Voyage de Bougainville autour du monde/II/VI

La bibliothèque libre.

CHAPITRE VI.

Extrême disette de vivres. — Description des habitants de la nouvelle Bretagne. — Île des Anachorètes. — Archipel de l’Échiquier. — Danger que nous y courons. — Vue de la nouvelle Guinée. — Passage de la ligne. — Danger caché. — Perte du maître d’équipage. — Navigation embarrassante. — Nouveaux passages de la ligne. — Entrée dans l’archipel des Moluques. — Rencontre d’un nègre. — Vue de Céram. — Projet pour notre sûreté. — Relâche à Boëro. — Embarras du Résident. — Boëro. — Naturels du pays. — Ses productions. — Observations sur les moussons, les courants et les tremblements de terre. — Sortie de Boëro.


Nous avions repris la mer après une relâche de huit jours, pendant lesquels, comme on l’a vu, le temps avait été constamment mauvais, et les vents presque toujours au sud. Le 25, ils revinrent au sud-est, variant jusqu’à l’est, et nous suivîmes la côte environ à trois lieues d’éloignement. Elle rondissait insensiblement, et bientôt nous aperçûmes au large des îles qui se succédaient de distance en distance. Nous passâmes entre elles et la grande terre, et je leur donnai le nom des officiers des états-majors. Il n’était plus douteux que nous côtoyions la nouvelle Bretagne. Cette terre est très élevée et paraît entrecoupée de belles baies, dans lesquelles nous apercevions des feux et d’autres traces d’habitations.

Le troisième jour de notre sortie, je fis couper nos tentes de campagne pour distribuer de grandes culottes aux gens des deux équipages. Nous avions déjà fait, en différentes occasions, de semblables distributions de hardes de toute espèce. Sans cela, comment eût-il été possible que ces pauvres gens fussent vêtus pendant une aussi longue campagne, où il leur avait fallu plusieurs fois passer alternativement du froid au chaud, et essuyer maintes reprises du déluge ? Au reste, je n’avais plus rien à leur donner, tout était épuisé. Je fus même forcé de retrancher encore une once de pain sur la ration. Le peu qui nous restait de vivres était en partie gâté, et dans tout autre cas on eût jeté à la mer toutes nos salaisons, mais il fallait manger le mauvais comme le bon. Qui pouvait savoir quand cela finirait ? Telle était notre situation, de souffrir en même temps du passé qui nous avait affaiblis, du présent dont les tristes détails se répétaient à chaque instant, et de l’avenir dont le terme indéterminé était presque le plus cruel de nos maux. Mes peines personnelles se multipliaient par celles des autres. Je dois cependant publier qu’aucun ne s’est laissé abattre, et que la patience à souffrir a été supérieure aux positions les plus critiques. Les officiers donnaient l’exemple, et jamais les matelots n’ont cessé de danser le soir, dans la disette comme dans les temps de la plus grande abondance. Il n’avait pas été nécessaire de doubler leur paie.

Nous eûmes constamment la vue de la nouvelle Bretagne jusqu’au 3 août. Pendant ce temps, il venta peu, il plut souvent, les courants nous furent contraires, et les navires marchaient moins que jamais. La côte prenait de plus en plus du ouest. Le 29 au matin, nous nous en trouvâmes plus près que nous n’avions encore été. Ce voisinage nous valut la visite de quelques pirogues ; deux vinrent à la portée de la voix de la frégate, cinq autres furent à l’Étoile. Elles étaient montées chacune par cinq ou six hommes noirs, à cheveux crépus et laineux ; quelques-uns les avaient poudrés de blanc. Ils portent la barbe assez longue et des ornements blancs aux bras en forme de bracelets. Des feuilles d’arbre couvrent tant bien que mal leur nudité. Ils sont grands et paraissent agiles et robustes. Ils nous montraient une espèce de pain et nous invitaient par signes à venir à terre ; nous les invitions à venir à bord ; mais nos invitations, le don même de quelques morceaux d’étoffe jetés à la mer, ne leur inspirèrent pas la confiance de nous accoster. Ils ramassèrent ce qu’on avait jeté, et, pour remerciement, l’un d’eux, avec une fronde, nous lança une pierre qui ne vint pas jusqu’à bord ; nous ne voulûmes pas leur rendre le mal pour le mal, et ils se retirèrent en frappant tous ensemble sur leurs canots avec de grands cris. Ils poussèrent sans doute les hostilités plus loin à bord de l’Étoile, car nous en vîmes tirer plusieurs coups de fusils qui les mirent en fuite. Leurs pirogues sont longues, étroites et à balancier. Toutes ont l’avant et l’arrière plus ou moins ornés de sculptures peintes en rouge, qui font honneur à leur adresse.

Le lendemain, il en vint un beaucoup plus grand nombre, qui ne firent aucune difficulté d’accoster le navire. Celui de leurs conducteurs qui paraissait être le chef portait un bâton long de deux ou trois pieds, peint en rouge, avec une pomme à chaque bout. Il l’éleva sur sa tête avec ses deux mains en nous approchant, et il demeura quelque temps dans cette attitude. Tous ces nègres paraissaient avoir fait une grande toilette ; les uns avaient la laine peinte en rouge ; d’autres portaient des aigrettes de plumes sur la tête ; d’autres des pendants de certaines graines, ou de grandes plaques blanches et rondes pendues au col ; quelques-uns avaient des anneaux passés dans les cartilages du nez ; mais une parure assez générale à tous était des bracelets faits avec la bouche d’une grosse coquille sciée. Nous voulûmes lier commerce avec eux pour les engager à nous rapporter quelques rafraîchissements. Leur mauvaise foi nous fit bientôt voir que nous n’y réussirions pas. Ils tâchaient de saisir ce qu’on leur proposait, et ne voulaient rien rendre en échange. À peine put-on tirer d’eux quelques racines d’ignames ; on se lassa de leur donner et ils se retirèrent. Deux canots voguaient vers la frégate à l’entrée de la nuit ; une fusée que l’on tira pour quelque signal les fit fuir précipitamment.

Au reste, il sembla que les visites qu’ils nous avaient rendues ces deux derniers jours, n’avaient été que pour nous reconnaître et concerter un plan d’attaque. Le 31, on vit, dès la pointe du jour, un essaim de pirogues sortir de terre ; une partie passa par notre travers sans s’arrêter, et toutes dirigèrent leur marche sur l’Étoile, que sans doute ils avaient observée être le plus petit des bâtiments et se tenir derrière. Les nègres firent leur attaque à coups de pierres et de flèches. Le combat fut court. Une fusillade déconcerta leurs projets ; plusieurs se jetèrent à la mer, et quelques pirogues furent abandonnées : depuis ce moment nous cessâmes d’en voir.

Les terres de la nouvelle Bretagne ne couraient maintenant que sur le ouest-quart-nord-ouest et l’ouest, et dans cette partie elles s’abaissaient considérablement. Ce n’était plus cette côte élevée et garnie de plusieurs rangs de montagnes ; la pointe septentrionale que nous découvrions était une terre presque noyée, et couverte d’arbres de distance en distance. Les cinq premiers jours du mois d’août furent pluvieux ; le temps fut à l’orage et le vent souffla par grains. Nous n’aperçûmes la côte que par lambeaux, dans les éclaircies, et sans pouvoir en distinguer les détails. Toutefois nous en vîmes assez pour être convaincus que les marées continuaient à nous enlever une partie du médiocre chemin que nous faisions chaque jour. Je fis alors gouverner au nord-ouest, puis au nord-ouest-quart-ouest, pour éviter un labyrinthe d’îles qui sont semées à l’extrémité septentrionale de la nouvelle Bretagne. Le 4 après-midi, nous reconnûmes distinctement deux îles, que je crois être celles que Dampierre nomme île Matthias et île Orageuse. L’île Matthias, haute et montagneuse, s’étend sur le nord-ouest, huit à neuf lieues. L’autre n’en a pas plus de trois ou quatre, et entre les deux est un îlot. Une île que l’on crut apercevoir le 5 à deux heures du matin dans l’ouest, nous fit reprendre du nord. On ne se trompait pas, et à dix heures la brume, qui jusqu’alors avait été épaisse, s’étant dissipée, nous aperçûmes dans le sud-est-quart-sud cette île, qui est petite et basse. Les marées cessèrent alors de porter sur le sud et sur l’est, ce qui semblait venir de ce que nous avions dépassé la pointe septentrionale de la nouvelle Bretagne, que les Hollandais nomment cap Solomaswer. Nous n’étions plus alors que par zéro degré quarante-et-une minutes de latitude méridionale. Nous avions sondé presque tous les jours sans trouver de fond.

Nous courûmes à ouest jusqu’au 7, avec un assez joli frais et beau temps, sans voir de terre. Le 7 au soir, l’horizon fort embrumé ; m’ayant paru, au coucher du soleil, être un horizon de terre depuis l’ouest jusqu’au ouest-sud-ouest, je me déterminai à tenir pour la nuit la route du sud-ouest-quart-ouest ; nous reprîmes au jour celle du ouest. Nous vîmes dans la matinée, environ à cinq ou six lieues devant nous, une terre basse. Nous gouvernâmes à ouest-quart-sud-ouest et ouest-sud-ouest pour en passer au sud. Nous la rangeâmes environ à une lieue et demie. C’était une île plate, longue d’environ trois lieues, couverte d’arbres, et partagée en plusieurs divisions liées ensemble par des bâtures et des bancs de sable. Il y a sur cette île une grande quantité de cocotiers, et le bord de la mer y est couvert d’un si grand nombre de cases, qu’on peut juger de là qu’elle est extrêmement peuplée. Ces cases sont hautes, presque carrées et bien couvertes. Elles nous parurent plus vastes et plus belles que ne sont ordinairement des cabanes de roseaux, et nous crûmes revoir les maisons de Taïti. On découvrait un grand nombre de pirogues occupées à la pêche tout autour de l’île : aucune ne parut se déranger pour nous voir passer ; et nous jugeâmes que ces habitants, qui n’étaient pas curieux, étaient contents de leur sort. Nous nommâmes cette île l’île des Anachorètes. À onze lieues dans l’ouest de celle-ci, on voit du haut des mâts une autre île basse.

La nuit fut très obscure, et quelques nuages fixes dans le sud nous y firent soupçonner de la terre. En effet, au jour, nous découvrîmes deux petites îles dans le sud-est-quart-sud trois degrés sud à huit ou neuf lieues de distance. On ne les avait pas encore perdues de vue à huit heures et demie, lorsqu’on eut connaissance d’une autre île basse dans l’ouest-quart-sud-ouest, et peu après, d’une infinité de petites îles qui s’étendaient dans le ouest-nord-ouest et le sud-ouest de cette dernière, laquelle peut avoir deux lieues de long ; toutes les autres ne sont, à proprement parler, qu’une chaîne d’îlots ras et couverts de bois, rencontre désastreuse. Il y avait cependant un îlot séparé des autres et plus au sud, lequel nous parut être le plus considérable. Nous dirigeâmes notre route entre celui-là et l’archipel d’îlots, que je nommai l’Échiquier, et que je voulais laisser au nord. Nous n’étions pas près d’en être dehors. Cette chaîne, aperçue dès le matin, se prolongeait beaucoup plus loin dans le sud-ouest que nous ne l’avions pu juger alors.

Nous cherchions, comme je viens de le dire, à la doubler dans le sud, mais à l’entrée de la nuit nous y étions encore engagés, sans savoir précisément jusqu’où elle s’étendait. Le temps, incessamment chargé de grains, ne nous avait jamais montré dans un même instant tout ce que nous devions craindre ; pour surcroît d’embarras, le calme vint aussitôt que la nuit et ne finit presque qu’avec elle. Nous la passâmes dans la continuelle appréhension d’être jetés sur la côte des courants. Je fis mettre deux ancres en mouillage et allonger leur biture sur le pont, précaution presque inutile, car on sonda plusieurs fois sans trouver le fond. Tel est un des plus grands dangers de ces terres ; presque à deux longueurs de navire des récifs qui les bordent, on n’a point la ressource de mouiller. Heureusement le temps se maintint sans orages ; même, vers minuit, il se leva une fraîcheur du nord qui nous servit à nous élever un peu dans le sud-est. Le vent fraîchit à mesure que le soleil montait, et il nous retira de ces îles basses, que je crois inhabitées ; au moins, pendant le temps qu’on s’est trouvé à portée de les voir, on n’y a distingué ni feux, ni cabanes, ni pirogues. L’Étoile avait été dans cette nuit encore plus en danger que nous, car elle fut très longtemps sans gouverner, et la marée l’entraînait visiblement à la côte, lorsque le vent vint à son aide. À deux heures après-midi, nous doublâmes l’îlot le plus occidental, et nous gouvernâmes à ouest-sud-ouest.

Le 11 à midi, étant par deux degrés dix-sept minutes de latitude australe, nous aperçûmes dans le sud une côte élevée, qui nous parut être celle de la nouvelle Guinée. Quelques heures après, on la vit plus clairement. C’est une terre haute et montueuse, qui dans cette partie s’étend sur l’ouest-nord-ouest. Le 12 à midi, nous étions environ à dix lieues des terres les plus voisines de nous. Il était impossible de détailler la côte à cette distance ; il nous apparut seulement une grande baie vers deux degrés vingt-cinq minutes de latitude sud, et des terres basses dans le fond, qu’on ne découvrait que du haut des mâts. Nous jugeâmes aussi, par la vitesse avec laquelle nous doublions les terres, que les courants nous étaient devenus favorables ; mais, pour apprécier avec quelque justesse la différence qu’ils occasionnaient dans l’estime de notre route, il eût fallu cingler moins loin de la côte. Nous continuâmes à la prolonger de dix ou douze lieues de distance. Son gisement était toujours sur l’ouest-nord-ouest et sa hauteur prodigieuse. Nous y remarquâmes surtout deux pics très élevés, voisins l’un de l’autre, et qui surpassent en hauteur toutes les autres montagnes. Nous les avons nommés les deux Cyclopes. Nous eûmes occasion de remarquer que les marées portaient sur le nord-ouest. Effectivement nous nous trouvâmes le jour suivant plus éloignés de la côte de la nouvelle Guinée, qui revient ici sur l’ouest. Le 14 au point du jour, nous découvrîmes deux îles, et un îlot qui paraissait entre les deux, mais plus au sud. Elles gisent entre elles est-sud-est et ouest-nord-ouest corrigés ; elles sont à deux lieues de distance l’une de l’autre, de médiocre hauteur, et n’ont pas plus d’une lieue et demie d’étendue chacune.

Nous avancions peu chaque journée. Depuis que nous étions sur la côte de la nouvelle Guinée, nous avions assez régulièrement une faible brise d’est ou de nord-est, qui commençait vers deux ou trois heures après-midi, et durait environ jusque vers minuit ; à cette brise succédait un intervalle plus ou moins long de calme, qui était suivi de la brise de terre variable du sud-ouest au sud-sud-ouest, laquelle se terminait aussi vers midi par deux ou trois heures de calme. Nous revîmes, le 15 au matin, la plus occidentale des deux îles que nous avions reconnues la veille. Nous découvrîmes en même temps d’autres terres, qui nous parurent îles, depuis le sud-est-quart-sud jusqu’à l’ouest-sud-ouest, terres fort basses, par-dessus lesquelles nous apercevions dans une perspective éloignée les hautes montagnes du continent. La plus élevée, que nous relevâmes à huit heures du matin au sud-sud-est du compas, se détachait des autres, et nous la nommâmes le géant Moulineau. Nous donnâmes le nom de la nymphe Alie à la plus occidentale des îles basses dans le nord-ouest de Moulineau. À dix heures du matin, nous tombâmes dans un ras de marée, où les courants paraissaient porter avec violence sur le nord et nord-nord-est. Ils étaient si vifs, que jusqu’à midi ils nous empêchèrent de gouverner ; et comme ils nous entraînèrent fort au large, il nous devint impossible d’asseoir un jugement précis sur leur véritable direction. L’eau, dans le lit de marée, était couverte de troncs d’arbres flottants, de divers fruits et de goémons : elle y était en même temps si trouble, que nous craignîmes d’être sur un banc ; mais la sonde ne nous donna point de fond à cent brasses. Ce ras de marée semblait indiquer ici ou une grande rivière dans le continent, ou un passage qui couperait les terres de la nouvelle Guinée, passage dont l’ouverture serait presque nord et sud. Suivant deux distances des bords du soleil et de la lune, observées à l’octant par le chevalier du Bouchage et M. Verron, notre longitude, le 15 à midi, était de cent trente-six degrés seize minutes trente secondes à l’est de Paris. Mon estime, suivie depuis la longitude déterminée au port Praslin, en différait de deux degrés quarante-sept minutes. Nous observâmes le même jour un degré dix-sept minutes de latitude australe.

Le 16 et le 17 il fit presque calme ; le peu de vent qui souffla fut variable. Le 16, on ne vit la terre qu’à sept heures du matin, encore ne la vit-on que du haut des mâts, terre extrêmement haute et coupée. Nous perdîmes toute cette journée à attendre l’Étoile, qui, maîtrisée par le courant, ne pouvait pas mettre le cap en route ; et le 17, comme elle était fort éloignée de nous, je fus obligé de virer sur elle pour la rallier ; ce que nous ne fîmes qu’aux approches de la nuit. Elle fut très orageuse, avec un déluge de pluie et des tonnerres épouvantables. Les six jours suivants nous furent tout aussi malheureux : de la pluie, du calme, et le peu qui venta, ce fut du vent debout. Il faut s’être trouvé dans la position où nous étions alors pour être en état de s’en former l’idée. Le 17 après-midi, on avait aperçu depuis le sud-sud-ouest cinq degrés sud du compas jusqu’au sud-ouest cinq degrés ouest, à seize lieues environ de distance, une côte élevée qu’on ne perdit de vue qu’à la nuit. Le 18 à neuf heures du matin, on découvrit une île haute dans le sud-ouest-quart-ouest, distante à peu près de douze lieues ; nous la revîmes le lendemain, et elle nous restait à midi depuis le sud-sud-ouest jusqu’au sud-ouest dans un éloignement de quinze à vingt lieues. Les courants nous donnèrent pendant ces trois derniers jours dix lieues de différence nord ; nous ne pûmes savoir quelle était celle qu’ils nous donnaient en longitude.


Vue de la nouvelle Guinée.

Le 20, nous passâmes la ligne pour la seconde fois de la campagne. Les courants continuaient à nous éloigner des terres. Nous n’en vîmes point le 20 ni le 21, quoique nous eussions tenu les bordées qui nous en rapprochaient le plus. Il nous devenait cependant essentiel de rallier la côte et de la ranger d’assez près, pour ne pas commettre quelque erreur dangereuse, qui nous fît manquer le débouquement dans la mer des Indes et nous engageât dans l’un des golfes de Gilolo. Le 22 au point du jour, nous eûmes connaissance d’une côte plus élevée qu’aucune autre partie de la nouvelle Guinée que nous eussions encore vue. Nous gouvernâmes dessus, et à midi on la releva depuis le sud-sud-est cinq degrés sud jusqu’au sud-ouest, où elle ne paraissait pas terminée. Nous venions de passer la ligne pour la troisième fois. La terre courait sur l’ouest-nord-ouest, et nous l’accostâmes, déterminés à ne la plus quitter jusqu’à être parvenus à son extrémité, que les géographes nomment le cap Mabo. Dans la nuit, nous doublâmes une pointe, de l’autre côté de laquelle la terre, toujours fort élevée, ne courait plus que sur l’ouest-quart-sud-ouest et l’ouest-sud-ouest. Le 23 à midi, nous voyions une étendue de côte d’environ vingt lieues, dont la partie a plus occidentale nous restait presque au sud-ouest à treize ou quatorze lieues. Nous étions beaucoup plus près de deux îles basses et couvertes d’arbres, éloignées l’une de l’autre d’environ quatre lieues. Nous en approchâmes à une demi-lieue, et tandis que nous attendions l'Étoile, écartée de nous à une grande distance, j’envoyai le chevalier de Suzannet, avec deux de nos bateaux armés, à la plus septentrionale des deux îles. Nous pensions y voir des habitations, et nous espérions en tirer quelques rafraîchissements. Un banc qui règne le long de l’île et s’étend même assez loin dans l’est, força les bateaux de faire un grand tour pour le doubler. Le chevalier de Suzannet ne trouva ni cases, ni habitants, ni rafraîchissements. Ce qui de loin nous avait semblé former un village n’était qu’un amas de roches minées par la mer et creusées en cavernes. Les arbres qui couvraient l’île ne portaient aucun fruit propre à la nourriture des hommes. On y enterra une inscription. Les bateaux ne revinrent à bord qu’à dix heures du soir. L'Étoile venait de nous rejoindre. La vue continuelle de la côte nous avait appris que les courants portaient ici sur le nord-ouest.

Après avoir embarqué nos bateaux, nous tâchâmes de prolonger la terre autant que les vents constants au sud et au sud-sud-ouest voulurent nous le permettre. Nous fûmes obligés de courir plusieurs bords, dans l’intention de passer au vent d’une grande île que nous avions aperçue, au coucher du soleil, dans l’ouest et l’ouest-quart-nord-ouest. L’aube du jour nous surprit encore sous le vent de cette île. Sa côte orientale, qui peut avoir cinq lieues de longueur, court à peu près nord et sud, et à sa pointe méridionale on voit un îlot bas et de peu d’étendue. Entre elle et la terre de la nouvelle Guinée, qui se prolonge ici presque sur le sud-ouest-quart-ouest, il se présentait un vaste passage dont l’ouverture, d’environ huit lieues, gît nord-est et sud-ouest. Le vent en venait, et la marée portait dans le nord-ouest : comment gagner en louvoyant ainsi contre vent et marée ? Je l’essayai jusqu’à neuf heures du matin. Je vis avec douleur que c’était infructueusement, et je pris le parti d’arriver, pour ranger la côte septentrionale de l’île, abandonnant à regret un débouché que je crois très beau, pour se tirer de cette chaîne éternelle d’îles.

Nous eûmes dans cette matinée deux alertes consécutives. La première fois on cria d’en haut qu’on voyait devant nous une longue suite de brisants, et l’on prit aussitôt les amures à l’autre bord. Ces brisants, examinés ensuite plus attentivement, se trouvèrent être des ras d’une marée violente, et nous reprîmes notre route. Une heure après, plusieurs personnes crièrent du gaillard d’avant qu’on voyait le fond sous nous ; l’affaire pressait, mais l’alarme fut heureusement aussi courte qu’elle avait été vive. Nous l’eussions même crue fausse si l’Étoile, qui était dans nos eaux, n’eût aperçu ce même haut fond pendant près de deux minutes. Il lui parut un banc de corail. Presque nord et sud de ce banc, qui peut avoir encore moins d’eau dans quelque partie, il y a une anse de sable sur le bord de laquelle sont quelques cases environnées de cocotiers. La remarque peut d’autant plus servir de point de reconnaissance, que jusque-là nous n’avons vu aucune trace d’habitations sur cette côte. À une heure après-midi, nous doublâmes la pointe du nord-est de la grande île, qui s’étend ensuite sur l’ouest et l’ouest-quart-sud-ouest, près de vingt lieues. Il fallut serrer le vent pour la prolonger, et nous ne tardâmes pas à apercevoir d’autres îles dans l’ouest et l’ouest-quart-nord-ouest. On en vit même une, au soleil couchant, qui fut relevée dans le nord-est-quart-nord, à laquelle se joignait une bâture qui parut s’étendre jusqu’au nord-quart-nord-ouest : ainsi nous étions encore une fois enclavés.

Nous perdîmes dans cette journée notre premier maître d’équipage, nommé Denys, qui mourut du scorbut. Il était Malouin et âgé d’environ cinquante ans, passés presque tous au service du roi. Les sentiments d’honneur et les connaissances qui le distinguaient dans son état important, nous l’ont fait regretter universellement. Quarante-cinq autres personnes étaient atteintes du scorbut ; la limonade et le vin en suspendaient seuls les funestes progrès.

Nous passâmes la nuit sur les bords, et le 25, au lever du jour, nous nous trouvâmes environnés de terres. Il s’offrait à nous trois passages, l’un ouvert au sud-ouest, le second à ouest-sud-ouest, et le troisième presque est et ouest. Le vent ne nous accordait que ce dernier, et je n’en voulais point. Je ne doutais pas que nous ne fussions au milieu des îles des Papous. Il fallait éviter de tomber plus loin dans le nord, de crainte, comme je l’ai déjà dit, de nous enfoncer dans quelqu’un des golfes de la côte orientale de Gilolo. L’essentiel, pour sortir de ces parages critiques, était donc de nous élever en latitude australe : or, au-delà du passage du sud-ouest, on apercevait dans le sud la mer ouverte autant que la vue pouvait s’étendre : ainsi je me décidai à louvoyer pour gagner ce débouché. Toutes ces îles et tous ces îlots qui nous enfermaient sont fort escarpés, de hauteur médiocre, et couverts d’arbres. Nous n’y avons aperçu aucun indice qu’ils soient habités.

À onze heures du matin, nous eûmes fond de sable sur quarante-cinq brasses ; c’était une ressource. À midi, nous observâmes zéro degré cinq minutes de latitude boréale ; ainsi nous venions de passer la ligne pour la quatrième fois. À six heures du soir, nous étions à même de donner dans le passage du ouest-sud-ouest. C’était avoir gagné environ trois lieues par le travail de la journée entière. La nuit nous fut plus favorable, grâce à la lune, dont la lumière nous permit de louvoyer entre les pierres et les îles. D’ailleurs le courant, qui nous avait été contraire tant que nous fûmes par le travers des deux premières passes, nous devint favorable dès que nous vînmes à ouvrir le passage du sud-ouest.


Types de la Nouvelle-Guinée.

Le canal par lequel nous débouquâmes enfin dans cette nuit peut avoir de deux à trois lieues de large. Il est borné à l’ouest par un amas d’îles et d’îlots assez élevés. Sa côte de l’est, que nous avions prise au premier coup d’œil pour la pointe la plus occidentale de la grande île, n’est aussi qu’un amas de petites îles et de rochers qui de loin semblent former une seule masse, et les séparations entre ces îles présentent d’abord l’aspect de belles baies ; c’est ce que nous reconnaissions à chaque bordée que nous rapportions sur ces terres. Ce ne fut qu’à quatre heures et demie du matin que nous parvînmes à doubler les îlots les plus sud du nouveau passage, que nous nommâmes le passage des Français. Le fond paraît augmenter au milieu de cet archipel en avançant vers le sud. Nos sondes ont été de cinquante-cinq à soixante-quinze et quatre-vingts brasses, fond de sable gris, vase et coquilles pourries. Lorsque nous fûmes entièrement hors du canal, nous sondâmes sans trouver de fond. Je fis alors gouverner au sud-ouest. Le passage des Français gît par zéro degré quinze minutes de latitude sud, entre le cent vingt-huitième et le cent vingt-neuvième degré de longitude à l’est de Paris.

Le 26 à la pointe du jour, nous découvrîmes une nouvelle île dans le sud-sud-ouest, et peu après une autre dans l’ouest-nord-ouest. À midi, on ne voyait plus le labyrinthe d’où nous sortions, et la hauteur méridienne nous donna zéro degré vingt-trois minutes de latitude australe. C’était pour la cinquième fois que nous avions passé la ligne. Nous continuâmes de tenir le plus près bâbord amure, et l’après-midi nous eûmes connaissance d’une petite île dans le sud-est. Le lendemain au lever du soleil, nous en vîmes une peu élevée à neuf ou dix lieues dans le sud-sud-est. Elle parut s’étendre nord-est et sud-ouest environ deux lieues. Un gros mondrain fort escarpé et d’une hauteur remarquable, que nous nommâmes le gros Thomas, se fit voir à dix heures du matin. À sa pointe méridionale il y a un petit îlot, il y en a deux à sa pointe septentrionale. Les courants avaient cessé de nous porter au nord, nous eûmes au contraire de la différence sud. Cette circonstance me donna l’entière conviction que nous entrions enfin dans l’archipel des Moluques.

Le 27 après midi, nous découvrîmes cinq à six îles, depuis l’ouest-quart-sud-ouest cinq degrés sud jusque dans l’ouest-nord-ouest du compas. Pendant la nuit nous tînmes la bordée du sud-sud-est, de sorte qu’on ne les revit plus le 28 au matin. Nous aperçûmes alors cinq autres petites îles sur lesquelles nous courûmes. Elles nous restaient à midi depuis le sud-sud-ouest un degré ouest jusqu’au ouest-quart-sud-ouest un degré sud, à la distance de deux, trois, quatre et cinq lieues. On voyait encore le gros Thomas à l’est-nord-est cinq degrés nord environ cinq lieues. On aperçut aussi alors une nouvelle île dans l’ouest-sud-ouest à sept ou huit lieues. Nous ressentîmes, pendant ces vingt-quatre heures, plusieurs fortes marées qui paraissaient venir de l’ouest. Cependant la différence de notre estime à l’observation méridienne et aux relèvements nous donna dix à onze milles sur le sud-ouest-quart-sud et sud-sud-ouest. À neuf heures du matin, j’ordonnai à l’Étoile de monter ses canons et d’envoyer son canot aux îles du sud-ouest, pour reconnaître s’il y avait quelque mouillage et si ces îles fournissaient quelques productions intéressantes.

Il fit presque calme dans l’après-midi, et le canot ne revint qu’à neuf heures du soir. Il avait abordé à deux de ces îles, où on n’avait trouvé aucune trace d’habitation ni de culture, ni aucune espèce de fruit. Les gens du canot étaient prêts à se retirer, lorsqu’ils virent avec surprise un nègre s’approcher seul dans une pirogue à deux balanciers. Il avait à une oreille un anneau d’or, et pour armes deux zagaies. Il aborda le canot sans crainte ni surprise. On lui demanda à boire et à manger, et il offrit de l’eau et quelque peu d’une espèce de farine qui paraissait faire sa nourriture. On lui donna un mouchoir, un miroir et quelques bagatelles pareilles. Il riait en recevant ces présents et ne les admirait pas. Il semblait connaître les Européens, et on pensa que ce pouvait être un nègre fugitif de quelqu’une des îles voisines où les Hollandais ont des postes, ou que peut-être y avait-il été envoyé pour la pêche. Les Hollandais nomment ces îles les cinq Îles, et de temps en temps ils les font visiter. Ils nous ont dit qu’autrefois elles étaient au nombre de sept, mais que deux ont été abîmées dans un tremblement de terre, révolution assez fréquente dans ces parages. Il y a entre ces îles un prodigieux courant sans aucun mouillage. Les arbres et les plantes y sont à peu près les mêmes qu’à la nouvelle Bretagne. Nos gens y prirent une tortue du poids environ de deux cents livres.

Depuis ce temps, nous continuâmes à éprouver de fortes marées qui portaient sur le sud, et nous tînmes la route qui en approchait le plus. Nous sondâmes plusieurs fois sans trouver de fond, et nous n’eûmes connaissance que d’une seule île dans l’ouest et à dix ou douze lieues de nous, jusqu’au 30 après-midi que nous aperçûmes dans le sud, et à un grand éloignement, une terre considérable. Le courant, qui nous servait mieux que le vent, nous en approcha dans la nuit ; et le 31 au point du jour, nous nous en trouvâmes à sept ou huit lieues. C’était l’île Ceram. Sa côte, en partie boisée, défrichée en partie, courait à peu près est et ouest, sans que nous la vissions terminée. C’est une île très haute : des montagnes énormes s’élèvent sur le terrain de distance en distance, et le grand nombre de feux que nous y vîmes de tous les côtés annonce qu’elle est fort peuplée. Nous passâmes la journée et la nuit suivante à naviguer le long de la côte septentrionale de cette île, courant des bordées pour nous élever dans l’ouest et gagner sa pointe occidentale. Le courant nous était favorable, mais le vent était court.


Batavia.

Je remarquerai, à l’occasion de la contrariété que nous éprouvions depuis longtemps de la part des vents, que dans les Moluques on appelle mousson du nord celle de l’ouest, et mousson du sud celle de l’est ; parce que, pendant la première, les vents soufflent plus ordinairement du nord-nord-ouest que de l’ouest, et que pendant la seconde ils viennent le plus souvent du sud-sud-est. Ces vents règnent alors de même dans les îles des Papous et sur la côte de la nouvelle Guinée ; nous le savions par une triste expérience, ayant employé trente-six jours à faire quatre cent cinquante lieues.

Le premier septembre, la lumière du jour naissant nous montra que nous étions à l’entrée d’une baie dans laquelle il y avait plusieurs feux. Bientôt après, nous aperçûmes deux embarcations à la voile, de la forme des bateaux malais. Je fis arborer pavillon et flamme hollandaise, et tirer un coup de canon, et je fis une faute sans le savoir. Nous avons appris depuis que les habitants de Céram sont en guerre avec les Hollandais, qu’ils ont chassés de presque toutes les parties de leur île. Aussi courûmes-nous inutilement un bord dans la baie ; les bateaux se réfugièrent à terre, et nous profitâmes du vent frais pour continuer notre route. Le terrain du fond de la baie est bas et uni, entouré de hautes montagnes, et la baie est semée de plusieurs îles. Il nous fallut gouverner à ouest-nord-ouest pour en doubler une assez grande, sur la pointe de laquelle on voit un îlot et un banc de sable, avec une bâture qui paraît s’allonger une lieue au large. Cette île se nomme Bonao, laquelle est coupée en deux par un canal fort étroit. Quand nous l’eûmes doublée, nous gouvernâmes jusqu’à midi à ouest-quart-sud-ouest.

Il venta grand frais du sud-sud-ouest au sud-sud-est, et nous louvoyâmes le reste du jour entre Bonao, Kelang et Manipa, cherchant à faire du chemin dans le sud-ouest. À dix heures du soir, nous eûmes connaissance des terres de l’île Boëro par des feux qui étaient allumés, et comme mon projet était de m’y arrêter, nous passâmes la nuit sur les bords, pour nous en tenir à portée et au vent si nous pouvions. Je savais que les Hollandais avaient sur cette île un comptoir faible, quoiqu’assez riche en rafraîchissements. Dans l’ignorance profonde où nous étions de la situation des affaires en Europe, il ne nous convenait pas d’en venir hasarder les premières nouvelles chez les étrangers, sauf en un lieu où nous aurions été à peu près les plus forts.

Ce ne fut pas sans d’excessifs mouvements de joie que nous découvrîmes, à la pointe du jour, l’entrée du golfe de Cajeli. C’est où les Hollandais ont leur établissement ; c’était le terme où devaient finir nos grandes misères. Le scorbut avait fait parmi nous de cruels ravages depuis notre départ du port Praslin ; personne ne pouvait s’en dire entièrement exempt, et la moitié de nos équipages était hors d’état de faire aucun travail. Huit jours de plus passés à la mer eussent assurément coûté la vie à un grand nombre, et la santé à presque tous. Les vivres qui nous restaient étaient si pourris et d’une odeur si cadavéreuse, que les moments les plus durs de nos tristes journées étaient ceux où la cloche avertissait de prendre ces aliments dégoûtants et malsains. Combien cette situation embellissait encore à nos yeux le charmant aspect des côtes de Boëro ! Dès le milieu de la nuit, une odeur agréable, exhalée des plantes aromatiques dont les îles Moluques sont couvertes, s’était fait sentir plusieurs lieues en mer, et avait semblé l’avant-coureur qui nous annonçait la fin de nos maux. L’aspect d’un bourg assez grand situé au fond du golfe, celui de vaisseaux à l’ancre, la vue de bestiaux errants dans les prairies qui environnent le bourg, causèrent des transports que j’ai partagés sans doute, et que je ne saurais dépeindre.

Il nous avait fallu courir plusieurs bords avant que de pouvoir entrer dans le golfe, dont la pointe septentrionale se nomme pointe de Lissatetto, et celle du sud-est pointe Rouba. Ce ne fut qu’à dix heures que nous pûmes mettre le cap sur le bourg. Plusieurs bateaux naviguaient dans la baie ; je fis arborer pavillon hollandais et tirer un coup de canon, aucun ne vint à bord ; j’envoyai alors mon canot sonder en avant du navire. Je craignais un banc qui se trouve à la côte du sud-est du golfe. À midi et demi une pirogue, conduite par des Indiens, s’approcha enfin du vaisseau ; le chef nous demanda en hollandais qui nous étions, et refusa toujours de monter à bord. Cependant nous avancions à pleines voiles, suivant les signaux du canot qui sondait. Bientôt nous vîmes le banc dont nous avions redouté l’approche ; la mer était basse et le danger paraissait à découvert. C’est une chaîne de roches mêlées de corail, laquelle part de la côte du sud-est du golfe, à une lieue environ en dedans de la pointe Rouba, et s’étend du sud-est au nord-ouest, l’espace d’une demi-lieue. À quatre longueurs de canot de son extrémité, on est sur cinq ou six brasses d’eau, mauvais fond de corail, et on passe tout de suite à dix-sept brasses, fond de sable et vase. Notre route fut à peu près le sud-ouest trois lieues, depuis dix heures jusqu’à une heure trente minutes que nous mouillâmes vis-à-vis la loge auprès de plusieurs petits bâtiments hollandais, à moins d’un quart de lieue de terre. Nous étions par dix-sept brasses d’eau fond de sable et vase, et nous fîmes les relèvements suivants :

La pointe Lissatetto au nord quatre degrés est, deux lieues.

La pointe Rouba au nord-est deux degrés est, une demi-lieue.

Une presqu’île à ouest-quart-nord-ouest un degré ouest, trois quarts de lieue.

La pointe d’une bâture qui s’allonge plus d’une demi-lieue au large de la presqu’île, au nord-ouest-quart-ouest.

Le pavillon de la loge hollandaise au sud-quart-sud-ouest cinq degrés ouest.

L’Étoile mouilla près de nous, plus dans l’ouest-nord-ouest.

À peine avions-nous jeté l’ancre, que deux soldats hollandais sans armes, dont l’un parlait français, vinrent à bord me demander de la part du Résident du comptoir quels motifs nous arrêtaient dans ce port, lorsque nous ne devions pas ignorer que l’entrée n’en était permise qu’aux seuls vaisseaux de la Compagnie hollandaise. Je renvoyai avec eux un officier pour déclarer au Résident que la nécessité de prendre des vivres nous forçait à entrer dans le premier port que nous avions rencontré, sans nous permettre d’avoir égard aux traités qui interdisaient aux navires étrangers la relâche dans les ports des Moluques, et que nous sortirions aussitôt qu’il nous aurait fourni les secours dont nous avions le plus urgent besoin. Les deux soldats revinrent peu de temps après pour me communiquer un ordre signé du gouverneur d’Amboine, duquel le Résident de Boëro dépend directement, par lequel il est expressément défendu à celui-ci de recevoir dans son port aucun vaisseau étranger. Le Résident me priait en même temps de lui donner en écrit une déclaration des motifs de ma relâche, afin qu’elle pût justifier auprès de son supérieur, auquel il l’enverrait, la conduite qu’il était obligé de tenir en nous recevant ici. Sa demande était juste, et j’y satisfis en lui donnant une déposition signée, dans laquelle je déclarais qu’étant parti des îles Malouines et voulant aller dans l’Inde en passant par la mer du sud, la mousson contraire et le défaut de vivres nous avaient empêchés de gagner les îles Philippines et forcés de venir chercher au premier port des Moluques des secours indispensables, secours que je le sommais de me donner en vertu du titre le plus respectable de l’humanité.

Dès ce moment il n’y eut plus de difficulté ; le Résident, en règle vis-à-vis de la Compagnie, fit contre fortune bon cœur, et il nous offrit ce qu’il avait d’un air aussi libre que s’il eût été le maître chez lui. Vers les cinq heures, je descendis à terre avec plusieurs officiers pour lui faire une visite. Malgré le trouble que devait lui causer notre arrivée, il nous reçut à merveille. Il nous offrit même à souper, et certes nous l’acceptâmes. Le spectacle du plaisir et de l’avidité avec lequel nous le dévorions, lui prouva mieux que nos paroles que ce n’était pas sans raison que nous criions à la faim. Tous les Hollandais en étaient en extase ; ils n’osaient manger dans la crainte de nous faire tort. Il faut avoir été marin et réduit aux extrémités que nous éprouvions depuis plusieurs mois, pour se faire une idée de la sensation que produit la vue des salades et d’un bon souper sur des gens en pareil état. Ce souper fut pour moi un des plus délicieux instants de mes jours, d’autant que j’avais envoyé à bord des vaisseaux de quoi y faire souper tout le monde aussi bien que nous.

Il fut réglé que nous aurions journellement du cerf pour entretenir nos équipages à la viande fraîche pendant le séjour, qu’on nous donnerait en partant dix-huit bœufs, quelques moutons et à peu près autant de volailles que nous en demanderions. Il fallut suppléer au pain par du riz ; c’est la nourriture des Hollandais. Les insulaires vivent de pain de sagou, qu’ils tirent du cœur d’un palmier auquel ils donnent ce nom ; ce pain ressemble à la cassave. Nous ne pûmes avoir cette abondance de légumes qui nous eût été si salutaire ; les gens du pays n’en cultivent point. Le Résident voulut bien en fournir pour les malades du jardin de la Compagnie.

Au reste, tout ici appartient à la Compagnie directement ou indirectement, gros et menu bétail, grains et denrées de toute espèce. Elle seule vend et achète. Les Maures à la vérité nous ont vendu des volailles, des chèvres, du poisson, des œufs et quelques fruits ; mais l’argent de cette vente ne leur restera pas longtemps : les Hollandais sauront bien le retirer pour des hardes fort simples, mais qui n’en sont pas moins chères. La chasse même du cerf n’est pas libre, le Résident seul en a le droit. Il donne à ses chasseurs trois coups de poudre et de plomb, pour lesquels ils doivent apporter deux animaux, qu’on leur paye alors six sols pièce. S’ils n’en rapportent qu’un, on retient sur ce qui leur est dû le prix d’un coup de poudre et de plomb.

Dès le 3 au matin, nous établîmes nos malades à terre pour y coucher pendant notre séjour. Nous envoyions aussi journellement la plus grande partie des équipages se promener et se divertir. Je fis faire l’eau des navires et les divers transports par des esclaves de la Compagnie, que le Résident nous loua à la journée. L’Étoile profita de ce temps pour garnir les chouquets de ses mâts majeurs, lesquels avaient un jeu dangereux. Nous avions affourché en arrivant ; mais sur ce que les Hollandais nous dirent de la bonté du fond et de la régularité des brises de terre et du large, nous relevâmes notre ancre d’affourche. Effectivement, nous y vîmes les bâtiments hollandais sur une seule ancre.

Nous eûmes pendant notre relâche ici le plus beau temps du monde. Le thermomètre y montait ordinairement à vingt-trois degrés dans la plus grande chaleur du jour ; la brise, du nord-est au sud-est le jour, changeait sur le soir ; elle venait alors de terre, et les nuits étaient fort fraîches. Nous eûmes occasion de connaître l’intérieur de l’île ; on nous permit d’y faire plusieurs chasses de cerfs, par battues, auxquelles nous primes un grand plaisir. Le pays est charmant, entrecoupé de bosquets, de plaines, et de coteaux dont les vallons sont arrosés par de jolies rivières. Les Hollandais y ont apporté les premiers cerfs, qui s’y sont prodigieusement multipliés et dont la chair est excellente. Il y a aussi un grand nombre de sangliers et quelques espèces de gibier à plumes.

On donne à l’île de Boëro ou Burro environ dix-huit lieues de l’est à l’ouest, et treize du nord au sud. Elle était autrefois soumise au roi de Ternate, lequel en tirait tribut. Le lieu principal est Cajeli, situé au fond du golfe de ce nom, dans une plaine marécageuse qui s’étend près de quatre milles entre les rivières Soweill et Abbo. Cette dernière est la plus grande de l’île, et toutefois ses eaux sont fort troubles. Le débarquement est ici fort incommode, surtout de basse mer, pendant laquelle il faut que les bateaux s’arrêtent fort loin de la plage. La loge hollandaise et quatorze habitations d’Indiens, autrefois dispersées en divers endroits de l’île, mais aujourd’hui réunies autour du comptoir, forment le bourg de Cajeli. On y avait d’abord construit un fort en pierres : un accident le fit sauter en 1689, et depuis ce temps on s’y contente d’une enceinte de faibles palissades, garnie de six canons de petit calibre, tant bien que mal en batterie ; c’est ce qu’on appelle le fort de la Défense, et j’ai pris ce nom pour un sobriquet. La garnison, aux ordres du Résident, est composée d’un sergent et vingt-cinq hommes ; sur toute l’île il n’y a pas cinquante blancs. Quelques autres nègreries y sont répandues, où l’on cultive du riz. Dans le temps où nous y étions, les forces des Hollandais y étaient augmentées par trois navires, dont le plus grand était le Draak, sénau de quatorze canons commandé par un Saxon nommé Kop-le-Clerc. Son équipage est de cinquante Européens, et sa destination de croiser dans les Moluques, surtout contre les Papous et les Céramois.

Les naturels du pays se divisent en deux classes : les Maures et les Alfouriens. Les premiers sont réunis sous la loge et soumis entièrement aux Hollandais, qui leur inspirent une grande crainte des nations étrangères. Ils sont observateurs zélés de la loi de Mahomet, c’est-à-dire qu’ils se lavent souvent, ne mangent point de porc, et prennent autant de femmes qu’ils en peuvent nourrir. Ajoutez à cela qu’ils en paraissent fort jaloux et les tiennent renfermées. Leur nourriture est le sagou, quelques fruits et du poisson. Les jours de fêtes, ils se régalent avec du riz que la Compagnie leur vend. Leurs chefs ou orencaies se tiennent auprès du Résident, qui paraît avoir pour eux quelques égards, et contient le peuple par leur moyen. La Compagnie a su semer parmi ces chefs des habitants un levain de jalousie réciproque qui assure l’esclavage général, et la politique qu’elle observe ici relativement aux naturels est la même dans tous ses autres comptoirs. Si un chef forme quelque complot, un autre le découvre et en avertit aussitôt les Hollandais.

Ces Maures au reste sont vilains, paresseux et peu guerriers. Ils ont une extrême frayeur des Papous, qui viennent quelquefois au nombre de deux ou trois cents brûler les habitations, enlever ce qu’ils peuvent et surtout des esclaves. La mémoire de leur dernière visite, faite il y a trois ans, était encore récente. Les Hollandais ne font point faire le service d’esclaves aux naturels de Boëro. La Compagnie tire ceux dont elle se sert ou de Célèbes ou de Céram, les habitants de ces deux îles se vendant réciproquement.

Les Alfouriens sont libres sans être ennemis de la Compagnie. Satisfaits d’être indépendants, ils ne veulent point de ces babioles que les Européens donnent ou vendent en échange de la liberté. Ils habitent épars ça et là les montagnes inaccessibles dont est rempli l’intérieur de l’île. Ils y vivent de sagou, de fruits et de la chasse. On ignore quelle est leur religion ; seulement on dit qu’ils ne sont point Mahométans, car ils élèvent et mangent des cochons. De temps en temps les chefs des Alfouriens viennent visiter le Résident ; ils feraient aussi bien de rester chez eux.

Je ne sais s’il y a eu autrefois des épiceries sur cette île ; en tout cas, il est certain qu’il n’y en a plus aujourd’hui. La Compagnie ne tire de ce poste que des bois d’ébène noirs et blancs, et quelques autres espèces de bois très recherchées pour la menuiserie. Il y a aussi une belle poivrière dont la vue nous a confirmé que le poivrier est commun à la nouvelle Bretagne. Les fruits y sont rares ; des cocos, des bananes, des pamplemousses, quelques limons et citrons, des oranges amères et fort peu d’ananas. Il y croît une fort bonne espèce d’orge, nommée ottong, et le sago borneo, dont on fait une bouillie qui nous a paru détestable. Les bois sont habités par un grand nombre d’oiseaux d’espèces très variées, et dont le plumage est charmant, entre autres des perroquets de la plus grande beauté. On y trouve cette espèce de chat sauvage qui porte ses petits dans une poche placée au bas de son ventre, cette chauve-souris dont les ailes ont une énorme envergure, des serpents monstrueux qui peuvent avaler un mouton, et cet autre serpent, plus dangereux cent fois, qui se tient sur les arbres et se darde dans les yeux des passants qui regardent en l’air. On ne connaît point de remèdes contre la piqûre de ce dernier ; nous en tuâmes deux dans une chasse au cerf. La rivière de Abbo, dont les bords sont presque partout couverts d’arbres touffus, est infestée de crocodiles énormes, qui dévorent bêtes et gens. C’est la nuit qu’ils sortent, et il y a des exemples d’hommes enlevés par eux dans les pirogues. On les empêche d’approcher en portant des torches allumées. Le rivage de Boëro fournit peu de belles coquilles. Ces coquilles précieuses, objet de commerce pour les Hollandais, se trouvent sur la côte de Céram, à Amblaw et à Banda, d’où on les envoie à Batavia. C’est aussi à Amblaw que se trouve le catacoua de la plus belle espèce.

Henri Ouman, Résident de Boëro, y vit en souverain. Il a cent esclaves pour le service de sa maison, et il possède en abondance le nécessaire et l’agréable. Il est sous-marchand, et ce grade est le troisième au service de la Compagnie. C’est un homme né à Batavia, lequel a épousé une créole d’Amboine. Je ne saurais trop me louer de ses bons procédés à notre égard. Ce fut sans doute pour lui un moment de crise que celui où nous entrâmes ici ; mais il se conduisit en homme d’esprit. Après s’être mis en règle vis-à-vis de ses chefs, il fit de bonne grâce ce dont il ne pouvait se dispenser, et il y joignit les façons d’un homme franc et généreux. Sa maison était la nôtre ; à toute heure on y trouvait à boire et à manger, et ce genre de politesse en vaut bien un autre, pour qui surtout se ressentait encore de la famine. Il nous donna deux repas de cérémonie, dont la propreté, l’élégance et la bonne chère nous surprirent dans un endroit si peu considérable. La maison de cet honnête Hollandais est jolie, élégamment meublée et entièrement à la chinoise. Tout y est disposé pour y procurer du frais ; elle est entourée de jardins et traversée par une rivière. Du bord de la mer, on y arrive par une avenue de grands arbres. Sa femme et ses filles, habillées à la chinoise, font très bien les honneurs du logis. Elles passent le temps à apprêter des fleurs pour des distillations, à nouer des bouquets et préparer du bétel. L’air qu’on respire dans cette maison agréable est délicieusement parfumé, et nous y eussions fait tous bien volontiers un long séjour. Quel contraste entre cette existence douce et tranquille avec la vie dénaturée que nous menions depuis dix mois !

Je dois dire un mot de l’impression qu’a faite sur Aotourou la vue de cet établissement européen. On conçoit que sa surprise a dû être grande à l’aspect d’hommes vêtus comme nous, de maisons, de jardins, d’animaux domestiques en grand nombre et si variés. Il ne pouvait se lasser de regarder tous ces objets nouveaux pour lui. Surtout il prisait beaucoup cette hospitalité exercée d’un air franc et de connaissance. Comme il ne voyait pas faire d’échange, il ne croyait pas que nous payassions, il pensait qu’on nous donnait. Au reste, il se conduisit avec esprit vis-à-vis des Hollandais. Il commença par leur faire entendre qu’il était chef dans son pays et qu’il voyageait pour son plaisir avec ses amis. Dans les visites, à table, à la promenade, il s’étudiait à nous copier exactement. Comme je ne l’avais pas mené à la première visite que nous fîmes, il s’imagina que c’était parce que ses genoux sont cagneux, et il voulait absolument faire monter dessus des matelots pour les redresser. Il nous demandait souvent si Paris était aussi beau que ce comptoir.

Cependant nous avions embarqué, le 6 après-midi, le riz, les bestiaux et tous les autres rafraîchissements. Le mémoire du bon Résident était fort cher, mais on nous assura que les prix étaient réglés par la Compagnie, et qu’on ne pouvait s’écarter de son tarif. Du reste, les vivres y étaient d’une excellente qualité ; le bœuf et le mouton ne sont pas à beaucoup près aussi bons dans aucun pays chaud de ma connaissance, et les volailles y sont de la plus grande délicatesse. Le beurre de Boëro a dans ce pays une réputation que les Bretons ne trouvèrent pas légitimement acquise. Le 7 au matin, je fis embarquer les malades, et on disposa tout pour appareiller le soir avec la brise de terre. Les vivres frais et l’air sain de Boëro avaient procuré à nos scorbutiques un amendement sensible. Ce séjour à terre, quoiqu’il n’eût été que de six jours, les mettait dans le cas de se guérir à bord, ou du moins de ne pas empirer, surtout avec l’usage des rafraîchissements que nous étions désormais en état de leur donner.

Il eût sans doute été à souhaiter, pour eux et même pour les gens sains, de prolonger la relâche, mais la fin de la mousson de l’est nous pressait de partir pour Batavia. Si une fois elle changeait, il nous devenait impossible de nous y rendre, parce qu’alors, outre le vent contraire à combattre, les courants suivent encore la loi de la mousson régnante. Il est vrai qu’ils conservent près d’un mois le cours de celle qui a précédé ; mais le changement de mousson, qui arrive ordinairement en octobre, peut primer comme il peut retarder d’un mois. Septembre est peu venteux, octobre et novembre le sont encore moins. C’est la saison des calmes, et celle que choisit le gouverneur d’Amboine pour faire sa tournée dans les îles dépendantes de son gouvernement. Juin, juillet et août sont très pluvieux.

La mousson de l’est, au nord de Céram et de Boëro, souffle ordinairement du sud-sud-est au sud-sud-ouest ; dans les îles d’Amboine et de Banda, elle est de l’est au sud-est. Celle de l’ouest souffle de l’ouest-sud-ouest au nord-ouest. Le mois d’avril est le terme où finissent communément les vents d’ouest ; c’est la mousson orageuse, comme celle de l’est est la mousson pluvieuse. Le capitaine Clerk nous dit qu’il avait en vain croisé devant Amboine pour y entrer pendant tout le mois de juillet ; il y avait essuyé des pluies continuelles qui avaient mis tout son équipage sur les cadres. C’est dans ce même temps que nous étions si bien arrosés au port Praslin.

Il y avait eu cette année à Boëro trois tremblements de terre presque consécutifs, le 7 juin, le 12 et le 27 juillet. C’est le 22 de ce mois que nous en avions ressenti un à la nouvelle Bretagne. Ces tremblements de terre ont, dans cette partie du monde, de terribles conséquences pour la navigation. Quelquefois ils anéantissent des îles et des bancs de sable connus ; quelquefois aussi ils en créent où ils n’y en avait pas, et il n’y a rien à gagner à ce marché. Il serait bien moins dangereux aux navigateurs que les choses restassent comme elles sont.

Le 7 après-midi, tout était à bord, et nous n’attendions que la brise de terre pour mettre à la voile. Elle ne fut sensible qu’à huit heures du soir. J’envoyai aussitôt un canot, avec un feu, se mouiller sur la pointe du banc qui est à la côte du sud-est, et nous travaillâmes à appareiller. On ne nous avait pas trompés en nous assurant que la tenue était forte dans ce mouillage. Nous fûmes très longtemps à faire avec le cabestan des efforts inutiles ; le tournevire même cassa, et nous ne parvînmes qu’à l’aide de poulies de franc funin à retirer notre ancre de la vase collante où elle était enfoncée. Nous ne fûmes sous voiles qu’à onze heures. La pointe du banc une fois doublée, nous embarquâmes nos bateaux et l’Étoile les siens, et nous gouvernâmes successivement au nord-est, au nord-est-quart-nord et nord-nord-est, pour sortir du golfe de Cajeli.

Pendant notre séjour à Boëro, M. Verron fit à bord plusieurs observations de distances, dont le résultat moyen lui servit à déterminer la longitude de ce golfe, et le place deux degrés cinquante-trois minutes plus à l’ouest que nos estimes suivies depuis la longitude observée à la nouvelle Bretagne. Au reste, quoique nous ayons trouvé établie comme de raison aux Moluques la vraie date d’Europe, sur laquelle nous perdions un jour en suivant autour du monde le cours du soleil, je continuerai à marquer la date de nos journaux, en prévenant qu’au lieu du mercredi 7 on comptait dans l’Inde le jeudi 8. Je ne corrigerai ma date qu’à l’Île de France.