Voyage d’une femme aux Montagnes Rocheuses/Lettre IX

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LETTRE IX


Pardon, Ma’am. — Un desperado. — Une chasse au bétail. — Une vache furieuse. — Tempête de neige. — Birdie. — Les plaines. — Un schooner des Prairies. — Denver-Plum-Creek. — Bloqués par la neige. — La jument grise.


Estes-Park, Colorado.

Cette après-midi, je lisais dans ma cabin, lorsque le petit Sam Edwards accourut me dire : « Mountain Jim veut vous parler. » Ceci me fit songer aux ennuis sans fin, aux domestiques maladroits, aux « pardon, ma’am », aux contre-temps, et à cette habitude, qui est le résultat de notre existence inutilement perfectionnée et conventionnelle, d’exagérer l’importance de niaiseries pareilles. Les « faits » alors se sont présentés à ma pensée avec la tyrannie qu’ils exercent. Je n’ai vraiment besoin de rien de plus que ce que m’offre cette log-cabin ; cinq minutes me suffisent pour la faire, et l’on peut y manger par terre ; elle n’a pas besoin de serrure, puisqu’elle ne contient rien qui vaille la peine d’être volé.

Mais pendant que je faisais ces réflexions, Mountain Jim attendait pour nous demander de faire une promenade à cheval, et lui, moi, M. et Mrs Dewy, avons fait une ravissante excursion parmi les feuillages colorés. Puis, quand nos compagnons ont été fatigués, j’ai changé mon cheval contre sa belle jument, et tous deux nous avons galopé et couru aux lueurs d’un beau crépuscule, dans l’air froid et enivrant. Mrs Dewy souhaitait que vous eussiez pu nous voir descendant la passe au galop ; le bandit effrayant sur mon pesant cheval de chariot, et moi sur sa selle de bois d’où pendaient par lambeaux des queues de castor, de loutre, de martre, et des morceaux de peau. Je n’avais qu’un éperon, les pieds hors de l’étrier, et la jument avait l’air aussi aristocratique que je semblais, moi, misérable, M. Nugent est ce qu’on appelle un brillant causeur. Avec une sorte de mépris montagnard pour toutes choses, il juge avec une finesse remarquable les hommes et les événements ; les femmes aussi. Pathétique, poëte, il a de l’esprit, un amour intense de la nature, beaucoup de vanité dans un certain sens, un désir évident de parler et d’agir en original, et de soutenir sa réputation de desperado ; il est très-littéraire et a une mémoire merveilleuse. Ses manières avec les femmes sont pleines d’un respect chevaleresque qui rend encore plus amusantes les railleries gracieuses qu’il leur adresse subitement. Il est très-séduisant et aime beaucoup les enfants. Ceux de la maison courent à lui et, lorsqu’il s’assied, grimpent sur ses larges épaules et jouent avec ses cheveux. On dit, ici, qu’une fois qu’on a causé avec Jim, on trouve que les autres ne valent pas la peine qu’on leur adresse la parole. Le temps corrigera probablement cette opinion. De façon ou d’autre, il est toujours en vue du public du Colorado, car on ne peut guère prendre un journal sans trouver de paragraphe le concernant, un article fait par lui ou un fragment de sa biographie. Il a beau avoir l’air d’un bandit, les premiers mots qu’il prononce (du moins en s’adressant à une femme) le mettent de niveau avec les hommes distingués, et sa conversation est brillante, pleine des éclats et des fantaisies du talent. Cependant, il est pénible de le regarder. Sa tête magnifique montre si clairement ce qu’il aurait pu être sa vie, en dépit d’un certain éblouissement qui lui est propre, est une vie perdue, et l’on se demande ce que l’avenir peut réserver de bon à celui qui, depuis si longtemps, a choisi le mal[1].

Partirai-je jamais ? Nous devions avoir hier une grande chasse au bétail commençant à six heures et demie, mais tous les chevaux étaient perdus. Souvent, sur cinquante chevaux, tout ce qu’il y a d’un peu bon est à marauder, et on perd une journée à aller à leur recherche dans les canyons. Cependant, ce matin avant le jour, Évans m’a appelée à travers ma porte : « Dites donc, miss Bird, il faut que nous allions chasser du bétail à quinze milles d’ici ; donnez-nous un coup de main, nous ne sommes point assez : je vous donnerai un bon cheval. »

Le terrain de la chasse, à une altitude de 7 500 pieds, est arrosé par deux rivières rapides. Les montagnes s’élèvent de tous les côtés, à une hauteur qui varie de 11 000 à 15 000 pieds ; leurs flancs, hérissés de forêts de pitch pines, coupés de canyons profonds, boisés et parsemés de roches, s’ouvrent sur le pâturage montagneux déjà mentionné. Deux mille têtes de bétail du Texas, à demi sauvage, errent par troupeaux à travers les canyons et vivent dans des termes plus ou moins suspects avec les ours bruns et gris, les lions de montagne, les élans, les moutons, les daims tachetés, les loups, les lynx, les chats sauvages, les loutres, les castors, les skunks, les écureuils, les aigles, les serpents à sonnettes et tous les autres habitants à deux pattes, à quatre pattes, vertébrés ou sans vertèbres, de cette région romantique et solitaire. En somme, ils n’ont guère les allures d’un bétail domestique. Ils vont boire en file indienne, les taureaux en tête, et, lorsqu’ils sont menacés, ils prennent l’avantage stratégique d’un terrain sillonné, s’esquivant prudemment dans les creux, pendant que les taureaux font sentinelle et forment l’arrière-garde, en prévision d’une attaque des chiens. Il faut prendre les vaches de force pour les traire : car, à l’état indompté, elles sont aussi sauvages que les buffalos. Mais, vu la sécheresse comparative de l’herbe et le système de laisser têter le veau pendant la journée, une laiterie de deux cents vaches de l’industrie du marchand de bétail ; quelque humain qu’il puisse être, la terreur est son système. Depuis le moment où l’on martyrise le veau pour le marquer, où le fer chaud pénètre dans sa chair frissonnante, jusqu’au jour où, bœuf gras, on le ramène de ses pâturages sans limites pour l’abattre à Chicago, l’animal est dominé par la crainte et la terreur de l’homme.

Les troupeaux pénètrent facilement dans les canyons sauvages qui descendent de la Snowy Range ; ils courent risque d’y être ensevelis sous la neige et d’y mourir de faim : aussi, de temps à autre, est-il nécessaire de les en chasser et de les conduire au parc. Dans la présente occasion, on devait les ramener tous pour les passer en revue et marquer les veaux. Nous sommes partis ce matin à six heures et demie, après avoir déjeuné. Notre bande se composait de mon hôte, d’un chasseur de la Snowy Range, de deux marchands de bétail des plaines, dont l’un, que son camarade dit être le meilleur cavalier du nord de l’Amérique, montait un sauteur impétueux, et de moi. Nous avions tous des selles mexicaines et, selon la coutume, de légers bridons, des gardes de cuir sur les pieds et de larges étriers de bois. Chacun portait son lunch dans un sac pendu à la fourche à lasso de sa selle. Quatre grands chiens mal dressés nous accompagnaient. C’était une course de près de trente milles et de bien des heures, l’une des plus splendides que j’aie faites. Nous ne sommes pas une seule fois descendus de cheval, si ce n’est pour resserrer les sangles, et avons mangé notre lunch, les brides attachées sur la fourche de la selle. Nous partions au grand galop, sautions par-dessus les troncs d’arbres, nous lancions follement sur les flancs de collines hérissées de rochers ou semées de grandes pierres, et traversions les rivières rapides et profondes ; nous avons vu des lacs ravissants et des sites d’une magnificence rare, effrayé un troupeau de daims aux têtes étranges, aux andouillers monstrueux, et, durant la chasse, qui pendant quelque temps a été infructueuse, nous sommes montés à la base même du pic de Long, à plus de 14, 000 pieds de haut ; les eaux brillantes de l’un des affluents de la Platte sortent là, des neiges éternelles, par un canyon d’une majesté indescriptible. Le soleil était chaud, mais dans les hauteurs l’air était glacé, et c’était une jouissance extrême de monter un bon cheval dans de telles circonstances. Dans l’une des parties sauvages de notre course, nous avons eu à descendre une colline escarpée boisée de pitch pines pressés, à sauter par-dessus des troncs abattus et à manœuvrer entre les arbres morts et autres, pour éviter de recevoir un choc ou de faire tomber de grosses branches mortes par un attouchement imprudent.

En sortant de là, nous avons aperçu un millier de têtes de bétail du Texas qui paissaient dans une vallée à nos pieds. Les chefs nous sentirent et, prenant peur, commencèrent à s’éloigner dans la direction du parc ouvert, tandis que nous étions à environ un mille au-dessus d’eux. « Tenez-leur tête, mes enfants ! cria notre conducteur. En avant, attention ! » et nous descendîmes la colline au galop. Je ne pouvais retenir ma bête excitée ; en bas, en haut, sautant par-dessus les rochers, la course s’accélérait à chaque instant et le conducteur criait toujours : « Allez, mes enfants ! ». Les chevaux se lançaient ventre à terre, se dépassaient les uns les autres, jusqu’à ce que mon beau petit bai marchât de front avec le grand sauteur aux immenses enjambées, monté par le meilleur cavalier du Nord. Le train dont nous allions m’avait étourdie et mise hors d’haleine. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, nous nous approchions et étions sur la même ligne que le flot de bétail. C’était un beau spectacle que ces vagues d’animaux : des taureaux énormes, taillés comme des buffalos, mugissaient et beuglaient, et, ainsi que les grands bœufs et les vaches avec leurs veaux d’un an, galopaient comme des chevaux de course. Nous galopions à côté d’eux ; en peu de temps nous leur tenions tête et, avec la rapidité de l’éclair, nous nous placions en sentinelles en travers de l’entrée de la vallée. Nous étions comme l’infanterie attendant le choc de la cavalerie et restions aussi tranquilles que le permettaient nos chevaux nerveux. Je tremblais presque quand le flot s’avança ; mais, lorsqu’il fut plus près de nous, mes camarades poussèrent des cris effroyables, et nous nous lançâmes en avant avec les chiens. Avec des mugissements, des beuglements et un tonnerre de sabots, le troupeau recula comme il était venu. J’allai vers notre chef, qui me reçut en riant, me dit que j’étais un bon conducteur de bétail et qu’il avait oublié qu’une femme était de la partie, jusqu’au moment où il m’avait vue sauter par-dessus les troncs d’arbres et chasser avec les autres.

Ce ne fut qu’au bout de deux heures que commença la véritable affaire de la chasse, et je fus obligée de changer mon pur sang contre un cheval habitué au bétail, — un bronco qui doublait comme un lièvre et allait partout. Je ne m’attendais point à faire le métier de vachero, mais il en était ainsi, et mon expérience hawaïenne me fut très-utile. Nous avons parcouru les différents canyons et campements connus en chassant les troupeaux, jusqu’à ce que huit cent cinquante bêtes aient été mises en sûreté dans le corral, ce qui nous prit plusieurs heures, pendant lesquelles nous nous sommes vus à peine assez pour nous parler. Un troupeau avait pénétré dans un marécage ; ce fut la première difficulté qui se présenta ; une vache, qui me donna ensuite une peine énorme, resta là à nous tenir tête pendant près d’une heure, jetant trois fois le chien en l’air et résistant à tous les efforts pour la déloger. Elle avait près d’elle un grand veau d’un an. Evans me raconta que l’amour de ces bêtes pour leur premier-né est quelquefois si grand, qu’elles veulent tuer le second pour que le premier ait le lait. Je fis, toute seule, sortir d’un canyon plus d’une centaine d’animaux et les conduisis jusqu’à la rivière, à l’aide d’un chien mal dressé, qui me donnait plus de peine que le bétail. Ce fut très-ennuyeux de les faire passer ; quelques-uns se mettaient vite à l’eau et traversaient ; mais les autres, après l’avoir flairée, se retournaient, couraient dans différentes directions, tandis que plusieurs attaquaient le chien pendant qu’il nageait ; d’autres, après avoir traversé, revenaient chercher quelques compagnons favoris laissés en arrière, et une vache particulièrement méchante attaqua plusieurs fois mon cheval. Il fallut une heure et demie et beaucoup de patience pour réunir le troupeau sur l’autre bord.

Il se faisait tard, et une tempête de neige s’annonçait avant que je fusse rejointe par les autres conducteurs et les troupeaux. Les premiers étant réduits à trois, avec seulement trois chiens, il était très-difficile d’empêcher le bétail de se disperser. On le mène très-doucement pour ne pas l’effrayer, marchant d’abord d’un côté, puis de l’autre, pour le guider, et, s’il prend définitivement une fausse direction, on galope en avant et on le fait retourner. Ce qu’il y a de plus stimulant, c’est lorsqu’une bête s’échappe et court furieusement du haut en bas d’une colline et qu’on la suit partout, par-dessus et parmi les rochers et les arbres, doublant quand elle double et lui tenant tête jusqu’à ce qu’on l’ait ramenée. Les taureaux étaient très-faciles à conduire, mais les vaches avec des veaux, vieilles ou jeunes, étaient fort ennuyeuses. Je me trouvai par hasard entre l’une d’elles et son veau, dans un passage étroit ; elle s’élança sur moi en baissant ses grandes cornes sous mon cheval, mais il se cabra et tourna adroitement de côté. Cela arrivait constamment. Une belle vache rouge devint tout à fait furieuse. Elle avait un veau presque aussi grand qu’elle, dont les cornes étaient très-développées et qui était bien capable de se tirer d’affaire tout seul, mais elle voulait le protéger contre toutes sortes de dangers imaginaires. L’un des chiens, qui était jeune, voyant qu’elle était excitée, prenait plaisir à aboyer après elle, et à la fin elle était tout à fait en furie. Elle se retourna quarante fois au moins pour nous tenir tête, creusant la terre avec ses cornes, jetant en l’air les grands chiens de chasse et tuant deux veaux ; elle devint en fin si dangereuse pour le troupeau, qu’au moment où la chasse finissait, Evans prit son revolver et la tua. Son veau, pour lequel elle avait si aveuglément combattu, la pleura tristement. À différentes reprises, elle s’était élancée sur moi, folle de rage, mais les chevaux habitués au bétail restent parfaitement calmes, et, presque sans volonté de ma part, le mien sautait de côté au bon moment et déroutait l’assaillant. À la tombée de la nuit, nous avons atteint le corral ; c’est un herbage d’une acre, entouré de fortes palissades faites de poteaux et de traverses de sept pieds de haut. Avec beaucoup de patience et d’adresse, nous avons logé le troupeau tout entier dans son abri, et, si sauvage qu’il fût, nous l’avons fait sans un coup, sans un cri, sans même un claquement de fouet. Le froid était épouvantable. Nous avons mis un peu plus de quatre minutes à faire au galop le mille et demi qui nous séparait de la cabin, que nous avons atteinte au moment où la neige commençait à tomber. On nous avait préparé du thé chaud et fort.

18 octobre.

Nous sommes bloqués par la neige depuis trois jours ! Hier, c’était si horrible, que je n’ai pu vous écrire. On a abandonné toute occupation, et on ne parle que de la tempête. Les chasseurs se tiennent dans la salle près du grand feu, et ne sortent que pour aller chercher du bois et déblayer la neige devant la porte et aux fenêtres. Je n’ai jamais passé de nuit plus épouvantable que celle d’avant-hier, seule dans ma cabin au milieu de l’ouragan ; le toit se soulevait, la boue s’en détachait et une neige fine pénétrait par les fentes, tandis que les branches mortes, tordues par le vent et chargées de neige, craquaient et se rompaient incessamment. J’entendais des cris aigus, des hurlements, le tonnerre et une quantité de bruits étranges. Il était tombé beaucoup de neige dans la journée, et, pendant les premières heures de la nuit, il en tomba encore un pied qui, s’amoncelant contre ma porte, me bloqua complétement. Vers minuit, le mercure tomba à zéro, et après s’éleva la tempête, qui dura dix heures. Mon lit est placé à plusieurs pieds de la fenêtre, qui, en apparence, ferme hermétiquement. Je m’étais endormie avec six couvertures et un drap sur le visage ; entre deux et trois heures, je fus réveillée par le vent, qui soulevait la cabin par-dessous, et le drap était gelé sur mes lèvres. J’étendis les mains, mon lit était couvert d’une épaisse couche de neige ; me levant pour examiner ce qui se passait, je vis qu’il y en avait par terre ; et une rafale de neige fine et en aiguilles me frappait le visage. Mon baquet d’eau était de la glace solide. Je restai à geler dans mon lit jusqu’au lever du soleil. Alors plusieurs hommes vinrent me délivrer et voir si j’étais encore en vie. Ils m’apportaient un pot d’eau chaude qui se changea en glace avant que j’eusse pu m’en servir. Je m’habillai dans la neige, dont étaient couvertes mes brosses, mes bottines, etc. ; quand je me rendis en courant à la maison, on ne voyait absolument ni montagne ni quoi que ce fût, et, d’un côté, la neige amoncelée dépassait le toit. L’air n’était qu’une fumée blanche et piquante, c’était effrayant. Dans la salle, la neige encore chassait par les fentes, et Mrs Dewy l’enlevait du parquet. Il faisait si froid que, dans une chambre où il y avait eu du feu toute la nuit, la barbe de M. Dewy était couverte de givre. Evans souffrant était couché dans son lit, sur lequel il y avait aussi de la neige. En revenant de ma cabin après le déjeuner, chargée de ce dont j’avais besoin pour la journée, je fus soulevée de terre, déposée sur un tas de neige, et toutes mes affaires, y compris ma lettre et mon cahier, furent emportés dans différentes directions. Plusieurs de ces objets, entre autres une photographie d’un grand prix, sont perdus. Quelques heures plus tard, on retrouva mon cahier sous trois pieds de neige.

Il y a près de la maison des traces d’ours et d’élans, mais personne ne peut chasser avec un coup de vent pareil, et le tourbillon vous aveugle. Nous étions un peu serrés dans notre seule pièce ; on a eu recours aux échecs, à la musique et au whist. Par ennui, un chasseur s’est dévoué à empêcher mon encre de geler. Nous avions tous de grands manteaux et des pardessus, et entretenions un feu énorme. L’isolement est extrême, car nous sommes littéralement sous la neige, et l’autre settler et Mountain Jim sont à Denver. Tard dans la soirée, la tempête a cessé. Dans quelques endroits, le sol ne présente pas trace de neige, tandis que dans d’autres toutes les irrégularités de terrain sont nivelées, et les amoncellements ont une profondeur de quarante pieds. La nature est belle sous ce nouvel aspect, le froid terrible ; si l’on s’y exposait avec ce grand vent et le mercure à zéro, on serait tout écorché.

19 octobre.

Evans m’offre six dollars par semaine si je consens à rester pendant l’hiver et à faire la cuisine en l’absence de Mrs Edwards ! Je crois que j’aimerais à jouer le rôle de servante s’il n’y avait pas à faire le pain. Mais il me conviendrait mieux de courir à cheval après le bétail. Les hommes n’aiment pas à faire eux-mêmes les choses du ménage ; hier, ils ont lavé et repassé leur linge, et cette dernière opération a été loin d’être faite convenablement. Je crois réellement (quoique pour la quinzième fois) que je partirai demain. Le froid est moins vif, le ciel plus bleu que jamais ; la neige s’évapore, et un chasseur qui nous a rejoints aujourd’hui dit qu’il n’y a pas sur la route de monceaux de neige qu’on ne puisse traverser.

Longmount, Colorado, 20 octobre.

J’ai quitté « la vallée de l’île d’Avillon », mais m’arracherai-je définitivement à sa liberté et à ses enchantements ? Je vois se dresser dans la nuit le pic neigeux de Long ; je connais la magnificence du creux d’azur qui est à sa base et je soupire après lui. Nous devions partir à huit heures, mais les chevaux étaient perdus, et nous ne nous sommes mis en route qu’à neuf heures et demie ; nous, c’est-à-dire le jeune Français du Canada et moi. Je monte un poney indien bai : Birdie, belle petite jument aux jambes de fer, vive, dure à la fatigue, douce et sage ; ayant derrière ma selle des bagages pour quelques semaines, y compris une robe de soie noire, je vais être assez indépendante. Notre course a été splendide. Nous avons traversé des barrières de rochers, des gorges où une neige qui n’a pas connu le soleil s’étendait épaisse sous les trembles couleur de citron ; et puis, nous avons eu des aperçus lointains de géants couverts de neige, se dressant sur le ciel d’un bleu triste et profond. Nous avons lunché sur les « Foot-Hills », dans une cabin où deux frères et leur domestique ont un ménage de garçon, dans lequel tout était si bien tenu, si propre, si joli, que l’absence d’une femme ne se faisait point sentir. Le pont de bois étant rompu, nous avons passé un barrage profond sur une étroite digue de castor, et, à la nuit, nous sortions du canyon de la Saint-Vrain, aux couleurs brillantes, pour entrer dans les plaines uniformes où, dans l’obscurité, nous eûmes un peu de peine à trouver Longmount. Un accueil hospitalier m’attendait dans cette auberge, et un ami anglais vint passer la soirée avec moi.


Canyon de la grande Platte, 23 octobre.

Je crains que mes lettres ne soient très-ennuyeuses cette fois-ci, car après être restée à cheval pendant toute la journée, m’être occupée de mon poney, avoir soupé, avoir entendu parler des différentes routes et de tous les cancans du voisinage, j’ai si grande envie de dormir et suis si fatiguée, que je peux à peine écrire. J’ai quitté Longmount d’assez bonne heure mardi matin, par un jour triste, avec le reflet aveuglant d’une tempête de neige qui se préparait. La veille au soir, on m’avait présenté quelqu’un qui avait été colonel dans l’armée rebelle. Ce colonel m’avait fait l’impression la plus défavorable, et ce fut un grand ennui pour moi, lorsque je le vis arriver à cheval, pour me guider dans la partie la plus difficile du voyage. La solitude, infiniment préférable au défaut de sympathie pour un compagnon de route, est un bonheur en comparaison de la répulsion qu’il nous fait éprouver ; aussi fus-je enchantée d’être délivrée de mon escorte et de m’avancer seule dans la prairie jusqu’à Denver. C’est un voyage de trente milles sur des plaines basses et brunes ; c’est triste, il y a très-peu de settlers, et les sentiers vont dans toutes les directions. Mon ordre de route était : « Naviguez au sud, et suivez le sentier le mieux battu. » Autant aurait valu s’embarquer sur l’Océan sans boussole. Ces plaines brunes et ondulées, sur lesquelles on aperçoit un cheval à plus d’un mille au loin, font un effet étrange. À midi, le ciel s’assombrit, présageant une nouvelle tempête ; les montagnes s’étendaient toutes noires jusqu’aux plaines, et les pics les plus élevés revêtaient un aspect effrayant, horrible à voir. D’abord il fit très-froid, très-chaud ensuite, puis un vent d’est furieux et froid, difficile à supporter, finit par s’établir. C’était franc et vivifiant cependant, et mon cheval restait maniable. Parfois j’aperçus, broutant l’herbe desséchée de la prairie, des troupeaux de bétail, puis des chevaux. De temps à autre, je rencontrais un cavalier, le fusil en travers sur la selle, ou bien un chariot ordinaire, mais plus souvent un chariot à bâche blanche, de l’espèce connue sous le nom de « schooner des prairies », avançant péniblement dans l’herbe ; ou encore un convoi de ceux-ci, accompagné de cavaliers, de troupeaux et de mules ; ils venaient des États de l’Ouest, emportant dans un triste exode, jusqu’aux prairies vantées du Colorado, des émigrants et leurs bagages. L’hôte et l’hôtesse de l’un de ces chariots m’invitèrent à me joindre à leur repas ; je fournis le thé (ils n’en avaient pas goûté depuis quatre semaines), et eux la bouillie de maïs. Ils avaient mis trois mois à venir de l’Illinois, et leurs bœufs étaient si maigres et si faibles, qu’ils s’attendaient à mettre un mois encore avant d’arriver à la vallée de « Wit Mountain ». En route, ils avaient enterré un enfant, perdu plusieurs bœufs et étaient assez découragés. Vu leur long isolement et la monotonie de la marche, ils n’étaient plus au courant des événements et semblaient venir d’une autre planète. Ils voulaient que je me réunisse à eux, mais ils voyageaient trop lentement, de sorte que nous nous sommes séparés avec l’expression mutuelle de bons souhaits, et tandis que leur tente blanche s’éloignait à l’horizon sur l’océan de la prairie solitaire, je me sentis plus triste que je ne le suis souvent en disant adieu à de vieilles connaissances. Cette nuit, forcés de camper dans une neige épaisse avec un vent furieux, ils doivent avoir été à moitié gelés. Après eux, je rencontrai 2 000 têtes de maigre bétail du Texas, conduites par trois hommes à cheval d’aspect sauvage, suivis de deux chariots contenant des femmes, des enfants et des fusils. Ils avaient fait un voyage de 1 000 milles. Puis j’aperçus deux loups de prairie, semblables à des chacals : bêtes poltronnes, à la fourrure grise, qui se sauvèrent en faisant de grands bonds.

Le vent devenait d’un froid intense, et pendant les 11 milles qui suivirent, je luttai de vitesse avec la tempête qui s’approchait. Du haut de chaque ondulation des prairies, je m’attendais à voir Denver, mais ce ne fut point avant cinq heures que, d’une hauteur considérable, je contemplai la grande « cité des plaines », la métropole des territoires. Brune et nue, la ville vantarde s’étendait dans la plaine, comme elle brune et nue, qui ne semble nourrir que de l’absinthe et des yuccas. La Platte, peu profonde, réduite à un étroit cours d’eau dans un lit plein de galets, six fois trop grand pour elle, et bordée de peupliers du Canada desséchés, serpente près de Denver ; à 2 milles en suivant son cours, je vis un grand tourbillon de sable qui couvrit la ville en peu de temps, la cachant sous un épais nuage brun. Alors commença la tempête de neige accompagnée de rafales, et je fus obligée de me fier entièrement à la sagacité de Birdie pour trouver la cabane d’Evans. Ma jument n’y était allée qu’une fois, mais elle m’y conduisit directement, par un chemin raboteux et des fossés. Mrs Evans et ses enfants accoururent joyeusement souhaiter la bienvenue à leur poney favori ; je fus très-bien reçue, me réchauffai et me trouvai très-confortablement, quoique la cabane n’ait qu’une cuisine et deux cabinets avec des lits. Il me fallut narrer à plusieurs reprises les nouvelles du parc, et je m’étonnai d’avoir tant de choses à raconter. Le lendemain matin, il était plus de onze heures quand nous nous sommes mis à déjeuner. Il n’y avait pas de nuages ; la température était glaciale, avec six pouces de neige sur le sol, et chacun trouvait qu’il faisait trop froid pour se lever et allumer le feu. J’avais eu l’intention de laisser Birdie à Denver, mais le gouverneur et M. Byers, du « Rocky Mountain News », me conseillèrent tous les deux de voyager à cheval plutôt qu’en chemin de fer ou dans la voiture publique, disant que je serais tout à fait en sûreté. Le gouverneur «  Hunt » me dessina ma route et me donna une lettre circulaire pour les settlers que je rencontrerais.

Denver n’est plus le Denver d’Hepworth Dixon. Une querelle à coups de feu dans la rue est aussi rare qu’à Liverpool, et le matin on ne voit plus d’hommes pendus aux réverbères. C’est une ville affairée, entrepôt et centre de répartition d’un district immense, avec de bonnes boutiques, quelques factoreries, de beaux hôtels, et les laideurs et les raffinements habituels de la civilisation. Les magasins de pelleterie abondent, et le sportsman, le chasseur, le mineur, le conducteur, l’émigrant, trouvent, à cinquante endroits différents, tout ce dont ils ont besoin. Les personnes qui viennent de l’Est essayer de la cure de campement, maintenant si à la mode, trouvent à Denver, lorsqu’ils partent pour les montagnes, leur équipement de chariots, de conducteurs, de chevaux, de tente, de literie et de poêle. Les asthmatiques sont assez nombreux ici pour justifier l’établissement d’une Asthmatic convention de malades guéris ou soulagés. Une quantité de gens ne pouvant supporter la vie si dure des montagnes, remplissent les hôtels et les boarding houses ; d’autres, à moitié remis par un été de campement en plein air, viennent, pour compléter la cure, passer l’hiver à la ville. Elle est située à une altitude de 5, 000  pieds, sur une immense plaine ; on y jouit d’une vue splendide de la Rocky Range. Je détesterais passer ici ne fût-ce qu’une semaine ; l’aspect de ces splendeurs si rapprochées, et pourtant hors d’atteinte, me rendrait presque folle[2]. On est impressionné dans les rues par le nombre de cafés, et partout on rencontre les chenapans caractéristiques d’une ville de frontière, qui trouvent aussi pénible de se soumettre pendant quelques jours, pendant quelques heures, aux contraintes de la civilisation, qu’il l’a été pour moi de monter à cheval de côté pour me rendre au bureau du gouverneur  Hunt. Les hommes dépensent à Denver, dans la dissipation la plus folle, les épargnes de plusieurs mois d’un dur travail, et des types tels que Commanche  Bill, Buffalo  Bill, Wild  Bill et Mountain  Jim, viennent ici faire la fête et trouvent le genre de notoriété qu’ils recherchent. Le jour où j’y étais, beaucoup d’Indiens ajoutaient à l’aspect bariolé des rues. Ils appartenaient à la tribu  Ute, que j’avais à traverser, et le gouverneur  Hunt me présenta à un beau jeune chef admirablement vêtu de cuir orné de perles. Il lui fit promettre d’être courtois à mon égard, si j’en avais besoin. Les magasins indiens et ceux de fourrures m’intéressèrent beaucoup. Peut-être à cause de la neige, la foule était uniquement masculine. Dans toute la journée, je ne vis que cinq femmes. Les hommes étaient habillés de toutes les manières : les chasseurs et les trappeurs étaient vêtus de peau de daim. Les hommes des plaines portaient de grands manteaux bleus, reliques de la guerre, des ceintures et des revolvers ; les conducteurs avaient un habillement complet en cuir ; les cavaliers, des habits et des bonnets de fourrure, des bottes de cuir de buffalo, le poil en dehors, et des couvertures de campement derrière l’énorme selle mexicaine : les dandies de Broadway portaient des gants de chevreau clair ; de riches touristes anglais de bonne mine joignaient l’air dédaigneux à une tenue irréprochable. Ajoutez à cela des centaines d’Indiens sur leurs petits poneys ; les hommes avec des vêtements de peau de daim cousus de perles, des couvertures rouges ; le visage peint de vermillon, les cheveux pendant longs et raides ; les squaws, tout empaquetées et montant à califourchon, avec des fourrures sur leurs selles.

La ville me fatiguait, m’étourdissait, et, malgré la bonne hospitalité de Mrs Evans, je fus heureuse lorsque, hier matin, on m’amena Birdie. L’homme qui la conduisait me dit que c’était un petit démon. Elle ne faisait que ruer et l’avait jeté sur le pont. Je découvris qu’il lui avait mis une gourmette ; or, toutes les fois que quelque chose lui déplaît, elle se venge en ruant. Je montai de côté, jusqu’à ce que j’eusse dépassé la ville, assez longtemps pour avoir très-mal au dos, et la douleur ne diminua que quelque temps après avoir changé de position. C’était un beau jour de l’été indien, si chaud que la neige sur le sol semblait une énormité. Je marchai pendant quelque temps dans les plaines, et atteignis graduellement la région qui se déroule à la base des montagnes, où coule une rivière bordée de peupliers. Le long de la route, des maisons de settlers s’élèvent à peu de distance les unes des autres. Je dépassais et rencontrais souvent des chariots, et ramassai un manchon contenant une bourse dans laquelle il y avait cinq cents dollars, que j’eus ensuite le grand plaisir de rendre à sa propriétaire. Je traversai plusieurs fois la voie étroite du singulier petit chemin de fer de Rio-Grande, de sorte que ce fut, en résumé, un voyage très-gai.


Ranch-Plum-Creek, 24 octobre.

Il faut que vous sachiez que, dans un voyage au Colorado, à moins que ce ne soit sur la grande route et dans les grands settlements, il n’y a ni hôtels, ni tavernes, et que les settlers ont l’habitude de recevoir les voyageurs en leur faisant payer le prix habituel des hôtels. C’est un arrangement très-satisfaisant. Cependant à Ranch, le premier endroit où je m’arrêtai, l’hôte n’avait point envie de recevoir du monde de cette manière ; je ne m’en aperçus qu’après, sans quoi je n’aurais pas présenté mes lettres de créance dans une grande maison avec de belles granges et un air de prospérité générale. L’hôte qui m’avait ouvert la porte avait l’air de vouloir me renvoyer ; mais sa femme, personne très-agréable, à l’aspect distingué, dit qu’on pouvait me faire un lit sur un sofa. Je n’avais pas encore rencontré de maison ayant autant de prétention ; elle était tendue de papier, il y avait des tapis et deux jeunes servantes. J’y trouvai une dame de Laramie, femme élégante, très-grande, remarquable comme étant la première à s’être établie dans les montagnes Rocheuses. Elle m’offrit aimablement de me recevoir dans sa chambre. Elle avait essayé de la cure de campement pendant trois mois et retournait alors chez elle. Son chariot contenait des lits, une tente, un parquet tendu, un fourneau de cuisine ; enfin tout le luxe du campement, plus un petit buggy, un homme pour tout diriger et une servante accomplie. Elle était phtisique, frêle, mais très-attachante, et l’histoire des dangers et des circonstances de sa vie de jeunesse au fort Laramie était très-intéressante. J’en avais cependant assez, étant arrivée de bonne heure dans l’après-midi, et je ne pouvais, par politesse, me retirer pour vous écrire. Les domestiques prennent leur repas avec la famille. Je decouvris bientôt qu’il y avait quelque chose de louche dans cette maison, et fus bien aise de partir de bonne heure le matin suivant, quoiqu’il fut visible qu’une tempête de neige s’avançait. Je vis passer rapidement le wagon miniature du chemin de fer de Rio-Grande, il était chauffé, garni de coussins, et je souhaitai bien un peu d’être dedans et non point sur le flanc glacé de la colline. Je n’avais fait que quatre milles quand la tempête arriva si violente, que j’entrai dans une cuisine où s’abritaient onze malheureux voyageurs. La neige fondait sur eux et dégouttait sur le plancher. J’avais si bien appris chez les Chalmers l’art « d’être agréable », je le pratiquai avec tant de succès pendant les deux heures que je passai là, en pelant des pommes de terre et faisant des scones[3], que, lorsque je partis, les hôtes, quoiqu’ils tinssent une maison pour les voyageurs, ne voulaient rien prendre pour mon repas, parce que, disaient-ils, j’étais de si aimable compagnie ! La tempête se calmant un peu, à une heure je sellai Birdie, et fis quatre milles de plus, traversant une crique gelée dont la glace se brisa sous le poney, à sa grande frayeur. Je ne puis décrire ce que je ressentis pendant ce voyage : la solitude était absolue, tout était silencieux, il n’y avait pas de vent, et la neige tombait doucement ; les montagnes étaient effacées, il faisait sombre, le froid était extrême et la nature avait un aspect effrayant et inaccoutumé. Toute vie était ensevelie sous un linceul : tout travail, tout voyage suspendus. Ni vestiges de pas, ni traces de roues. Rien qui pût effrayer cependant, et quoique je ne puisse dire précisément que cette course fût de mon goût, j’avais cependant l’agréable sensation de me porter de mieux en mieux, à mesure que j’avançais.

Lorsque, le soir, la neige qui tombait commença à rendre l’obscurité plus profonde, le sentier s’effaça complètement, et quand je me trouvai dans cette cabin située d’une façon si romantique, je fus reconnaissante qu’on pût m’y donner un abri. La scène était solennelle et me rappelait une description de « Bloqués par la neige » de Whittier. Tout le bétail entourait la cabin, demandant un refuge par ses appels muets. Des chiens de berger entrèrent et ne se laissèrent pas renvoyer. Les hommes sortirent tout emmitouflés et revinrent en frissonnant, secouant la neige de leurs pieds. La baratte était près du poêle. Plus tard, arriva un pionnier d’humeur joyeuse ; il était en route pour Denver. Son chariot avait été arrêté par la neige à deux milles de là, et il avait été obligé de le laisser et d’amener ses chevaux. Sa femme, la « Jument grise », avait une voix de stentor, fumait une pipe de terre qu’elle passait à ses enfants, s’emportait contre les Anglais, se moquait de la politesse de leurs manières et estimait « s’il vous plaît », « merci » et le reste, n’étaient que de la pose quand la vie est si courte et si occupée. La neige continuait de tomber doucement, et la terre et l’air étaient silencieux.

  1. Le mois de septembre de l’année suivante a répondu à cette question. Jim, la tête fracassée par une balle de carabine, a été couché dans une tombe d’infamie.
  2. Denver est, à présent, la limite du Kansas-Pacific-Railroad, qu’une voie réunit, à Cheyenne, à l’Union-Pacific-Railroad. Grâce au chemin de fer de Denver et de Rio-Grande, ouvert sur une étendue de 200 milles environ, on compte atteindre le Mexique.
  3. Sorte de muffins.