages, s’imaginent que je dois ressembler plus à un homme qu’à une femme. Combien ils me jugent mal ! Vous qui me connaissez, vous savez bien que ceux qui s’attendent à me voir avec six pieds de haut, des manières hardies, et le pistolet à la ceinture, trouveront en moi une femme aussi paisible et aussi réservée que la plupart de celles qui n’ont jamais mis le pied hors de leur village ! »

Tous ceux qui ont eu l’avantage de voir Mme Pfeiffer confirmeront le témoignage qu’elle se rend à elle-même ; ceux qui ne la connaissent point se convaincront qu’elle a dit vrai, en lisant ses voyages. Malgré ses fortes études et son caractère héroïque, Mme Pfeiffer a conservé toutes les qualités aimables et gracieuses de son sexe, et ses récits et les réflexions qui les accompagnent sont empreints de toutes les délicatesses d’une âme douce et bonne.

C’est le perpétuel contraste d’une femme bien élevée avec les situations les plus difficiles et les scènes les plus étranges de la vie sauvage, qui a si vivement intéressé le monde entier à la vie aventureuse de Mme Pfeiffer. La publication de ses premiers voyages lui a fait obtenir plus tard le libre passage sur les navires de plusieurs compagnies, et partout elle a trouvé le plus généreux accueil et excité la plus vive sympathie.

Les ouvrages de Mme Pfeiffer sont déjà traduits en anglais depuis plusieurs années, et la traduction que nous donnons aujourd’hui de ses voyages autour du monde ne sera pas, nous l’espérons, moins bien accueillie en France que la traduction anglaise ne l’a été chez nos voisins.

DISTANCE DES VOYAGES PAR EAU.
Milles marins.
De Hambourg à Rio-de-Janeiro
8500
De Rio-de-Janeiro à Santos
400
De Santos à Valparaiso
6500
De Valparaiso à Taïti
5000
De Taïti à Macao
5060
De Macao à Hong-Kong
60
De Hong-Kong à Canton
90
De Hong-Kong à Singapore
1100
De Singapore à Ceylan
1500
De Ceylan à Calcutta
1200
De Calcutta à Bénarès (sur le Gange)
1085
De Bombay à Mascate
848
De Mascate à Bouchire
567
De Bouchire jusqu’à l’embouchure du Tigre
130
De l’embouchure du Tigre jusqu’à Bagdad (sur le Tigre)
590
De Redutkalé, le long de la côte, jusqu’à Odessa
860
D’Odessa à Constantinople
370
De Constantinople à Trieste
1150


DISTANCE DES VOYAGES PAR TERRE.
Milles anglais[5].
De Pointe-de-Galle à Colombo
72
De Colombo à Kandy
72
De Bénarès à Allahabad
76
De Allahabad à Agra
300
De Agra à Delhi
122
De Delhi à Kottah
330
De Kottah à Indor
180
De Kottah à Aurang-Abad
240
De Aurang-Abad à Panwell
248
De Bagdad à Babylone
60
De Bagdad à Mossoul
300
De Mossoul à Sauh-Bedak
120
De Sauh-Bedak à Tauris
140
De Tauris à Tiflis
376
De Tiflis à Marand
156
  1. Nous avons emprunté au Dictionnaire des Contemporains, un grand nombre des détails de cette notice. D’autres nous ont été fournis par MM. Malte-Brun, Marmier, et par l’article que M. Depping a donné sur Mme Pfeiffer, dans la Revue de Paris. (Numéro du 1er septembre 1856.)
  2. Elle a publié la relation de ce voyage sous le litre : Reise einer Wienerin in das heilige Land (Voyage d’une Viennoise dans la terre sainte). Vienne, 1844, 2 vol., 4e édition, 1856.
  3. Reise nach dem scandinavischen Norden und der Jusel Island im Iarh 1845 (Voyage au nord de la Scandinavie et en Islande, dans le cours de l’année 1845), Pesth, 1846, 2 vol., 2e édition, 1855.
  4. Frauenfahrt um die Welt (Voyage d’une femme autour du monde). Vienne, 1850, 3 vol. — La traduction de ce premier voyage est sous presse.
  5. Le mille anglais vaut 1 kilomètre 600 mètres.