Voyage d’un naturaliste autour du monde/Chapitre 18

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Traduction par Ed. Barbier.
C. Reinwald (p. 431-460).


CHAPITRE XVIII


Nous traversons l’archipel Dangereux. — Taïti. — Aspect. — Végétation sur les montagnes. — Vue de Eimeo. — Excursion dans l’intérieur. — Ravins profonds. — Série de chutes d’eau. — Grand nombre de plantes sauvages utiles. — Tempérance des habitants. — Leur étal moral. — Réunion du Parlement. — La Nouvelle-Zélande. — Baie des îles. — Hippahs. — Excursion à Waimate. — Établissement des missionnaires. — Plantes anglaises devenues sauvages. — Waiomio. — Funérailles d’une femme de la Nouvelle-Zélande. — Nous mettons à la voile pour l’Australie.

Taïti et la Nouvelle-Zélande.

20 octobre 1835. — Après avoir terminé le relevé hydrographique de l’archipel des Galapagos, nous mettons à la voile pour Taïti ; nous commençons alors une longue traversée de 3 200 milles (5 120 kilomètres). Au bout de quelques jours, nous sortons de l’espace sombre et nuageux qui, pendant l’hiver, s’étend fort loin sur l’Océan au large de la côte de l’Amérique méridionale. Le temps devient admirablement beau, et, poussés par les vents alizés constants, nous faisons 150 à 160 milles par jour. La température, dans cette partie centrale du Pacifique, est plus élevée qu’auprès de la côte américaine ; le thermomètre se maintient nuit et jour, dans la cabine, entre 80 et 83 degrés F. (38°2 à 40°4 C.), ce qui est fort agréable ; un degré ou deux de plus, et la chaleur serait insupportable. Nous traversons l’archipel Dangereux, où nous voyons plusieurs de ces curieux anneaux d’îles de Corail qui s’élèvent juste au-dessus de la surface de l’eau et qu’on a appelés des lagoons ou attols. Une côte admirablement blanche, recouverte par une bande de végétation verte, disparaissant à l’horizon : voilà ce qui forme un lagoon. Du sommet du grand mât on aperçoit de l’eau parfaitement calme à l’intérieur de l’anneau. Ces îles de corail, basses, creuses, sont hors de toute proportion avec le vaste Océan d’où elles s’élèvent abruptement ; il semble étonnant qu’une si faible barrière ne soit pas détruite en un instant par la vague toute-puissante et toujours agitée de cet immense océan, auquel on a, avec si peu de raison, donné le nom de Pacifique.

15 novembre. — Au point du jour, nous arrivons en vue de Taïti, île classique pour tous les voyageurs de la mer du Sud. Vue à une certaine distance, l’île est peu attrayante. On ne peut pas encore apercevoir l’admirable végétation des basses terres, et on ne voit guère, au milieu des nuages, que les pics sauvages et les précipices qui forment le centre de l’île. Un grand nombre de canots viennent entourer notre vaisseau dès que nous jetons l’ancre dans la baie de Matavai ; pour nous c’est le dimanche, pour Taïti c’est le lundi ; s’il en avait été autrement, nous n’aurions pas reçu une seule visite, car les habitants obéissent strictement à l’ordre de ne pas mettre un canot à la mer le dimanche. Nous débarquons après dîner pour jouir de toutes les délicieuses impressions que produit toujours un pays nouveau, surtout quand ce pays est la charmante Taïti. Une foule d’hommes, de femmes et d’enfants, tous gais et joyeux, est rassemblée sur la célèbre pointe Vénus pour nous recevoir. Ils nous conduisent chez M. Wilson, missionnaire du district, qui nous accueille très-amicalement. Après quelques instants de repos chez lui, nous allons faire une promenade.

Les terres cultivables ne consistent guère qu’en une bande de sol d’alluvion accumulée autour de la base des montagnes et protégée contre les vagues de la mer par un récif de corail qui entoure toute l’île. Entre ce récif et la côte, l’eau est aussi calme que le serait celle d’un lac ; là les indigènes peuvent lancer leurs canots en toute sécurité, et c’est là aussi que les vaisseaux jettent l’ancre. Ces terres basses, qui s’étendent jusqu’au bord de la mer, sont recouvertes par les plus admirables produits des régions intertropicales. Au milieu des bananiers, des orangers, des cocotiers, des arbres à pain, on a défriché quelques champs où l’on cultive l’igname, la patate, la canne à sucre et l’ananas. Les buissons eux-mêmes sont composés d’un arbre à fruit, le guava ; cet arbre a été importé et est aujourd’hui si abondant, qu’il est presque devenu une mauvaise herbe. J’avais souvent vu au Brésil l’admirable contraste que forment les bananiers, les palmiers et les orangers. Ici vient s’ajouter l’arbre à pain, à la splendide feuille luisante et profondément entaillée. C’est quelque chose d’admirable que de voir des bosquets composés d’un arbre aussi vigoureux que le chêne chargé d’immenses fruits nutritifs. Il est rare que la pensée de l’utilité d’un objet ajoute au plaisir que l’on a à le regarder ; cependant, quand il s’agit de ces beaux arbres, il est certain que la connaissance que l’on a de leur utilité double l’admiration. Des sentiers, serpentant au milieu des ombrages, conduisent à des maisons éparses çà et là ; partout nous sommes reçus avec la plus aimable hospitalité.

Les habitants de Taïti sont réellement charmants. Leurs traits ont une si grande douceur d’expression, qu’on ne peut s’imaginer que ce sont des sauvages ; leur intelligence est telle, qu’ils font des progrès rapides dans la civilisation. Les travailleurs restent nus jusqu’à la ceinture ; c’est alors que l’on peut le mieux admirer les Taïtiens. Ils sont grands, bien proportionnés, ils ont les épaules larges ; ce sont, en somme, de véritables athlètes. Je ne sais qui a remarqué que l’Européen s’habitue facilement au spectacle des peaux foncées et que cette peau lui paraît alors tout aussi agréable, tout aussi naturelle que sa propre couleur blanche. Un homme blanc qui se baigne à côté d’un Taïtien ressemble absolument à une plante qu’on a fait blanchir à force de soins, à côté d’une belle plante vert foncé poussant vigoureusement dans les champs. Presque tous les hommes sont tatoués ; ces tatouages accompagnent si gracieusement les courbes du corps, qu’ils produisent un effet fort élégant. Un des dessins les plus communs, mais dont les détails varient à l’infini, peut se comparer à la couronne d’un palmier. Ces dessins partent ordinairement de l’épine dorsale et se recourbent gracieusement des deux côtés du corps. On s’imaginera sans doute que j’exagère ; mais, en voyant le corps d’un homme ainsi orné, je n’ai pu m’empêcher de le comparer au tronc d’un bel arbre entouré de délicates plantes grimpantes.

Presque tous les vieillards ont les pieds couverts de petits dessins disposés de façon à ressembler à un soulier. Toutefois cette mode a disparu en partie et d’autres l’ont remplacée. Ici, comme partout ailleurs, les modes changent assez fréquemment ; mais, bon gré mal gré, il faut s’en tenir à celle qui régnait quand on était jeune. Chaque vieillard porte donc ainsi son âge imprimé, pour ainsi dire, sur son corps ; il lui est impossible de jouer au jeune homme. Les femmes sont tatouées de la même façon que les hommes ; très-souvent aussi elles portent des tatouages sur les doigts. Une mode est devenue presque universelle aujourd’hui (1835) : on se rase la partie supérieure de la tête de façon à ne garder qu’une couronne de cheveux. Les missionnaires ont essayé de persuader aux Taïtiens de changer cette habitude ; mais c’est la mode, et cette raison est suffisante aussi bien à Taïti qu’à Paris. J’avoue que les femmes m’ont quelque peu désappointé ; elles sont loin d’être aussi belles que les hommes. Cependant elles ont quelques coutumes fort jolies, celle, par exemple, de porter une fleur blanche ou écarlate sur le derrière de la tête ou dans un petit trou percé dans chaque oreille ; elles portent souvent aussi une couronne de feuilles de cocotier, mais ce n’est plus un ornement, c’est une simple protection pour les yeux. Au résumé, il m’a semblé que les femmes, bien plus encore que les hommes, gagneraient beaucoup à porter un costume quelconque.

Presque tous les indigènes savent un peu d’anglais, c’est-à-dire qu’ils connaissent les noms des choses les plus usuelles ; c’en est assez, avec quelques signes, pour pouvoir converser avec eux. En revenant le soir au bateau, nous nous arrêtons pour contempler une scène charmante. Une grande quantité d’enfants jouaient sur le bord de la mer ; ils avaient allumé des feux de joie qui illuminaient les arbres et qui se reflétaient dans l’eau ; d’autres, se tenant par la main, chantaient des chansons du pays. Nous nous asseyons sur le sable pour assister à leur petite fête. Les chansons improvisées se rapportaient, je crois, à notre arrivée ; une petite fille chantait une phrase que les autres reprenaient en chœur. Cette scène suffisait à nous convaincre que nous nous trouvions sur les côtes d’une île de la célèbre mer du Sud.

17 novembre. — Notre livre de bord indique comme date mardi 17, au lieu de lundi 16. En nous avançant toujours de plus en plus vers l’est, nous avons gagné un jour. Avant déjeuner, une véritable flottille de canots entoure notre vaisseau ; je suis sûr qu’il monte à bord deux cents indigènes au moins. Nous sommes tous d’accord sur un point, c’est qu’il eût été impossible de recevoir en même temps un aussi grand nombre d’indigènes dans tous les autres pays que nous avons visités. Tous apportaient quelque chose à vendre, mais principalement des coquillages. Les Taïtiens comprennent parfaitement aujourd’hui la valeur de l’argent et ils le préfèrent aux vieux habits et à tous autres objets. Toutefois les différentes pièces de monnaie anglaises ou espagnoles les embarrassent beaucoup ; ils sont fort inquiets jusqu’à ce qu’on leur ait changé les petites pièces en dollars. Presque tous les chefs ont accumulé de véritables trésors. L’un d’eux, il n’y a pas longtemps, offrit 800 dollars (environ 4 000 francs) d’un petit bâtiment ; il n’est pas rare de leur voir dépenser de 50 à 100 dollars pour acheter une baleinière ou un cheval.

Je me rends à terre après déjeuner et je grimpe sur le flanc de la montagne la plus proche jusqu’à une hauteur de 2 000 à 3 000 pieds. Les montagnes rapprochées de la côte sont coniques et escarpées ; les roches volcaniques qui les composent sont coupées par de nombreux ravins qui se dirigent tous vers le centre de l’île. Après avoir traversé la bande étroite de terre fertile et habitée qui borde la mer, je suis un petit escarpement situé entre deux des ravins les plus profonds. La végétation est singulière ; elle consiste presque exclusivement en petites fougères mélangées un peu plus haut à des graminées grossières ; cette végétation ressemble à celle que l’on trouve sur quelques collines du pays de Galles, et cela surprend beaucoup, car on vient de quitter des bosquets de plantes tropicales. Au point le plus élevé où je suis parvenu, les arbres apparaissent de nouveau. Sur les trois zones que j’ai traversées, la première doit son humidité et, par conséquent, sa fertilité à ce qu’elle est absolument plate ; elle est, en effet, à peine élevée au-dessus du niveau de la mer et l’eau s’écoule très-lentement. La zone intermédiaire ne plonge pas, comme la zone supérieure, dans une atmosphère humide et nuageuse et reste par conséquent stérile. Les bois de la zone supérieure sont fort jolis ; les fougères arborescentes remplacent les cocotiers que l’on trouve sur la côte. Il ne faudrait pas supposer, cependant, que ces forêts soient aussi splendides que celles du Brésil ; on ne peut, d’ailleurs, s’attendre à trouver sur une île un nombre aussi considérable de productions que sur un continent.

Du point le plus élevé auquel je suis parvenu, j’aperçois parfaitement, malgré son éloignement, l’île d’Eimeo, qui appartient au souverain de Taïti. Sur les hautes montagnes de cette île reposent d’immenses masses de nuages qui semblent former une île dans le ciel bleu. L’île, à l’exception d’une passe fort étroite, est complètement entourée par un récif. Vue à une si grande distance, on aperçoit une ligne blanche, étroite, mais bien définie, là où les vagues viennent se briser sur la muraille de corail. Les montagnes s’élèvent abruptement du véritable lac compris à l’intérieur de cette ligne blanche, à l’extérieur de laquelle les eaux agitées de l’Océan revêtent des teintes foncées. Ce spectacle est frappant ; on pourrait le comparer à une gravure dont le cadre représenterait les récifs, la marge blanche les eaux tranquilles du lac, et la gravure elle-même l’île. Le soir, quand je descends de la montagne, je rencontre un homme auquel j’avais fait un petit cadeau le matin ; il m’apporte des bananes rôties toutes chaudes, un ananas et des noix de coco. Je ne connais rien de plus délicieusement rafraîchissant que le lait d’une noix de coco, après une longue course, sous un soleil brûlant. Il y a tant d’ananas dans cette île, qu’on les mange comme on pourrait manger les navets en Angleterre. Ils ont un parfum délicieux, préférable peut-être même au parfum de ceux que l’on cultive en Angleterre, et c’est là, je crois, le plus grand compliment qu’on puisse faire à aucun fruit. Avant de retourner à bord, je charge M. Wilson de dire au Taïtien qui s’est montré si aimable, que j’ai besoin de lui et d’un autre homme pour m’accompagner pendant une courte excursion dans les montagnes.

18 novembre. — Je me rends à terre de très-bonne heure ; j’apporte avec moi un sac plein de provisions et deux couvertures, l’une pour moi et l’autre pour mon domestique. On attache le tout aux deux extrémités d’un long bâton que mes guides taïtiens portent à tour de rôle sur leur épaule. Ces hommes sont accoutumés à porter ainsi, pendant des jours entiers, 50 livres au moins à chaque extrémité du bâton. Je les préviens qu’ils ont à se pourvoir de provisions et d’habits ; ils me répondent que quant aux aliments on en trouve en abondance dans les montagnes, et que quant aux vêtements leur peau leur suffit. Nous remontons la vallée de Tia-auru, dans laquelle coule une rivière qui vient se jeter dans la mer à la pointe Vénus. C’est une des principales rivières de l’île ; elle prend sa source à la base des montagnes centrales les plus élevées, montagnes qui atteignent une hauteur d’environ 7 000 pieds. L’île entière est si montagneuse que le seul moyen de pénétrer dans l’intérieur est de suivre les vallées. Nous commençons par traverser des forêts qui bordent les deux côtés de la rivière ; les échappées de vue, à travers les arbres, sur les hautes montagnes du centre de l’île sont extrêmement pittoresques. Bientôt la vallée se rétrécit ; les montagnes qui la bordent s’élèvent et prennent l’aspect de véritables précipices. Après trois ou quatre heures de marche, nous nous trouvons dans un véritable ravin, dont la largeur n’excède pas le lit du torrent. De chaque côté les murs sont presque verticaux ; cependant ces couches volcaniques sont si molles, que des arbres et de nombreuses plantes poussent dans toutes les crevasses. Ces murailles ont au moins quelques milliers de pieds de hauteur ; ce ravin est infiniment plus beau que tout ce que j’ai vu jusqu’à présent. Jusqu’à midi le soleil dardait verticalement sur nos têtes, l’air était assez frais et assez humide ; mais bientôt la chaleur devint étouffante. Nous nous arrêtons pour dîner à l’ombre d’une saillie de rochers au-dessous d’une muraille de laves disposées en colonnes. Mes guides se procurent un plat de petits poissons et de petites écrevisses. Ils s’étaient munis d’un petit filet étendu sur un cercle ; partout où l’eau était assez profonde, ils plongeaient, suivaient le poisson dans tous les trous où il allait se réfugier, et le prenaient avec leur filet.

Les Taïtiens se comportent dans l’eau comme de véritables amphibies. Une anecdote racontée par Ellis prouve qu’ils sont parfaitement chez eux dans cet élément. En 1817, on débarquait un cheval pour la reine Pomaré ; les cordes cassèrent et le cheval tomba à l’eau ; les indigènes se jetèrent immédiatement à la mer, et par leurs cris, par leurs efforts pour l’aider, firent presque noyer le pauvre animal. Mais, dès que le cheval eut atteint la côte, la population entière se sauva pour échapper au cochon qui porte l’homme, nom qu’ils avaient donné au cheval.

Un peu plus haut la rivière se divise en trois petits torrents. Deux de ces torrents sont impraticables ; ils forment une série de chutes qui partent du sommet de la montagne la plus élevée ; l’autre paraissait tout aussi inaccessible ; nous parvenons cependant à en remonter le cours par une route très-extraordinaire. Les côtés de la vallée sont presque perpendiculaires en cet endroit ; mais, comme il arrive souvent dans les roches stratifiées, on trouve de petites saillies qui sont couvertes de bananiers sauvages, de plantes liliacées et d’autres admirables productions des tropiques. Les Taïtiens, en grimpant sur ces saillies pour chercher des fruits, ont découvert un sentier qui permet de remonter jusqu’au sommet du précipice. Tout d’abord l’ascension est très-dangereuse, car il faut passer sur une surface de rochers extrêmement inclinés, où il n’y a pas une plante pour se retenir ; nous ne parvenons à franchir cet endroit qu’à l’aide des cordes que nous avons apportées. Comment est-on parvenu à découvrir que ce terrible passage est le seul point du flanc de la montagne qui soit praticable, c’est ce que je ne peux comprendre. Nous suivons alors une des saillies de rochers qui nous conduit à l’un des trois torrents. Cette saillie forme une petite plate-forme au-dessus de laquelle une magnifique cascade ayant quelques centaines de pieds de hauteur projette ses eaux, et au-dessous de laquelle une autre cascade fort élevée va se jeter dans la vallée qui est à nos pieds. Il nous faut faire un circuit pour éviter la chute d’eau qui est au-dessus de nos têtes. Nous continuons à suivre des saillies de rochers extrêmement étroites ; une végétation abondante nous cache en partie les dangers que nous courons à chaque instant. Bientôt, pour passer d’une saillie à une autre, il nous faut surmonter une muraille verticale. L’un de mes guides appuie le tronc d’un arbre contre cette muraille, grimpe sur cet arbre, et parvient enfin à atteindre le sommet en profitant des crevasses. Il attache alors nos cordes à une saillie de rochers, il nous en jette une des extrémités, et c’est ainsi que nous lui faisons passer notre chien et nos bagages ; puis nous nous disposons à grimper à notre tour. Au-dessous de la saillie sur laquelle était placé le tronc d’arbre, il y avait un précipice qui devait avoir 500 ou 600 pieds de profondeur au moins ; si les fougères et les lis n’avaient pas en partie dissimulé cet abîme, j’aurais eu le vertige, et rien n’aurait pu me décider à franchir ce dangereux passage. Nous continuons notre ascension, tantôt en traversant de petites plates-formes, tantôt en marchant sur des crêtes bordées de chaque côté par de profonds ravins. J’avais vu dans les Cordillères des montagnes bien plus considérables, mais rien qui puisse se comparer à celles-ci au point de vue des aspérités du terrain. Nous atteignons enfin dans la soirée un petit endroit plat sur les bords du torrent que nous avons continué à suivre, mais qui ne forme plus qu’une série de chutes ; nous établissons là notre bivouac pour la nuit. De chaque côté du ravin il y avait de véritables forêts de bananiers des montagnes couverts de fruits mûrs. Beaucoup de ces arbres avaient de 20 à 23 pieds de hauteur et de 3 à 4 pieds de circonférence. Les Taïtiens nous construisent une excellente maison en quelques minutes ; ils se servent de morceaux d’écorce en guise de cordes, et de tiges de bambou en guise de poutres ; ils la recouvrent avec les immenses feuilles du bananier, et nous préparent un lit fort moelleux avec des feuilles sèches.

Ils se disposent alors à faire du feu pour cuire notre dîner. Ils se procurent le feu en frottant un morceau de bois taillé en pointe grossière dans une rainure faite dans un autre morceau de bois, comme s’ils avaient l’intention d’agrandir cette rainure ; à force de frotter, le bois s’enflamme. Ils n’emploient pour cet usage qu’un bois particulièrement blanc et très-léger (Hibiscus tiliaceus) ; c’est ce même bois qu’ils emploient pour porter des fardeaux, et dont ils se servent pour faire leurs canots. Ils se procurent ainsi du feu en quelques secondes ; mais, pour quiconque ne sait pas la manière de s’en servir, c’est très-difficile, et on n’arrive à un résultat qu’au prix de grandes fatigues ; enfin j’arrivai à allumer du feu, ce dont je fus très-fier. Le Gaucho des Pampas emploie une méthode différente : il prend un bâton élastique ayant environ 18 pouces de longueur, il en appuie une des extrémités sur sa poitrine, et l’autre extrémité, taillée en pointe, repose dans un trou creusé au milieu d’un morceau de bois ; il fait alors tourner rapidement la partie courbe du bois exactement comme un vilebrequin. Dès que les Taïtiens eurent allumé leur feu, ils prirent une vingtaine de pierres ayant environ la grosseur d’une balle à jouer, qu’ils placèrent sur le bois enflammé. Dix minutes après le bois était consumé et les pierres chaudes. Pendant ce temps, ils avaient enveloppé de feuilles les morceaux de bœuf, le poisson, les bananes qu’ils voulaient faire cuire. Ils placèrent ces petits paquets entre deux couches de pierres chaudes, et recouvrirent le tout avec de la terre, de telle sorte que la vapeur ne pût s’échapper. Au bout d’un quart d’heure notre dîner était cuit et tout était délicieux. Ils disposèrent notre repas sur des feuilles de bananier, et, pour tasses, nous donnèrent la coquille d’une noix de coco ; j’ai rarement aussi bien dîné.

Il était impossible de jeter les yeux sur les plantes qui nous entouraient sans ressentir une grande admiration. De toutes parts des forêts de bananiers dont les fruits, bien que servant à l’alimentation sur une grande échelle, pourrissent sur le sol en quantité incroyable. Devant nous se trouvait un champ immense de cannes à sucre sauvages, et enfin, sur les bords du torrent, des quantités considérables d’ava, plante à la tige noueuse vert foncé et si fameuse autrefois pour ses puissantes qualités enivrantes. J’en mâchai un petit morceau, mais je trouvai que cette plante a un goût désagréable et âcre, à tel point qu’on aurait pu croire mâcher une plante vénéneuse. Grâce aux missionnaires, cette plante ne pousse plus maintenant que dans ces ravins éloignés. Tout auprès je pouvais voir l’arum sauvage, dont les racines cuites sont très-bonnes à manger et dont les jeunes feuilles sont meilleures que les épinards. On trouve là aussi l’igname sauvage et une plante liliacée appelée Ti, plante qui pousse en grande abondance ; elle a une racine brune, molle et qui ressemble, à s’y méprendre, à un gros morceau de bois ; cette racine nous sert de dessert ; elle est aussi sucrée que la mélasse et a un goût fort agréable. On trouve, en outre, plusieurs autres espèces de fruits sauvages et de plantes utiles. Dans le petit torrent on voit une quantité d’anguilles et d’écrevisses. Je ne pouvais m’empêcher d’admirer cette scène et de la comparer à un endroit non cultivé des zones tempérées. Je me sentais de plus en plus convaincu que l’homme, ou tout au moins l’homme sauvage, dont la raison n’était encore qu’en partie développée, doit être l’enfant des tropiques.

Avant que la nuit fût tout à fait venue, j’allai me promener à l’ombre des bananiers en remontant le cours du torrent. Je fus bientôt arrêté, car le torrent formait en cet endroit une cataracte ayant 200 ou 300 pieds de haut ; au-dessus de celle-là, il y en avait encore une autre. Je ne mentionne toutes ces chutes dans le cours du ruisseau que pour donner une idée de l’inclinaison générale du sol. Le petit bassin dans lequel se précipite le torrent est entouré de bananiers ; on dirait que le vent n’a jamais soufflé en cet endroit, car les grandes feuilles de cet arbre, couvertes d’écume, sont parfaitement intactes, au lieu d’être brisées en mille filaments, comme elles le sont ordinairement. Suspendus comme nous l’étions sur le flanc de la montagne, les profondes vallées voisines offraient un spectacle magnifique ; d’un autre côté, les hautes montagnes du centre de l’île nous cachaient à moitié le ciel. Quel sublime spectacle que de voir la lumière disparaître graduellement sur ces pics élevés !

Avant de se coucher, le plus vieux Taïtien se mit à genoux et, les yeux fermés, répéta une longue prière dans sa langue maternelle. Il pria en vrai chrétien, qui ne craint pas le ridicule, et qui ne fait pas ostentation de sa piété. De même aussi ni l’un ni l’autre de mes deux guides n’aurait rien voulu manger sans prononcer d’abord une courte prière. Les voyageurs qui pensent que le Taïtien ne prie que sous les yeux du missionnaire auraient dû se trouver avec nous ce soir-là sur le flanc de la montagne. Il pleut très-fort pendant la nuit, mais notre toit de feuilles de bananier nous garantit de la pluie.

Au point du jour mes guides préparent un excellent déjeuner, tout comme ils avaient préparé le dîner la veille au soir. Ils font certainement grande fête au repas : je puis même dire que j’ai rarement vu des hommes manger autant. Je suppose qu’ils ont l’estomac distendu, parce que la plus grande partie de leur alimentation consiste en fruits et en légumes qui contiennent sous un volume donné une partie comparativement fort petite d’éléments nutritifs. Je poussai, sans le savoir, mes compagnons à violer une de leurs lois : j’avais emporté avec moi un petit flacon d’eau-de-vie, et je les pressai tant d’en accepter, qu’ils ne purent refuser ; mais dès qu’ils en buvaient une gorgée, ils mettaient un doigt devant leur bouche en prononçant le mot : « Missionnaires ». Il y a environ deux ans, bien que l’ava fût interdit, l’ivrognerie exerça des ravages effroyables à cause de l’introduction des alcools. Les missionnaires persuadèrent à quelques hommes intelligents, qui comprenaient que le pays allait se dépeupler rapidement, de former une société de tempérance. Entraînés par le bon sens ou honteux de rester à l’écart, tous les chefs et la reine elle-même devinrent membres de cette société. On vota immédiatement une loi défendant l’introduction des alcools et punissant d’une amende quiconque introduirait ou vendrait cet article défendu. Pour être juste jusqu’au bout, on alloua un certain laps de temps pour permettre l’emploi des provisions qui se trouvaient dans l’île. Mais, le jour où la loi devint exécutoire, on fit une visite générale, dont ne furent même pas exceptées les maisons des missionnaires, et on répandit sur le sol tout l’ava que l’on trouva (les indigènes donnent ce nom générique d’ava à tous les alcools). Quand on pense aux effets de l’intempérance sur les indigènes des deux Amériques, je pense que quiconque aime Taïti doit être reconnaissant aux missionnaires. Aussi longtemps que la petite île de Sainte-Hélène appartint à la Compagnie des Indes orientales, on y défendit la vente des alcools, à cause du mal qui avait été fait ; on y faisait venir du vin du cap de Bonne-Espérance. Il est assez singulier, et ce n’est guère à notre avantage, que, l’année même où on permettait à nouveau la vente des alcools à Sainte-Hélène, le peuple de Taïti en défendait l’usage.

Nous nous remettons en route après déjeuner. Le seul but que je me proposais était de voir un peu l’intérieur de l’île ; nous revenons donc par un autre sentier qui nous conduit un peu plus bas dans la vallée principale. Le sentier est d’abord très-difficile sur le flanc de la montagne qui borde la vallée. Dès que le sol devient un peu plus plat, nous avons à traverser de véritables forêts de bananiers sauvages. Quand on voit, à l’ombre épaisse de ces arbres, les Taïtiens le corps nu et tatoué, la tête ornée de fleurs, on pense malgré soi à l’homme habitant quelque terre primitive. Pour descendre dans la vallée, il nous faut suivre une longue ligne de saillies de rochers ; elles sont extrêmement étroites et, dans bien des endroits, aussi inclinées qu’une échelle, mais elles sont toutes recouvertes d’une magnifique végétation. Le soin extrême qu’il faut mettre à bien s’assurer de chaque pas que l’on fait rend la marche très-fatigante. Je ne cessais de m’étonner à la vue de ces ravins et de ces précipices ; quand, perché sur une de ces saillies, on aperçoit la vallée à ses pieds, on se trouve absolument isolé en l’air, on se croirait en ballon, Nous n’avons occasion de nous servir de nos cordes qu’une fois seulement, à l’endroit où le sentier rejoint la vallée principale. Nous passons la nuit sous le rocher où nous avions dîné la veille, nuit fort belle, fort calme, et dont les ténèbres sont extrêmement épaisses à cause de la profondeur du ravin et de son peu de largeur.

Avant de voir le pays par moi-même, j’avoue qu’il m’était difficile de comprendre deux faits rapportes par Ellis : 1o qu’après les terribles batailles des anciens temps les survivants du parti vaincu se retiraient dans les montagnes, où une poignée d’hommes peut résister à une armée entière. Il est certain qu’une demi-douzaine d’hommes eussent suffi pour en repousser un millier à l’endroit où nous dûmes nous servir d’un tronc d’arbre comme échelle ; 2o qu’après la conversion des habitants au christianisme il resta dans les montagnes des hommes sauvages dont la retraite était inconnue aux habitants plus civilisés.

20 novembre. — Nous nous remettons en route de très-bonne heure de façon à arriver à midi à Matavai. Nous rencontrons en route une troupe considérable d’hommes magnifiques qui vont chercher des bananes sauvages. On me dit à mon arrivée que le vaisseau, ne pouvant pas se procurer d’eau douce en quantité suffisante, est allé jeter l’ancre dans le port de Papawa ; je me rends immédiatement à cet endroit, qui est fort joli. La baie est entourée de récifs et l’eau aussi calme que celle d’un lac. Les terrains cultivés, couverts des admirables productions des tropiques, descendent jusqu’au bord de l’eau ; çà et là on voit quelques cottages.

Avant d’arriver dans cette île, j’avais lu, sur le caractère des habitants, bien des récits contradictoires ; je désirais donc d’autant plus juger par moi-même de l’état moral des habitants, bien que ce jugement doive être nécessairement imparfait. Les premières impressions dépendent presque toujours d’idées préconçues. Ce que je savais sur ces îles, je l’avais emprunté principalement à l’ouvrage d’Ellis (Polynesian Researches), ouvrage admirable, extrêmement intéressant, mais où tout est présenté sous le jour le plus favorable. J’avais lu aussi la relation du voyage de Beechey et celle de Kotzebue, ennemis acharnés de tout ce qui est missionnaire. Si l’on compare ces trois récits, on pourra se faire certainement une idée assez exacte de ce qu’est Taïti au moment actuel (1833). Cependant les deux derniers auteurs que j’ai cités m’avaient donné une opinion absolument incorrecte, c’est-à-dire que les Taïtiens étaient devenus sombres et moroses et qu’ils avaient une peur effroyable des missionnaires. J’avoue n’avoir pas trouvé trace de ce sentiment, à moins qu’on ne confonde la crainte et le respect. Je croyais trouver un peuple mécontent, j’affirme au contraire qu’il serait difficile de trouver en Europe une nation aussi gaie et aussi heureuse. On reproche cependant aux missionnaires, comme une petitesse et comme une folie, d’avoir proscrit l’usage de la flûte et de la danse ; on leur reproche aussi la stricte observation du dimanche qu’ils ont établie dans ces îles. Ce n’est pas à moi, qui n’ai pas été autant de jours ici que d’autres y ont été d’années, à exprimer une opinion sur ce point.

En somme, il me semble que les sentiments moraux et religieux des habitants sont dignes de remarque. Il y a bien des gens qui attaquent, plus vivement encore que Kotzebue, et les missionnaires, et leur système, et les résultats qu’ils ont obtenus. Mais ils ne se donnent pas la peine de comparer l’état actuel de l’île avec ce qu’il était il y a vingt ans à peine ou même avec l’état de l’Europe à notre époque ; ils voudraient trouver dans cette île la perfection chrétienne. Ils voudraient que les missionnaires aient réussi à faire ce que les apôtres eux-mêmes n’ont pu faire. Ils ne songent qu’à blâmer les missionnaires de n’avoir pas amené ces peuples à l’état de moralité la plus parfaite, au lieu de les louer des résultats qu’ils ont obtenus. Ils oublient, ou ils ne veulent pas se rappeler, que les sacrifices humains, — que la puissance des prêtres idolâtres, — qu’un système de débauches sans pareil dans aucune autre partie du monde, — que l’infanticide, conséquence de ce système, — que des guerres cruelles, pendant lesquelles les vainqueurs n’épargnaient ni les femmes ni les enfants, ont disparu aujourd’hui ; que l’introduction du christianisme a considérablement réduit la fraude, l’intempérance et la débauche. C’est une profonde ingratitude chez un voyageur que d’oublier tout cela, car, s’il est sur le point de faire naufrage sur quelque côte inconnue, il doit vivement désirer que les enseignements des missionnaires aient pénétré jusque-là.

On dit, il est vrai, que les femmes ne sont guère plus vertueuses qu’elles ne l’étaient autrefois. Mais, avant de blâmer les missionnaires, il est bon de se rappeler les scènes décrites par le capitaine Cook et par M. Banks, scènes dans lesquelles les grand’mères et les mères des femmes d’aujourd’hui ont joué un rôle. Ceux qui sont le plus sévères devraient se rappeler que la bonne conduite des femmes en Europe provient, en grande partie, des leçons et des exemples que donnent les mères à leurs filles ainsi que des préceptes religieux. Mais il est inutile de raisonner avec ces gens-là ; je suis persuadé que, désappointés de ne pas trouver autant de facilités pour la débauche qu’on en trouvait anciennement, ils ne veulent pas faire honneur de ce progrès à une morale qu’ils n’ont aucun désir de pratiquer ou à une religion qu’ils rabaissent, s’ils ne la méprisent pas.

Dimanche 22. — Le port de Papiéte, où réside la reine, peut être considéré comme la capitale de l’île ; c’est là aussi que se trouve le siège du gouvernement et que se rendent presque tous les bâtiments. Le capitaine Fitz-Roy y conduisit une partie de l’équipage pour entendre le service divin, d’abord en taïtien, puis en anglais. M. Pritchard, le principal missionnaire de l’île, célébra le service. La chapelle, construite en bois, était absolument remplie par des gens propres, se conduisant bien, de tout âge et de tout sexe. Je fus quelque peu désappointé au point de vue de l’attention prêtée au service, mais peut-être est-ce que je m’attendais à de trop belles choses. Dans tous les cas, il serait difficile à cet égard de trouver une différence entre le service divin à Taïti et le service divin dans une commune rurale en Angleterre. Le chant des hymnes était extrêmement agréable ; mais le sermon, bien que l’orateur s’exprimât avec facilité, était assez monotone, peut-être à cause de la répétition constante de ces mots : Tata ta mata mai. Après le service anglais, nous nous rendons à pied jusqu’à Matavai, promenade charmante, tantôt sur le bord de la mer, tantôt à l’ombre d’arbres magnifiques.

Il y a environ deux ans, un petit bâtiment portant le pavillon anglais fut pillé par les habitants d’une île se trouvant sous la domination de la reine de Taïti. On attribua cet acte à quelques ordres donnés par Sa Majesté. Le gouvernement anglais demanda une compensation, elle fut accordée et il avait été convenu qu’on payerait une somme de près de 3 000 dollars le 1er septembre dernier. Le commandant de l’escadre à Lima avait ordonné au capitaine Fitz-Roy de s’occuper de cette affaire et de demander satisfaction, si on ne lui versait pas l’argent comme il avait été convenu. Le capitaine Fitz-Roy demanda donc une audience à la reine Pomaré, fameuse depuis à cause des mauvais traitements que lui ont fait subir les Français. La reine ordonna qu’un parlement, composé des principaux chefs de l’île, se réunît sous sa présidence pour examiner cette question. Je n’essayerai pas de décrire cette scène après le récit intéressant qu’en a fait le capitaine Fitz-Roy. L’argent n’avait pas été versé et peut-être les raisons données pour expliquer ce retard n’étaient-elles pas suffisantes. Mais je ne puis trouver de termes pour exprimer la surprise que nous avons tous ressentie en voyant le bon sens, la force de raisonnement, la modération, la candeur, la promptitude de résolution que montra ce parlement. Nous quittâmes tous la réunion avec une idée bien différente sur les Taïtiens de celle que nous avions quand nous y entrâmes. Les chefs et le peuple résolurent de souscrire pour parfaire la somme nécessaire. Le capitaine Fitz-Roy leur fit remarquer qu’il était dur de sacrifier leurs propriétés particulières pour effacer les crimes d’insulaires éloignés. Ils répondirent qu’ils étaient fort obligés au capitaine Fitz-Roy de ces bonnes paroles, mais que Pomaré était leur reine et qu’ils étaient décidés à l’aider dans cette difficulté. Cette résolution, sa prompte exécution, car la souscription fut ouverte dès le lendemain matin, terminèrent admirablement cette scène remarquable de loyauté et de bons sentiments.

À la suite de cette discussion, plusieurs chefs saisirent l’occasion pour faire au capitaine Fitz-Roy plusieurs questions sur les lois et les coutumes internationales, principalement par rapport au traitement des vaisseaux et des étrangers. La discussion commençait immédiatement et les lois étaient votées aussitôt après. Ce parlement taïtien dura plusieurs heures ; dès que la séance fut terminée, le capitaine Fitz-Roy invita la reine Pomaré à faire une visite au Beagle.

25 novembre. — On envoie dans la soirée quatre canots pour transporter Sa Majesté ; le vaisseau était pavoisé et les matelots placés dans les haubans quand elle arriva à bord ; la plupart des chefs accompagnaient la reine. Tous se conduisirent parfaitement bien ; ils ne demandèrent rien et parurent très-satisfaits des présents que leur fit le capitaine Fitz-Roy. La reine est une grosse femme qui n’a ni grâce, ni beauté, ni dignité ; elle ne possède qu’une qualité royale : un air de parfaite indifférence dans toutes les circonstances. Les fusées causèrent un enthousiasme universel ; après chaque explosion un cri formidable s’élevait tout autour de la baie. On admira aussi beaucoup les chants des matelots ; la reine dit qu’elle pensait que l’un des plus gais n’était certainement pas un hymne. Le cortège royal ne retourna à terre qu’après minuit.

26 novembre. — Dans la soirée nous levons l’ancre et, poussés par une belle brise de terre, nous nous éloignons dans la direction de la Nouvelle-Zélande. Au moment où le soleil se couche, nous jetons un dernier regard sur les montagnes de Taïti, île à laquelle chaque voyageur a payé un tribut d’admiration.

19 décembre. — Dans la soirée nous apercevons la Nouvelle-Zélande dans le lointain. Nous pouvons nous dire actuellement que nous avons presque traversé le Pacifique. Il faut avoir navigué sur ce grand océan pour comprendre combien il est immense ; pendant des semaines nous avions toujours été rapidement en avant sans rien rencontrer, sans rien voir, que l’eau bleue et profonde. Dans les archipels mêmes, les îles ne sont que des points microscopiques très-distants les uns des autres. Accoutumés que nous sommes à étudier des cartes faites à une très-petite échelle, encombrées de points, d’ombre et de noms, il nous est très-difficile de comprendre combien est petite la proportion des terres relativement à celle de l’eau dans cette immense étendue. Nous avons traversé aussi le méridien des antipodes et nous sommes heureux de penser que chaque lieue faite actuellement nous rapproche de l’Angleterre. Les antipodes ! C’est un mot qui rappelle à l’esprit bien des idées qu’on se faisait étant enfant, bien des étonnements qu’on éprouvait alors. Il y a quelques jours encore je pensais à cette limite imaginaire comme à un point défini dans notre voyage vers la patrie ; aujourd’hui, je suis bien obligé de me dire que tous ces lieux que vous représente l’imagination sont autant d’ombres que l’homme ne peut jamais atteindre. Une tempête qui a duré quelques jours nous a donné tout le temps de calculer ce qui nous reste encore à faire avant de nous retrouver dans notre pays et nous a fait désirer plus encore, s’il est possible, que notre voyage soit terminé.

21 décembre. — Nous pénétrons dans la matinée dans la baie des Îles ; le vent tombe au moment où nous entrons dans cette baie, et il est midi avant que nous puissions jeter l’ancre. Le pays est montagneux, les contours sont arrondis, de nombreux bras de mer partant de la baie pénètrent profondément dans les terres. À une certaine distance, le sol paraît recouvert de grossiers pâturages. Ce sont tout simplement des fougères. Sur les collines éloignées et dans quelques parties des vallées, on voit beaucoup de bois. La teinte générale du paysage n’est pas vert brillant, elle ressemble un peu à celle du pays situé un peu au sud de Concepcion, au Chili. Dans plusieurs parties de la baie, des petits villages composés de maisons carrées, propres, descendent jusqu’au bord de l’eau. Dans le port, nous voyons trois baleiniers, et, de temps en temps, un canot passe d’un point à l’autre de la côte. À ces exceptions près, la tranquillité la plus complète semble régner sur le pays tout entier. Un seul canot vient à notre rencontre ; cette solitude et, en un mot, l’aspect de la scène entière, forment un contraste frappant et peu agréable du reste avec le joyeux accueil qui nous avait été fait à Taïti.

Nous nous rendons à terre dans l’après-midi ; nous débarquons auprès d’un des groupes les plus considérables de maisons, groupe qui mérite à peine le nom de village. Ce village s’appelle Pahia ; c’est la résidence des missionnaires et on n’y trouve aucun indigène, sauf des domestiques ou des ouvriers. Il y a en tout 200 ou 300 Anglais dans le voisinage de la baie des Îles ; tous les cottages, dont la plupart sont blanchis à la chaux et paraissent fort propres, sont la propriété des Anglais. Les huttes des indigènes sont si petites, si insignifiantes, qu’il faut être sur elles pour les apercevoir. Quel charme de retrouver à Pahia les fleurs anglaises qui ornent les jardins devant les maisons ! On y voit des roses de plusieurs espèces, du chèvrefeuille, du jasmin, des giroflées et des haies entières d’églantiers.

22 décembre. — Je vais faire une promenade dans la matinée, mais je m’aperçois bientôt qu’il est impossible de parcourir le pays. Toutes les collines sont recouvertes par d’immenses fougères et par une plante qui ressemble au cyprès et qui forme de véritables fourrés ; on n’a jusqu’à présent défriché et cultivé que fort peu de terrain. J’essayai de parcourir le bord de la mer, mais là encore, de quelque côté que je dirigeasse mes pas, j’étais bientôt arrêté par des criques d’eau de mer ou par de profonds ruisseaux. Tout comme à Chiloé, les habitants des différentes parties de la baie ne peuvent guère communiquer qu’en bateau. Je remarque avec quelque surprise que presque toutes les collines ont été autrefois plus ou moins fortifiées. Le sommet est disposé en degrés ou en terrasses successives, fréquemment défendu en outre par un profond fossé. J’observai plus tard que les principales collines de l’intérieur ont pris aussi cette forme artificielle sous la main des habitants. C’est ce qu’on appelle les pahs, dont le capitaine Cook parle assez souvent sous le nom de Hippah ; cette différence d’appellation provient de ce que, dans le second cas, l’article est ajouté au substantif.

Les amas de coquillages et les fossés dans lesquels, m’a-t-on dit, les indigènes avaient coutume de tenir des patates en réserve, prouvent que les pahs ont été autrefois fort souvent habités. Il n’y a pas d’eau sur ces collines, les défenseurs ne pouvaient donc résister à un long siège, mais ils pouvaient tenir devant une attaque soudaine et défendre successivement les différentes terrasses. L’introduction générale des armes à feu a changé tout le système de la guerre chez ces peuples, car le sommet d’une colline est actuellement une situation trop exposée ; aussi les pahs sont-ils aujourd’hui (1835) toujours construits dans les plaines. Ils consistent en une double estacade formée par des morceaux de bois fort épais et assez élevés, placés en zigzag, de sorte qu’on peut toujours prendre l’ennemi par derrière ou en flanc. À l’intérieur de l’estacade, on élève une colline artificielle derrière laquelle les défenseurs du fort peuvent s’abriter. Des petites portes fort basses sont ouvertes dans la palissade d’enceinte pour permettre aux défenseurs d’aller reconnaître leurs ennemis. Le révérend W. Williams, qui me donne ces détails, ajoute que dans l’un de ces pahs il avait remarqué des séparations. Il demanda au chef ce à quoi elles pouvaient servir ; celui-ci lui répondit que c’était pour séparer les hommes, afin que si quelques-uns d’entre eux sont tués, les voisins ne les voient pas et par conséquent ne se découragent pas.

Les Nouveaux-Zélandais considèrent ces pahs comme un moyen de défense excellent ; leurs ennemis, en effet, ne sont jamais assez disciplinés pour se précipiter en troupe sur la palissade, l’abattre et entrer. Quand une tribu fait la guerre, le chef ne peut ordonner à un homme d’aller ici ou là, chaque homme combat de la manière qui lui convient le mieux ; or chaque individu doit considérer que s’approcher d’une palissade défendue par des hommes portant des armes à feu, c’est s’exposer à une mort certaine. Je ne crois cependant pas qu’on puisse trouver race plus guerrière que les Nouveaux-Zélandais. Leur conduite, alors qu’ils virent un vaisseau pour la première fois, ainsi que le raconte le capitaine Cook, en est un excellent exemple : il fallait une hardiesse extraordinaire pour jeter des pierres à un objet si grand et si nouveau et pour crier : « Venez à terre, nous vous tuerons et nous vous mangerons tous. » La plupart de leurs coutumes, leurs actes même les plus insignifiants prouvent cet esprit guerrier. Si un Nouveau-Zélandais reçoit un coup, même en plaisantant, il faut qu’il le rende ; j’en ai vu plusieurs exemples.

Aujourd’hui, grâce aux progrès de la civilisation, les guerres sont bien moins fréquentes, sauf chez les tribus méridionales. On m’a raconté sur ces tribus un fait caractéristique qui s’est passé il y a quelque temps. Un missionnaire arriva chez un chef et trouva toute la tribu se préparant à la guerre ; les fusils étaient nettoyés et les munitions prêtes. Le missionnaire fit aux indigènes de longs raisonnements sur l’inutilité de la guerre, sur les causes futiles qui les y poussaient. Il parla tant et si bien, que la résolution du chef en fut ébranlée ; mais tout à coup ce dernier se rappela qu’il avait un baril de poudre en fort mauvais état et qui ne pouvait guère se conserver beaucoup plus longtemps. C’était là un argument irrésistible démontrant la nécessité d’une guerre immédiate, car c’eût été dommage de laisser gâter de si bonne poudre ; la guerre fut donc décidée. Les missionnaires m’ont raconté que l’amour de la guerre a été le seul et unique mobile de toutes les actions de Shongi, le chef qui a visité l’Angleterre. La tribu dont il était le chef avait été autrefois fort opprimée par une tribu qui habite les bords de la rivière Thames. Les hommes jurèrent solennellement que, dès que leurs fils seraient assez grands et qu’ils seraient devenus assez puissants, ils n’oublieraient ni ne pardonneraient jamais ce qu’on leur avait fait souffrir. Le principal motif du voyage de Shongi en Angleterre avait été de trouver les moyens d’accomplir ce serment. Il ne faisait attention aux cadeaux qu’on lui faisait qu’à condition qu’il pût les convertir en armes ; il ne s’intéressa qu’à une seule chose, la manufacture des armes. Par une étrange coïncidence Shongi, en passant à Sydney, rencontra chez M. Marsden le chef de la tribu de la rivière Thames ; ils se saluèrent poliment, puis Shongi dit à son ennemi que, dès qu’il serait de retour à la Nouvelle-Zélande, il lui ferait une guerre sans trêve ni merci. L’autre accepta le défi ; dès son retour, Shongi tint sa parole à la lettre. Il finit par détruire complètement la tribu de la rivière Thames et par tuer le chef qu’il avait défié. Sauf ce sentiment si vif de haine et de vengeance, Shongi était, dit-on, une fort bonne personne.

Dans la soirée je vais, accompagné du capitaine Fitz-Roy et de M. Baker, un des missionnaires, visiter Kororadika. Nous nous promenons dans le village, causant avec beaucoup de monde ; hommes, femmes et enfants. On compare tout naturellement les Nouveaux-Zélandais aux Taïtiens ; ils appartiennent d’ailleurs à la même race. Mais la comparaison n’est pas à l’avantage des Nouveaux-Zélandais : peut-être ont-ils une énergie supérieure à celle des Taïtiens, mais sous tous les autres rapports ils sont inférieurs. On n’a qu’à les regarder l’un et l’autre pour être convaincu que l’un est un sauvage, l’autre un homme civilisé. On chercherait en vain dans toute la Nouvelle-Zélande un homme ayant l’expression et le port du vieux chef taïtien Utamme. Peut-être est-ce parce que les singuliers dessins du tatouage des Nouveaux-Zélandais leur donnent un aspect désagréable. On est étonné et tout surpris, quand on n’y est pas habitué, de voir les dessins compliqués, bien que symétriques, qui leur couvrent tout le corps ; il est probable, en outre, que les profondes incisions qu’ils se font sur la face détruisent le jeu des muscles superficiels et leur donnent un air de rigide inflexibilité. Mais à côté de cela ils ont quelque chose dans le regard qui indique certainement la ruse et la férocité. Ils sont grands et forts, mais on ne peut les comparer, sous le rapport de l’élégance, même aux classes inférieures de Taïti.

Leur personne et leurs maisons sont très-sales et émettent une odeur horrible, il semble qu’ils n’aient jamais eu l’idée de se laver ou de laver leurs effets. J’ai vu un chef qui portait une chemise toute noire et si couverte d’ordures, qu’elle en était roide ; je lui demandai comment il se faisait qu’elle fût si sale : « Mais ne voyez-vous pas, répondit-il d’un air tout étonné, que c’est une vieille chemise ? » Quelques hommes portent des chemises, mais le costume principal du pays est une grande couverture, ordinairement couverte d’ordures, qu’ils portent sur l’épaule de la façon la plus disgracieuse. Quelques-uns des principaux chefs ont des habits anglais assez propres, mais ils ne les portent que dans les grandes occasions.

23 décembre. — Les missionnaires ont acheté quelques terrains pour y établir des cultures à un endroit appelé Waimate, à environ 15 milles de la baie des îles et à moitié chemin entre la côte occidentale et la côte orientale. J’avais été présenté au révérend W. Williams, qui, quand je lui en exprimai le désir, m’invita à lui rendre visite dans son établissement. M. Bushby, le résident anglais, m’offrit de me conduire en bateau dans une crique où je verrais une jolie cascade, ce qui en outre raccourcirait de beaucoup la route que j’aurais à faire à pied. Il me procura aussi un guide. Il demanda à un chef voisin de lui recommander quelqu’un pour me guider et le chef s’offrit à m’accompagner lui-même ; ce chef ignorait si complètement la valeur de l’argent, qu’il me demanda d’abord combien je lui donnerais de livres sterling, il est vrai qu’il se contenta ensuite de 2 dollars. Quand je lui montrai un petit paquet que je voulais emporter, il déclara qu’il devait se faire accompagner par un esclave. Ces sentiments d’orgueil commencent à disparaître, mais, il n’y a pas longtemps encore, un chef aurait proféré mourir plutôt que de se soumettre à l’indignité de porter le fardeau le plus petit. Mon guide était un homme actif, il portait une couverture fort sale et sa figure était complètement tatouée. Autrefois c’était un grand guerrier. Il paraissait dans les meilleurs termes avec M. Bushby, ce qui n’empêchait pas qu’ils n’eussent quelquefois de violentes querelles. M. Bushby me fit remarquer que le meilleur moyen de venir à bout de ces indigènes, même au moment où ils sont le plus en colère, est de se moquer tranquillement d’eux. « Un jour ce chef était venu dire à M. Bushby en le bravant : Un grand chef, un grand homme, un de mes amis, est venu me rendre visite, il faut que vous lui donniez quelque chose de bon à manger, que vous lui fassiez de beaux présents, etc. » M. Bushby le laissa aller jusqu’au bout, puis lui répondit tranquillement : « Que faut-il que votre esclave fasse encore pour vous ? » Cet homme le regarda, parut tout étonné et cessa immédiatement ses bravades.

Il y a quelque temps M. Bushby eut à soutenir une attaque beaucoup plus sérieuse. Un chef accompagné d’une troupe assez nombreuse essaya de pénétrer dans sa maison au milieu de la nuit ; ne pouvant y parvenir, ils commencèrent un feu de mousqueterie extrêmement vif. M. Bushby fut légèrement blessé, mais il parvint enfin à repousser les agresseurs. Peu après on découvrit le chef qui avait commandé la troupe et on provoqua une réunion de tous les chefs de l’île pour examiner l’affaire. Les Nouveaux-Zélandais considérèrent cet acte comme odieux, parce que l’attaque avait eu lieu pendant la nuit et que Mme Bushby était malade dans la maison ; il faut remarquer à leur honneur qu’ils considèrent la présence d’une personne malade comme une protection. Les chefs convinrent de confisquer les terres de l’agresseur pour les remettre au roi d’Angleterre. On n’avait pas eu, jusque-là, d’exemple du jugement et surtout de la punition d’un chef. L’agresseur fut en outre dégradé, ce que les Anglais considérèrent comme bien plus important que la confiscation de ses terres.

Au moment où le bateau quittait la côte, un second chef y entra ; il désirait seulement passer le temps en venant se promener dans la crique. Je n’ai jamais vu expression plus horrible et plus féroce que celle du visage de cet homme. Cependant il me semblait avoir vu son portrait quelque part ; on le trouvera dans les dessins que Retzch a faits pour illustrer la ballade de Fridolin par Schiller, où deux hommes poussent Robert dans la fournaise : c’est celui qui pose son bras sur la poitrine de Robert. J’avais d’ailleurs sous les yeux un parfait exemple de physionomie ; ce chef était un fameux assassin et en même temps la lâcheté personnifiée. Quand nous débarquâmes, M. Bushby m’accompagna pendant quelques centaines de mètres pour me montrer la route. Je ne pus m’empêcher d’admirer l’impudence du vieux coquin, que nous avions laissé dans le bateau, quand il cria à M. Bushby ; « Ne soyez pas longtemps, car je m’ennuie à vous attendre ici. »

La route que nous suivons est un sentier bien battu, bordé de chaque côté par de hautes fougères, semblables à celles qui couvrent tout le pays. Au bout de quelques milles nous atteignons un petit village, composé de quelques huttes entourées de champs de pommes de terre. L’introduction de la pomme de terre à la Nouvelle-Zélande a été un bienfait pour cette île. Elle est maintenant beaucoup plus cultivée que n’importe quel légume indigène. La Nouvelle-Zélande présente un immense avantage naturel, c’est que les habitants n’y peuvent pas mourir de faim. Le pays tout entier, je l’ai déjà dit, est couvert de fougères ; or, si les racines de cette plante ne constituent pas un aliment très-agréable, elles contiennent tout au moins beaucoup de principes nutritifs. Un indigène est sûr de ne pas mourir de faim en se nourrissant de ces racines et des coquillages extrêmement abondants sur toutes les parties de la côte. On remarque tout d’abord dans les villages les plates-formes élevées sur quatre pieux à 10 ou 12 pieds au-dessus du sol ; on y place les récoltes pour les mettre à l’abri de toute espèce d’accident.

Nous nous approchons d’une des huttes et je vois alors un spectacle qui m’amuse beaucoup, c’est la cérémonie du frottement des nez. Dès que les femmes nous voient approcher, elles commencent à psalmodier sur le ton le plus mélancolique, puis elles s’assoient sur leurs talons le visage tourné en l’air. Mon compagnon s’approche successivement de chacune d’elles, place son nez à angle droit avec le leur et appuie assez fortement. Cela dure un peu plus longtemps que notre cordiale poignée de main ; et, de même que nous serrons la main de nos amis plus ou moins fort, de même ils appuient plus ou moins fortement. Pendant toute la cérémonie ils poussent de petits grognements de plaisir qui ressemblent beaucoup aux grognements que font entendre deux cochons qui se frottent l’un contre l’autre. Je remarque que l’esclave se frotte le nez avec tous les gens qu’il trouve sur son chemin sans s’inquiéter de laisser passer son maître le premier. Bien que, chez ces sauvages, le chef ait le droit le plus absolu de vie et de mort sur son esclave, il y a cependant entre eux une absence complète d’étiquette. M. Burchell a remarqué le même fait chez les grossiers Bachapins qui habitent l’Afrique méridionale. Partout où la civilisation a atteint un certain degré, on voit se produire immédiatement un grand nombre de formalités entre les individus appartenant à des classes différentes : ainsi, à Taïti, tout le monde était obligé, en présence du roi, de se découvrir jusqu’à la ceinture.

Quand mon compagnon eut achevé de se frotter le nez avec tous les individus présents, nous nous assîmes en cercle devant l’une des huttes ; nous nous y reposons une demi-heure. Toutes les huttes ont presque la même forme et la même dimension ; mais toutes se ressemblent sous un autre rapport, c’est-à-dire qu’elles sont toutes aussi abominablement sales les unes que les autres. Elles ressemblent à une étable dont une des extrémités serait ouverte ; à l’intérieur se trouve une cloison percée d’un trou carré, ce qui forme une petite chambre extrêmement sombre. C’est là que les habitants conservent tout ce qu’ils possèdent et qu’ils vont coucher quand le temps est froid ; mais ils prennent leurs repas et passent la journée dans la partie ouverte. Nous nous remettons en route quand mes guides ont fini de fumer leur pipe. Le sentier continue à traverser un pays ondulé, toujours recouvert de fougères. À notre droite nous voyons une petite rivière qui fait mille détours ; les rives sont bordées d’arbres et on voit aussi quelques buissons sur le flanc des collines. En dépit de sa couleur verte, le paysage semble désolé. La vue de tant de fougères donne l’idée de la stérilité ; c’est là, cependant, une opinion incorrecte, car, partout où les fougères poussent bien on est sûr que le sol est très-fertile, si on le laboure. Quelques résidents pensent que tout ce pays était autrefois couvert de forêts qui ont été détruites par le feu. On dit qu’en creusant dans les endroits les plus découverts on trouve des morceaux de résine semblable à celle qui coule du pin Kauri. Les indigènes ont évidemment eu un motif en détruisant les forêts ; la fougère leur fournissait, en effet, leur principal aliment et cette plante ne pousse que dans les endroits découverts. L’absence presque entière d’autres espèces de graminées, caractère si remarquable de la végétation de cette île, peut s’expliquer peut-être par le fait que le sol était autrefois entièrement recouvert par des forêts.

Le sol est volcanique ; nous passons dans quelques endroits sur des coulées de lave et on peut distinguer des cratères sur plusieurs des collines voisines. Ma promenade me procure beaucoup de plaisir, bien que le pays ne soit jamais très-beau ; j’aurais éprouvé plus de plaisir encore si mon compagnon, le chef, n’avait pas été un abominable bavard. Je ne savais que trois mots de la langue : « bon, mauvais et oui. » Je les employais alternativement pour répondre à tout ce qu’il me disait sans avoir, bien entendu, compris un seul mot de son discours. Il semblait heureux de trouver quelqu’un qui prêtât une si grande attention à ses paroles, aussi ne cessa-t-il pas un seul instant de me parler.

Nous arrivons enfin à Waimate. Après avoir traversé un pays inhabité et inculte pendant tant de milles, rien d’agréable comme de se trouver tout à coup en présence d’une ferme anglaise, entourée de champs bien cultivés. M. Williams n’est pas chez lui, mais M. Davies me reçoit de la façon la plus charmante. Après avoir pris le thé avec sa famille, nous allons faire un tour dans les cultures. Il y a, à Waimate, trois grandes maisons où résident les missionnaires MM. Williams, Davies et Clarke ; auprès de ces maisons se trouvent les huttes des laboureurs indigènes. Sur une colline voisine je vois des champs magnifiques de blé et d’orge ; autre part des champs de pommes de terre et de trèfle. Mais il m’est impossible de décrire tout ce que j’ai vu ; il y a là de grands jardins où se trouvent tous les fruits et tous les légumes de l’Angleterre et beaucoup d’autres appartenant à des climats plus chauds. Je puis citer comme exemple l’asperge, le haricot, le concombre, la rhubarbe, la pomme, la poire, la figue, la pêche, l’abricot, le raisin, l’olive, la groseille à maquereau, la groseille, le houblon ; des bruyères forment les haies et çà et là on voit des chênes ; on cultive aussi une grande quantité d’espèces de fleurs. Autour de la cour de la ferme des étables, une aire à battre le blé, une machine à vanner, une forge ; sur le sol, des charrues et d’autres instruments agricoles ; au milieu de la cour, des cochons et des volailles paraissant aussi heureux qu’ils le sont dans une ferme anglaise. À quelques centaines de mètres de distance on a endigué un petit ruisseau et établi un moulin à eau.

Tout cela est d’autant plus surprenant qu’il y a cinq ans on ne voyait que des fougères en cet endroit. Ce sont des ouvriers indigènes, guidés par les missionnaires, qui ont exécuté ces travaux. Ce sont des Nouveaux-Zélandais qui ont bâti les maisons, qui ont fait les fenêtres, qui ont labouré les champs et qui ont même greffé les arbres. J’ai vu au moulin un Nouveau-Zélandais tout blanc de farine comme son confrère le meunier anglais. Cette scène m’a rempli d’admiration. Or cette admiration ne provient pas tant de ce que je crois revoir l’Angleterre — et cependant, au moment où la nuit tombe, les bruits domestiques qui frappent mes oreilles, les champs de blé qui m’entourent rendent l’illusion complète, et j’aurais pu me croire de retour dans ma patrie — elle ne provient pas tant du légitime orgueil que me cause la vue des progrès obtenus par mes compatriotes, que de l’espoir que ce spectacle m’inspire pour l’avenir de cette belle île.

Plusieurs jeunes gens rachetés par les missionnaires sont employés à la ferme. Ils portent une chemise, une jaquette et un pantalon ; ils ont l’air très-respectables. S’il faut en juger par un détail insignifiant, je crois qu’ils doivent être honnêtes. Un jeune laboureur, alors que nous nous promenons dans les champs, s’approche de M. Davies pour lui remettre un couteau et une vrille qu’il a trouvés sur la route ; il ne sait pas, dit-il, à qui ces objets peuvent appartenir ! Ces jeunes gens paraissent fort heureux. Le soir je les vois jouer au cricket avec les fils des missionnaires, ce qui ne laisse pas que de m’amuser beaucoup en pensant qu’on accuse ces missionnaires d’être austères jusqu’à l’absurde. L’aspect des jeunes femmes qui servent de domestiques à l’intérieur des maisons me frappe encore davantage. Elles sont aussi propres, aussi bien habillées, paraissent en aussi bonne santé que les servantes de ferme en Angleterre, ce qui ne laisse pas que de faire un contraste étonnant avec les femmes qui habitent les ignobles huttes de Kororadika. Les femmes des missionnaires ont voulu leur persuader de renoncer au tatouage ; mais, un beau jour, un fameux opérateur arriva du sud de l’île et elles ne purent résister à la tentation : « Il faut bien, dirent-elles, que nous nous fassions faire quelques lignes sur les lèvres, car autrement, quand nous serons vieilles et que nos lèvres seront ridées, nous serions trop laides. » La mode du tatouage tend d’ailleurs à disparaître ; cependant, comme c’est un signe de distinction entre le maître et l’esclave, il est probable que le tatouage subsistera longtemps encore. Il est singulier comme on s’habitue rapidement à ce qui peut paraître la chose même la plus extraordinaire : ainsi les missionnaires m’ont dit que, même pour eux, il manque quelque chose à une figure quand elle n’est pas tatouée, et qu’elle ne leur représente plus alors la face d’un gentleman de la Nouvelle-Zélande.

Le soir, je me rends chez M. Williams, où je dois passer la nuit. J’y trouve une quantité d’enfants, réunis pour fêter le jour de Noël ; ils sont tous assis autour d’une table immense et prennent le thé. Jamais je n’ai vu groupe d’enfants plus jolis et plus gais ; on ressent bien quelque étonnement quand on pense en même temps qu’on se trouve au milieu d’une île, où le cannibalisme, le meurtre et tous les crimes les plus atroces règnent en véritables maîtres ! D’ailleurs, les chefs de la mission semblent, eux aussi, jouir de la gaieté et du bonheur que respirent toutes ces petites figures.

24 décembre. — On dit la prière du matin en Nouveau-Zélandais en présence de toute la famille. Après déjeuner je vais me promener dans les jardins et dans la ferme. C’est jour de marché ; les indigènes des hameaux voisins apportent leurs pommes de terre, leur maïs, leurs cochons, qu’ils viennent échanger contre des couvertures et du tabac ; quelquefois, à force de persuasion, les missionnaires parviennent à leur faire prendre un peu de savon. Le fils aîné de M. Davis, qui exploite une ferme, est le grand chef du marché. Les enfants des missionnaires, qui sont venus demeurer tout jeunes dans l’île, comprennent la langue indigène bien mieux que leurs parents, et bien mieux qu’eux aussi se font obéir par les sauvages.

Un peu avant midi, MM. Williams et Davies me conduisent dans une forêt voisine pour me montrer les fameux pins Kauris. Je mesure un de ces magnifiques arbres ; juste au-dessus des racines il a 31 pieds de circonférence. Il y en a un autre à une certaine distance, trop loin pour que j’aille le voir, qui a 33 pieds de circonférence ; on m’en a cité un autre enfin qui a plus de 40 pieds. Ces arbres sont fort remarquables à cause de leur tronc uni et cylindrique, qui s’élance jusqu’à une hauteur de 60 et même de 90 pieds en conservant presque partout le même diamètre, et sans une seule branche. La couronne de branches qui se trouve au sommet est extraordinairement petite comparativement au tronc ; les feuilles sont aussi fort petites comparativement aux branches. Cette forêt est presque entièrement composée de Kauris ; les plus grands arbres, grâce au parallélisme de leurs côtés, ressemblent à de gigantesques colonnes de bois. Le bois du Kauri est la production la plus précieuse de l’île ; il sort en outre du tronc une grande quantité de résine qu’on vendait alors 10 centimes la livre aux Américains, il est vrai qu’on n’en connaissait pas l’emploi. Il me semble que quelques-unes des forêts de la Nouvelle-Zélande doivent être absolument impénétrables ; M. Matthews m’a raconté, en effet, qu’il connaît une forêt n’ayant que 34 milles de largeur, qui sépare deux régions habitées et qu’on venait de traverser pour la première fois. Accompagné d’un autre missionnaire, à la tête chacun de cinquante hommes, il essaya de se frayer un passage à travers cette forêt ; ils n’y parvinrent qu’après quinze jours de travail. J’ai vu fort peu d’oiseaux dans les bois. Quant aux animaux, il est très-remarquable qu’une île aussi grande, ayant plus de 700 milles du nord au sud et dans bien des endroits 90 milles de largeur, possédant des situations de toute espèce, un beau climat, des terres situées à toutes les hauteurs jusqu’à 14 000 pieds au-dessus du niveau de la mer, ne renferme qu’un petit rat en fait d’animal indigène. Plusieurs espèces d’oiseaux gigantesques, appartenant à la famille des Deinornis, semblent avoir remplacé ici les mammifères, de la même façon que les reptiles les remplacent encore dans l’archipel des Galapagos. On dit que le rat commun de Norwége a, en deux ans, détruit le rat de la Nouvelle-Zélande dans toute l’extrémité septentrionale de l’île. J’ai remarqué, dans bien des endroits, plusieurs espèces de plantes que, comme les rats, j’ai été forcé de reconnaître pour des compatriotes. Un poireau a envahi des districts tout entiers ; sans aucun doute il créera bien des embarras, quoiqu’un bâtiment français l’ait importé ici par grande faveur. La barbane commune est aussi fort répandue et portera toujours, je le crois, témoignage de la méchanceté d’un Anglais qui en a donné les graines en échange de graines de tabac.

J’allai dîner avec M. Williams au retour de cette promenade ; il me prêta un cheval pour retourner à la baie des îles. Je quittai les missionnaires en les remerciant vivement de leur gracieuse réception et plein d’admiration pour leur zèle et pour leur dévouement ; il serait très-difficile, je crois, de trouver des hommes plus dignes qu’ils ne le sont du poste important qu’ils ont à remplir.

Jour de Noël. — Dans quelques jours il y aura quatre ans que nous avons quitté l’Angleterre. Nous avons célébré notre première fête de Noël à Plymouth ; la seconde, à la baie de Saint-Martin, auprès du cap Horn ; la troisième, à Port-Desire, en Patagonie ; la quatrième, à l’ancre dans un port sauvage de la péninsule de Tres Montes ; la cinquième ici ; nous célébrerons la prochaine, je l’espère, en Angleterre. Nous assistons à l’office divin dans la chapelle de Pahia ; partie du service se fait en anglais, partie en langue indigène. Pendant notre séjour à la Nouvelle-Zélande nous n’avons pas entendu parler d’actes récents de cannibalisme ; cependant M. Stokes a trouvé des ossements humains calcinés, épars auprès d’un foyer, sur une petite île près de l’endroit où notre vaisseau est à l’ancre. Mais les restes de cet excellent banquet étaient peut-être là depuis plusieurs années. Il est probable que la moralité du peuple va s’améliorer rapidement. M. Bushby rapporte un fait plaisant comme preuve de la sincérité de quelques-uns tout au moins des indigènes qui se sont convertis au christianisme. Un de ces jeunes gens, qui lisait ordinairement les prières aux autres domestiques, vint à le quitter. Quelques semaines après il eut l’occasion de passer assez tard dans la soirée auprès d’une maison isolée et il aperçut ce jeune homme qui, à la lueur du feu, lisait la Bible à quelques individus qu’il avait réunis autour de lui. Quand la lecture fut finie, ils s’agenouillèrent tous pour prier et citèrent dans leurs prières M. Bushby, sa famille et tous les missionnaires du district.

26 décembre. — M. Bushby nous offre, à M. Sulivan et à moi, de nous faire remonter dans son canot quelques milles de la rivière Cawa-Cawa ; il se propose ensuite de nous conduire au village de Waiomio, où se trouvent quelques rochers curieux. Nous remontons un des bras de la baie ; le paysage est fort joli ; nous continuons notre course en bateau jusqu’à ce que nous arrivions à un village au delà duquel la rivière n’est plus navigable. Un chef de ce village et quelques hommes sortent pour nous accompagner jusqu’à Waiomio, situé à une distance de 4 milles. Ce chef était quelque peu célèbre à cette époque, parce qu’il venait de pendre une de ses femmes et un de ses esclaves coupables d’adultère. Un des missionnaires lui fit quelques remontrances à ce sujet ; il en parut tout surpris et lui répondit qu’il croyait suivre absolument la méthode anglaise. Le vieux Shongi, qui se trouvait en Angleterre pendant le procès de la reine, ne manquait jamais de dire, quand on lui en parlait, combien il désapprouvait cette manière de faire. « J’ai cinq femmes, disait-il, et j’aimerais mieux leur couper la tête à elles toutes que de me soumettre à de tels embarras à propos d’une seule. »

Après nous être reposés quelque temps dans ce village, nous nous rendons dans un autre, perché sur une colline à quelque distance. Le chef, encore païen, avait perdu une de ses filles cinq jours avant notre arrivée. On avait brûlé la hutte dans laquelle elle était morte ; son corps, placé entre deux petits canots, était exposé debout sur le sol, enfermé dans une palissade couverte des images de leurs dieux en bois sculpté ; le tout était peint en rouge de façon à ce qu’on pût l’apercevoir de fort loin. La robe de la morte était attachée au cercueil, ses cheveux, coupés, étaient placés à ses pieds. Ses parents s’étaient fait des entailles sur les bras, sur le corps et sur la figure, de telle sorte qu’ils étaient tous couverts de caillots de sang ; les vieilles femmes, en cet état, étaient abominables. Quelques officiers visitèrent à nouveau cet endroit le lendemain ; les femmes continuaient encore à gémir et à se taillader la peau.

Nous continuons notre promenade et nous arrivons bientôt à Waiomio. On trouve là des masses de grès singulières qui ressemblent à de vieux châteaux en ruine. Ces rochers ont servi longtemps de sépulture et sont, par conséquent, des lieux trop sacrés pour qu’on ose s’en approcher. Cependant un des jeunes gens qui nous accompagnent s’écrie : « Soyons braves ! » et il s’élance en avant ; toute la troupe le suit, mais, quand ils se trouvèrent à une centaine de mètres des rochers, ils s’arrêtèrent tous d’un commun accord. Je dois ajouter qu’ils nous laissèrent visiter cet endroit sans nous faire la moindre observation. Nous nous reposons dans ce village pendant quelques heures ; M. Bushby a eu, pendant ce temps, une longue discussion avec un vieillard à propos du droit de vendre certaines terres ; le vieillard, qui paraît très-fort sur la généalogie locale, indique les possesseurs successifs en enfonçant dans le sol une série de morceaux de bois. Avant de quitter le village on nous remet à chacun un panier de patates rôties ; selon la coutume, nous les emportons pour les manger en route. Au milieu des femmes occupées à faire la cuisine, j’ai remarqué un esclave mâle. Ce doit être chose fort humiliante, chez un peuple si guerrier, que d’être employé à ce que l’on considère comme un travail presque indigne des femmes. On ne permet pas aux esclaves de faire la guerre ; mais est-ce là une privation bien grande ? J’ai entendu parler d’un pauvre malheureux qui, pendant une bataille, passa à l’ennemi. Deux hommes s’emparèrent immédiatement de lui, mais comme ils ne purent s’entendre sur la question de savoir à qui il appartiendrait, tous deux le menaçaient de leur hache de pierre, et chacun semblait tout au moins décidé à ce que l’autre ne l’eût pas vivant. Ce fut la femme d’un chef qui, par son adresse, sauva ce malheureux à moitié mort de peur. Nous revenons au canot, mais ce n’est que le soir fort tard que nous remontons à bord de notre bâtiment.

30 décembre. — Dans l’après-midi, nous quittons la baie des îles pour nous rendre à Sydney. Nous sommes tous, je crois, fort heureux de quitter la Nouvelle-Zélande. Ce n’est certes pas un lieu agréable. On n’y retrouve pas chez les indigènes cette charmante simplicité qui plaît tant à Taïti ; d’autre part, la plus grande partie des Anglais qui habitent cette île sont l’écume de la société. On ne peut pas dire non plus que le pays soit attrayant. La Nouvelle-Zélande ne m’a laissé qu’un heureux souvenir : c’est Waimate et ses habitants chrétiens.