Voyage de Bougainville autour du monde/Préface

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PRÉFACE.

Le voyage du capitaine de Bougainville[1]autour du monde est le premier voyage de ce genre qui ait été entrepris par des Français, et exécuté sur des vaisseaux au pavillon de la France. Il eut lieu vers le milieu du siècle dernier. Avant le capitaine de Bougainville, de hardis explorateurs, appartenant à d’autres nations, avaient tenté et réalisé une entreprise qui, avec la marine de ce temps et le peu de fixité dans les notions géographiques que l’on avait alors sur certains points du Nouveau-Monde, demandait du sang-froid, de l’audace et presque de l’héroïsme. Aujourd’hui ce ne sont pas seulement les héros des Voyages de Jules Verne qui font le tour du monde en quatre-vingts jours : un capitaine de vaisseau, après avoir lu le chef-d’œuvre du grand romancier français, s’offrait à parier qu’il le ferait en moins de temps et en suivant un itinéraire tracé d’avance ; et nous avons vu, il y a quelques années, un jeune aventurier faire pour son plaisir, et comme par bravade, « six mille lieues à toute vapeur[2]. » L’itinéraire d’un voyage autour du monde est aussi parfaitement tracé aujourd’hui que l’itinéraire de Paris à Pékin.

Ce fut en 1519 que le Portugais Ferdinand Magellan fit, avec cinq vaisseaux espagnols, le premier voyage autour du monde. Il partit de Séville et entra, par le détroit qui porte son nom, dans l’Océan Pacifique, où il découvrit entre autres les îles Philippines. Le vaisseau qu’il montait, nommé la Victoire, revint seul des cinq en Espagne par le cap de Bonne-Espérance. Il fut hissé à terre à Séville comme un monument de cette expédition, la plus hardie peut-être que les hommes eussent encore faite. C’est ce voyage qui permit de constater physiquement, pour la première fois, la sphéricité et l’étendue de la circonférence de la terre.

L’Anglais Drack partit de Plymouth avec cinq vaisseaux le 15 septembre 1577, et y rentra avec un seul le 3 novembre 1580. C’est le second explorateur qui fit le tour du globe. Son vaisseau, le Pélican, fut soigneusement conservé à Deptfort dans un bassin, avec une inscription d’honneur sur le grand mât.

Le troisième voyage autour du monde fut exécuté par l’Anglais Thomas Cavendish, qui partit de Plymouth le 21 juillet 1586 avec trois vaisseaux, et y rentra avec deux vaisseaux le 9 septembre 1588.

Plus tard Jacques Lemaire[3] et Schouten immortalisèrent leur nom par un voyage qui donna lieu à d’importantes découvertes. Ils sortent du Texel, le 14 juin 1615, avec les vaisseaux la Concorde et le Horn, découvrent le détroit qui porte le nom de Lemaire, en doublant le cap de Horn, découvrent l’île des Chiens, l’île Sans-Fond, l’île Water, l’île des Mouches, etc. ; ensuite ils cinglent le long des côtes de la Nouvelle-Guinée, passent entre son extrémité occidentale et Gilolo, et arrivent à Batavia en octobre 1616. La Concorde et le Horn rentrèrent au port après deux ans et dix jours.

Wood Roger, un Anglais, sortit de Bristol le 2 août 1708, passa le cap de Horn, pénétra en Californie, d’où, par une route déjà frayée plusieurs fois, il passa aux Moluques, à Batavia, et, doublant le cap de Bonne-Espérance, atterrit aux Dunes le 1er octobre 1711.

Dix ans après, le Mecklembourgeois Roggewin sortit du Texel avec trois vaisseaux, entra dans la mer du Sud par le cap de Horn, découvrit l’île de Pâques, les îles Pernicieuses, les îles Aurore, etc. ; naviguant ensuite le long de la Nouvelle-Guinée et des Terres des Papous, il vint aborder à Batavia, repassa en Hollande, et arriva au Texel le 11 juillet 1723, six cent quatre-vingts jours après son départ du même lieu.

Le goût des grandes navigations paraissait entièrement éteint lorsque, le 20 juin 1764, le commodore Byron part des Dunes, traverse le détroit de Magellan, arrive à Batavia le 28 novembre 1765, au Cap le 24 février 1766, et le 9 mai aux Dunes, six cent quatre-vingt-huit jours après son départ.

Nous allons entendre maintenant le capitaine de Bougainville nous raconter lui-même, dans tous ses détails, le célèbre voyage autour du monde qu’il fit, de 1766 à 1769, avec deux vaisseaux, la frégate du Roi la Boudeuse et la flûte l’Étoile. L’auteur est un maître écrivain, mais c’est avant tout un marin qui écrit au milieu du XVIIIe siècle. Nous aurions cru déparer son récit en en faisant disparaître certaines expressions qui ont vieilli et qui, sous sa plume, sont pleines de charme. Quant aux termes de marine dont il se sert, nous les avons laissés dans toute leur naïve et énergique incorrection, de peur de mériter le reproche qu’il adresse lui-même (chap. IX) aux puristes de son temps qui, sous prétexte de correction, dit-il, « défigurent les récits des navigateurs et qui, dans leur ignorance des tenues dont un marin est obligé de se servir, prennent pour des mots vicieux des expressions nécessaires et consacrées, qu’ils remplacent par des absurdités, et arrivent ainsi à composer un livre ennuyeux à tout le monde et qui n’est utile à personne. »

L’état-major de la frégate la Boudeuse était composé de MM. de Bougainville, capitaine de vaisseau ; Duclos Guyot, capitaine de brûlot ; Chevalier de Bournand, Chevalier d’Oraison, Chevalier du Bouchage, enseignes de vaisseau ; Chevalier de Suzannet, Chevalier de Kué, gardes de la marine faisant fonctions d’officiers ; le Corre, officier marchand ; Saint-Germain, écrivain ; la Veze aumônier ; la Porte, chirurgien-major.

L’état-major de la flûte l’Étoile était composé de MM. Chesnard de la Giraudais, capitaine de brûlot ; Caro, lieutenant des vaisseaux de la Compagnie des Indes ; Donat, Landais, Fontaine et Lavary-le-Roi, officiers marchands ; Michaud, écrivain ; Vives, chirurgien-major.

Il y avait de plus MM. de Commerçon, médecin ; Verron, astronome, et de Romainville, ingénieur.


  1. Bougainville (L. Ant. de), navigateur célèbre, né à Paris en 1729, mort en 1814, quitta l’étude du droit, à laquelle sa famille le destinait, pour la carrière militaire, devint aide-de-camp de Chevert, puis accompagna le marquis de Montcalm au Canada, se signala dans cette expédition, et obtint le grade de colonel (1759). À la paix, il se tourna vers la marine, alla en 1763 occuper les îles Malouines, puis exécuta un voyage autour du monde, le premier de ce genre qu’eût entrepris un Français (1766-1769). Il commanda plusieurs vaisseaux dans la guerre d’Amérique, devint chef d’escadre en 1779, fut chargé en 1790 de commander l’armée navale de Brest, mais, n’ayant pu rétablir l’ordre dans cette troupe indisciplinée, il se retira du service. Il fut appelé en 1796 à l’Institut et devint sous l’Empire comte et sénateur. La Relation de son voyage autour du monde, qu’il publia en 1771 et 1772, eut un succès prodigieux. Il a fait un grand nombre de découvertes géographiques dans l’Océan Pacifique, et a laissé son nom à plusieurs des lieux qu’il avait découverts.
    (Note des éditeurs.)
  2. Revue des Deux-Mondes.
  3. Ce célèbre navigateur est né à Tournai.