Voyage dans la Tartarie, l’Afghanistan et l’Inde, au IVe siècle par plusieurs Samanéens de la Chine
ET DANS L’INDE,
Si l’on s’en rapporte aux traditions des Chinois, ces peuples ont autrefois visité l’Asie presque entière. Leurs voyageurs exploraient le Tibet, le Turkestan, la grande et la petite Boukharie. Leurs marchands portaient des étoffes de soie en Perse, et allaient acheter des chevaux dans le fond de la Tartarie. De puissantes armées, toujours victorieuses, au témoignage des chroniqueurs officiels, marchaient sur les pas des commerçants, pour soutenir leurs efforts, ou venger les injures qu’ils recevaient quelquefois en des contrées sauvages. D’habiles diplomates étaient envoyés pour préparer ou pour seconder les effets des opérations militaires, et réunissaient souvent à brouiller les intérêts des diverses peuplades, et à mettre en feu les cantons où ils venaient exercer leurs talents. Tout cela n’a rien d’extraordinaire. On s’en étonne pourtant, parce qu’on peut difficilement s’accoutumer à voir des peuples barbares suivre, dans leur conduite, une marche exactement semblable à celle des nations civilisées. Les savans profitent de tous ces événemens pour acquérir une connaissance exacte des régions qui en ont été le théâtre, et se faire une idée des révolutions qui ont bouleversé les empires, déplacé les populations, et mélangé les races d’hommes entre la mer Caspienne et l’Océan oriental. On étudie avec fruit, pour différentes branches des sciences historiques, les souvenirs qui se rattachent aux expéditions d’Alexandre, aux invasions romaines, aux dévastations des Mongols. Les calamités qui ont affligé notre espèce ont un intérêt d’un genre tout particulier aux yeux du critique, du chronologiste et du géographe.
Une source d’instruction plus satisfaisante est celle où l’on puise en traçant l’origine et les progrès des religions orientales. Généralement parlant, la conversion d’un peuple à un nouveau culte peut être considérée comme une amélioration dans les mœurs, un progrès pour l’humanité. L’histoire atteste qu’on n’a guère reculé dans la carrière du perfectionnement religieux. Le Samanéisme ou la religion de Bouddha offre une preuve de cette vérité : les nations qui l’ont embrassé n’avaient rien de mieux à faire. Cette doctrine a policé les Nomades du nord, donné une littérature aux pâtres du Tibet, exercé, aiguisé l’esprit scolastique et pointilleux des Indiens et des Chinois. Il y a des pays d’Asie qui lui doivent toute leur culture intellectuelle, depuis l’alphabet jusqu’à la métaphysique. Aussi son histoire, qu’on recherche maintenant avec beaucoup de curiosité, est-elle en même temps celle de la marche de l’esprit humain dans de vastes régions où l’on n’aurait jamais senti le besoin d’avoir des lettres, si l’on n’avait eu à traduire du sanscrit ou du chinois, d’innombrables volumes de théologie, et plus de fables et de légendes que jamais Rome, la Grèce et l’Égypte n’en purent enfanter. Nous lisons ces livres avec un autre esprit que celui qui les a dictés ; mais l’instruction que nous en tirons, bien que différant de celle qu’on y a prétendu mettre, a pour nous autant d’attrait avec un peu plus de solidité.
S’il est intéressant d’étudier les fastes de cette religion célèbre, à cause de l’influence qu’elle a exercée sur l’état social en Asie, il n’est pas moins utile de marquer son itinéraire, et s’il est permis de parler ainsi, d’en tracer le tableau géographique. Le Bouddhisme est un culte voyageur. Il est né dans le nord de l’Inde il y a deux mille huit cents ans ; de-là, il s’est répandu dans toutes les directions, a été successivement adopté dans la Perse orientale, dans la Tartarie, à Ceylan, à la Chine, au Tibet, chez les Mongols. Plusieurs nations l’ont reçu chez elles, par l’entremise de zélés missionnaires qui traversaient les déserts dans la vue de répandre au loin leurs croyances. D’autres l’ont envoyé chercher par de pieux pélerins, en des contrées où on le savait depuis long-temps en honneur. Si l’on avait des relations de ces divers voyages, on posséderait d’utiles renseignemens sur de vastes pays très peu connus ; on apprendrait des noms de villes et de peuplades ; on saurait quelque chose de la division politique des états de la Haute-Asie à des époques anciennes, et de leur situation sociale. On se formerait enfin une juste idée des rapports qui liaient les uns aux autres des peuples éloignés ; et ce dernier point surtout a de l’importance, car on est chez nous enclin à supposer que les nations que nous ne connaissions pas ne se connaissaient pas entre elles, qu’elles ont tout ignoré durant le long espace de temps où nous avons nous-mêmes ignoré leur existence. Nous n’apprenons jamais sans étonnement que des Orientaux aient pu nous précéder en quelque chose et qu’ils aient, par exemple, su faire le tour de l’Asie long-temps avant que nous eussions doublé le cap de Bonne-Espérance.
Voilà les motifs qui m’ont fait rechercher et traduire la relation d’un voyage entrepris il y a plus de mille quatre cents ans par des religieux Bouddhistes, dans la vue d’aller vérifier les principes de leur croyance, dans les lieux mêmes qui lui avaient donné naissance, et de faire provision de livres théologiques, de peintures sacrées et de règles de liturgie. Partis de la Chine en 399, ils traversèrent toute la Tartarie, s’engagèrent dans les montagnes du Petit-Tibet, où sont les plus hautes chaînes du globe, et, franchissant, à l’aide de cordes ou de ponts volans, des vallées inaccessibles et des précipices de huit mille pieds de profondeur, ils arrivèrent sur les bords de l’Indus, qu’ils traversèrent pour pénétrer dans des contrées où aucun Européen n’a encore porté ses pas. Là, ils trouvèrent la religion samanéenne, les usages indiens, la langue sanscrite, d’antiques idoles, des reliques célèbres, des temples magnifiques. L’Inde semblait sortie de ses limites, et comme en possession des provinces de la Perse orientale. L’invasion des Musulmans et tant d’autres révolutions qui l’ont suivie auront sans doute, depuis cette époque, fait disparaître jusqu’aux derniers vestiges de cette civilisation indienne, transplantée de Bénarès et de Patna dans les vallées où habitent à présent les Afghans et les Béloutches. Nos voyageurs sont les premiers qui nous aient appris les circonstances de ce fait singulier. Repassant ensuite l’Indus pour entrer dans l’Inde proprement dite, ils gagnèrent les rives du Gange, où les appelaient les souvenirs du fondateur de leur religion, et les lieux consacrés par les actes de sa vie terrestre. Ici, il naquit au pied d’un arbre, et l’on voit encore l’étang où se fit sa première ablution. Là, il obtint les sublimes connaissances qui devaient l’assimiler à la divinité. Plus loin, il commença à faire tourner la roue de la doctrine, c’est-à-dire à prêcher sa religion. Dans un autre endroit, il fut placé sur un bûcher et s’abîma pour jamais dans une divine extase. Non loin de là, quatre puissans rois des Indes à la tête d’armées nombreuses, étaient sur le point de livrer une bataille sanglante, quand on trouva par bonheur un expédient pour les accorder : ce fut de leur partager par égales portions les reliques du saint personnage qui venait de quitter la terre. Des royaumes et des villes, qui jusqu’ici n’avaient d’existence que dans la mythologie, recouvrent ainsi leur réalité géographique. Kapilavasthou, où régnait le père du législateur de la Haute-Asie, Koushala, Vaïsali, le Parc-des-Cerfs, tant d’autres lieux dont la position était aussi complètement ignorée que celles des îles et des états dont il est parlé dans les Mille et une nuits, reparaissent non plus seulement comme le théâtre des apparitions célestes, des épreuves soutenues par les saints, des plus riantes fictions ou des plus extravagans miracles, mais comme les stations de voyageurs mortels, attentifs à marquer la direction de leur route, et les sinuosités de leur itinéraire. Aussi possédons-nous ce qui manque aux Anglais, possesseurs actuels de ces fabuleuses contrées, qui, sans le savoir, foulent aux pieds les ruines des villes sacrées ; et, ce qui est plus honorable encore, nous pouvons offrir un guide à l’auteur d’un gros livre allemand, lequel, en discourant sur ces scènes mythologiques, a été réduit à la dure nécessité de confesser son ignorance, quant à la partie de l’Inde où elles avaient dû se passer.
Dans tous ces lieux et dans beaucoup d’autres, on avait élevé des temples, des chapelles, des monastères, des tours à plusieurs étages. Une pieuse curiosité conduisait les voyageurs d’un de ces monumens à l’autre ; les restes précieux qu’ils y contemplaient, les prodiges qu’on leur racontait sont détaillés par eux avec une naïveté superstitieuse qui a bien son prix pour un lecteur européen. Mais, je le répète, le résultat le plus curieux de ce long pélerinage, appartient à la géographie historique, car nos voyageurs marquent avec soin la situation relative et la distance de tous ces points célèbres, sur lesquels on dissertait depuis long-temps en Occident sans pouvoir s’accorder. Nous apprenons d’eux en quel endroit précisément Shakya reçut la naissance, s’il est vrai qu’il naquit jamais ; en quel endroit il est mort, si tant est qu’il ait vécu ; où sa religion fut d’abord enseignée ; et ce qui pourrait arriver dans beaucoup de discussions savantes, si tout-à-coup la vérification des faits y devenait possible, ce témoignage positif et irréfragable ne s’accorde avec aucune des hypothèses qui avaient été proposées, bien qu’elles fussent pour la plupart doctes et ingénieuses : les savans n’en font guère d’autres.
Les voyageurs chinois tracent un tableau enchanteur de ces régions de l’Inde centrale, où florissait alors la religion samanéenne. Le climat y était tempéré, le froid et la neige inconnus. Le peuple vivait dans la joie et dans l’abondance. Il se passait de lois et de magistrats, aussi bien que d’états de population ; cette dernière remarque pourrait sembler insignifiante, mais ce qui lui donne quelque prix aux yeux d’un habitant de la Chine, c’est que ces états y sont en même temps la base du rôle des contribuables. On était libre dans ces pays fortunés ; on en sortait, on y demeurait à volonté. Les seules punitions en usage étaient des amendes, les supplices étaient inconnus, seulement on coupait la main droite au coupable en état de récidive, et cette légère exception est citée comme une marque nouvelle de la douceur de la législation criminelle. Les habitants ne tuaient aucun être vivant, ne buvaient pas de vin et ne mangeaient ni d’ail ni d’oignons. On ne voyait dans les marchés ni boucheries ni tavernes. Les seuls Tchandalas allaient à la chasse et mangeaient de la viande ; mais aussi cette caste était odieuse et méprisée : ses membres étaient obligés, à leur entrée dans une ville, de frapper sur un morceau de bois, pour avertir de leur présence les Hindous, qui s’empressaient de fuir leur contact. Le commerce se faisait avec des dents ou des coquilles (cauris) ; les ministres et les courtisans qui entouraient le roi avaient des appointemens honorables et de bonnes pensions. Enfin, dans ces heureux climats, tout annonçait l’aisance, la douceur des mœurs et la prospérité.
Mais ce qui charma surtout les voyageurs, ce fut le sort des religieux, leur confrères, dans ces provinces où le Bouddhisme dominait depuis son origine, les honneurs qu’on leur rendait, les donations en terres, en maisons, en bestiaux qu’ils recevaient dans chaque état des chefs de famille, des grands et du roi lui-même. Celui-ci leur offrait des alimens de sa propre main, déposant sa tiare en leur présence et se levant de son trône pour les recevoir. Un de ces princes qui portait le titre de souverain du monde, titre très ordinaire chez les Orientaux, avait donné trois fois de suite aux religieux toutes les terres de son empire, et les avait rachetées trois fois, on ne dit pas avec quels deniers. Rien n’égale la richesse des monastères, la somptuosité des ornemens du culte des cérémonies qui se pratiquaient dans les principales villes. On promenait des statues dorées sur des chars hauts de trente à quarante pieds, couverts de dais et de pavillons d’étoffes précieuses ; entourés de banderoles et de lanternes. L’air était embaumé des parfums qui brûlaient autour des temples, des fleurs que l’on répandait sur les images des dieux. Au milieu de ces pompes, les Samanéens étaient si modestes, si graves, si attentifs à leurs devoirs, si rigides observateurs des lois de la décence et de la religion, qu’un des voyageurs chinois ne put se résoudre à les quitter. Il jura qu’alors même qu’en vertu des lois de la métempsycose, il atteindrait un jour à la dignité divine, il voudrait passer ses jours au milieu de ces saints personnages, et en attendant, il se fixa parmi eux, laissant ses compagnons achever leur voyage et retourner sans lui dans une patrie qui était loin de lui offrir des spectacles aussi édifians.
Les pèlerins, ayant épuisé tous les objets qui les intéressaient au nord du Gange, vinrent à Patna et à Bénarès, deux villes célèbres où ils avaient beaucoup de choses à apprendre en fait de langues, de littérature sacrée, d’idéalisme abstrait et de pratiques superstitieuses. Bénarès, si renommée de nos jours comme une antique école de la sagesse des Brahmanes, était visitée à cette époque par les Samanéens, qui plaçaient dans le Parc-des-Cerfs, au nord de la ville, le théâtre de la première prédication de Bouddha. Patna, alors nommé Patallipoutra, était la ville la plus remarquable et comme la capitale de l’Inde du nord. Le palais du roi avait, disait-on, été construit par des génies, les hommes ne pouvant avoir exécuté les sculptures magnifiques qui en faisaient l’ornement. Un autre établissement frappa beaucoup le principal voyageur, auteur de la relation, et il en parle avec une admiration mêlée de surprise. C’était une maison où de pauvres malades étaient soignés par des médecins qui leur prescrivaient la diète qu’ils devaient observer, les alimens qu’ils pouvaient prendre, les médicamens qui convenaient à chaque maladie. Il décrit avec le même étonnement naïf des lieux où de vertueux Samanéens et leurs savans disciples s’assemblaient pour conférer ensemble sur des sujets de religion et de philosophie. On s’aperçoit que tous ces objets étaient nouveaux pour lui, et les périphrases dont il use font voir que les mots propres lui manquaient pour dire que Patna avait de son temps un hôpital et des académies.
Après avoir parcouru des grottes sacrées qui existent aux environs de Gaya, et qui sont précisément celles que de savans Anglais ont reconnues et décrites quatorze siècles après notre voyageur, celui-ci descendit le Gange et vint s’embarquer dans un lieu qui n’est pas éloigné de celui où est maintenant Calcutta. Il lui restait encore à visiter une contrée célèbre dans les annales du Bouddhisme, l’île de Ceylan où se voient des lieux consacrés par les traditions. Il assista dans cette île à de nouvelles pompes, et vit avec une grande édification le brûlement du corps d’un religieux qui venait de mourir avec la réputation d’être parvenu au plus haut degré de sainteté. Il ne manqua pas d’aller contempler cette empreinte du pied de Bouddha, qui a fait donner par les Musulmans à la montagne où elle est marquée le nom de Pic-d’Adam, et ce qui est un hasard plus singulier, il rendit des honneurs à la dent célèbre qui tomba depuis dans la possession des Portugais, et dont un vice-roi de Goa refusa une rançon de 700,000 ducats, pour ne pas rendre à des idolâtres l’objet d’un culte superstitieux : acte de désintéressement qui fait assurément beaucoup d’honneur à la piété des premiers conquérans européens de l’Inde, et que n’imiteraient peut-être pas en pareille occasion ses dominateurs actuels.
Après avoir fait une ample moisson de livres, d’images saintes, de connaissances théologiques et de souvenirs religieux, le chef du pélerinage, resté seul de tous ceux qui l’avaient entrepris avec lui, songea à retourner dans son pays, dont il était éloigné depuis douze années. Il s’embarqua pour Java, et fut assailli par une violente tempête. Son inquiétude était moins pour lui-même que pour la précieuse pacotille qu’il rapportait à ses compatriotes, et qu’il tremblait de voir à chaque instant ensevelir au fond de l’Océan. Une seconde tempête l’attendait encore dans sa traversée de Java à la Chine, et celle-là fut si terrible, que les pilotes inexpérimentés qui le guidaient, croyant débarquer à Canton, se trouvèrent, au bout de soixante-dix jours, portés à trois cents lieues plus loin dans la partie septentrionale de la Chine. Toutefois, il débarqua heureusement avec les richesses qui lui avaient coûté tant de peines, et consacra le reste de sa vie à traduire en chinois les livres indiens qu’il avait rapportés. Il avait parcouru par terre environ douze cents lieues, fait une navigation de plus de deux mille, et visité trente royaumes différents.
Les idées que ce voyageur nous donne des états qu’il a visités sont autant d’acquisitions nouvelles pour la géographie orientale. Plusieurs pays n’étaient connus que de nom ; d’autres étaient complètement ignorés. On ne savait rien de la position relative de la plupart, et comme les Indiens n’ont pas plus de livres historiques que de traités de géographie ancienne, il faut que ce soit un voyageur chinois qui nous apprenne où étaient situés les lieux auxquels s’attache chez eux-mêmes la plus grande célébrité religieuse. C’est ce qui donne le plus d’intérêt à la relation dont je viens de présenter une rapide analyse, et à d’autres plus étendues, mais plus modernes, que j’ai découvertes récemment, et que je me propose de communiquer à l’Académie. À la vérité, ces voyageurs pélerins, tout entiers à leur objet religieux, étendent rarement leurs observations aux points qui nous paraîtraient les plus importans. Ce ne sont pas les affaires humaines, mais les choses du ciel qui fixent leur attention. Ils ne parlent guère que par occasion du gouvernement civil, des mœurs, de la population, du commerce, des productions ; ce qui les occupe exclusivement ce sont les prodiges dont le souvenir s’est perpétué dans certains lieux, les reliques qu’on y conserve, les temples, les monastères, le nombre des Samanéens qui y habitent. Ce dernier point surtout est toujours présent à la pensée de l’auteur dont nous venons de suivre l’itinéraire. Il y a des pays dont il ne dit rien du tout, si ce n’est que la loi de Fo y est florissante et qu’on y voit vingt monastères et trois mille religieux. Il en compte soixante mille dans l’île de Ceylan, et cinq ou six mille dans la capitale seulement, lesquels vivaient aux dépens du roi. Le nombre des religieux mendians qu’il a relevé dans ses courses est vraiment prodigieux, et c’est là un fait qui n’est nullement indifférent pour l’histoire civile des peuples orientaux. C’en est un autre que l’immense quantité de temples et de tours vulgairement appelées pagodes qui existaient à cette époque dans le nord de l’Inde, dans l’orient de la Perse, dans la Tartarie méridionale. Quelques-unes de ces constructions doivent avoir été des monuments magnifiques. On en cite un de deux cent seize mètres ou de plus de deux fois la hauteur de la flèche des Invalides à Paris. Des parties considérables de ces temples étaient dorées, ou couvertes de riches peintures ou d’ornemens précieux. Un autre temple, dans le midi de l’Inde, était à cinq étages et taillé dans une montagne. Le premier étage avait la forme d’un éléphant, le second celle d’un lion, le troisième celle d’un cheval, le quatrième celle d’un bœuf, et le cinquième celle d’une colombe. Les cinq ensemble contenaient quinze cents salles toutes arrosées par une source qui descendait de l’étage supérieur. On ignorait l’époque précise où devaient remonter ces immenses excavations dont on admire encore de somptueux vestiges à Salcette et à Élephanta, et que les savans de Calcutta croient tout-à-fait modernes. Le témoignage d’un contemporain nous apprend qu’il en existait dès le commencement du cinquième siècle, et qu’elles remontaient vraisemblablement à une époque beaucoup plus ancienne.
Tel est le genre d’utilité qu’on trouve dans les relations des voyages entrepris par les Samanéens de la Chine. Elles fixent des dates et des points géographiques. Elles nous donnent un aperçu de l’état social et religieux à une époque déterminée. Elles suppléent ainsi à ce vague dans l’énonciation des temps et des lieux qui désole les savans occupés de l’étude des antiquités indiennes. Les Hindous ne se plaisent que dans l’infini. Ils ont un dédain marqué pour les procédés de la chronologie et de la géographie, et quand ils descendent à supputer des périodes, ils y accumulent des milliards d’années. Les Chinois au contraire, esprits positifs et terre à terre, exigent de la précision jusque dans les fables les plus extravagantes, et si on leur raconte que les dieux sont descendus du ciel par un escalier de diamant, ou qu’un lion de pierre a fait entendre un rugissement terrible, ils s’informent curieusement à quelle époque et dans quel lieu la chose s’est passée. Avec ces dispositions naturelles, les uns peuvent nous mener très loin en fait de panthéisme et d’idéalisme, et les autres nous servir très utilement dans nos recherches d’histoire et de géographie comparée. Il y a bien peu de nations, comme il y a bien peu d’individus, qui sachent concilier les avantages de la raison et de l’imagination.
- ↑ M. Abel Rémusat a traduit du Chinois non-seulement le texte de la relation dont il offre ici une analyse très succincte, mais encore deux autres relations, l’un d’un voyage entrepris en 502 par deux religieux chinois qui visitèrent le pays de Badakkhan, l’Ondyana, le Candahar et la Perse orientale, et l’autre d’un voyage bien plus singulier encore, puisque le Samanéen qui l’exécuta en 627, décrit cent quarante-sept pays différens dont il prit connaissance en parcourant le Tokharestan, l’Afghanistan, le Sind, et presque toutes les parties de l’Hindoustan. C’est comme un tableau de l’Inde au septième siècle de notre ère. Ces trois traductions seront accompagnées d’un très grand nombre de notes et d’éclaircissemens sur plusieurs points curieux de géographie et d’histoire, et notamment sur les dogmes du Bouddhisme. L’extrait qu’on va lire donnera une idée de l’intérêt qui peut s’attacher à ces recherches. Nous espérons que M. Rémusat voudra bien nous communiquer plus tard les deux autres relations.(N. d. R.)