Voyage de Dentrecasteaux

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Rossel
Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse
(Ip. couv-771).

VOYAGE

DE

DENTRECASTEAUX.


Se trouve à Paris,

Au Dépôt général de la Marine, rue de la Place Vendôme, no 21.


VOYAGE

DE

DENTRECASTEAUX,

ENVOYÉ A LA RECHERCHE DE LA PÉROUSE.

PUBLIÉ

PAR ORDRE DE SA MAJESTÉ L’EMPEREUR ET ROI,

sous le ministère de S. E. le vice-amiral Decrès,

comte de l’empire.

Rédigé par M. de Rossel, ancien capitaine de vaisseau.

TOME PREMIER.




A

PARIS,

DE L’IMPRIMERIE IMPÉRIALE.

1808.


À SA MAJESTÉ
NAPOLÉON,
EMPEREUR DES FRANÇOIS,
ROI D’ITALIE,
protecteur de la confédération du rhin.

Sire,


Le règne de votre Majesté n’est pas moins illustré par la protection éclatante qu’elle accorde aux sciences et aux arts, que par les hauts faits qui doivent éterniser la gloire de l’Empire. Votre Majesté a donné une nouvelle preuve de cette protection, en ordonnant de publier le Voyage des frégates envoyées à la recherche de M. de la Pérouse. Ce voyage avoit aussi pour objet de suivre le plan de navigation, utile à la géographie, au commerce et aux arts, d’après lequel l’infortuné la Pérouse devoit diriger ses opérations ; et, sous ce rapport, il appartient aux travaux entrepris conformément aux vues de votre Majesté. L’attention dont elle daigne honorer cet ouvrage, est la récompense la plus flatteuse à laquelle puissent aspirer ceux qui ont été chargés d’y coopérer. J’ai pensé que les intentions de votre Majesté ne pouvoient être mieux remplies qu’en donnant tous mes soins pour mettre en ordre, et conserver, dans toute sa simplicité, le journal d’un officier dont les talens éminens et la grande expérience étoient généralement reconnus. Je me suis permis d’y joindre mon travail particulier sur les observations astronomiques que j’avois été chargé de faire pendant le cours de l’expédition. L’espérance que les navigateurs y trouveront des méthodes qui contribueront à la sûreté de la navigation, a soutenu mon zèle. Mais je ne croirai mes travaux utiles qu’autant qu’ils pourront obtenir l’approbation de votre Majesté.

Je suis avec le plus profond respect,


SIRE,

de votre Majesté impériale et royale,

le très-humble, très-dévoué et très-fidèle sujet,
ROSSEL.




PRÉFACE.


Le voyage du contre-amiral Dentrecasteaux avoit pour objet la recherche de M. de la Pérouse ; et, sous ce rapport, c’est sans doute l’un de ceux qui doivent faire le plus d’honneur à la nation qui l’a ordonné. M. de la Pérouse étoit parti de Brest le 1er août 1785 ; et les dernières lettres qu’on en avoit reçues, annonçoient qu’il devoit être de retour à l’Ile-de-France dans le courant ou sur la fin de 1788. Plus de deux années s’étant écoulées sans que l’on eût de ses nouvelles, on devoit craindre qu’il n’eût fait naufrage dans les mers semées d’écueils qui lui restoient à parcourir. Au mois de février 1791, l’Assemblée nationale décréta que le Roi seroit prié de faire armer deux bâtimens pour aller à la recherche de cet illustre navigateur, dont le sort avoit fixé l’attention générale[1], et en même temps pour reconnoître les côtes qu’il devoit visiter depuis son départ de Botany-Bay. M. Dentrecasteaux fut chargé de cette honorable mission : il lui fut remis, par le Gouvernement, des instructions, qui sont insérées à la suite du décret concernant l’armement des deux frégates. Son mérite déjà connu, ses talens, sa longue expérience, donnèrent l’assurance que cette mission ne pouvoit être confiée à un chef plus capable de la remplir.


La publication du journal de M. Dentrecasteaux prouvera, en effet, qu’il n’a rien négligé pour assurer le succès de son expédition. On verra que, sans avoir jamais perdu de vue la recherche de M. de la Pérouse, il est parvenu à étendre les connoissances en géographie, et même à faire des découvertes intéressantes. À peine étoit-il arrivé au Cap de Bonne-Espérance, qu’il reçut, de M. de Saint-Félix, commandant alors la station de l’Inde, une dépêche par laquelle cet officier l’informoit que M. de la Pérouse avoit pu faire naufrage sur les îles de l’Admiralty. Quoique les contradictions qui se trouvoient dans les renseignemens qu’il venoit de recevoir, lui laissassent peu d’espoir de le retrouver dans ces îles, il résolut de s’y rendre dans le moins de temps possible, par la route la plus courte ; et il n’hésita pas à profiter des pouvoirs que lui donnoient ses instructions, pour changer le plan de sa campagne. Arrivé aux îles de l’Admiralty, il s’assura que M. de la Pérouse n’avoit eu aucune communication avec leurs habitans ; dès-lors il ne s’attacha plus qu’à suivre, autant qu’il le pourroit, la route que cet illustre et infortuné navigateur s’étoit proposé de tenir : il sacrifia même souvent à ce devoir le desir qu’il auroit eu de s’arrêter dans des parages où il pouvoit faire des découvertes. L’attention scrupuleuse qu’il mit dans sa recherche pendant une navigation longue et périlleuse, est digne des plus grands éloges. Toutes les fois que les côtes dont il faisoit la reconnoissance étoient saines, et que les vents lui permettoient d’en approcher, il se tenoit constamment assez près de terre pour distinguer ce qui se passoit sur le rivage, et ne laisser échapper aucun des signaux que de malheureux naufragés auraient pu faire pour demander du secours.

M. Dentrecasteaux visita ainsi toutes les côtes que M. de la Pérouse devoit reconnoître depuis son départ de Botany-Bay ; et il communiqua, aussi souvent qu’il lui fut possible, avec les habitans, dans l’espoir d’en obtenir des indices, à l’aide desquels il auroit pu être conduit plus directement à son but, si M. de la Pérouse eût été forcé de s’écarter de sa route, par des événemens impossibles à prévoir. Les habitans de Tongatabou donnèrent à M. Dentrecasteaux la certitude que M. de la Pérouse n’avoit abordé à aucune des îles des Amis. Dans la plupart des autres lieux, la difficulté de s’entendre avec des hommes dont le langage est inconnu aux Européens, s’opposa le plus souvent à ce qu’il pût prendre des renseignemens aussi étendus qu’il l’auroit desiré. Le seul moyen qui lui restoit donc de découvrir quelques traces de M. de la Pérouse, étoit d’examiner avec soin si les habitans des contrées qu’il visitoit n’avoient pas entre les mains des objets de manufacture Européenne : plusieurs insulaires en possédoient en effet ; mais ces objets étoient d’espèce à ne nous procurer aucun renseignement. On peut donc assurer que M. de la Pérouse n’a paru dans aucun des lieux visités par le contre-amiral Dentrecasteaux ; et l’on est malheureusement trop fondé à croire avec M. Milet-Mureau, à qui l’on doit ce qui a été publié du voyage de l’Astrolabe et de la Boussole, que ces frégates ont péri dans les parages parages qu’il leur restoit à parcourir, et où tous les navigateurs ont jusqu’à présent rencontré des écueils qui étoient inconnus.

Il est sans doute à regretter que l’objet spécial du voyage de M. Dentrecasteaux n’ait pas été rempli, et que ce contre-amiral n’ait pu rendre M. de la Pérouse, ou au moins quelques-uns de ses compagnons, aux vœux de leurs compatriotes : mais, si notre espoir à cet égard n’a pas été réalisé, et il ne pouvoit l’être que par l’effet d’un hasard heu reux, au moins verra-t-on que l’expédition du contre-amiral DENTRECASTEAUX ne laisse rien à desirer dans les parties dont le succès pouvoit dépendre des talens du chef auquel la direction en étoit confiée.

L’on ne doit pas s’attendre, il est vrai, à trouver dans ce Voyage de ces découvertes imposantes telles que celles des anciens navigateurs qui nous ont fait connoître des contrées d’une vaste étendue, ou de nouveaux passages pour se rendre à des pays déjà connus. Toutes les grandes masses de terre avoient été découvertes ; et il ne restoit plus que la tâche de visiter avec soin et dans le plus grand détail, les côtes de ces mêmes terres dont les navigateurs n’avoient pas encore pu faire la reconnoissance. M. Dentrecasteaux étoit pénétré de cette vérité, lorsqu’il visita la partie méridionale de la terre de Van-Diémen, où un vaste canal et une longue suite de rades et de ports ont été reconnus et décrits avec un soin et une habileté qui ont rendu le travail fait dans cette partie, aussi intéressant qu’il est nouveau. Sous ce rapport, le canal qui porte son nom, est une véritable découverte. Le grand nombre d’objets que l’on avoit à remplir dans le court espace de deux années, s’est opposé à ce que l’on fît de fréquentes relâches : il n’a pas même toujours été permis de prendre une connoissance complète des côtes parcourues ; et il a été impossible de lever par-tout des plans aussi détaillés que ceux de la terre de Van-Diémen. Cependant M. Dentrecasteaux remédia, autant qu’il étoit en son pouvoir, à cet inconvénient ; les mesures qu’il prit pour ne pas s’écarter de terre, donnèrent la facilité d’observer un grand nombre de relèvemens, et mirent à portée de pouvoir recueillir en même temps, comme nous l’avons dit, jusqu’aux moindres traces de M. de la Pérouse. En effet, il s’est toujours tenu assez près des côtes pour en apercevoir les sinuosités, et pour prendre connoissance de tous les points dont il pouvoit être important de déterminer la position.

Aucune des connoissances relatives à la navigation n’étoit étrangère à M. Dentrecasteaux. On peut juger, d’après la manière dont toutes les parties de l’expédition ont été conduites, que celui qui étoit chargé de les diriger étoit également capable de les mettre lui-même à exécution. C’est à ses lumières étendues et à ses soins vigilans que les navigateurs seront redevables des opérations qui leur ont procuré une suite d’observations des plus complètes, et une collection de cartes très-précieuse ; mais on ne doit pas laisser ignorer qu’une des causes qui ont le plus contribué à l’ensemble de ces différens travaux, est l’union qu’il avoit su entretenir, et qui a toujours subsisté entre les personnes qui en étoient chargées. Malheureusement, il succomba sous le poids des fatigues, au moment où les travaux de l’expédition étoient sur le point de finir.

Après la mort du contre-amiral Dentrecasteaux, M. d’Auribeau lui succéda dans le commandement des frégates, et les conduisit à Sourabaya, port de l’île de Java. On apprit dans cet établissement les événemens survenus en France ; et par l’effet que produisirent ces nouvelles imprévues, l’on fut obligé de désarmer les frégates. Quelque temps après, M. d’Auribeau mourut à Samarang : le commandant de la frégate l’espérance, éditeur de ce Voyage, s’embarqua pour l’Europe sur un bâtiment Hollandois, et se chargea, comme officier le plus ancien de l’expédition, de rapporter tous les papiers qui contenoient les résultats des travaux de la campagne, ainsi que les plans originaux levés par M. Beautemps-Beaupré, ingénieur-hydrographe en chef. Mais, ayant été pris par une frégate Angloise, dans le nord de l’Écosse, il fut conduit en Angleterre. Les papiers et les plans qui avoient été retenus par l’amirauté, lui ont enfin été rendus à l’époque de son retour en France ; et sans doute elle a pu faire usage des renseignemens qu’elle en a tirés, lorsqu’en 1797 ou 1798 elle a envoyé reconnoître les découvertes faites à la terre de Van-Diémen.

La relation du voyage a été rédigée d’après le journal même du contre-amiral Dentrecasteaux, écrit en entier de sa propre main. Il est déposé dans les archives de la marine et des colonies. Ce journal finit à l’époque où les frégates quittèrent la côte de la Nouvelle-Bretagne pour se rendre aux Moluques ; c’est-à-dire onze jours avant la mort de M. Dentrecasteaux. La campagne pouvoit alors être considérée comme près d’être terminée ; et il ne restoit plus de découvertes à faire dans les parages connus par où les frégates devoient se rendre à leur destination : le rédacteur du Voyage a continué le journal de leur navigation jusqu’au jour où elles mouillèrent dans la rade de Sourabaya.

Il a pensé qu’il seroit utile de publier, à la suite du Voyage, les observations astronomiques faites pendant la campagne, avec les résultats qui ont servi à déterminer les positions géographiques des lieux que l’on a placés sur les cartes. Mais comme on avoit souvent remarqué que les observations faites à la mer sont presque toujours affectées d’erreurs assez sensibles pour influer sur les déterminations géographiques, il a joint au recueil des observations le résultat d’un travail relatif à cet objet, dans lequel il discute la nature de ces erreurs, et où il donne plusieurs moyens d’en diminuer l’influence. L’auteur de ce travail espère qu’on y trouvera quelques méthodes nouvelles et très-simples, pour donner aux latitudes et aux longitudes toute l’exactitude dont elles sont susceptibles ; mais il reconnoît que dans cette partie de son travail il doit beaucoup aux avis de M. de Fleurieu, qui a rendu de si grands services à la science de la navigation. Les discussions et les résultats des observations astronomiques avec les tables qui y ont rapport, formant une partie considérable de l’ouvrage, sont la matière du second volume.

L’appendice qui est joint au premier volume, a pour objet l’exactitude dont peuvent être susceptibles les opérations hydrographiques sous le rapport de la construction des cartes et des plans. M. Beautemps-Beaupré s’est servi, le plus souvent qu’il lui a été possible, des relèvemens astronomiques, pour dresser les cartes hydrographiques du Voyage. Le savant Borda, qui a autant fait pour le progrès des connoissances que pour l’art nautique, avoit employé les relèvemens astronomiques dans le travail qui a servi de base à sa carte des îles Canaries. Mais la méthode qui est particulière à M. Beautemps-Beaupré, a le mérite d’une application plus facile et plus générale. Il a trouvé de nouveaux moyens de combiner les relèvemens astronomiques avec des relèvemens faits à la boussole ; et, par des procédés très-ingénieux, il est parvenu à corriger l’estime des routes, avec le plus grand succès. Il est juste enfin de lui faire honneur de la méthode qu’on lui doit, et d’après laquelle il a levé les cartes du Voyage de M. Dentrecasteaux. Les bornes qu’on devoit se prescrire, n’ont permis de donner qu’une petite partie du travail de M. Beautemps-Beaupré, qui suffira cependant pour faire connoître ses moyens et ses procédés. Il a fait choix, pour cet objet, de sa carte de l’archipel de Santa-Cruz, où sont réunis à-peu-près tous les cas qui peuvent se présenter dans la pratique : l’analyse qu’il a donnée de cette carte, est une partie principale de l’appendice. Les navigateurs trouveront, en général, dans cet appendice, des connoissances hydrographiques sur lesquelles on n’avoit rien publié de complet jusqu’à présent. M. Beautemps-Beaupré y donne aussi plusieurs méthodes expéditives pour sonder une côte et marquer le brassiage sur les cartes. Ces méthodes dont il s’est servi pour les travaux qu’il a exécutés sur les côtes de France par ordre du Ministre de la marine, sont si utiles, que l’on ne devoit pas négliger de les faire connoître aux navigateurs, en même temps que celles dont on a fait usage pendant la campagne.

Le Voyage du contre-amiral Dentrecasteaux eût été publié beaucoup plutôt, si des circonstances dont le détail ne seroit d’aucun intérêt pour le lecteur, ne s’y étoient opposées. Son Excellence le vice-amiral Decrès, Ministre de la marine et des colonies, toujours occupé de répondre aux grandes vues du Souverain et de procurer aux navigateurs de nouvelles lumières, a favorisé, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, la publication de ce Voyage, qui ne laisse rien à desirer pour la beauté de l’édition, et pour l’exécution des cartes qui composent l’atlas que l’on a joint à cet ouvrage.


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DÉCRET
DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE,
Concernant l’Expédition relative à la recherche de
M. de la Pérouse.


Du 9 Février 1791.


LAssemblée nationale, après avoir entendu ses comités réunis d’agriculture, de commerce et de marine,


Décrète que le Roi sera prié de donner des ordres à tous les ambassadeurs, résidens, consuls, agens de la nation auprès des différentes puissances, pour qu’ils aient à engager, au nom de l’humanité, des arts et des sciences, les divers souverains auprès desquels ils résident, à charger tous les navigateurs et agens quelconques qui sont dans leur dépendance, en quelque lieu qu’ils soient, mais notamment dans la partie australe de la mer du Sud, de faire toutes recherches des deux frégates Françoises La Boussole et L’Astrolabe, commandées par M. de la Pérouse, ainsi que de leurs équipages, de même que toute perquisition qui pourroit constater leur existence ou leur naufrage ; afin que dans le cas où M. de la Pérouse et ses compagnons seroient trouvés ou rencontrés, n’importe en quel lieu, il leur soit donné toute assistance, et procuré tous les moyens de revenir dans leur patrie, comme d’y pouvoir rapporter tout ce qui seroit en leur possession ; l’Assemblée nationale prenant l’engagement d’indemniser et même de récompenser, suivant l’importance du service, quiconque prêtera secours à ces navigateurs, pourra procurer de leurs nouvelles, ou ne feroit même qu’opérer la restitution à la France, des papiers et effets quelconques qui pourroient appartenir ou avoir appartenu à leur expédition ;

Décrète en outre, que le Roi sera prié de faire armer un ou plusieurs bâtimens, sur lesquels seront embarqués des savans, des naturalistes et des dessinateurs, et de donner aux commandans de l’expédition la double mission de rechercher M. de la Pérouse, d’après les documens, instructions et ordres qui leur seront donnés, et de faire en même temps des recherches relatives aux sciences et au commerce, en prenant toutes les mesures pour rendre, indépendamment de la recherche de M. de la Pérouse, ou même après l’avoir recouvré ou s’être procuré de ses nouvelles, cette expédition utile et avantageuse à la navigation, à la géographie, au commerce, aux arts et aux sciences.


Collationné à l’original, par nous président et secrétaires de l’Assemblée nationale. A Paris, ce 24 Février 1791. Signé Duport, président ; Lioré, Boussion, secrétaires.


MÉMOIRE DU ROI,


Pour servir d’Instruction particulière au sieur Bruny-Dentrecasteaux, chef de division des Armées navales, commandant les frégates la Recherche et l’Espérance.
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Sa Majesté ayant fait armer au port de Brest les frégates la Recherche, commandée par le sieur Dentrecasteaux, chef de division des armées navales, et l’Espérance, par le sieur Huon de Kermadec, major de vaisseau, pour aller à la recherche des frégates la Boussole et l’Astrolabe, expédiées du port de Brest le 1er août 1785, sous les ordres du sieur de la Pérouse, chef d’escadre des armées navales ; elle va faire connoître au sieur Dentrecasteaux, à qui elle a donné le commandement en chef desdites frégates la Recherche et l’Espérance, le service qu’il aura à remplir dans l’expédition importante dont elle a confié la conduite à ses talens et à son expérience.

Le principal objet du voyage est de rechercher les bâtimens du sieur de la Pérouse, dont le sort est ignoré depuis le 10 mars 1788, qu’ils ont quitté Botany-Bay, à la côte orientale de la Nouvelle-Hollande. Mais, comme cette première vue n’exclut pas celles qui peuvent être relatives à l’accroissement des connoissances humaines et des découvertes utiles, il a été embarqué sur les frégates la Recherche et l’Espérance, des savans et des artistes en état de remplir les divers objets d’utilité qui doivent rendre cette campagne intéressante pour toutes les nations : les bâtimens ont été munis des instrumens d’astronomie et autres nécessaires pour assurer la justesse des observations astronomiques et des expériences de tout genre qui peuvent être faites à la mer et dans les pays qui seront visités ; et il a été pourvu d’ailleurs à tout ce qui peut, en facilitant les divers travaux auxquels chacun doit se livrer, préparer le succès d’un voyage de recherches et de découvertes.

La réunion de ces deux plans à exécuter dans une même campagne, exige que la présente Instruction soit divisée en plusieurs parties ou chapitres.

La première contiendra l’itinéraire présumé, ou le projet de navigation.

La seconde traitera des opérations relatives à l’astronomie, à la géographie, à la navigation, à la physique et aux différentes branches de l’histoire naturelle ; et elle réglera les fonctions des astronomes, physiciens, naturalistes, ingénieurs et artistes employés dans l’expédition.

La troisième prescrira au sieur Dentrecasteaux la conduite qu’il devra tenir avec les peuples sauvages et les naturels du pays qu’il aura occasion de visiter ou de reconnoître.

La quatrième enfin lui indiquera les précautions qu’il devra prendre pour conserver la santé des équipages.


PREMIÈRE PARTIE.
Itinéraire, ou Plan de navigation.

La nature de la mission dont le sieur Dentrecasteaux est chargé, exigeant qu’habituellement les deux frégates sous ses ordres naviguent de compagnie et à portée de se voir, afin que, dans des événemens imprévus, elles puissent se prêter un mutuel secours, il aura soin, avant de prendre la mer, de remettre au sieur Huon de Kermadec, qui commande la seconde frégate, les signaux de jour, de nuit et de brume, qu’il jugera à propos de régler, afin que, dans tout temps, les deux capitaines puissent se faire des questions et se communiquer réciproquement leurs observations et leurs remarques. Il arrêtera pareillement, après avoir pris lecture de la présente Instruction, les points de rendez-vous qu’il jugera à propos de fixer en cas de séparation, pour les différentes époques de la campagne.

Quoiqu’en général les frégates ne doivent pas se séparer, cependant, dans la vue d’accélérer les opérations, sa Majesté s’en remet à la prudence du sieur Dentrecasteaux, lorsqu’il aura à faire la reconnoissance de quelque archipel ou d’une longue suite de côte, pour faire visiter une partie de la côte ou des îles par la seconde frégate, tandis que lui-même s’occupera d’en reconnoître l’autre partie.

Le sieur Dentrecasteaux appareillera de la rade de Brest, aussitôt que toutes ses dispositions seront achevées.

Il pourra relâcher à Funchal, dans l’île de Madère, pour s’y procurer quelques barriques de vin, qui devront être réservées pour en donner aux malades dans les derniers mois de sa navigation, avant de toucher à l’Ile-de-France. Si, comme l’éprouva le sieur de la Pérouse, il trouvoit que les vins fussent à un prix trop haut dans la première île, il relâcheroit à Sainte-Croix de Ténériffe, où il pourroit s’en pourvoir à un prix modéré. Il aura soin, dans l’une et l’autre de ces relâches, de maintenir ses équipages dans la plus exacte discipline ; et il veillera à ce qu’il ne soit manqué, en aucune manière, aux égards dus aux nations amies chez lesquelles on est reçu.

Si le sieur Dentrecasteaux juge que la relâche de la Praya dans l’île de Sant-Yago, l’une des îles du Cap-Vert, peut être utile pour remplacer l’eau et le bois qui auront été consommés et s’y procurer quelques rafraîchissemens, il est autorisé à y relâcher.

De ce point, ou de sa dernière relâche, il fera route pour se rendre au Cap de Bonne-Espérance. Cette navigation lui est trop connue pour qu’il soit nécessaire d’entrer dans aucun détail : il observera seulement que, si les circonstances s’y prêtent, il serait intéressant, pour la sûreté des bâtimens qui font la même navigation, qu’il pût reconnoître la petite île Saint-Mathieu, qui fut découverte pour la première fois en 1448, et qui a été vue de nouveau, en 1525 par le capitaine Portugais Garcia de Loaes ou Loaysa.

La position de cette île est très-incertaine. On peut croire qu’elle est située vers 2 degrés de latitude Sud, et 10 degrés de longitude occidentale du méridien de Paris. Le célèbre capitaine Cook regrette, dans un de ses voyages, de n’avoir pas pu se mettre à portée de la déterminer. Il existe aussi dans le voisinage de la Ligne, entre 2 degrés de latitude Nord et 2 degrés Sud, et entre 20 et 25 degrés de longitude occidentale, une petite île de sable et des hauts-fonds, vus à différentes époques par divers capitaines de la compagnie Françoise des Indes orientales. Comme le sieur Dentrecasteaux est pourvu de tous les instrumens qui peuvent fixer avec précision les positions géographiques, il est fort à desirer que, soit en allant, soit à son retour, il puisse faire usage de ces moyens pour placer avec certitude sur la carte, des îles et des écueils qui embarrassent la navigation dans cette partie.

Aussitôt que le sieur Dentrecasteaux sera rendu au Cap de Bonne-Espérance, il s’occupera de remplacer les vivres, l’eau et le bois qui auront été consommés pendant la traversée ; et il mettra les deux frégates, à l’égard des provisions de bouche, sur le même pied qu’elles étoient à leur départ de Brest. Il pourvoira au paiement de ses divers achats par des lettres de change qu’il tirera sur les régisseurs généraux des vivres de la marine, pour la partie qui les concerne, et par des traites sur le trésorier de la marine, pour les autres objets de dépense auxquels la relâche des deux frégates aura pu donner lieu.

Le sieur Dentrecasteaux connoît trop de quelle importance il est pour le succès de ses opérations, de mettre à profit l’été de l’hémisphère méridional, pour que sa Majesté ne regarde pas comme superflu de lui faire aucune recommandation à cet égard : elle est donc assurée qu’il ne séjournera dans la baie de la Table que le temps absolument exigé pour que les deux frégates puissent y être pourvues de tout ce qui sera jugé nécessaire pour leur navigation ultérieure.

C’est en partant du Cap de Bonne-Espérance, que le sieur Dentrecasteaux va commencer à s’occuper de l’objet principal de sa mission, c’est-à-dire, de la recherche des bâtimens expédiés sous les ordres du sieur de la Pérouse. Et afin de lui présenter pour cette recherche quelques points bien déterminés, du moins indiqués ou présumés, il va lui être donné connoissance du plan de navigation que le sieur de la Pérouse s’étoit proposé de suivre en quittant Botany-Bay.

« Je remonterai (dit-il) aux îles des Amis, et je ferai absolument tout ce qui m’est enjoint par mes instructions, relativement à la partie méridionale de la Nouvelle-Calédonie, à l’île de Santa-Cruz de Mendaña, à la côte du Sud des terres des Arsacides de Surville, et à la terre de la Louisiade de Bougainville, en cherchant à connoître si cette dernière fait partie de la Nouvelle-Guinée, ou si elle en est séparée. Je passerai à la fin de juillet (1788) entre Ia Nouvelle-Guinée et la Nouvelle-Hollande, par un autre canal que celui de l’Endéavour, si toutefois il en existe un. Je visiterai, pendant les mois de septembre

 » et
et une partie d’octobre, le golfe de la Carpentarie, et toute la côte occidentale de la Nouvelle-Hollande, jusqu’à la terre de Diémen ; mais de manière, cependant, qu’il me

soit possible de remonter au Nord assez tôt pour arriver au commencement de décembre (1788) à l’Ile-de France. »

Tels sont les points que le sieur de la Pérouse se proposoit de parcourir : tels sont ceux sur lesquels le sieur Dentrecasteaux doit diriger ses recherches. Mais, comme celui-ci fait son départ du Cap de Bonne-Espérance, et que le premier a dû partir de Botany-Bay, le sieur Dentrecasteaux ne doit pas s’astreindre à suivre dans sa marche l’ordre que le sieur de la Pérouse s’étoit proposé dans ses découvertes.

Il peut, en quittant le Cap de Bonne-Espérance, faire route directement pour la Nouvelle-Hollande, et attérir sur le cap le plus occidental de la terre de Leeuwin [Lionne], du nom du vaisseau Hollandois qui en fit la découverte en 1622 : mais il trouvera quelque avantage à reconnoître, pendant cette traversée, les îles d’Amsterdam et de Saint-Paul, dont il vérifiera et assurera la position ; et, en mouillant devant la première île, à sa côte orientale, comme l’a fait en 1789 le capitaine Anglois John-Henry Cox, commandant le brig Mercury, il pourra, avec toute facilité, procurer à ses équipages et à ses états-majors quelques repas de poisson frais. Le capitaine Cox observa la latitude au mouillage, de 38° 42’Sud ; et, d’après d’autres observations, la longitude peut être de 74° 58’à l’Est de Paris. Si, en partant du Cap de Bonne-Espérance, il se mettoit de bonne heure sur le parallèle d’Amsterdam, il pourroit avoir occasion de vérifier l’existence et la position d’un danger qu’on dit avoir été découvert en 1749, et qui se trouve marqué sur la carte générale du troisième Voyage du capitaine Cook, à 350 lieues dans l’Est Sud-Est, un ou deux degrés Est du Cap. Il pourroit aussi vérifier, dans sa traversée, la position d’une roche à fleur-d’eau, qu’on suppose située à 29 degrés 10 minutes de latitude, vers le 100.e degré de longitude orientale, à environ 200 lieues de la terre d’Edel de la Nouvelle-Hollande.

Le sieur Dentrecasteaux verra, dans les extraits de journaux qui lui sont remis avec la présente Instruction, qu’en 1772 le sieur de Saint-Alouarn, commandant la flûte le Gros-Ventre, et revenant de la terre australe de Kerguelen, attérit sur la terre de Leeuwin ; qu’il y mouilla, mais que n’étant pas pourvu des instrumens nécessaires pour en fixer la position géographique, il ne put s’assurer si celle que lui a donnée la carte du Neptune oriental de d’Après est exacte, ou si elle a besoin d’être rectifiée : le sieur Dentrecasteaux le constatera par les moyens qui sont à sa disposition.

À partir de la terre de Leeuwin, on voit une côte courant vers 1 Est-Nord-Est, à laquelle le capitaine Hollandois Pierre Nuytz, qui l’a découverte en 1627, a imposé son nom : c’est tout ce qu’on sait de cette partie de la Nouvelle-Hollande ; et la configuration qu’on lui a donnée sur la carte dressée pour le voyage du sieur Dentrecasteaux, étant empruntée des anciennes cartes Hollandoises, ne doit être considérée que comme une indication. Il est donc nécessaire que le sieur Dentrecasteaux examine et visite cette terre comme s’il en faisoit la première découverte. Cette partie de côte est terminée par deux groupes d’îles, sous les noms d’Iles Saint-Frangois et Iles Saint-Pierre, qu’on a placées entre le 31.e et le 32.e parallèle Sud, et sous le méridien de 130 degrés à l’orient de Paris.

De ces îles jusqu’à la partie méridionale de la terre de Van-Diémen, découverte pour la première fois par Abel Tasman en 1642, sur un espace qui comprend environ onze degrés et demi ou deux cent trente lieues en latitude, et douze degrés en longitude, tout est inconnu. Aucun navigateur n’a pénétré dans cette partie de mer : les découvertes et reconnoissances des Hollandois, des Anglois et des François, commencent toutes aux terres du Sud de Van-Diémen.

Le désir de compléter la description d’une île aussi vaste que la Nouvelle-Hollande, et que l’étendue de sa surface peut faire considérer comme une cinquième partie du monde, suffiroit sans doute pour engager le sieur Dentrecasteaux à en faire la reconnoissance dans le plus grand détail ; mais un motif plus pressant encore, l’espoir qu’il doit toujours conserver de découvrir la trace du sieur de la Pérouse, lui fera une loi de naviguer aussi près de la côte que l’état du vent et de la mer le lui permettra, afin que, si quelque signal étoit fait à terre, il ne pût échapper à sa vigilance. C’est dans cette même vue, et en même temps pour prendre une connoissance plus détaillée des ressources que cette côte peut offrir, des peuples qui l’habitent, des productions qui doivent lui être particulières, que le sieur Dentrecasteaux fera visiter, par les bâtimens à rames, toutes les places qui présenteront l’apparence d’une baie ou d’un port. Il doit être prévenu, et prévenir ses états-majors et équipages, que le sieur de la Pérouse avoit ordre de distribuer aux chefs des peuples qu’il visiteroit, et de déposer dans les îles et sur les terres inhabitées qu’il rencontreroit, des médailles d’argent et de bronze, portant d’un côté l’effigie du Roi, et sur le revers : Les frégates du Roi de France la Boussole et l’Astrolabe, commandées par MM. DE LA PÉROUSE et DE LANGLE, parties du port de Brest en 1785. Il recommandera qu’en mettant pied à terre dans les lieux où l’on abordera, il soit toujours fait une recherche exacte de ces médailles, et particulièrement aux endroits éminens et remarquables, où l’on sait qu’il est d’usage aux marins de déposer les actes qui constatent leur visite.

Après avoir terminé la découverte de la partie inconnue de la Nouvelle-Hollande, le sieur Dentrecasteaux pourra faire relâcher les frégates à la côte orientale de la terre de Diémen, qui offre plusieurs ports fréquentés par les navigateurs modernes, tels que la baie de l’Adventure, celle de Frédérick-Hendrikx et celle d’Oyster-Bay. Le capitaine John-Henry Cox mouilla dans cette dernière baie au mois de juillet 1789 ; il y fit de l’eau et du bois avec facilité, et ne quitta le mouillage que le 11 du même mois, sans que son bâtiment y ait couru aucun danger, quoiqu’il y ait séjourné dans le plein hiver de cette contrée.

Après que le sieur Dentrecasteaux, dans la relâche qu’il aura choisie, aura donné le temps nécessaire au remplacement de l’eau et du bois, et au repos dont les équipages pourront avoir besoin, il fera route pour se rendre aux îles des Amis [Friendly-Iles] ; et il conviendra qu’il se dirige de manière à reconnoître le cap Maria-Van-Diémen de l’île de Eahei-No-Mawe, la plus septentrionale de celles de la Nouvelle-Zéelande. Ce point, ayant été déterminé par les observations faites dans le premier voyage du capitaine Cook et rectifié dans le second, peut être regardé, pour la traversée que le sieur Dentrecasteaux aura à faire, comme un point de comparaison et de vérification à employer utilement pour constater le mouvement journalier et la régularité des horloges et des montres marines. Ce point est par 34° 27’ de latitude Sud, et à 169° 35’à l’orient du méridien de Paris, ainsi qu’il le verra dans l’analyse de la carte qui a été dressée pour son voyage.

Le sieur Dentrecasteaux est assuré de trouver aux îles des Amis toute facilité pour se procurer, au moyen des échanges, les vivres frais et les rafraîchissemens qui pourront le mettre en état de poursuivre sa route. La fertilité de ces îles, le caractère sociable et hospitalier de leurs habitans, l’engageront sans doute à y faire quelque séjour, et à profiter de cette relâche, dont les avantages sont reconnus, pour faire à ses bâtimens les réparations qu’une longue navigation dans un climat chaud aura rendues nécessaires.

Le sieur Dentrecasteaux est prévenu que le sieur de la Pérouse a ajouté à l’archipel des îles des Amis le groupe de Vavao, situé dans le Nord-Nord-Est du premier ; que le capitaine Espagnol D. Maurella, commandant en 1781 la frégate Princesa, a pareillement découvert des îles fertiles et peuplées de naturels affables, lesquelles paroissent tenir à l’archipel des Amis ; et qu’enfin en 1789 le capitaine Blight, traversant de l’Est à l’Ouest le grand Océan équatorial, dans la chaloupe que la trahison et la révolte de son équipage lui avoient laissée pour unique ressource, découvrit, dans le Nord-Ouest de l’archipel des Amis, un groupe d’îles qui lui parurent considérables, entre lesquelles il passa, mais où sa déplorable situation, et plus encore le dénûment d’armes, ne lui permettoient pas d’aborder. Il seroit intéressant que le sieur Dentrecasteaux pût rectifier les positions de ces deux derniers groupes relativement à I archipel des Amis, et comprendre dans son travail les îles du Prince Guillaume, découvertes en 1642 par Abel Tasman, et vues de nouveau par le capitaine Blight, lesquelles paroissent devoir être placées entre les îles occidentales de Blight et celles des Amis, mais plus près des premières que des secondes. Il trouvera, dans la collection des cartes de d’alrymple, celle du capitaine Maurella, et dans le voyage de Blight, les détails de la navigation de cet intrépide marin.

Comme il paroît qu’une même nation a peuplé toutes ces îles, que leur sol est en général fertile, que les habitans y sont traitables et portés aux échanges, ce seroit procurer un grand avantage aux navigateurs qui traverseront cet Océan, que de leur faire connoître de nouveaux points de relâche : en multipliant leurs ressources, on les garantiroit, par l’effet de la concurrence, d’un surhaussement dans les prix des subsistances, qui deviendroit inévitable si l’ancien archipel des Amis concentroit dans lui seul tout le trafic des denrées.

En quittant ces archipels, le sieur Dentrecasteaux dirigera sa route sur la Nouvelle-Calédonie. Il pourra attérir sur l’île des Pins, située à la pointe du Sud-Est de la grande île. Comme la côte septentrionale-orientale de cette terre est connue par la reconnoissance qu’en a faite le capitaine Cook, et que le sieur de la Pérouse n’a pas dû la visiter, le sieur Dentrecasteaux ne cherchera point à la reconnoître, et se portera sur la côte occidentale-méridionale, qu’il explorera avec les mêmes précautions qui lui ont été prescrites pour celle de la Nouvelle-Hollande. Il s’assurera si la Nouvelle-Calédonie n’est qu’une seule île, ou si elle est formée de plusieurs.

II n’est pas probable que les vents permettent au sieur Dentrecasteaux de traverser, du Nord de la Nouvelle-Calédonie, à l’archipel du Saint-Esprit de Quiros : il seroit cependant à desirer qu’il pût vérifier la position de quelques petites îles que le capitaine Blight a découvertes à peu de distance dans le Nord-Est de la terre du Saint-Esprit, et qui paroissent avoir échappé au sieur de Bougainvillle et au capitaine Cook, lorsqu’ils ont fait la reconnoissance de cet archipel.

Peut-être même éprouvera-t-il quelque difficulté à se rendre de la Nouvelle-Calédonie à l’île de Santa-Cruz de Mendaña, dont le sieur de la Pérouse devoit reconnoître la côte méridionale, qui, jusqu’à présent, n’a été visitée par aucun navigateur. On a cependant lieu de présumer, d’après les relations des voyageurs modernes, qu’on éprouve, entre le tropique du Sud et la Ligne, des variations fréquentes dans les vents, et qu’avec ce secours on parvient en peu de temps à s’élever dans le Nord.

On est instruit, par le journal de Mendaña, qui a découvert l’île de Santa-Cruz en 1595, que la côte septentrionale est très-fertile et bien peuplée ; et il est à présumer que celle du Sud participe de ces avantages. Le sieur Dentrecasteaux trouvera, dans l’ouvrage intitulé, Découvertes des François dans le Sud-Est de la Nouvelle-Guinée, &c., la relation du séjour et de l’établissement que le général Espagnol avoir faits dans cette île. Le capitaine Carteret, en 1767, a éprouvé, de la part des habitans de la côte du Nord, l’opposition la plus décidée à toute espèce de communication et d’échanges. Le sieur Dentrecasteaux emploiera toutes les voies de prévenance et de douceur qui pourront lui concilier l’amitié des naturels de l’île ; et il est d’autant plus à souhaiter qu’il puisse tirer des subsistances de cette

terre,
terre, qui abonde en animaux et en fruits, que les îles qu’il aura postérieurement à visiter ne paraissent pas devoir lui présenter les mêmes ressources.

Les îles connues sous un nom qui semble annoncer la richesse et l’abondance, les îles de Salomon, ainsi nommées par Mendaña, qui en fit la découverte en 1567, ont été retrouvées en 1768 et 1769, par les sieurs de Bougainville et Surville ; et, en 1788, le lieutenant John Shortland en a reconnu les côtes méridionales. Le sieur Dentrecasteaux trouvera les relations de ces quatre voyages dans l’ouvrage intitulé Découvertes des François &c. ; il y verra combien il doit être en garde contre la perfidie des peuples qui occupent cet archipel : il ne peut employer trop de précautions pour se garantir de leurs trahisons. Il est cependant probable qu’en leur montrant des objets d’échange, dont ils paroissent avides, en leur imposant par l’appareil des armes Européennes, dont quelques-uns d’entre eux connoissent les effets, il pourra parvenir à s’y procurer des subsistances.

Les voyageurs François et Anglois qui font devancé dans la visite de ces terres, n’en ont reconnu que de loin les côtes septentrionales et méridionales. Il importe que le sieur Dentrecasteaux puisse vérifier le récit du voyageur Espagnol, qui avoit navigué entre quelques-unes des îles et avoit abordé à plusieurs ; et qu’il s’occupe à détailler cet archipel, dont il est d’autant plus intéressant d’acquérir une connoissance parfaite, qu’on peut avec raison le regarder

tome I.
e
comme une découverte des François, puisqu’il étoit resté ignoré et inconnu pendant les deux siècles qui s’étoient écoulés depuis que les Espagnols en avoient fait la première découverte.

Dans le Sud-Ouest des îles de Salomon, est une terre que le sieur de Bougainville, qui l’a découverte en 1768, a nommée Terre de la Louisiade. Il n’en reconnut que la partie méridionale ; et, à en juger par son récit, elle doit être fertile : mais on n’a aucune idée de son étendue vers le Nord. On est porté à croire que c’est un archipel de petites îles très-rapprochées les unes des autres. On ignore si ces terres tiennent à la Nouvelle-Guinée ; on n’a pas connoissance qu’aucun navigateur ait passé dans l’Ouest de la Louisiade : on sait seulement qu’en 1787, la frégate Américaine l’Alliance, après avoir vu les côtes méridionales des îles Salomon, reconnues depuis par le lieutenant Shortland, passa à l’Ouest de l’île Bouka de Bougainville ; et il ne paroît pas que cette frégate ait aperçu aucune terre dans le voisinage de celle de la Louisiade. Il resteroit donc entre cette terre et la Nouvelle-Bretagne de Dampier, un espace de mer libre, qui ne seroit tout au plus occupé que par quelques petites îles éparses. La reconnoissance exacte que le sieur Dentrecasteaux doit faire de cette partie, dissipera tous les doutes.

En poursuivant sa route vers l’Ouest, de nouvelles terres s’offriront à ses recherches : elles n’entroient point dans le plan de campagne que le sieur de la Pérouse se proposoit d’exécuter ; mais comme le sieur Dentrecasteaux se trouvera dans le voisinage de ces terres, on ne doit pas laisser échapper une occasion si favorable pour en faire faire la reconnoissance.

Il s’agit de la partie méridionale de la Nouvelle-Guinée. Un seul point est déterminé, le cap Walsh, que les observations du capitaine Cook ont fixé. On a quelques notions très-imparfaites sur une portion de côte située à l’Est de ce cap ; mais on ne sait point si cette partie forme une île détachée, ou si elle se relie à la masse de la Nouvelle-Guinée. La portion de côte de cette grande île, qui est située au Nord des îles Arrou, a été aperçue : mais on n’en connoît pas l’étendue ; et l’on ignore pareillement si, après avoir formé un golfe profond, elle vient se rejoindre aux terres du cap Walsh. La partie située au Sud du détroit de Dampier n’est pas mieux connue : enfin l’on peut dire que tout est à connoître, tout est à faire ; et le sieur Dentrecasteaux aura rendu un service important à la navigation, si ses observations et son travail peuvent compléter la reconnoissance de la Nouvelle-Guinée.

En quittant cette terre, le sieur Dentrecasteaux reprendra la suite du plan du sieur de la Pérouse.

Il visitera, en conséquence, le golfe de la Carpentarie, la côte du Nord, du Nord-Ouest et de l’Ouest de la Nouvelle-Hollande, jusqu’à la terre de Leeuwin, sur laquelle il avoit attéri quand il étoit entré en découverte.

Si la situation de ses vivres exigeoit une relâche, il pourroit, après avoir visité le golfe de la Carpentarie et la côte du Nord, faire voile pour l’île de Timor, où il trouvera des facilités à se procurer de l’eau, du bois et des rafraîchisscmcns ; et il reprendra ensuite la visite de la côte du Nord-Ouest et de l’Ouest. Quelque parti qu’il prenne, il ne doit pas négliger de vérifier la position d’une petite île de sable et de roche que Dampier a vue et visitée à deux reprises différentes, et qui est située, selon lui, dans le Sud-Ouest de l’île Timor.

On n’a que les notions les plus confuses sur toute la partie de la Nouvelle-Hollande qui s’étend depuis le détroit de l’Endéavour jusqu’à la rivière Guillaume : mais, de ce point jusqu’à l’île Rottenest, la côte de l’Ouest, découverte en 1616 par le vaisseau de Hollande Eendragt [la Concorde] sous le commandement de Dirk-Hertoge, reconnue en 1696 par trois vaisseaux de la compagnie Hollandoise des Indes orientales, commandés par W. Vlaming, visitée depuis par Dampier, par Pelsart et par d’autres navigateurs, est beaucoup mieux connue que les précédentes ; et il suffira, après avoir mouillé dans la baie de Sharks [des Chiens marins], de déterminer les latitudes et les longitudes des principaux points de cette côte.

C est ici que se termineront les recherches que le sieur Dentrecasteaux aura à faire pour parvenir à découvrir, s’il est possible, la trace des frégates parties de Botany-Bay, sous les ordres du sieur de la Pérouse. Mais, si ces bâtimens ont été engloutis par les flots, si la mer n’en a rapporté aucun débris sur ces plages, si le sieur Dentrecasteaux doit renoncer au but si désiré, vers lequel tous ses efforts auront tendu, il jouira du moins de la satisfaction et de la gloire d’avoir infiniment contribué au perfectionnement de la géographie, et à l’accroissement des connoissances humaines ; et, en assurant la navigation dans des mers jusqu’à présent trop peu fréquentées pour être bien connues, il aura ouvert de nouveaux canaux au commerce des nations Européennes, et aura acquis un droit éternel à leur reconnoissance.

Mais, si la fortune du sieur de la Pérouse lui a fait trouver un asile sur quelque terre qui ne lui ait présenté aucune ressource pour en sortir, et que la main de la Providence y conduise les frégates la Recherche et l’Espérance, sa Majesté n’a point à recommander au sieur Dentrecasteaux de donner aux malheureux François que la mort auroit épargnés, tous les secours qu’ils auront à attendre de l’humanité de leurs frères.

Si cette heureuse rencontre avoit lieu dans les premiers temps de ses recherches, il expédieroit la seconde frégate pour transporter à l’Ile-de-France le sieur de la Pérouse et tous les hommes qui auroient survécu au naufrage ; et il indiqueroit au sieur Huon de Kermadec, qui commande ce bâtiment, l’époque et le lieu du rendez-vous où les deux frégates devroient se réunir. Le sieur Dentrecasteaux apprendroit du sieur de la Pérouse quelle partie du dernier plan de ses opérations celui-ci avoit pu executer ; et, si ses journaux et ses cartes avoient échappé à la perte des bâtimens, le sieur Dentrecasteaux jugeroit lui-même de ce qu’il lui resteroit à faire pour terminer l’ensemble des découvertes et des reconnoissances qui lui sont indiquées par la présente Instruction.

Mais si la rencontre ne se faisoit que lorsque le sieur Dentrecasteaux sera fort avancé dans ses recherches, il distribuera sur ses deux frégates tous les hommes qu’il auroit recueillis ; et, en faisant route pour se rendre à l’Ile-de-France, il exécuteroit la partie de ses instructions qui pourroit se concilier avec le nouvel ordre de choses.

Dans la supposition ou le sieur Dentrecasteaux seroit revenu une seconde fois à la terre de Leeuwin de la Nouvelle-Hollande, et auroit terminé toutes ses reconnoissances, il pourroit faire voile de ce point pour se rendre directement à l’Ile-de-France. Mais comme on doit prévoir qu’après une si longue navigation, et à la suite des fatigues qui en sont inséparables, ses équipages auront besoin de repos et de rafraîchisscmens, et ses bâtimens de réparations et de rechanges ; sa Majesté l’autorise à relâcher à Batavia, où il pourra se rendre facilement en partant de la pointe Sud-Ouest de la Nouvelle-Hollande. Il s’occupera, dans cette traversée, de fixer l’incertitude qui est restée sur la vraie position des roches Trials et de l’îie Cloates.

De Batavia, il se rendra à l’Ile-de-France. Il examinera si, dans ce trajet, il lui est possible de prendre connoissance de la petite île de Juan de Lisboa, dont l’existence ne paroît plus douteuse, mais dont la position géographique est toujours très-incertaine.

Le sieur Dentrecasteaux trouvera à l’Ile-de-France, où sa Majesté a donné ordre qu’on les rassemblât, tous les vivres et les agrès qui pourront être nécessaires pour mettre les deux frégates sous ses ordres, en état, de tous points, de faire leur retour en Europe.

Il pourroit, dans cette dernière traversée, contribuer encore au perfectionnement de l’hydrographie, en s’occupant de la recherche des îles Marseven et Denia, du cap de la Circoncision, découvert en 1739 par Lozier-Bouvet, et de quelques îles sur sa route, telles que Gough, Alvarès, Tristan da Cuñha, Saxembourg, dos Picos, &c., qui, étant marquées sur toutes les cartes, occasionnent, par l’incertitude de leur vraie position, des embarras et des retardemens dans la navigation de l’Océan Atlantique méridional. Il trouvera dans les Notes géographiques relatives à cet Océan, les indications qui peuvent lui faciliter la recherche de ces îles.

Le plan qui vient d’être tracé des recherches que le sieur Dentrecasteaux aura à faire dans le cours de son expédition, n’ayant pour but que de présenter dans un certain ordre et de classer tous les objets dont il est à desirer qu’il puisse s’occuper, sa Majesté n’a point entendu qu’il dût assujettir sa marche à ce plan, qu’il ne doit regarder que comme un projet : elle lui donne au contraire toute autorisation pour, toutes les fois qu’il le jugera avantageux, intervertir l’ordre indiqué pour ses opérations, lequel doit être soumis aux circonstances de sa navigation, à l’état de ses équipages, de ses vivres, de ses bâtimens, ainsi qu’aux événemens du voyage, et aux accidens qu’il est impossible de prévoir. C’est donc au sieur Dentrecasteaux lui-même, d’après son expérience et la connoissance qu’il a des vents régnans et des vents périodiques de chaque parage, de régler les époques auxquelles il croira devoir exécuter telle ou telle partie de ses instructions ; de déterminer, suivant ses lumières, la route qu’il lui conviendra le mieux de suivre pour se porter plus rapidement d’un point à un autre ; de fixer le nombre, le temps, le lieu et la durée de ses relâches ; d’abandonner même l’exécution de telle opération indiquée par ses instructions, s’il croyoit le pouvoir sans nuire essentiellement à l’objet principal de sa mission. Sa Majesté prescrit seulement au sieur Dentrecasteaux de combiner sa navigation et ses séjours dans les ports, de manière qu’à compter de son départ de Brest, la durée entière du voyage n’excède pas trois années,

Il reste à faire connoître au sieur Dentrecasteaux quelques dispositions générales qui n’auroient pu être insérées dans l’itinéraire sans en interrompre la suite et l’ensemble.

Si, dans le cours de l’expédition, il rencontre à la mer quelque vaisseau appartenant à une autre puissance, il en agira vis-à-vis du commandant de ce bâtiment, avec toute la politesse et la prévenance établies et convenues entre les nations policées et amies ; et s’il en rencontrait dans quelque port appartenant à un peuple considéré comme sauvage, il se concerteroit avec le capitaine du vaisseau étranger, pour prévenir sûrement toute dispute, toute altercation entre les équipages des deux nations, qui pourroient se trouver ensemble à terre, et pour se prêter un mutuel secours, dans le cas où l’un ou l’autre seroit attaqué par les naturels du pays.

Dans la reconnoissance et la visite qu’il fera de la Nouvelle-Hollande, de la Nouvelle-Calédonie, des îles de Santa-Cruz de Mendaña, des îles de Salomon ou Arsacides de Surville, de la terre et des îles de la Louisiade, il examinera soigneusement si ces terres, situées dans la zone torride, participent, par leurs productions, des avantages des contrées de l’Amérique placées sous les mêmes latitudes ; et, sans s’arrêter aux rapports toujours exagérés que les anciens navigateurs Espagnols ont faits de la fertilité et de la richesse de quelques-unes des îles qu’ils ont anciennement découvertes dans ces parages ; sans ajouter foi à ce que les relations du temps nous ont transmis des trésors que les Hollandois, après leurs voyages au Nord de la Nouvelle-Hollande, ont rapportés dans leur patrie, il tâchera de juger par lui-même si l’on peut espérer que ces pays ouvriront quelque jour une nouvelle carrière au commerce des Européens.

Il étudiera le climat et les productions en tout genre des pays où il abordera ; il cherchera à connoître les mœurs et les usages des naturels, leur culte, la forme de leur gouvernement, leur manière de faire la guerre, leurs armes, leurs bâtimens de mer, le caractère de chaque nation, ce qu’elle peut avoir de commun avec d’autres nations sauvages et avec les peuples civilisés, et principalement ce que chacune offre de particulier et de caractéristique.

Dans les îles et sur les côtes où ii a connoissance que des Européens ont abordé avant lui, il tâchera de savoir si les naturels du pays ont fait une distinction entre les différentes nations qui les ont visités, et de démêler quelle opinion ils peuvent avoir de chacune d’elles en particulier. Il examinera quel usage ils ont fait des diverses marchandises, des métaux, des outils, des étoffes, et des autres objets que les Européens leur ont laissés ; et si les graines d’Europe qu’on peut y avoir semées, ou les arbustes et plantes qu’on y auroit précédemment transportés, y ont prospéré et fructifié.

Il s’informera si les bestiaux et les autres animaux que le capitaine Cook et d’autres navigateurs ont déposés sur quelques-unes des îles, y ont multiplié ; quelles graines, quels légumes y ont le mieux réussi ; quelle méthode les insulaires ont pratiquée pour les cultiver, et à quel usage ils en ont employé le produit. Par-tout enfin, il vérifiera ce qui a été rapporté dans les relations des voyageurs qui l’ont devancé ; et il examinera avec le plus d’attention ce qui lui paroitra avoir échappé à l’observation de ses prédécesseurs.

Dans les îles et dans les ports des continens occupés ou fréquentés par les Européens, il fera avec prudence, et autant que les circonstances et la durée de ses séjours le lui permettront, toutes les recherches qui pourront le mettre en état de connoître, avec quelque détail, la nature et l’étendue du commerce de chaque nation, les forces de terre et de mer qu’entretiennent celles qui y ont des établissemens fixes, les relations d’intérêt ou d’amitié qui peuvent exister entre elles et les chefs et naturels des pays où elles ont été reçues ; enfin il observera par-tout, et recueillera avec soin tout ce qu’il peut être utile ou intéressant de connoître.

Quant aux opérations relatives au perfectionnement de la géographie et à l’accroissement de nos connoissances en physique et en histoire naturelle, sa Majesté va lui expliquer comment doivent être employés les savans, ingénieurs et artistes embarqués sous ses ordres, et l’usage qu’il aura à faire des moyens remis à sa disposition, pour remplir les autres objets de la mission qui lui est confiée.

II.e III.e IV.e et V.e PARTIES.


Nota. Ces parties sont les mêmes que les II.e, III.e IV.e et V.e parties des Instructions données à la Pérouse, dont le Voyage, que Ion peut consulter, est entre les mains de tout le monde.


Sa Majesté ne pouvoit donner au sieur Dentrecasteaux une marque plus distinguée de la confiance entière qu’elle a dans ses talens, son courage et sa prudence, qu’en le chargeant de la conduite d’une expédition qui, en satisfaisant au vœu de l’humanité par la recherche des bâtimens aux ordres du sieur de la Pérouse, présente une occasion de perfectionner la description du globe, et d’accroître les connoissances humaines. Sa Majesté est persuadée que le sieur Dentrecasteaux remplira cette tâche honorable avec ce zèle éclairé qu’il a développé si utilement pour l’État, dans le service de l’armée navale, dans les dangers d’une navigation nouvelle dont il eut la conduite en 1785, et dans le gouvernement d’une grande colonie.


LETTRE DU MINISTRE DE LA MARINE[2],
Au sieur DENTRECASTEAUX.
Paris, 13 Septembre 1791.


Les Instructions particulières que le Roi vous a fait expédier, Monsieur, ont dû se renfermer dans des généralités sur ce qui concerne l’emploi des naturalistes embarqués sur les deux frégates sous vos ordres ; et sa Majesté n’a pu que s’en remettre à vous pour régler leurs fonctions respectives, suivant les circonstances, et selon la connoissance que vous avez de la prédilection que chacun d’eux peut avoir pour telle ou telle branche de la vaste science qui fait l’objet de leur étude et de leurs recherches. Elle vous a seulement recommandé d’éviter les doubles emplois, afin de multiplier les moyens d’étendre les progrès de la science. Dans le nombre des naturalistes n’est point compris le jardinier : les fonctions de celui-ci sont de semer, dans les terres où vous aborderez, les graines d’Europe qui paroîtront devoir y prospérer, et d’indiquer, autant qu’il le pourra, aux naturels du pays, la manière de les cultiver et de les multiplier. Les productions qui peuvent fournir à la subsistance de l’homme, doivent fixer particulièrement son attention. La culture des plantes ou arbustes utiles qu’il sera possible de transporter en nature dans nos climats, doit être particulièrement confiée à ses soins ; et ce seroit rendre un service important à nos colonies, que de leur procurer l’arbre à pain, et d’autres productions nutritives particulières aux îles du grand Océan : vous les déposeriez à l’Ile-de-France, où elles pourroient être cultivées et multipliées, pour être ensuite transplantées dans nos îles de l’Amérique. Le jardinier doit, au surplus, seconder de tout son zèle les recherches des naturalistes ; et ses fonctions se trouvent nécessairement subordonnées aux fonctions de ceux-ci, qu’une étude approfondie a dû mettre en état d’apprécier l’utilité qu’on peut retirer de chaque production en particulier.

Les naturalistes doivent pareillement avoir inspection sur le travail des dessinateurs, lorsqu’il s’agit de dessiner les plantes, les arbres, les animaux de différentes espèces et tous les objets qui tiennent à l’histoire naturelle ; et je suis persuadé que ceux-ci sentiront eux-mêmes que leurs ouvrages dans ce genre ne peuvent obtenir la perfection qu’ils doivent être jaloux de leur procurer, qu’autant que les naturalistes leur auront indiqué les parties caractéristiques et distinctives de chaque objet qu’il importe le plus de faire remarquer et de détailler.

A l’égard des astronomes et des ingénieurs-hydrographes, leurs fonc­tions respectives sont indiquées par la nature même de leur emploi : les premiers doivent fournir aux seconds les positions géographiques qu’ils ont déterminées par leurs observations ; et ceux-ci doivent y assujettir les plans des côtes qu’ils auront eu occasion de lever.

Je pense, Monsieur, que ces explications, qui ne pouvoient être comprises dans vos instructions, ne laisseront aucun doute sur les fonc­tions que les personnes embarquées extraordinairement sous vos ordres, auront à remplir. Je me persuade que chacun, concourant avec un zèle égal au succès de votre voyage, s’oubliera personnellement, pour ne s’occuper que de ce qui peut contribuer à la gloire de la nation et à l’accroissement des connoissances humaines.


J’ai l’honneur, &c.
ÉTAT NOMINATIF


Des Officiers, Savans et Artistes embarqués sur les frégates la Recherche et l’Espérance, aux ordres de M. Dentrecasteaux.


La Recherche
MM. Bruny-Dentrecasteaux Chef de division, commandant l’expédition, fait contre-amiral le 30 septembre 1791.
Lieutenans.


d’Hesmivy-d’Auribeau…………Fait capitaine de vaisseau.
De Rossel.
De Crétin
la Fresnaye de Saint-Aignan.
Singler de Welle.
Willaumez.

Chirurgien major.


Renard.

Aumônier.


Ventenat.………….. Chanoine régulier, naturaliste.

Élèves et Volontaires.


Mérite……………… Volontaire, fait enseigne.
Achard de Bonvouloir… Élève, fait enseigne.
De Longuerue………… Élève, fait enseigne.


Forestier
De Lambert (Henri)
Deslacs (Hippolyte)

Faits volontaires.
Ingénieur, Savans, Artiste et Jardinier.


Beautemps-Beaupré ........ Ingénieur-hydrographe.

L'abbé Bertrand .......... Astronome, débarqué au Cap de Bonne-Espérance



La Billardière ...........
Deschamps ................

Naturalistes.


Piron .................... Dessinateur.
La Haye .................. Jardinier-botaniste.


L’ESPÉRANCE.

MM.

Huon de Kermadec Major de vaisseau, commandant, fait capitaine le 30 septembre 1791.


Lieutenans.


Denis de Trobriand
La Seinie
La Grandière
De Luzançay
La Motte du Portail
Le Grand

Chirurgien major


Joanet

Aumônier


Pierson ................................ Bénédictin, astronome.


Élèves et Volontaires.


Leignel ............
Jurien.................

Volontaires, faits enseignes.


De Boynes ............. Élève, fait enseigne.
Filtz ................. Fait volontaire.

Ingénieur, Savans et Artiste.


Jouvency………………… Ingénieur-géographe.
Riche……………………… Naturaliste.

Blavier……………… Naturaliste, débarqué au Cap de Bonne-Espérance.
Ély…………………… Dessinateur, débarqué au Cap de Bonne-Espérance.


L’équipage de chaque frégate étoit composé ainsi qu’il suit :
Maître d’équipage 1.
Officiers mariniers 7.
Maître canonnier 1.
Aides canonniers 3.
Capitaine d’armes 1.
Soldats canonniers de la marine 11.
Maître charpentier 1.
Aide charpentier 1.
Matelot charpentier 1.
Maître calfat 1.
Aide calfat 1.
Matelot calfat 1.
Maître voilier 1.
Aide voilier 1.
Matelot voilier 1.
Chef de timonerie, faisant les fonctions de commis aux revues 1.
Seconds pilotes 2.
Second chirurgien 1.
Maître armurier 1.
Maître forgeron 1.
Matelots de manœuvre 33.
Novices 7.
Commis aux vivres 1.
Gens du munitionnaire 4.
Domestiques 8.
-
Nombre des hommes composant l’équipage 92.

Nota. Les frégates la Recherche et l’Espérance étoient des gabares ou bâtimens de transport à trois mâts, du port de cinq cents tonneaux, tirant treize pieds et demi d’eau. Elles étoient armées de six canons de huit livres de balle, en batterie, et de deux caronades de vingt-quatre sur les gaillards.

TABLE
Table
Des Pièces contenues dans les deux volumes du Voyage de Dentrecasteaux.




Tome premier.
Préface 
 Page V. »
Décret de l’Assemblée nationale, concernant l’expédition relative à la recherche de M. de la Pérouse 
 XVII. »
Mémoire du Roi, pour servir d’Instruction particulière au sieur Bruny-Dentrecasteaux, chef de division des armées navales, commandant les frégates la Recherche et l'Espérance 
 XIX. »
Lettre du ministre de la marine au sieur Dentrecasteaux 
 XLIV. »
État nominatif des officiers, savans et artistes embarqués sur les frégates la Recherche et l’Espérance 
 XLVI. »


Voyage de Dentrecasteaux.
Chapitre premier.

Objet de l’expédition.Départ de Brest, le 29 septembre 1791.—Traversée de Brest à l’île de Ténériffe.Ordre de service réglé pour le cours de la campagne.Attérage et séjour à Ténériffe.Traversée de Ténériffe au Cap de Bonne-Espérance.Route à tenir pour se rendre au Cap en partant d’Europe.Arrivée au Cap, le 17 janvier 1792.... I.


Chapitre II.

Séjour au Cap de Bonne-Espérance. —Dépêches de M. de Saint-Félix , commandant la station de l’Inde, qui contiennent des indications relatives à

Tome I.
g
L
Table des pièces.

M. de la Pérouse.Raisons qui me font changer le plan de campagne prescrit par mes instructions, pour me rendre aux lieux indiqués dans ces dépêches

Page 19.
Chapitre III.
Départ du Cap de Bonne-Espérance, le 16 février 1792.—Raisons qui me déterminent à me rendre aux îles de 1’Admiralty, en passant au Sud de la Nouvelle-Hollande.—Reconnaissance et aspect de l’île d'Amsterdam.—Arrivée et mouillage à la terre de Van-Diémen, le 21 avril 1792..
36.
Chapitre IV.
Description du port du Nord.—Découverte de la partie méridionale d’un canal dont l'entrée est au fond de la baie où les frégates ont pris leur premier mouillage.—Départ du port du Nord.—Navigation dans le canal nouvellement découvert. — Sortie de ce canal
54.
Chapitre V.

Départ de la terre de Van-Diémen, le 28 mai 1792. — Reconnaissance de la côte occidentale de la Nouvelle-Calédonie et des ressifs qui s’étendent dans le Nord-Ouest de cette île. — Vue des îles Hammond et du cap Satisfaction. — Reconnaissance des îles de la Trésorerie, de la côte occi­dentale de l’île Bougainville et de l’île Bouka. — Arrivée au havre Carteret, le 17 juillet 1792. — Séjour dans ce havre.

101.
Chapitre VI.

Départ du havre Carteret, le 24 juillet 1792. — Reconnoissance de la côte méridionale de la Nouvelle-Hanovre, des îles de l'Admiralty, de plusieurs îles situées au Nord de la Nouvelle-Guinée, et d’une partie delà côte Nord de cette dernière terre. — Passage dans le détroit de Sagewien et dans les Moluques. — Arrivée a Amhoine, le 6 septembre 1792.

128.
Chapitre VII.

Réflexions générales sur le gouvernement d’Amboine. — Productions de cette île. —Commerce. — Religion. — Population

155.
Chapitre VIII.

Départ d’Amboine, le 13 octobre 1792. — Reconnoissances d’une partie de la côte occidentale de l'île Timor, des îles Savu et de la partie de côte de la terre de Nuitz située à l’Ouest de la baie de l’Espérance. — Mouil­lage à la baie de l’Espérance, le 9 décembre 1792

Page 167.
Chapitre IX.

Séjour dans la baie de l’Espérance. — Reconnoissance des îles et des ressifs dont cette baie est environnée. — Excursions faites dans le pays

183.
Chapitre X.

Départ de la baie de l’Espérance, le 17 décembre 1792. — Reconnoissance d’une partie de la côte de la terre de Nuitz, située à l’Est de la baie de l’Espérance. — Mouillage au port du Sud, terre de Van-Diémen , le 21 janvier 1793

213.
Chapitre XI.

Séjour au port du Sud. — Entrevue avec les habitans de la terre de Van-Diémen. — Réflexions générales sur les mœurs et le caractère de ce peuple. — Navigation dans le canal situé a la partie méridionale de la terre de Van-Diémen

228.
Chapitre XII.

Sortie du canal situé à la partie méridionale de la terre de Van-Diémen, le 21 février 1793 Relâche à la baie de l’Adventure. — Reconnoissances des îles des Trois-Rois, de la partie septentrionale de la Nouvelle-Zéelande et des îles Kermadec. — Arrivée à Tongatabou, le 29 mars 1793.

259.
Chapitre XIII.

Séjour dans le havre de Tongatabou, du 29 mars au 9 avril 1793. — Récit des principaux événemens arrivés pendant cette relâche

276.
g 2
Chapitre XIV


M. de la Pérouse n'a pas relâché aux îles des Amis. — Conjectures sur la forme du gouvernement et sur l’ordre de la succession au trône. — Caractère des habitans. — Leurs mœurs et leurs usages. — Description de l’île Tongatabou. — Observations sur la culture du sol de cette île
Page 300.
Chapitre XV.
Départ du havre de Tongatabou, le 9 avril 1793. — Reconnoissance des îles Tanna, Annatom et Erronan. — Découverte des îles Beaupré. — Arrivée dans le havre de Balade. — Séjour dans ce havre, du 18 avril au 9 mai. — Récit des principaux événemens qui y ont eu lieu
324.
Chapitre XVI.
L’on n'a pas trouvé, à Balade, de traces du passage de M. de la Pérouse. — Caractère des habitans. — Leurs mœurs et leurs usages
347
Chapitre XVII.
Départ de Balade, le 9 mai 1793. — Reconnoissance de la partie orientale des écueils qui se prolongent dans le Nord-Ouest de la Nouvelle-Calédonie. — Reconnoissance de l’île Santa-Cruz
362
Chapitre XVIII.
Reconnoissance de la partie méridionale de l’archipel des îles Salomon, du 25 mai au 8 juin 1793
381
Chapitre XIX.
Reconnoissance de la partie septentrionale de l’archipel de la Louisiade, et de la partie Sud-Est de la Nouvelle-Guinée, du 11 au 29 juin 1793. — Passage par le détroit de Dampier. —Reconnoissance de la partie septen­trionale de la Nouvelle-Bretagne, du 29 juin au 8 juillet 1793
403
Chapitre XX.

Navigation au Nord de la Nouvelle-Guinée. — Mort du contre-amiral

Dentrecasteaux, le 20 juillet 1793. — Relâche au havre de Boni. —Séjour dans ce havre, du 18 au 27 août.
Page 440.
Chapitre XXI.
Départ du havre de Boni , île Waigiou , le 27 août 1793. — Relâche à Cajeli, port de l’île Bourou, du 3 au 25 septembre. — Réflexions générales sur les mœurs des habitans de l’île Bourou
463.
Chapitre XXII.
Départ de Cajeli, port de l’île Bourou, le 15 septembre 1793. — Navigation dans le détroit de Boutoun , du 22 septembre au 9 octobre. — Arrivée à Sourabaya, le 27 octobre
479


Tables de la route de la Recherche pendant les années 1791, 1792, i793
521.

Vocabulaire de la langue d’une des peuplades de la terre de Van-Diémen

552.
Vocabulaire de la langue des habitans des îles des Amis
557.
Vocabulaire de la langue des habitans de la Nouvelle-Calédonie.
573.
Vocabulaire de la langue des habitans de l’île Waigiou
585.
Appendice.


Exposé des méthodes employées pour lever et construire les cartes et plans qui composent l’atlas du Voyage du contre-amiral Bruny-Dentrecasteaux
593.
Chapitre premier.


Des opérations faites sous voiles pour lever les cartes hydrographiques
594.


Des routes estimées
601.


Des reconnoissances faites en canot
603.
Chapitre II.


Méthode particulière pour construire les plans hydrographiques
Page 612.


Des sondes
ibid.
Journal des opérations nautiques
633.
Observations des marées, &c,
645.
Résultat des observations des marées , &c,
651.
Chapitre III.


Analyse de la construction de la carte de l’archipel de Santa-Cruz
657.
Table des matières du premier volume
686.
Tome II.
Préface
I.
Discussions et résultats des observations astronomiques.
Chapitre premier


Des instruments employés pour les observations
I.
ʃ. I. Du cercle répétiteur astronomique de Borda
2.
ʃ. II. Du cercle répétiteur à réflexion à l'usage des marins
7.
ʃ. III. Montres marines
13.
ʃ. IV. Description de la boussole d'inclinaison, construit par M. le Noir
14.
ʃ. V. Manière de se servir de la boussole d'inclinaison
17.
ʃ. VI. De la tente astronomique
21.
Chapitre II
Recherches sur les erreurs provenant, soit de l’instrument, soit de l’observation, soit des tables ; et moyens de les corriger ou de les réduire
Page 24.
§. I. Angles horaires
27.
§. II. De la latitude par la hauteur méridienne d’un astre
36.
§. III. De la latitude par deux hauteurs prises hors du méridien.
52.

§. IV. De l’observation de l’azimuth et de celle de l’amplitude du soleil,

pour connoître la déclinaison de l’aiguille aimantée
172.
§. V. Longitudes par les distances de la lune au soleil &c
176.
§. VI. Longitudes par les montres marines
207.

§. VII. Manière de combiner les longitudes par les distances de la lune &c.

avec les différences en longitude des montres marines
230.

§. VIII. Longitudes que donnent les occultations d’étoiles par la lune, et

les éclipses des satellites de Jupiter
242.
§. IX. Des relèvemens
249.
Explication des tableaux contenant les observations &c
267.
Idem des observations faites à terre
272.


à la mer
279.


Tableaux
Contenant les observations astronomiques
Observations faites à Brest
286.
—— de Brest à Sainte-Croix
289.
—— à Sainte-Croix
290.
—— de Sainte-Croix au Cap de Bonne-Espérance
292.
—— au Cap de Bonne-Espérance
298.
—— du Cap , au port du Nord terre de Van-Diémen
301.
Observations faites au port du Nord
Page 311.
—— du port du Nord, terre de Van-Diémen, à Amboine
323.
—— à Amboine
377.
—— d’Amboine au port de l’Espérance terre de Nuytz
411.
—— au port de l’Espérance
437.
—— du port de l’Espérance, au port du Sud terre de Van-Diémen.
442.
—— au port du Sud
462.
—— du port du Sud, terre de Van-Diémen, à Tongatabou
482.
—— à Tongatabou
795.
—— de Tongatabou a Balade
508.
—— à Balade, Nouvelle-Calédonie
518.
—— de Balade au havre de Boni
528.
—— à Boni, île Waigiou
587.
—— de Boni à Cajeli
591.
—— à Cajeli, île Bourou
597.
—— de Cajeli à l’île Boutoun
603.
—— pendant la navigation du détroit de Boutoun
608.
—— sur l’île Boutoun
613.
—— de Boutoun à Sourabaya
617.
—— à Sourabaya
626.


Table analytique des matières du second volume
651.


Rapport du Bureau des longitudes sur les discussions et les résultats des

observations astronomiques
689.


FIN DE LA TABLE DES PIÈCES.


VOYAGE

VOYAGE

DU CONTRE-AMIRAL

DENTRECASTEAUX.


CHAPITRE PREMIER.
Objet l’expédition. — Départ de Brest, le 29 Septembre 1791. — Traversée de Brest à l’île de Ténériffe. — Ordre de service réglé pour le cours de la campagne — Attérage et séjour à Ténériffe. — Traversée de Ténériffe au Cap de Bonne-Espérance. — Route à tenir pour se rendre au Cap en partant d’Europe. — Arrivée au Cap, le 17 Janvier 1792.

1791. septembre. Nommé pour commander l’expédition dont l’objet étoit de rechercher M. de la Pérousse, je me rendis à Brest, où je trouvai les frégates la Recherche et l’Espérance, destinées à cette expédition. M. Huon de Kermadec, commandant l’Espérance, avoit dirigé leur armement avec toute l’intelligence et l’activité dont il étoit capable.

M. de la Pérousse, parti de Brest en 1785, sur les frégates la Boussole et l’Astrolabe, pour un voyage de découvertes dans la mer du Sud, 1791. Septembre. avoit relâché, le 26 janvier 1788, à Botany-Bay, d’où l’on avoit reçu la suite des mémoires d’après lesquels son Voyage a été publié ; mais depuis ce dernier envoi l’on n’avoit eu aucune nouvelle de M. de la Pérouse. L’objet de notre campagne étoit de suivre la route qu’il devoit tenir à son départ de Botany-Bay, et de visiter toutes les côtes qu’il devoit explorer, pour retrouver, s’il étoit possible, et rendre à leur patrie M. de la Pérouse et ceux de ses infortunés compagnons qui auroient pu échapper à leur désastre.

Afin que le voyage entrepris pour sa recherche devînt utile et avantageux à la navigation, à la géographie, au commerce, aux arts et aux sciences, on avoit embarqué sur les deux bâtimens, des astronomes, des naturalistes, des ingénieurs-géographes et des dessinateurs distingués chacun dans leur partie.

Le Gouvernement avoit pourvu les bâtimens des instrumens nécessaires pour les observations astronomiques : il y avoit à bord de chaque frégate,

1.° Un cercle astronomique répétiteur de Borda, exécuté par M. le Noir ;

2.° Plusieurs cercles à réflexion du même artiste ;

3.° Un compas azimuthal ;

4.° Une boussole d’inclinaison, inventée par Borda, et construite de manière à donner l’inclinaison de l’aiguille aimantée et a faire des expériences sur la durée de ses oscillations ; 5.° Une montre marine de M. Louis Berthoud ; 1791. Septembre.
6.° Une lunette astronomique pour observer les éclipses des satellites de Jupiter.

J’avois reçu l’ordre de mettre à la voile aussitôt que les bâtimens seroient prêts à partir et que les vents me le permettroient. D’après cela nous eûmes très-peu de temps pour faire des observations astronomiques et connoître la variation diurne de la montre n.° 14. Les 26 et 27 septembre, on a observé des hauteurs correspondantes du soleil ; on a trouvé que son retard sur le temps moyen, dans vingt-quatre heures, étoit de 6″9, et que le retard absolu sur le temps moyen de Paris étoit, le 27 septembre à midi, de oh o’ 16″5. L’intervalle de temps écoulé entre ces observations est trop court pour que ce résultat puisse avoir une extrême précision ; mais je n’ai pas cru devoir retarder mon départ, parce que l’exactitude qu’on peut lui supposer, m’a paru suffisante pour la sûreté de la navigation, et pour pouvoir attérir sur l’île de Ténériffe, dont la longitude est bien connue, et où je devois aborder après une courte traversée.

L’inclinaison de l’aiguille aimantée, observée à Brest, étoit de 71° 30’ vers le Nord, et la durée d’une oscillation infiniment petite de 2"02.

Dans la matinée du 29 nous passâmes la revue ; et à une heure après midi, nous sortîmes de la rade de Brest, avec un beau temps et des vents d’Est joli frais.

Le 30, étant au large et hors de vue de toutes les terres, j’annonçai aux officiers et aux équipages des deux frégates,

A 2
1791. Septembre. que le grade de contre-amiral m’avoit été accordé ; et je fis hisser le pavillon de distinction, qui fut salué par les deux équipages, suivant les formes usitées. Je fis connoître aussi à MM. Huon de Kermadec et d’Auribeau, qu’ils avoient

été promus au grade de capitaine de vaisseau.

Dès que nous fûmes en pleine mer, je réglai l’ordre de service qui devoit avoir lieu sur les frégates, relativement à la police intérieure, à la propreté et aux parfums, si nécessaires pour maintenir la santé des équipages. Je me conformai, à cet égard, aux règles établies par les célèbres navigateurs qui m’avoient précédé ; règles qui méritent d’autant plus de confiance, quelles ont été confirmées par l’expérience. Ainsi pendant tout le cours de la campagne, lorsque le temps pouvoit le permettre, le branle-bas devoit être fait à huit heures du matin ; la frégate devoit être nettoyée et parfumée aussitôt après le déjeûner de l’équipage, et les hamacs n’être mis en place qu’à l’heure du souper.

Parvenus dans les parages où l’on n’a plus à craindre de mauvais temps, je fis mettre l’équipage à trois quarts, afin de procurer aux hommes qui le composoient, un sommeil non interrompu de huit heures par jour : cet ordre de service me mit dans le cas de les obliger à passer toute la journée sur le pont, et me parut très-propre à entretenir parmi eux un exercice continuel qui, sans les fatiguer, devoit contribuer à les maintenir en santé.

Octobre.12. Le 12 octobre, à onze heures trois quarts, nous eûmes connoissance du pic de Ténériffe ; à midi il restoit au S. 12°O du Monde. La latitude observée étoit alors de 29° 6’N. La 1791. Octobre. longitude conclue du relèvement du pic étoit de 18° 43’15", qui, comparée à la longitude obtenue par la montre n.° 14, se trouvoit plus orientale de 7’ 26".

Le 3 octobre à midi, nous étions sur le parallèle de 45° 46’de latitude Nord, et sur le méridien de 10° 20’41" de longitude orientale. La longitude par la montre n.° 14 étoit d’un demi-degré plus foible que la longitude estimée, et sembloit indiquer un courant qui avoit emporté le vaisseau dans l’Est de vingt-un milles en quatre jours, ou de cinq milles, c’est-à-dire, de près de deux lieues par jour. Depuis le 3 octobre jusqu’au 12 à midi, le courant a constamment été dirigé vers le Nord ; la différence entre la latitude estimée et la latitude observée chaque jour, a été souvent de 9' et quelquefois de 16'.

Le 13, à neuf heures et demie du matin, nous mouillâmes 13. dans la rade de Sainte-Croix. M. de Fonspertuis, consul de France, est venu à bord aussitôt que les frégates ont été à l’ancre. Je le priai de nous fournir, en vin de Ténériffe, de quoi remplacer le vin qui avoit été consommé pendant notre traversée, et d’envoyer chaque jour, à bord des frégates, des vivres frais en bœuf et en légumes, pour deux repas. Les raisins étoient alors en grande abondance, et j’en fis distribuer tous les jours aux équipages. Je me suis cru suffisamment autorisé à leur procurer cet agrément, par la nature des travaux qu’ils alloient entreprendre, et par la longueur de la campagne, qui devoit multiplier les fatigues qu’une nourriture saine les 1791. Octobre. mettroit à portée de supporter avec plus de force et de courage.

J’ai pris soin de faire donner aux naturalistes les choses dont ils avoient besoin pour faire des excursions dans l’île, et pour se rendre au pic de Ténériffe, où ils desiroient de monter, et jusqu’au sommet duquel ils se proposoient d’étendre leurs recherches. J’ai choisi en même temps un emplacement propre à faire des observations astronomiques pour régler les montres marines. Je ne saurois trop me louer du zèle de M. le consul ; il a fourni à tous les besoins de l’expédition, et a secondé les desirs des astronomes et des naturalistes, avec un empressement qui mérite notre reconnoissance. Le gouverneur général étoit absent de l’île ; le gouverneur particulier n’étoit pas à Sainte-Croix : mais le lieutenant de roi, sans avoir reçu aucun ordre relatif à nous, a parfaitement rempli les vues de la cour d’Espagne, et il a été au-devant de tous nos désirs. Le 23 octobre, les différens objets des demandes que j’avois faites, étoient remplis, et nous étions prêts à mettre à la voile.

Je ne parlerai pas du gouvernement de cette île, des mœurs de ses habitans, de sa population, ni de ses relations de commerce avec l’Espagne et les autres nations de l’Europe qui fréquentent ses ports ; on sait que le vin qu’elle produit, est le seul objet qui puisse entretenir son commerce. Quant aux autres objets, l’île a été décrite trop en détail par ceux qui y ont fait un long séjour, pour que des voyageurs qui ne l’ont vue, pour ainsi dire, qu’en passant, puissent rien ajouter à ce que les premiers en ont dit.

Pendant la relâche, les naturalistes firent le voyage du 1791. Octobre. pic de Ténériffe, qu’ils avoient projeté, et ils commencèrent leurs collections, qu’ils ont enrichie dans toutes les parties qui peuvent fixer l’attention des savans.

La montre n.° 14 de M. Louis Berthoud a été réglée par des hauteurs absolues du soleil, observées avec le cercle répétiteur de Borda ; elle retardoit sur le temps moyen, de 8"9 en vingt-quatre heures. Son retard absolu sur le temps moyen de Paris, le 21 octobre, dernier jour des observations, étoit de oh 2’55″26, à 9h 25’52″ temps vrai de Ténériffe. La longitude de l’observatoire qui avoit été établi dans une des maisons de la ville, à une très-petite distance au Nord 47° 30’Ouest du môle, est de 18° 39’3" ; elle ne diffère que de 3’de la longitude moyenne qui résulte des déterminations de MM. de Fleurieu, de Borda, et du père Feuillée, laquelle place le môle de Sainte-Croix par 18° 36’de longitude à l’occident de Paris. On doit attribuer à l’erreur du relèvement du pic de Ténériffe, la différence de 7’26" dont la longitude obtenue par ce relèvement plaçoit le vaisseau à l’Est de la longitude par la montre n.° 14. En effet, lorsque le relèvement a été pris, le pic de Ténériffe étoit éloigné de plus de vingt lieues ; et à cette distance, la plus légère erreur que l’on auroit pu commettre dans ce relèvement, devoit en produire une très grande sur la position du vaisseau.

Si on calcule la longitude en ayant égard à l’accélération du mouvement de la montre, qui a eu lieu pendant la traversée 1791. Octobre.précédente, la longitude de l’observatoire sera de 18° 43’ 30".

La déclinaîson de l’aiguille aimantée a été trouvée, à l’observatoire, de 21° 33’du Nord à l’Ouest : sur le môle, elle a été trouvée de 23° 43’; à bord de la Recherche, de 18° 7’. La différence considérable que les résultats des observations faites à terre donnent entre eux et avec le résultat des observations faites à bord de la frégate, pourroit bien être attribuée, ainsi que M. de la Pérouse l’a remarqué, à la nature ferrugineuse du sol de l’île de Ténériffe: en effet, si nous prenons comme terme de comparaison la déclinaison observée à bord de la frégate, où la direction de l’aiguille doit avoir été moins altérée par l’attraction du fer qui entre dans la composition du terrain de l’île ; nous trouvons que l’écart de la déclinaison de l’aiguille, observée dans l’une des maisons de la ville, et sur un lieu élevé au moins de 30 pieds au-dessus du sol, étoit moins considérable que l’écart résultant de l’observation faite sur le môle, lorsque la Boussole reposoit sur le terrain. Ce fait, que M. de la Pérouse avoit observé ainsi que nous, me fait penser que si l’on se sert de la boussole pour des opérations géodésiques, ou pour orienter un plan, il faut corriger les relèvemens avec une déclinaison obtenue sur le lieu même où ils ont été pris ; et pour l’usage de la navigation, il faut toujours se servir des résultats des observations faites à bord du vaisseau.

L’inclinaison de l’aiguille aimantée étoit, à l’observatoire, de 62° 25’vers le Nord; la durée des oscillations infiniment

petites,
petites, de 2″081 : on a lieu de croire que les attractions 1791. Octobre.

qui ont altéré la déclinaison de l’aiguille, ont dû produire le même effet sur son inclinaison. On doit aussi présumer que la durée des oscillations de l’aiguille a dû se ressentir des causes perturbatrices dont l’effet a été si sensible sur la déclinaison.

Nous appareillâmes le 23 octobre, par un vent très-foible, à l’aide d’un grelin amarré sur une corvette Angloise qui étoit venue mouiller en rade quelques jours auparavant. L’Espérance, qui appareilla sur ses ancres, fut entraînée vers la côte par la marée et une houle très-forte venant du large. Elle fut obligée de remouiller ; et ce n’est qu’à l’aide de ses bâtimens à rames qu’elle a pu sortir de la rade. À neuf heures et demie, elle nous avoit ralliés, et nous avons fait route.

Relèvement fait à midi,

Le pic de Ténériffe, au Nord 80° Ouest.

Le môle de Sainte-Croix, au Nord 8° Ouest.

Point de départ d’après les relévemens.

Latitude……………….. 28° 14′ N.

Longitude……………… 18° 39′ Occ.

Le 26 à midi, nous étions par 23° 33′de latitude boréale et 21° 55′de longitude occidentale, méridien de Paris. Les vents de Nord-Est et d’Est-Nord-Est ont été constans depuis notre départ de Ténériffe : les vents alizés qui soufflent de la même partie, nous ont conduits jusqu’au 9.e degré de latitude boréale.

1791. Novembre.
4.
Le 4 novembre à midi, la latitude étoit de 9° 6′ boréale, et la longitude par la montre n.° 14, de 20° 31′ à l’occident de Paris. Les vents alizés de la partie de l’Est-Nord-Est, qui avoient été encore assez frais la veille, sont tombés ; et le vent a varié du Sud-Sud-Ouest au Sud-Sud-Est en passant par le Sud. Nous sommes entrés dans la zone des vents variables et des calmes, qui sépare les vents alizés des vents généraux. Cette zone s’étend depuis le 8.e ou 9.e degré jusqu’au 2.e ou 3.e degré de latitude boréale, et peut avoir de cent à cent quarante lieues d’étendue du Nord au Sud : cette étendue est sujette à varier ; mais il est bien rare qu’elle se prolonge jusqu’à la Ligne, que l’on dépasse ordinaire­ment avec les vents généraux du Sud-Sud-Est joli frais. A mesure que nous avons fait des progrès dans le Sud, les vents du Nord-Est à l’Est ont diminué de force, et sont devenus plus rares : les vents de Sud-Sud-Ouest et de Sud ont été plus fréquens ; et lorsque nous nous sommes trouvés au milieu de la zone des calmes, les vents ont varié du Sud-Sud-Est au Sud-Sud-Ouest en passant par le Sud : mais ils ont été si foibles que les frégates constamment contrariées par une forte houle venant du Sud et du Sud-Sud-Est, ont eu de la peine à gagner au Sud, en faisant route au plus près du vent.

On doit regarder les vents du Sud foibles, et la houle qui vient de cette partie, comme la plus grande contrariété que peuvent éprouver les vaisseaux qui veulent passer au Sud de la Ligne ; car les calmes dont on a tant parlé, quoique fréquens, ne durent ordinairement pas plus de deux ou 1791. Novembre. trois heures : pendant tout le temps que nous avons mis à franchir ce passage difficile, il n’y a eu que deux circonstances où la durée de ces calmes ait pu être remarquée. Dans l’une, elle a été de cinq heures, et dans l’autre, de huit.

En général le calme a lieu entre le moment où les vents de l’Est ou de Nord-Est, variables au Nord-Nord-Ouest, finissent, et celui où les vents de Sud-Ouest variables au Sud-Est en passant par le Sud, commencent à souffler, ou bien à la fin de ces derniers. Ces changemens s’opèrent le plus souvent par des grains ou des orages, sur-tout lorsque le vent doit acquérir un degré de force suffisant pour faire cingler le vaisseau. Toutes les fois que le vent change et passe du Nord au Sud, ou du Nord-Est au Sud-Ouest et même au Sud-Sud-Est, par un beau temps, on ne doit pas espérer qu’il puisse gagner de la force et avoir de la durée ; ce ne sont généralement que des souffles légers appelés par les marins brises folles, lesquelles ne sont propres qu’à tenir le cap en route, en faisant faire au vaisseau un demi-nœud ou un nœud.

Il paroît que plus on s’approche de la côte d’Afrique, plus on éprouve de vents de Sud, variables au Sud-Sud-Ouest : lorsque l’on s’en tient à une certaine distance, les vents de Sud varient plus fréquemment au Sud-Sud-Est. C’est pour quoi je pense qu’il ne faut pas trop gagner à l’Est, et que la meilleure méthode est de couper le parallèle de 8° ou 9° de latitude boréale entre les 22.e et 23.e degrés de longitude à l’occident de Paris, afin de s’éloigner de la côte d’Afrique, 1791. Novembre. où les vents soufflent ordinairement du Sud à l’Ouest, et se font sentir très-loin de terre. Par la même raison, lorsque les vents sont directement au Sud, il vaut mieux prendre la bordée de l’Ouest-Sud-Ouest que celle de l’Est-Sud-Est.

Les vaisseaux qui choisissent la route la plus directe et qui passent entre les îles du Cap-Vert et la côte d’Afrique, doivent se tenir à égale distance des deux terres, et faire route droit au Sud, jusqu’à ce qu’ils parviennent à la zone des vents variables et des calmes, qui commencent au parallèle de 8° ou 9° de latitude boréale : ensuite ils doivent prendre la bordée la plus avantageuse pour gagner au Sud, et préférer de mettre le cap à l’Ouest-Sud-Ouest plutôt que de courir la bordée de l’Est-Sud-Est[3]. Les vaisseaux qui passeront à l’Ouest des îles du Cap-Vert, dirigeront leur route, après les avoir doublées, de manière à couper le parallèle déjà indiqué de 8° ou 9° de latitude boréale, entre 1791 Novembre les 22.e et 23.e degrés de longitude à l’occident de Paris ; ils manœuvreront ensuite de la même manière que les pré­cédens, pour gagner les vents généraux.

Nous avons éprouvé, dans ces parages, des chaleurs étouf­fantes, des orages très-fréquens et des pluies fort abondantes. Le concours de la chaleur et de l’humidité produit dans les entre-ponts des exhalaisons fétides, lesquelles annoncent une fermentation très-forte, et doivent faire craindre des fièvres intermittentes ou des maladies contagieuses, plus dangereuses encore. Nous sommes parvenus à écarter ces fléaux, en veil­lant d’une manière plus particulière à la propreté du vaisseau, en faisant le matin et le soir des fumigations dans l’entre-pont, et sur-tout en ayant la plus scrupuleuse attention à ce que les matelots qui avoient été exposés à la pluie quelquefois

[4] 1791. Novembre. six heures de suite, changeassent de vêtemens, à la fin de chaque quart. Cette précaution m’avoit paru si nécessaire, que je chargeai les officiers de quart de l’exécution de cet ordre. Je dois à leurs soins vigilans, et à l’exactitude avec laquelle mes intentions ont été remplies à cet égard, d’avoir évité les maladies qui ont souvent lieu dans cette traversée et que le capitaine Cook avoit éprouvées lui-même pendant ses deux premiers voyages, maladies dont il ne s’est préservé, dans le dernier, que par les mesures que nous avons prises à son exemple.

Quelques jours après notre départ de l’île de Ténériffe, nous avons vu des bonites et des thons nager autour du vaisseau ; ces poissons qui ont continué de l’accompagner, étoient en plus grand nombre lorsque le sillage du vaisseau devenoit plus considérable. On en prit une grande quantité à bord de l’Espérance ; ils ont procuré à son équipage un aliment sain, et propre à diminuer les rigueurs de la traversée. La pêche de La Recherche n’a pas été aussi abondante ; mais nous n’avons éprouvé aucun inconvénient par la privation de cette ressource, et les deux équipages étoient également en très-bon état.

La mer a été très-lumineuse dans les nuits sombres ; et nous avons été souvent à portée de remarquer les circonstances qui accompagnent ce phénomène. Plusieurs physiciens et naturalistes l’ont attribué à la présence de petits animaux lumineux, laissant échapper de leurs corps une matière huileuse qui surnage ; d’autres ont voulu l’attribuer uniquement à une matière qui auroit une analogie directe avec le fluide 1791. Novembre. électrique. Sans vouloir décider entre ces deux opinions, qui me paroissent également bien fondées, je crois qu’il seroit facile de les concilier ; car c’est toujours pendant les nuits les plus orageuses, lorsque le temps est le plus chargé d’électricité, que la mer brille avec le plus d’éclat : il me paroît que les deux causes réunies peuvent contribuer à produire ces beaux effets de lumière dont les navigateurs sont souvent frappés. Si le fluide électrique n’a pas la propriété de donner seul un pareil éclat aux eaux de la mer, au moins doit-il avoir celle d’augmenter l’intensité de la lumière des substances animales, auxquelles plusieurs ont voulu attribuer exclusivement ce phénomène. Dans la nuit du 14 au 15 novembre, par 5° 30′ de latitude boréale et 18° 30′ de longitude à l’occident de Paris, l’effet en a été remarquable au moment où un orage, qui paroissoit devoir être très-violent, commença d’éclater. Toute la partie de la mer qui étoit agitée par le vent, jetoit une lumière resplendissante et formoit une nappe de feu qui s’approcha du vaisseau avec l’orage, et qui bientôt l’environna de toutes parts. L’éclat de cette lumière ne fut pas de longue durée ; mais le sillage du vaisseau, ainsi que les traces des poissons qui nageoient le long du bord, furent très-brillans toute la nuit : en général, son éclat m’a paru toujours plus vif par un temps orageux, lorsque l’atmosphère est chargée de fluide électrique, que dans les circonstances où elle en contient une moins grande quantité.

Le 22 novembre, nous trouvant entre les parallèles du 22. 1791. Novembre. 3.e et du 4.e degré de latitude boréale, et le 18.e et le 19.e degré de longitude à l’occident de Paris, nous avions atteint la région des vents généraux.

28.Le 28 novembre nous passâmes la Ligne entre le 25.e et le 26.e degré de longitude occidentale.

Depuis Ténériffe jusqu’au 9.e degré de latitude boréale, et jusqu’au 20.e degré et demi de longitude à l’occident de Paris, les courans avoient porté la frégate presque constamment au Sud et à l’Ouest, mais avec peu de vitesse. Leur effet ne fut très-sensible que le 30 octobre, à l’entrée du canal formé par les îles du Cap-Vert et la côte d’Afrique, où ils entraînèrent le vaisseau de vingt-sept milles dans l’Ouest-Sud-Ouest en vingt-quatre heures.

Entre le 9.e et le 5.e degré de latitude boréale, c’est-à-dire, dans la zone des vents variables, les courans portèrent le vaisseau au Nord et à l’Est. Depuis le 5.e jusqu’au 3.e degré de latitude boréale, la direction des courans fut toujours au Nord ; mais elle commençoit à prendre de l’Ouest, et leur effet au Nord a diminué progressivement. Lorsque les vents géné­raux eurent commencé à souffler, comme nous l’avons dit, vers le parallèle du 3.e degré de latitude boréale, alors, les courans qui nous avoient portés dans l’Ouest, augmentèrent de force ; et ensuite ils s’affoiblirent, à mesure que le vaisseau faisoit des progrès en latitude. Les premiers jours que nous fîmes route avec ces mêmes vents, les courans portoient encore dans le Nord ; ensuite leur direction a toujours pris du Sud. Étant parvenus au parallèle du 28.e degré de latitude australe,

nous
nous éprouvâmes des vents variables, qui souffloient le plus 1791. Décembre.
20.

souvent au Nord et au Nord-Ouest. Depuis le 20 décembre, époque où nous nous trouvions sous ce parallèle, jusqu’a l’attérage du Cap de Bonne-Espérance, les courans ont assez constamment porté dans le Nord et dans l’Est ; de manière que la différence entre la longitude estimée et la longitude obtenue par la montre n.° 14, qui s’etoit élevée à 6° lorsque nous avions quitté les vents généraux, n’étoit plus que de 40’le 15 janvier, veille du jour où l’on a eu connoissance de la terre.

Le 16 janvier, à huit heures du matin, nous vîmes la 1792.
Janvier.
16.
terre, dans l’Est-Sud-Est. Les vents étoient au Nord-Nord-Est grand frais, la mer très-forte et le temps chargé. Je continuai jusqu’à dix heures la bordée qui nous approchoit de terre ; alors voyant qu’il nous étoit impossible de doubler la pointe occidentale de la baie de la Table, je pris la bordée du large. Pendant que l’on viroit de bord, l’on a observé des hauteurs absolues du soleil, pour avoir la longitude du vaisseau par la montre n.° 14 ; et on a relevé la pointe septentrionale de l’entrée du Hout-Baay, au Sud 74° Est, à trois lieues de distance. La longitude donnée par le relèvement étoit de 15° 40′ ; et la montre n.° 14 nous plaçoit par 14° 45′ : par conséquent, depuis le départ de Ténériffe, la montre donnoit une longitude trop foible de 55’, après une traversée de quatre-vingt-cinq jours.

Dans la soirée le vent se calma ; et toute la nuit il fut très-foible, ainsi que dans la matinée du jour suivant. Enfin, 1792.
Janvier.
17.
à l’aide d’un léger vent de Sud-Ouest, le 17 à deux heures du soir, nous entrâmes dans la baie de la Table. Nous avons mouillé à cinq heures un quart dans l’Ouest 19° Nord du bâton de pavillon situé le plus au Nord du fort, et dans l’Ouest 21° Sud de la croupe du Lion, par cinq brasses

d’eau, fond de sable vasart.
CHAPITRE II.

Séjour au Cap de Bonne-Espérance. —— Dépêches de M. de Saint-Félix, commandant la station de l’Inde, qui contiennent des indications relatives à M. de la Pérouse. —— Raisons qui me font changer le Plan de campagne prescrit par mes Instructions, pour me rendre aux lieux indiqués dans ces dépêches.


Le 18 janvier, au lever du soleil, nous saluâmes la place 1792.
Janvier.
18.
de neuf coups de canon ; le salut nous fut rendu par le même nombre de coups.

Le même jour, je descendis à terre, accompagné de plusieurs officiers. M. Rhénius, chargé du gouvernement de la colonie en l’absence de M. Van-de-Graff, a donné, par l’accueil distingué qu’il nous a fait, la preuve que les habitans du Cap n’avoient pas oublié les services importans qui leur avoient été rendus, par les escadres Françaises, pendant la dernière guerre. La résolution que le conseil de la régence avoit récemment prise, de rendre aux officiers supérieurs de la nation Françoise les mêmes honneurs qu’il rend aux officiers de la marine des États, étoit motivée sur la reconnoissance qu’ils dévoient à la France pour la conser­vation de leurs possessions. Je fus reçu par une députation 1792
Janvier
du conseil de la régence, qui m’a accompagné jusqu’au gouvernement, au milieu des troupes rangées sous les armes, et au bruit des canons de la place. S’il ne s’agissoit que de politesses personnelles ou de circonstance, je me tairois sur des particularités peu faites pour intéresser et fixer l’attention ; mais comme ces hommages ont été rendus à la nation entière, j’ai cru devoir les publier, afin de resserrer les liens qui unissent les deux peuples et qui n'ont jamais subsisté que pour leurs intérêts communs.

L’officier que j’avois envoyé pour prévenir le gouverneur de notre arrivée, me remit, à son retour, une dépêche que M. de Saint-Félix, commandant la station de l’Inde, avoit fait porter au Cap par une des frégates qui étoient sous ses ordres. Elle contenoit les dépositions de deux capitaines de bâtimens marchands François, qui, pendant leur séjour à Batavia, avoient vu le capitaine Hunter et les officiers de la frégate le Syrius perdue sur l'île de Norfolk. Ces dépositions portoient que le capitaine Hunter et les officiers Anglois venus avec lui de Botany-Bay à Batavia, sur un vaisseau Hollandois, , avoient aperçu, près des îles de l’Admiralty, des pirogues qui avoient donné des signes non équivoques de la communication des habitans de ces îles avec des Européens. Les insulaires aperçus dans ces pirogues, avoient offert à leurs yeux des uniformes et des ceinturons de soldats de la marine de France, qui leur avoient fait juger que ce ne pouvoit être que les dépouilles des équipages des deux frégates aux ordres de M. de la Pérouse. M. de Saint-Félix s’étoit empressé de me faire parvenir ces deux dépositions, qu’il 1792.
Janvier.
croyoit propres à m’éclairer sur l’objet le plus important de ma mission, sur celui que nous avions tous le plus à cœur de remplir. Je joins ici la copie de la lettre de M. de Saint-Félix, et celle des dépositions des deux capitaines.


Copie de la Lettre de M. de Saint-Félix , Chef de division des Armées navales, commandant la station des mers de l’Inde.


« J’apprends, Monsieur, par des lettres particulières, que vous ne comptez passer à l’Ile-de-France qu’au retour de l’importante expédition que vous allez entreprendre. Privé de l’espérance dont je m’étois flatté, d’avoir l’honneur de vous voir, je m’empresse de vous faire parvenir, au Cap de Bonne-Espérance, deux rapports relatifs à l’objet de votre mission, qui viennent de m’être faits par les capitaines de deux bâtimens François arrivant de Batavia.»

« Vous y verrez par quelle circonstance un bâtiment Hollandois, ayant à bord le commodore Hunter, commandant la frégate Angloise le Syrius, ainsi que son équipage, a vu, près des îles de l’Admiralty, dans la mer du Sud, des hommes couverts d’étoffes Européennes, et particulièrement d’habits qu’il a jugés être des uniformes François. Vous y verrez aussi que le commodore Hunter n’a pas douté que ce ne fût les débris du naufrage de M. de la Pérouse, qu’il avoit beaucoup vu à Botany-Bay. J’ai jugé, Monsieur, que la 1792.
Janvier.
connoissance de ces rapports devoit vous intéresser ; et je les ai trouvés assez importans pour me déterminer à vous les faire parvenir directement par une frégate que j’envoie au Cap uniquement pour cet objet. »

« M. Bolle, major de vaisseau qui la commande, y laissera ma dépêche, s’il ne vous y trouve pas, au chargé d’affaires de la nation, pour qu’elle vous soit remise à votre arrivée. Quoiqu’aucune connoissance officielle de votre expédition ne m’autorise à cette destination d’une frégate, je suis sûr de l’approbation de sa Majesté, dans le parti que j’ai pris à cet égard, autant par les considérations de l’intérêt public que par le vœu de mon cœur. Il vous étoit réservé, Monsieur, d’acquérir des droits à la reconnoissance de toute la nation, en acceptant le commandement d’une expédition qui honore également le souverain qui l’ordonne et le chef qui l’exécute. Quelle que soit, Monsieur, la route que vous fassiez, vous y serez suivi par mes vœux pour vos succès et par l’inviolable et parfait attachement avec lequel je suis, &c. »

 » Signé De Saint-Félix.
 » Au Port-Louis de l’Ile-de-France, le 9 novembre 1791. »
1792.
Janvier
Compte rendu par Pierre Magon de l’Épinay,


Capitaine du navire la Marie-Hélène, arrivant de Batavia, à M. de Saint-Félix, Chef de division des Armées navales, commandant la station des mers de l'Inde.

« Le commandant et les officiers de la frégate Angloise le Syrius, après le naufrage de cette frégate sur i’île Norfolk, ont été transportés à Botany-Bay, d’où ils sont partis sur un petit vaisseau Hollandois, qui les a apportés à Batavia, à la fin de septembre de cette année, après une traversée d’environ six mois.»

« Un ou deux jours après avoir doublé le canal Saint-Georges, ils ont eu de grand matin connoissance des deux îles de l’Admiralty, dont ils se sont trouvés très-près ; ils ont aussitôt sondé pour trouver le fond.»

« Ils ont vu partir de ces îles deux pirogues, contenant environ douze hommes qui n’ont pas voulu aborder le bâtiment, mais qui en ont approché de très-près.»

« II faisoit alors très-petit temps ; le bâtiment avoit contre lui un courant assez fort qui l'éloignoit de l’île ; d’ailleurs le capitaine Hollandois ne se soucioit point d’en approcher.»

« On a remarqué que deux des hommes qui étoient dans ces pirogues, avoient des ceinturons pareils à ceux que portent les officiers en Europe ; ils faisoient des signes comme s’ils eussent voulu se faire raser ; plusieurs d’entre eux avoient sur leurs habits des morceaux de drap rouge» 1792.
Janvier
et bleu, qui prouvoient qu’ils ont communiqué avec des Européens. »

« Comme avant son départ de Botany-Bay, le capitaine Hunter commandant le Syrius, avoit appris de M. De la Pérouse lui-même, que son projet étoit de passer par le canal Saint-Georges, les officiers de cette frégate sont tous persuadés qu’il aura inopinément rencontré ces îles, sur lesquelles il se sera perdu. »

« Je soussigné, certifie cette relation conforme à ce que j’ai recueilli des différentes conversations avec les officiers de la frégate le Syrius, arrivés à Batavia, après le naufrage de cette frégate, sur un petit vaisseau Hollandois, avec lequel je me suis trouvé dans le mois d’octobre.

« Ile-de-France, le 31 octobre 1791, au Port-Louis. »

Signé Magon-l’Épinay.


Compte rendu à M. de Saint-Félix, Chef de division des Armées navales, commandant la station des mers de l’Inde, par le capitaine Préaudet, commandant le navire le Jason, arrivant de Batavia.

« La frégate Angloise le Syrius, commandée par le commodore Hunter, expédiée pour la Nouvelle-Hollande, s’est perdue sur l’île de Norfolk, dans la mer du Sud, vers la fin de 1790. L’équipage a passé sur la corvette qui le suivoit dans sa mission, et s’est rendu à Botany-Bay, où le commodore Philips a frété un petit navire Hollandois pour

transporter
« transporter en Angleterre l’équipage naufragé, avec son 1792.
Janvier.
commandant, le commodore Hunter. »

« Parti de Botany-Bay sur ce bâtiment, et voulant toucher à Batavia, le commodore Hunter a été contrarié par les vents et les courans, et porté dans l’Est jusque par les 167° de longitude, méridien de Greenwich. Voulant passer par le détroit de Saint-Georges, il a eu connoissance des îles de l’Admiralty, situées par 147° de longitude du méridien de Greenwich, et 3° 25′ de latitude Sud. Près de l’île située le plus à l’Est, il a aperçu plusieurs bateaux remplis d’hommes couverts d’étoffes et de morceaux de draps Européens ; il y distingua même l’uniforme des troupes de la marine de France : ces gens faisoient, avec des pavillons blancs, le signe d’approcher. Le commodore Hunter en avoit le plus grand désir ; mais il lui fut impossible de l’effectuer, par la contrariété des courans, des vents, et le danger des écueils nombreux. »

« Le commodore Hunter avoit beaucoup vu, à Botany-Bay, M. de la Pérouse, avec lequel il s’étoit lié particulièrement ; il en avoit appris que son projet étoit de passer par le détroit de Saint-Georges, pour se rendre dans le Nord en sortant de Botany-Bay. Il ne doute pas que ce ne soit sur ces îles que se sont perdues l’Astrolabe et La Boussole, par l’effet des calmes et des courans violens qui régnent dans cette partie. Il m’a dit que lui-même avoit été porté à l’Est de six cents lieues en dix jours, par leur effet ; ce qui a été prouvé par des observations de longitude

Tome 1.
D

1792.
Janvier
« répétées, par les montres marines et la vue de terre. En un mot, le commodore Hunter, qui étoit à Batavia et que j’y ai vu dans le voyage que je viens d’y faire, ma paru intimement persuadé que les vêtemens d’Europe qu’il a aperçus dans les bateaux qui venoient des îles de l’Admiralty, sont les débris du naufrage des bâtimens aux ordres de M. de la Pérouse.»

« Le commodore Hunter est actuellement en route pour se rendre en Angleterre , d’où la cour de France recevra probablement de lui des détails plus circonstanciés à cet égard.»

« D’après ce que le commandant Anglois a éprouvé en approchant des îles de l’Admiralty, il croit qu’un bâtiment qui voudroit s’y rendre, devroit prendre la précaution de se mettre en latitude de très-bonne heure , pour éviter d’être dépouillé par les courans qui portent à l’Est avec une violence prodigieuse.»

»Fait au Port-Louis, Ile-de-France, le 6 octobre 1791.

» Signé Préaudet, capitaine du navire le Jason. »

Les détails circonstanciés de ces dépositions, joints au témoignage respectable du commodore Hunter, avoient fait juger à M. de Saint-Félix, qu’il pouvoit être impor­tant de m’en donner avis. Ces mêmes raisons avoient d’abord fait naître en moi l'espoir de retrouver des traces de M. de la Pérouse dans un endroit connu, et de pouvoir aller directement au secours d’infortunés pour qui chaque instant de retard équivaloit à un siècle de douleurs. Mais cette 1792.
Janvier.
satisfaction étoit cependant mêlée d’amertume. En effet, si l’on avoit vu les habitans des îles de l’Admiralty vêtus d’habits Européens, il étoit vraisemblable que les infortunés à qui ils appartenoient avoient péri dans un naufrage, et que ceux qui s’étoient échappés avoient été massacrés par les naturels du pays ; car, d’après la proximité où sont ces îles des établissemens Européens, il me paroissoit impossible que les équipages des deux bâtimens n’eussent pu parvenir à construire quelques embarcations et à se rendre aux îles Moluques, d’où l’on eût infailliblement et depuis long-temps reçu de leurs nouvelles.

Ces raisonnemens avoient d’autant plus de force, que nous avions des exemples fréquens de vaisseaux naufragés dont les équipages s’étoient sauvés dans des canots, et avoient abordé à des établissemens situés à une grande distance du lieu de leur naufrage. Blight avoit fait, en canot, le trajet des îles de la Société aux Moluques ; l’équipage de la Pandora, commandée par le capitaine Edward, s’étoit sauvé de même. Il étoit impossible de ne pas rapprocher des circonstances qui devoient avoir été les mêmes, et de ne pas regarder comme prouvé, qu’avec de l’eau et des vivres, même en petite quantité, on peut arriver enfin à quelques-uns des établissemens Européens. Les vents ne sont jamais assez violens entre les tropiques, dans toute l’étendue de la zone qui fait partie de l’océan Pacifique, pour faire courir de grands dangers à une chaloupe, ni même à un canot. 1792.
Janvier.
Aux craintes que m’avoient inspirées ces réflexions, succédèrent bientôt des doutes qui prirent leur source dans les dépositions elles-mêmes, et dans le peu d’accord qui règne entre elles. En effet, la seule conformité qu’on puisse y remarquer, est que le commodore Hunter et les officiers Anglois embarqués à bord du vaisseau Hollandois étoient persuadés que les morceaux d’étoffe bleus et rouges que portoient les insulaires dans leurs pirogues, ne pouvoient être que les lambeaux des uniformes des officiers et des soldats embarqués avec M. de la Pérouse. Les deux dépositions sont en contradiction sur les autres faits. Dans l’une, la chose la plus remarquable que l’on ait aperçue, est un uniforme des troupes de la marine de France ; dans l’autre, c’est un ceinturon. La première dit que les hommes qui étoient dans les pirogues, faisoient des signes comme s’ils eussent voulu se faire raser ; dans la seconde, il est dit très-précisément que ces gens faisoient, avec des pavillons blancs, le signe d’approcher. Il est difficile d’expliquer comment on n’est pas d’accord sur des choses aussi remarquables, que tout le monde doit avoir vues de très-près. En outre, il n’est pas possible de penser que, si la persuasion du commodore Hunter avoit été telle que les dépositions l’affirment, il n’eût pas insisté auprès du capitaine Hollandois, pour lui faire tenter de se rapprocher de terre, afin de sauver des malheureux dans une situation aussi déplorable, et remplir ainsi un des devoirs les plus sacrés de l’humanité.

Il est probable que les deux capitaines François ont mal entendu ce qui leur a été dit : car, dans la seconde 1792.
Janvier.
déposition, il se trouve une erreur qui est facile à relever, laquelle prouve que celui qui a fait la déposition n’entendoit pas parfaitement l’anglois, ou qu’on s’est mal exprimé en lui parlant françois. On affirme encore très-positivement, dans une de ces dépositions, que le commodore Hunter assuroit que lui-même avoit été porté à l’Est de six cents lieues en dix jours. Il est d’abord impossible qu’en venant de l’Est, on approche des îles de l’Admiralty avec des courans contraires aussi violens : en second lieu, il est certain qu’un courant de cette force, qui dure dix jours, et qui s’étend dans un espace de six cents lieues, est aussi lui-même impossible. Pour rendre ce fait plus probable, il faudroit lire six cents milles, qui font vingt lieues par jour, au lieu de soixante lieues, comme le porte la dépo­sition. Cette quantité est assez forte pour constituer un courant extraordinaire ; elle pourrait même être contestée, quand on assure que ce courant a eu lieu pendant un temps aussi considérable et dans un espace d’une aussi grande étendue : car le courant du canal de Bahama, qui est produit par l’écoulement de toutes les eaux qui vont se rendre dans le fond du golfe du Mexique, n’est pas de plus de trente lieues en vingt-quatre heures, dans la partie la plus étroite du canal.

Le commodore Hunter étoit dans la rade du Cap, à bord d’un bâtiment prêt à mettre à la voile pour se rendre en Europe, lorsque nous prîmes le mouillage : j’ai beaucoup 1792.
Janvier.
regretté qu’il n’y soit pas resté un jour de plus ; il auroit pu me donner lui-même des renseignemens, qui m’auroient déterminé sur le parti que j’avois à prendre. En effet, d’après les pièces officielles que j’avois entre les mains, son témoignage étoit le seul auquel je pusse déférer : mais malheureusement il est parti deux heures après mon arrivée.

J’ai cependant consulté des personnes qui s’etoient entretenues avec le commodore Hunter. Je me suis adressé à M.Rhénius, aux conseillers de la régence, et à M. Gordon, commandant des troupes, lesquels avoient été intimement liés avec lui : tous m’ont assuré qu’il avoit nié les bruits que les deux capitaines François avoient répandus à l’Ile-de-France, ainsi que les faits contenus dans les dépositions. Des témoignages aussi dignes de confiance auroient pu me déterminer à regarder comme fabuleux tout ce que les dépositions contenoient, et à continuer ma route, sans changer le plan de campagne qui m’avoit été prescrit par mes instructions. Mais la confiance quelles paroissoient avoir inspirée à M. de Saint-Félix et au gouverneur de l’Ile-de-France, qui s’étoient trouvés à portée de faire des questions aux deux capitaines venus de Batavia, et avoient pu juger de leurs réponses, me fit craindre de paroître m’être décidé trop légèrement sur un objet aussi important, d’où pouvoit dépendre l’existence de plusieurs de nos compatriotes, peut-être en proie au malheur le plus affreux. La connoissance de ces rapports avoit pu faire concevoir des espérances que l’on pouvoit croire fondées ; et je craignois qu’on me reprochât de n’avoir pas fait tous mes efforts pour découvrir les traces 1792.
Janvier.
de M. de la Pérouse, si je ne me dirigeois pas vers les lieux où l’on m’indiquoit que je pourrois le trouver lui ou quelques-uns de ses infortunés compagnons.

Ces dernières considérations l’ont emporté, malgré le peu d’espoir qui me restoit. Après avoir confronté les dépositions et malgré ce qui m’avoit été dit de l’opinion du commodore Hunter, je pris le parti de me rendre directement, en partant du Cap de Bonne-Espérance, aux îles de l’Admiralty. Cette nouvelle route n’avoit d’autre inconvénient que de changer l’ordre des recherches qui m’avoient été prescrites, sans me priver des moyens de remplir les autres articles de mes instructions. Je me déterminai à ce parti d’une manière invariable ; je choisis la route la plus directe, qui me faisoit traverser les îles Moluques et passer au Nord de la Nouvelle-Guinée. J’espérois pouvoir arriver assez à temps aux îles de la Sonde, pour profiter de la fin de la mousson de Nord-Ouest, et gagner les îles de l’Admiralty, peu après le reversement de la mousson. Une fois parvenu au détroit de la Sonde à la fin de mars, je pouvois me flatter de gagner assez dans l’Est avant le reversement de la mousson, pour atteindre les îles de l’Admiralty avec les vents variables qui ont lieu au commencement de chaque mousson, et avec les courans qui continuent à porter à l’Est un mois après que le vent de Sud-Est a commencé à souffler.

Afin de pouvoir mettre ce projet à exécution, je recommandai d’apporter la plus grande activité dans les travaux que notre navigation avoir rendus nécessaires. Je ne perdis 1792.
Janvier.
pas un moment pour m’occuper des approvisionncmens des frégates ; et je fis remplacer, dans cette fertile colonie, les articles consommés pendant notre traversée, afin de nous mettre en état de commencer nos opérations.

20, 21.Les 20 et 21, la force du vent de Sud-Est empêcha la communication avec la terre ; les instrumens ne purent être 22.transportés que le 22 janvier à l’observatoire, où l’on s’est occupé à vérifier la variation diurne des montres marines.

Pendant que l’on travailloit aux réparations du vaisseau, les naturalistes ont mis le temps à profit, et ont parcouru l’intérieur de cette colonie, où ils ont trouvé des objets propres à fixer leur attention, et à augmenter les collections qu’ils avoient commencées à Ténériffe. Je leur procurai des chevaux pour transporter leurs caisses et leurs effets, et des guides pour les conduire au lieu où ils avoient l’intention de pousser leurs recherches.

La conduite du gouvernement, pendant notre séjour, a répondu à l’accueil que nous y avions reçu : quoique la colonie fût menacée d’une disette, on nous a fourni, sans restriction, tous les genres d’approvisionnemens qu’une longue navigation rendoit nécessaires, et je n’ai pas éprouvé le plus léger retard. M. Rhénius, aux procédés les plus obligeans en qualité d’homme public, en a ajouté de particuliers qui ne méritent pas moins de reconnoissance : il a bien voulu nous prêter une excellente lunette, à l’aide de laquelle nous aurions pu multiplier les observations

astronomiques,
astronomiques, si les phénomènes célestes n’avoient pas été 1792.
Janvier.
aussi rares ; il a eu aussi la complaisance de me céder une

montre marine d'Arnold, pour remplacer une montre de Louis Berthoud que j’étois obligé de renvoyer en France, parce qu’elle avoit souffert dans le transport de Paris à Brest et quelle s'étoit arrêtée. La montre d'Arnold nous a été d’une grande utilité par La suite ; elle a servi à faire les obser­vations à terre et sur les gaillards, sans être obligé d’y trans­porter la montre n.° 14, à laquelle nous n’avons jamais touché que pour la comparer à la montre d'Arnold et pour la monter tous les vingt-quatre heures.

Le mauvais état de la santé de MM. Bertrand, astro­nome , Blavier, naturaliste, et Ely, dessinateur, les a forcés à prendre le parti de se séparer de nous et à quitter l’expédition.

M. Bertrand ayant donné sa démission, je confiai le soin des montres marines et la direction des observations astronomiques à M. Rossel, lieutenant de vaisseau, dont le zèle et la capacité m’étoient connus depuis long-temps. Il s’étoit formé aux observations astronomiques à l’observatoire de Paris ; et j’espérois qu’il pourrait présenter un travail digne de fixer l’attention. J’attachai à l’observatoire M. Willaumez, qui avoit secondé M. Bertrand, et M. de Bonvouloir, élève de la marine, jeune homme très-instruit, et doué d’un talent rare pour observer.

Avant notre départ, M. Bertrand voulut se rendre utile aux sciences dans une autre partie ; il donna une preuve 1792.
Janvier.
de zèle qui faillit lui être funeste. Il gravit au sommet de la montagne de la Table, pour en mesurer la hauteur et faire des expériences météorologiques ; il y parvint avec peine, et il exécuta toutes les opérations qu’il avoit projetées. En descendant, il eut le malheur de glisser ; et ne pouvant s’accrocher à rien, il roula de roche en roche, et tomba de plus de cinquante pieds de hauteur : il s’est blessé dans presque toutes les parties du corps ; mais, au grand étonnement de ceux qui ont été témoins de cette terrible chute, aucune de ses blessures ne s’est trouvée dangereuse : heureusement nous n’éprouvâmes pas la douleur de voir périr un de nos compagnons de voyage, avant d’avoir commencé nos travaux.

La longitude du Cap de Bonne-Espérance a été fixée d’une manière trop exacte par La Caille pour nous faire regretter de n’avoir eu aucun phénomène céleste qui pût nous la procurer. Nous avons obtenu la variation diurne de la montre n.° 14, par un grand nombre d’observations d’angles horaires : elle a été trouvée de 1" 53 en retard ; son retard absolu sur le temps moyen de Paris, le 13 février l792, à 7h 30’du matin, étoit de oh 11′ 50″ 55.

La longitude du Cap, par la montre n.° 14, conclue des observations faites dans la ville le 23 janvier, et de la variation diurne, de 8"9 en retard, trouvée à Sainte-Croix, île de Teneriffe, est de 14° 39′ 34″ orientale.

Si l’on calcule la longitude du Cap de Bonne-Espérance, en supposant que le mouvement de la montre a été unifor1792.
Janvier.
mément accéléré, on obtiendra, pour la longitude de ce lieu, 16° 7’4″ : ce résultat ne diffère que de 3’19″ de celui de La Caille. Nous n’avons pas eu égard à la différence en longitude qui existe entre notre observatoire et celui de cet astronome, parce que cette différence ne peut être que de quelques secondes, et que ces quantités peuvent être regardées comme nulles, lorsqu’il s’agit de longitudes obtenues par des montres marines.

On a trouvé, par quarante-deux observations d’azimuth faites à bord de La Recherche, que l’aiguille aimantée déclinoit vers l’Ouest de 24° 32’.

CHAPITRE III.

Départ du Cap de Bonne-Espérance, le 16 Février 1792. — Raisons qui me déterminent à me rendre aux îles de l'Admiralty, en passant au Sud de la Nouvelle-Hollande. —Reconnoissance et aspect de l’île d’Amsterdam. — Arrivée et mouillage à la terre de Van-Diémen, le 21 Avril 1792.


1792.
Février
16.
Le 16 février , à dix heures du matin, nous sortîmes de la rade du Cap de Bonne-Espérance, avec un vent de Sud-Sud-Est bon frais ; nous passâmes au Sud de l’île Robben.

A six heures du soir, le Cap de Bonne-Espérance fut relevé au Sud 44° 32’ Est, et la tête du Lion au Sud 82° 32’ Est.

Point de départ d'après le Relèvement


Latitude........................................ 33° 54’ australe.
Longitude....................................... 15° 40’ orientale.

17. Le 16 et 17 février, les vents ont varié du Sud-Sud-Est au Sud-Sud-Ouest en passant par le Sud ; nous avons louvoyé pour doubler le Cap de Bonne-Espérance. 18. Le 18, les vents de Sud-Ouest nous ont permis de rallier la terre ; 19. et le 19, nous avons fait route avec des vents d'Ouest, pour ranger la côte de fort près. Nous avons passé à une lieue du cap des Aiguilles ; depuis ce cap jusqu'à la baie de Lagoa, nous n’avons jamais été à plus de huit lieues de terre. La 1792.
Février.
comparaison de la route estimée avec le résultat des obser­vations a prouvé la vérité de ce que dit M. d’Après des courans qui ont lieu sur toute l’étendue de la côte méri­dionale d’Afrique. Ils nous ont constamment portés à l’Ouest pendant que nous avons suivi la direction de cette côte, et ils ont été plus forts lorsque nous avons été près de ses extrémités : à l’Ouest du Cap de Bonne-Espérance, ils nous ont portés dans le Nord ; et à l’Est de la baie de Lagoa, leur direction étoit vers le Sud.

Le 18, le maître charpentier de la Recherche a suc­combé à une fièvre maligne putride ; nous avons été privés, par cette perte, d’un ouvrier intelligent, qui auroit pu être très-utile dans le cours de la campagne.

Mars.
5.
Le 5 mars à midi, étant par 34° 37’ de latitude australe, et 42° 24’ de longitude à l’orient de Paris, nous avions dépassé le canal Mozambique, et nous nous trouvions à-peu-près sur le méridien du cap Sainte-Marie. A l’ouvert du canal, les vents ont été variables, très-frais, et la mer houleuse. Lorsque nous avons été au milieu, nous avons éprouvé un orage qui a été de peu de durée, mais pendant lequel le tonnerre est tombé très-fréquemment à une petite distance des deux frégates. Dans ce parage les courans n’ont pas été violens ; et les différences entre l’estime et les obser­vations ont été alternativement en sens opposé.

Un très-grand nombre d’observations nous a fait reconnoître, avec précision, le point où la déclinaison de l’aiguille 1792.
Mars.
aimantée a cessé d’augmenter : c’est par 34° 32’ de latitude et 38° 17’ de longitude orientale qu'elle a été trouvée la plus forte, et elle étoit alors de 30° 45’ du Nord à l’Ouest.

Le chemin le plus court pour arriver aux îles de l’Admiralty, où je me proposois d’aller directement, étoit de passer au Nord de la Nouvelle-Guinée, où j’espérois de parvenir avant le reversement de la mousson ; et je m’étois décidé à prendre cette route. Mais après vingt-un jours de navigation, ne me trouvant encore, le 6 mars, que par 44° de longitude et 35° de latitude ; j’ai reconnu qu’il me seroit impossible d’aller au-delà de Timor, et que je serois inutilement retenu dans les parages de cette île pendant toute la mousson de l’Est. Il m’a fallu dès-lors renoncer à ce projet, et prendre le parti de me rendre aux îles de l’Admiralty en passant par le Sud de la Nouvelle-Hollande. Cette même réflexion, et presque au même instant, s’étoit présentée à M. Huon, commandant de l'Espérance. Nous nous communiquâmes réciproquement nos idées, et nous convînmes de nouveaux points de rendez-vous ; je fis diriger la route au Sud-Est dans le dessein d’aller reconnoître les îles de Saint-Paul et d’Amsterdam : mais à peine eus-je signalé cette route, que les vents impétueux qui avoient soufflé constamment de la partie du Nord quand je me proposois d’y remonter, passèrent au Sud-Est. Je fis prendre alors la bordée du Sud, espérant trouver, par une latitude plus élevée, des vents plus favorables.

Je pouvois prévoir, à cette époque, que les deux bâtimens étant mauvais voiliers, je devois perdre beaucoup de temps 1792.
Mars.
pendant les traversées. Il est d’une plus grande importance qu’on ne l’imagine, pour des campagnes où l’on a de vastes étendues de mer à parcourir, de faire choix de bâtimens qui marchent mieux que les nôtres : autrement les équipages doivent souffrir par les réductions de rations qu’exigent les longues traversées ; et le temps que l’on doit employer à reconnoître les côtes, devient beaucoup trop court.

Les contrariétés qui m’avoient obligé de changer de route pour me rendre aux îles de l’Admiralty, étoient loin de m’ôter l’espoir d’arriver à ces îles avant le capitaine Blight, pro­bablement instruit de ce qui avoit été aperçu par l’équipage du capitaine Hunter, et à qui je devois supposer le desir d’aller au secours de M. de la Pérouse. La nouvelle route que je suivois, me donnoit la certitude de précéder le capi­taine Blight aux îles de l’Àdmiralty, si toutefois il ne s’y étoit pas rendu directement en partant du Cap ; car, dans cette dernière supposition, quelque route que j’eusse prise, il devoit y parvenir avant moi : mais s’il n’avoit pas jugé devoir abandonner sa mission pour un objet particulier qu’il n’ignoroit pas devoir être rempli par un autre, et s’il avoit remis à son retour d’Otaïti la recherche incertaine des traces de M. de la Pérouse, il devoit nécessairement disposer sa marche de manière à être rentré dans les Moluques avant la mousson de l’Ouest ; et c’étoit par conséquent au plus tard vers la fin de celle de l’Est qu’il devoit visiter les îles de l’Admiralty : il falloit donc, pour ne pas se laisser prévenir 1792.
Mars.
par lui, éviter d’être retenu à l’Ouest de la Nouvelle-Guinée ; et c’est à quoi je me serois exposé en cherchant à passer au Nord de cette terre : la route par le Sud, plus longue sans contredit, étoit la plus sûre dans cette saison, et cela seul a dû me la faire préférer. Je me proposois de mettre à profit le temps que je devois employer à remonter dans le Nord, pour reconnoître la partie inconnue de la Nouvelle-Calédonie, et quelques points de la terre des Arsacides : cependant les vents contraires et le calme sembloient s’opposer à la célérité que j’aurois voulu mettre dans ces diverses opérations ; aucun navi­gateur n’avoit encore éprouvé dans ces parages et à cette latitude, des vents aussi constans de la partie de l’Est.

La déclinaison de la boussole, dont les changemens jusques au terme où elle est parvenue au maximum paroissoient tenir plus à la différence de la longitude qu’à celle de la latitude, sembloit dépendre maintenant beaucoup plus de la distance à l’équateur, puisque depuis le point où elle a été la plus forte jusques au méridien de l’Ile-de-France, c’est-à-dire dans l’espace de 17° en longitude, et 2° 2′ seulement de latitude, la variation n’a été en moins que de 4° ; au lieu que sous le méridien même de l’Ile-de-France, et par une latitude plus Sud de 17°, la déclinaison étoit de 12° plus forte que celle de cette île. Une différence semblable a été observée par la longitude de l’île de Bourbon ; et il y a lieu de croire qu’on la retrouvera également en coupant le méridien de l’île Rodrigue.

28. Le 28 mars, à deux heures et demie, on a aperçu l’île

d’Amsterdam ;
d’Amsterdam ; la proximité de la terre nous avoit été annoncée 1792.
Mars.
quelques heures auparavant par un très-grand nombre d’oiseaux : on l’a relevée à l’instant même où elle a été vue ; et des hauteurs absolues du soleil ont été prises pour avoir une longitude qui concourût avec le relèvement : depuis ces

premières observations, l’on a tenu un compte exact du chemin et des diverses routes.

Le sommet de cette île, dont je desirois fixer la position, qui n’avoit pas été déterminée encore, étoit couvert de nuages : à mesure que nous approchions, ils nous parurent produits par une très-épaisse fumée ; nous ne tardâmes pas à voir des flammes : c’est dans la partie du Nord que l’embrasement étoit le plus fort ; mais le vent qui souffloit du Nord-Ouest, poussoit la flamme dans le Sud-Est, et nous apercevions distinctement les progrès de l’incendie par les traces de fumée et de feu que l’on voyoit s’étendre successivement sur toute la partie orientale de l’île. Cet incendie sur une terre inhabitée, fit conjecturer à quelques personnes que ce feu ne pouvoit être qu’un signal fait par des malheureux qu’un naufrage auroit fait aborder à cette île, et qu’ils demandoient du secours : mais il étoit évident que cette masse de feu étoit trop considérable pour faire supposer que l’incendie eût commencé au moment où nous avions été aperçus ; d’ailleurs un pareil signal, fait au hasard, étoit inutile dans des parages où il est si rare qu’il passe des navires.

La partie du Sud de cette île, que nous avons côtoyée de près, est inabordable, parce que le rivage est très-escarpé; 1792.
Mars.
elle présente néanmoins un aspect assez riant : depuis le sommet de la plus haute montagne jusqu’au rivage, l’île est couverte d’une verdure des plus vives, dont la fraîcheur est entretenue par une infinité de filets d’eau qui la sillonnent, et qui, se réunissant au bas, forment de petits ruisseaux dont les eaux tombent dans la mer. Nous passâmes à près de quatre encablures de la pointe Sud-Ouest ; et nous eûmes de là un point de vue qui offroit un contraste piquant avec la masse de fumée et de feu qui s’étendoit sur la côte de l’Est. Après avoir dépassé l’île, nous eûmes un nouvel aspect moins agréable, mais plus imposant ; la fumée épaisse produite par cet incendie, formoit, sous le vent de l’île, des nuages amoncelés, de couleurs plus ou moins sombres, selon les matières d’où elle provenoit ; l’atmosphère en recevoit une teinte cuivrée, semblable à celle qui précède et annonce les tempêtes : nous trouvions quelque satisfaction à pouvoir considérer ce spectacle d’un œil tranquille sans en redouter les effets. Nous fûmes bientôt nous-mêmes enveloppés dans cette fumée, si compacte qu’elle interceptoit presque la vue des flammes : ce ne fut qu’à la distance d’environ cinq lieues que nous commençâmes à nous dégager de ce brouillard, qui s’étendoit bien loin encore sous le vent.

Les petits espaces de la côte qui étoient dégarnis de verdure, laissoient apercevoir les couches exactement parallèles et horizontales dont elle est formée : c’est par les intervalles de ces couches que filtroit l’eau qui y produit cette forte végétation. Une organisation aussi régulière semble devoir faire rejeter toute idée de volcan dont les explosions auroient 1792.
Mars.
dénaturé cette composition primitive : cependant, l’on a remarqué le long de la côte que nous avons suivie, et d’où la flamme étoit assez éloignée, de petites bouffées de fumée qui sembloient sortir de la terre comme par jets ; on n’a pu néanmoins distinguer la moindre trace de feu tout-autour, quoique nous fussions très-près de terre, et que ce qui n’auroit pas été aperçu à la vue, n’eût certainement pas échappé à la lunette. Ces jets de fumée se montrant par intervalles ont paru à MM. les naturalistes être des indices presque assurés de feux souterrains.

La partie de la côte que nous avons longée, et où le feu n’avoit pas encore atteint, eût été nécessairement l’asile des animaux de toute espèce qui auroient pu se trouver dans l’île ; mais nous n’en avons point aperçu.

Le plan de l’île d’Amsterdam, dressé par M. Beautemps-Beaupré, ingénieur hydrographe, fera connoître tous les détails de la partie de l’île que nous avons visitée.

La latitude de la pointe occidentale de l’île est de 37° 47’ 46″ australe ; sa longitude est de 75° 4’56″ orientale. Cette longitude s’accorde avec celle qui a été donnée par le capitaine Blight ; et la latitude est à peu de chose près la même que celle qui a été déduite de la latitude que le capitaine Cox a observée à l’île de Saint-Paul, et de la distance dont il s’estimoit être de l’île d’Amsterdam. Ces deux îles, d’après le relèvement du capitaine Cox, se trouvent sur le même méridien. 1792.
Mars.
Nous avons eu, du 28 au 30, une différence Nord de 30’: il est vraisemblable que le capitaine Vlaming, qui a découvert ces îles en 1696, a éprouvé cette même différence, en remontant de l’île qui est au Sud à celle qui est plus au Nord, puisqu’il ne suppose que douze à treize lieues de l’une à l’autre, quoique la différence en latitude entre les deux îles soit de 50’à-peu-près. Cependant si cette distance est exprimée en lieues Hollandoises, elle s’accorde parfaitement avec les latitudes de ces deux îles. Il est à observer, pour éviter toute méprise, que le capitaine Vlaming donne le nom de Saint-Paul à l’île la plus Sud, et celui d’Amsterdam à l’autre ; 30. sur la carte générale du dernier voyage de Cook, l’on nomme, au contraire, île de Saint-Paul celle qui est le plus au Nord : nous ne nous sommes pas conformés à cette dernière dénomination.

En approchant de l’île d’Amsterdam, nous avons trouvé, comme le capitaine Vlaming, une prodigieuse quantité de loups marins. Lorsque ce capitaine mit pied à terre sur cette île, ils étoient en si grand nombre, qu’il fut obligé de se frayer, à coups de fusil, un passage au milieu de ces animaux.

Je n’ai pas cru devoir m’arrêter à l’île d’Amsterdam ; le ciel y est généralement trop couvert, dans cette saison, pour permettre d’y faire des observations : d’ailleurs notre traversée déjà commençoit à se prolonger, et nous devions profiter du premier temps favorable à notre route ; car il est à remarquer que nous avions mis quarante-trois jours pour nous rendre du Cap de Bonne-Espérance aux îles de Saint-Paul et d’Amsterdam, où le capitaine Cox étoit arrivé en dix-huit jours. 1792.
Mars.

Au reste, M. d’Après a eu raison d’avancer que, dans ces parages, les vents sont extrêmement variables : il est rare que nous les ayons eus plus de vingt-quatre heures au même rhumb ; leur variation a été communément du Nord-Nord-Est au Sud : ils n’ont passé dans la partie de l’Ouest que deux fois, et alors ils étoient très-foibles ; ils ont varié ensuite du Sud à l’Ouest. Ils sont plus chargés de vapeurs quand ils prennent de l’Ouest ; et le baromètre baisse alors au-dessous de vingt-huit pouces.

Nous n’avons pu former aucune conjecture sur la cause de l’incendie de l’île d’Amsterdam : eussions-nous mis pied à terre, peut-être nous n’en aurions pas été mieux instruits ; il ne nous eût pas même été possible de reconnoître le lieu où le feu avoit commencé, parce que l’île étoit embrasée dans toute sa largeur, ainsi que nous l’avons dit : plusieurs causes naturelles peuvent l’avoir occasionné ; et il nous eût été difficile de trouver la vraie cause, n’ayant pas été témoin de la manière dont l’incendie s’étoit propagé ; la seule odeur que nous ayons bien distinctement reconnue sous le vent de l’île, est celle de bois et de terre brûlés : nous n’avons rien senti qui pût faire présumer que l’embrasement fût l’effet d’un volcan.

Les différences en latitude que nous avions commencé à Avril.
14.
éprouver le lendemain du jour où l’île d’Amsterdam fut reconnue, ont été les mêmes depuis notre éloignement de cette île, jusqu’à notre arrivée à la Nouvelle-Hollande, et 1792.
Avril.
nous avons été constamment portés vers le Nord : les différences en longitude se sont compensées ; aussi l’estime, à l’époque de notre attérage, ne s’écartoit-elle pas de la longitude obtenue par nos montres.

Les vents, depuis l’île d’Amsterdam, ont soufflé souvent avec une extrême violence, de la partie de l’Ouest ; nous avons presque toujours eu une très-grosse mer, qui a beaucoup fatigué les frégates. Le grand nombre de coups de mer que La Recherche a reçus, a ébranlé les porte-haubans ; et l’eau a pénétré dans l’intérieur du bâtiment jusque dans les soutes, que nous sommes cependant parvenus à garantir de l’humidité.

La remarque déjà faite sur le concours des phénomènes de la mer lumineuse avec l’état de l’atmosphère plus ou moins électrique, semble être confirmée par un nouveau phénomène. Nous avons remarqué que c’étoit, en général, à l’époque où le temps paroissoit disposé à l’orage, et où le mercure baissoit dans le baromètre, que la mer étoit scintillante ; et il paroît en effet que c’est principalement quand l’air est le plus chargé de fluide électrique, que ce phénomène se manifeste avec le plus d’éclat.

Dans la nuit du 14 avril, par 42° 14′ de latitude australe, et 127° 47′ 3″ de longitude orientale, la mer fut constamment phosphorique ; elle sembloit rouler des corps volumineux, que l’on auroit pris pour des globes de feu : mais pendant les grains redoublés et très-violens de vent et de grêle qui eurent lieu cette même nuit, la mer parut encore 1792.
Janvier.
plus enflammée ; et, dans les mêmes instans, on aperçut très-distinctement des aigrettes électriques autour de la pointe des paratonnerres : notre baromètre étoit alors à vingt-sept pouces six lignes. C’est, jusqu’à présent, le point le plus bas où il soit descendu. Comme c’est la première fois que, dans le cours de cette campagne, le météore appelé vulgairement feu Saint-Elme a été vu au haut des mâts, il m’a paru digne de remarque qu’il ait eu lieu en même temps que le phénomène de la mer lumineuse.

Les vents très-violens de l’Ouest et de Sud-Ouest qui avoient soufflé sans interruption pendant près d’un mois, et qui sont vraisemblablement constans dans cette saison, me parurent ne pas permettre, pendant leur durée, d’entreprendre la reconnoissance de la côte Sud-Ouest de la Nouvelle-Hollande, qui, peut-être même, seroit encore très-difficile dans les mois de décembre et de janvier.

20. Le 20, la latitude observée fut de 43° 48’57" ; et la longitude conclue d’après la montre n.° 14, étoit, à midi, de 142° 17’ 26". Les vents impétueux soufflant toujours de l’Ouest, grand frais, et le temps étant extrêmement sombre, nous continuâmes la même route jusqu’à la nuit close, filant six nœuds et demi par heure : mais comme on n’avoit point aperçu la terre dont nous ne devions pas être éloignés, je crus ne devoir courir dans la même direction que jusqu’à huit heures; à cette époque, notre longitude de 143° 13' 38" et notre latitude de 43° 55' 15" nous plaçoient à dix lieues seulement de la pointe Sud-Ouest de la terre de Van-Diémen. 1792.
Avril.
Je fis mettre à la cape, sous la misaine et le foc d’artimon, les amures à tribord : quoique, par notre point, nous fussions de quelques minutes plus Sud que le cap Sud-Ouest, je crus nécessaire de prendre cette bordée pour nous maintenir contre les courans qui, depuis l’île d’Amsterdam, nous avoient constamment entraînés dans le Nord. A six heures du matin, je fis mettre le cap à l’Est-Nord-Est ; à neuf heures et demie on aperçut la terre, et l’on reconnut bientôt le rocher Mewstone : la position de ce point s’est trouvée peu différente de la longitude donnée par nos montres.

Un très-grand nombre de relèvemens à la boussole et de relèvemens astronomiques qui ont été faits avec le plus grand soin, nous a donné le gisement de la côte, et en particulier la position intéressante du cap méridional. Notre projet étoit de mouiller à la baie de l’Adventure, afin d’être assurés de trouver de 1 eau, ainsi que le bois nécessaire pour les réparations qu’exigeoient nos embarcations. Mais, trompés par les configurations de cette côte, qui ont de la ressemblance entre elles, nous entrâmes dans la baie des Tempêtes.

La nuit s’approchoit ; le temps étoit mauvais, et nous étions environnés de brisans : mais comme dans cette baie l’on étoit à l’abri du vent qui souffloit alors, et que le fond en étoit parfaitement bon, je me décidai à jeter l’ancre ; j’envoyai à l’instant un canot pour faire reconnoître la baie et m’assurer si l’on n’y trouveroit pas quelque havre : elle n’avoit point été visitée ; et sa position sur la côte méridionale de la Nouvelle-Hollande, où l’on n’avoit point encore découvert

de
1792.
Avril.
de port, rendoit cette reconnoissance extrêmement importante.

L’embarcation, à laquelle je fis signal de revenir dès que la nuit ne permit plus de distinguer les objets, me donna quelque espérance d’y trouver un havre ; j’y renvoyai le lendemain de grand matin les mêmes officiers qui avoient été détachés la veille de l’une et de l’autre frégate (MM. De la seinie de l'Espérance, et de Saint-Aignan de LA RECHERCHE). M. de Saint-Aignan me remit la description suivante du port du Nord qu’il avoit visité.

Compte rendu par M. de Saint-Aignan.

« Je partis le 20 avril pour aller sonder un enfoncement qui restoit à l’Ouest de la Recherche. En quittant la frégate, je fis route à-peu-près à l’Ouest et Ouest-Nord-Ouest. Je trouvai d’abord quatorze et treize brasses d’eau sur un très-bon fond de sable fin. Lorsque la pointe la plus Ouest d’une terre qui étoit fort près à tribord me resta au Nord, la sonde rapporta onze brasses. Je continuai de gouverner à l’Ouest ; et je trouvai huit brasses, sur un fond de sable plus gros. Lorsqu’une petite roche que j’avois laissée à tribord me resta au Nord, je trouvai sept brasses fond de sable et de gravier. Alors je découvris un assez grand enfoncenent à l’entrée duquel est placée la roche dont je viens de parler ; et je commençai à entrer dans un espace couvert d’algues marines. Je continuai à gouverner à l’Ouest et Ouest-Nord-Ouest, pour m’approcher de la côte. A une 1792.
Avril.
 » encablure et demie de terre, la sonde rapporta quatre brasses. Mon projet étoit de suivre la côte de très-près, pour chercher de l’eau douce : mais, la mer brisant avec assez de violence sur une chaîne de roches qui bordoit le rivage à moins d’une encablure de terre, je pris le parti d’aller visiter l’enfoncement qui me restoit au Nord. J’espérois, en allant le reconnoître, me dédommager du temps que j’avois perdu. Je dirigeai ma route vers le Nord en rangeant de fort près la côte sur laquelle je n’avois pu aborder ; et j’entrai dans cet enfoncement, en arrondissant la pointe occidentale de l’entrée. Je trouvai deux brasses et demie et trois brasses lorsque cette pointe me resta par le travers : après l’avoir doublée, je découvris un port spacieux, entouré de terres élevées, et fermé à tous les vents ; la mer y étoit unie comme une glace : je n’aperçus ni haut-fond ni roche ; et ce havre me parut offrir un abri sûr pour plusieurs bâtimens.»

» En suivant la côte occidentale de ce port, je fus agréablement surpris par la vue d’un ruisseau d’eau douce, qui se jetoit dans la mer, à quatre encablures en dedans de l’entrée ; je débarquai sur une plage de sable fin, pour aller goûter l’eau de ce ruisseau : je la trouvai saumâtre près du rivage ; mais il est vrai que la mer, dans cet endroit, y mêloit ses eaux : à quatre toises plus haut, je la trouvai potable, et j’en mis dans un vase pour en porter à bord de la frégate.»

» Il étoit alors environ quatre heures et demie ; le temps 1792.
Avril.
»étoit couvert, et obscurci par une brume assez épaisse. Le jour qui déclinoit, m’obligea de renoncer au projet que j’avois formé de prendre quelques sondes dans l’intérieur du havre, et je me rembarquai pour retourner à bord. Pendant que je dirigeois ma route pour vérifier s’il y avoit une passe commode pour les frégates, un coup de pierrier tiré par la Recherche me rappela, et je gouvernai aussitôt sur la frégate. En revenant, je laissai à bâbord la petite roche de l’entrée, que j’ai appelée la Perle ; et je me trouvai bientôt au milieu des algues que j’avois déjà rencontrées, et qui étoient si pressées quelles arrêtoient souvent notre canot. A une encablure de la Perle, la sonde rapporta douze pieds et demi à quatorze pieds d’eau, sur des fonds de différente nature : tantôt le fond étoit de sable et de corail ; d’autres fois, de gros sable ou de coquilles. Après avoir traversé ces algues, je laissai la Perle au Nord-Nord-Ouest, et je gouvernai sur la Recherche. Depuis cet endroit jusqu’à la frégate, la sonde a rapporté douze, treize et quatorze brasses d’eau sur un sable fin.»

»Je trouvai près du ruisseau les restes de quelques établissemens des naturels du pays. Des coquilles d’huîtres et de moules, des morceaux de bois brûlé et l’herbe des environs qui étoit foulée, m’assurèrent qu’ils y avoient séjourné. Je vis des arbres creusés par le feu, dans lesquels on pouvoit croire qu’ils cherchoient un abri contre les injures du temps.»

21. »Je partis le lendemain à la pointe du jour, avec 1792.
Avril.
 » M. de la Seinie, commandant un des canots de L’Espérance, pour aller sonder l’entrée du havre découvert la veille. M. de la Seinie étoit chargé de sonder de nouveau entre la Perle et la pointe occidentale de l’entrée : je sondai, avec le canot de La Recherche, entre la Perle et la pointe orientale ; j’y trouvai une passe, au milieu de laquelle il y a de six à sept brasses d’eau ; elle est peu large, mais elle est facile à reconnoître. La pointe orientale est très-saine ; et l’on trouve neuf pieds d’eau à une demi-longueur de canot du rivage. »

» Pour entrer dans ce havre, il faut gouverner, en partant des frégates, sur la Perle, jusqu’à ce qu’une petite pointe de roches remarquable, et dont il faut s’approcher de très-près, reste par le travers. On laissera à tribord un banc d’algues qui tient à un fond de roches, au milieu duquel je n’ai trouvé que deux brasses et demie d’eau : on gouvernera alors sur la pointe de l’observatoire, de manière à la découvrir par le bossoir de tribord. Cette pointe est très-saine, et on peut la ranger d’aussi près que l’on voudra : mais, si l’on s’en écarte, il ne faudra pas ouvrir la Perle au large de la pointe de terre la plus Sud ; car il n’est pas certain qu’il y ait assez d’eau pour les frégates dans la partie occidentale du port. »

» Après avoir sondé dans l’intérieur du havre, nous nous sommes rendus à l’aiguade ; nous avons pris de l’eau un peu plus loin que la veille ; elle étoit excellente. À environ vingt toises du ruisseau, nous avons aperçu des cabanes : 1792.
Avril.
 » nous espérions trouver, non loin de là, des naturels du pays ; mais notre espérance a été trompée. Ces cabanes ou huttes sont faites d’écorces d’arbre : l’espèce de charpente qui les soutient, est composée d’une branche recourbée en cercle, et maintenue horizontalement par d’autres branches droites et fichées obliquement en terre : ces pièces sont liées ensemble par des filamens d’écorce ou des herbes ligneuses qui croissent dans le pays. Ces huttes sont fermées par des morceaux d’écorce , dont l’extrémité inférieure repose sur la terre, tandis que l’extrémité supérieure est appuyée sur la branche circulaire dont nous venons de parler. Ces huttes ont cinq ou six pieds de diamètre à la partie inférieure, et forment une espèce de cloche dont la hauteur varie depuis trois pieds jusqu’à cinq.

» Signé de Saint-Aignan. »

Ayant trouvé un port aussi bien fermé, je n’hésitai pas à lui donner la préférence sur la baie de l’Adventure : le vent contraire ne me permit pas d’y entrer le même jour ; mais le lendemain 23 avril, 23. avant que la brise fût établie, je m’y fis remorquer par les embarcations des deux frégates, qui aidèrent ensuite l’Espérance à venir y mouiller.

CHAPITRE IV.

Description du Port du Nord. —Découverte de la partie méridionale d’un Canal dont l’entrée est au fond de la Baie où les Frégates ont pris leur premier mouillage. —Départ du Port du Nord. —Navigation dans le Canal nouvellement découvert. —Sortie de ce Canal.


1792.
Avril.
Je tenterois vainement de rendre la sensation que me fit éprouver l'aspect de ce havre solitaire, placé aux extrémités du monde, et fermé si parfaitement, que l’on peut s’y considérer comme séparé du reste de l'univers. Tout s’y ressent de l'état agreste de la nature brute. L’on y rencontre à chaque pas, réunies aux beautés de la nature abandonnée à elle-même, des marques de sa décrépitude ; des arbres d’une très-grande hauteur et d’un diamètre proportionné, sans blanches le long de la tige, mais couronnés d’un feuillage toujours vert : quelques-uns paroissent aussi anciens que le monde ; entrelacés et serrés au point d'en être impéné­trables , ils servent d’appui à d’autres arbres d’égale dimen­sion , mais tombant de vétusté et fécondant la terre de leurs débris réduits en pourriture. La nature, dans toute sa vigueur, et tout-à-la-fois dans un état de dépérissement, offre, ce semble, à l'imagination quelque chose de plus imposant et de 1792.
Avril.
plus pittoresque que la vue de cette même nature embellie par l’industrie de l’homme civilisé : voulant n’en conserver que les beautés, il en a détruit le charme ; il lui a fait perdre ce caractère qui n’appartient qu’à elle, d’être toujours ancienne et toujours nouvelle.

Ce havre, l’un des plus commodes et des plus sûrs, et qui contraste si fort avec le nom que porte la baie près de laquelle il est caché, est un bassin de forme ovale, de sept cents toises dans son plus grand diamètre ; il est garanti de toutes parts par des bois extrêmement épais et qui s’élèvent en amphithéâtre : l’eau en est si tranquille, qu'elle est à peine agitée par les vents les plus violens ; les plus frêles embarcations peuvent y naviguer en tout temps : le brassiage y est presque par - tout de quatre brasses sur un fond de vase noirâtre, dans laquelle les ancres s’enfoncent et peuvent se perdre ; aussi peut-on s’y échouer sans danger. Les plans levés par M. Beautemps-Beaupré, ingénieur en chef de l’expédition, secondé par les officiers et par M. Jouvency, second ingénieur, feront connoître les détails de ce port, et de la baie au fond de laquelle il est situé.

On n’avoit pu découvrir jusqu’alors aucun naturel ; mais l’on avoit aperçu des traces de leur passage, et même de leur séjour. Une douzaine de huttes rassemblées et construites avec très-peu d’intelligence annonçoient que la peuplade errante, qui vient sans doute les habiter dans la belle saison, n’est pas très-nombreuse, et qu'elle a peu d’industrie : 1792.
Avril.
quelques-uns de leurs ouvrages que nous trouvâmes dans nos différentes courses, confirmèrent cette opinion. Des paniers tissus avec des lanières d’écorce d’arbre très-étroites et très-minces, et tressées néanmoins avec quelque adresse, se ferment comme des sacs avec un cordon de même matière ; une autre espèce de petits sacs d’une algue marine desséchée et très-dure, paroît destinée à puiser l’eau et à leur servir de tasse : c’est-là en quelque sorte le dernier terme de leur intelligence. Ils paroissent ne se nourrir que de coquillages ; car on a trouvé de grands amas de coquilles dans le voisinage des lieux qu’ils ont dû habiter : : on n’apercevoit d’ailleurs ni débris de poissons, ni aucun instrument de pêche ou de chasse, quoique l’on ait parcouru une très-grande étendue de terrain, et que tous les lieux praticables aient été à-peu-près visités ; on n’a vu ni vestiges d’armes, ce qui sembleroit annoncer qu’ils vivent en paix, ni ossemens d’hommes, ce qui doit faire juger qu’ils sont dans l’usage d’enterrer les morts ; et l’on a trouvé très-peu d’ossemens de kangourous, que l’on peut cependant présumer être très-nombreux, parce que l’on rencontre beaucoup de leurs excrémens et des traces récemment empreintes de leurs pas. Un seul kangourou de la grande espèce a été vu : un autre très-jeune et d’une espèce différente a été tué ; il a été décrit par M. de la Billardière.

MM. les naturalistes ont fait, dans tous les genres, des moissons précieuses : plusieurs plantes nouvelles, des poissons inconnus, des oiseaux qui n’avoient pas été décrits, d’autres

qui,
1792.
Avril.
23.
qui, sans différer pour l’espèce d’avec ceux des pays circonvoisins, en sont cependant des variétés très-curieuses, ont enrichi leur collection, qui paroît avoir été plus abondante dans cette partie méridionale de la Nouvelle-Hollande, que ne l’a été celle qui a été faite dans la baie de l’Adventure par M. Anderson. Tout ce que l’on a reconnu de plus remarquable, ainsi que les points de vue les plus pittoresques de ce vaste paysage , ont été dessinés avec autant d'exac­titude que de goût par M. Piron.

Les travaux faits dans le havre nous y ont retenus plus que nous ne comptions : M. Rossel , secondé par M. Willaumez et M. de Bonvouloir, a fait toutes les obser­vations que le temps, presque toujours pluvieux, a permis de faire : les plans levés par M, Beautemps-Beaupré avec une grande précision, complètent tous les genres d’opérations que l’on devoit se promettre du séjour assez long que nous avons été forcés de faire dans ce mouillage.

Le fond vaseux de ce port nous avoit déterminés à mouiller avec nos chaînes, pour ménager nos câbles : il étoit d’ailleurs nécessaire d’en faire l’essai ; et nous fîmes bien de n’avoir pas négligé cette précaution.

25. Le 25 avril, par une rafale extrêmement violente de l’Ouest-Sud-Ouest, la frégate vint en travers au vent, et fut aussitôt échouée, mais sans aucun danger : la première idée fut que l’ancre avoit chassé ; mais voyant la bouée plus éloignée quelle n’auroit dû l’être, on jugea que la chaîne avoit manqué dans le point où elle se marie au câble. Après 1792.
Avril.
avoir porté d’autres ancres et nous être mis à flot, nous tirâmes le câble auquel la chaîne étoit attachée ; et ce fut avec un grand étonnement que nous vîmes un des chaînons cassé : on ne remarqua ni paille dans le fer ni aucune autre défectuosité ; mais sans doute il avoit été trop brûlé par l’ouvrier qui l’avoit travaillé. Il est heureux qu’un pareil accident nous soit arrivé dans un port aussi bien fermé, et que nous ayons appris, sans courir de risques, à nous méfier d’un moyen que nous devions regarder comme notre dernière et notre plus sûre ressource. Cet événement a failli nous faire perdre l’ancre qui tenoit à la chaîne. Après avoir vainement essayé de draguer la partie de cette chaîne qui restoit attachée à l’ancre trop enfoncée dans la vase pour pouvoir être saisie par les dragues, et après avoir aussi infructueusement tenté de relever l’ancre avec le secours des deux chaloupes qui se remplissoient sans pouvoir la soulever ; il fallut nous décider à virer l’orin avec le grand cabestan, au hasard de le casser. Nous avons inutilement tâché de frapper un second orin sur l’ancre : elle étoit absolument envasée ; et les plongeurs, à qui l’on avoit promis une gratification, ne purent pas même en découvrir le bec. Heureusement le premier orin a été assez fort pour résister, et l’ancre a été enfin relevée. La qualité de ce fond où les ancres s’enfoncent au point de disparoitre, exige qu’elles soient soulevées fréquemment ; aussi j’ai cru devoir faire lever notre seconde ancre, et en doubler l’orin : on a eu plus de peine encore à arracher cette dernière ; deux appareils frappés sur le câble, et virés 1792.
Avril.
au petit cabestan en même temps que l’on viroit le câble au grand cabestan, ont successivement rompu : l’ancre a cependant cédé à des efforts redoublés, après trois heures de travail. D’après cette épreuve, j’ai jugé qu’il suffisoit d’une ancre à jet pour nous tenir; et ce ne devoit être qu’à la dernière extrémité que nous devions laisser tomber celle du bossoir.

L’eau est très-abondante dans ce havre; par-tout où l’on creuse, on est assuré d’en trouver. Une rivière, qu’il faut remonter, il est vrai, à quelques encablures pour que l’eau en soit parfaitement douce, en fourniroit autant que l’on pourroit en desirer ; mais comme il y a peu de fond à l’em­bouchure de cette rivière, et quelle est traversée et embarrassée par des arbres tombés dont les branches couvrent toute sa surface, ce ne seroit qu’avec beaucoup de peine qu’on parviendroit à la remonter avec une chaloupe : nous nous sommes décidés pour le ruisseau marqué sur le plan, où l’eau quoique moins claire est tout aussi bonne, et un peu moins difficile à faire.

Ce havre fournit du poisson en très-grande abondance ; les équipages en prenoient à la ligne la quantité nécessaire pour leur subsistance; et quand le temps permettoit d’envoyer jeter la seine dans le port du Sud, on étoit presque toujours assuré de ramener des bateaux pleins de poissons de grandes et de belles espèces. L’on trouve, dans les environs du port du Nord, beaucoup de perroquets, de cygnes, de canards sauvages, des pélicans, des aigles et des corbeaux. Plusieurs 1792.
Avril.
chasseurs assurent avoir vu même des compagnies de perdrix et quelques tourterelles. Ces divers gibiers sont bons à manger : aussi, quoique la saison fût bien avancée, nos équipages n’ont presque pas manqué de vivres frais.

Un des soldats destinés à suivre M. de la Billardière dans ses courses, a assuré avoir entrevu un naturel qu’il n’a aperçu qu’à l’instant de sa fuite, occasionnée, sans doute, par la frayeur que doit lui avoir causée le bruit très-nouveau d’un coup de fusil qui venoit d’être tiré à côté de lui : le soldat n’a pu apercevoir ce naturel que par derrière et un peu par le côté ; il l’a jugé très-jeune à sa taille. M. de la Billardière et ses autres compagnons, qui alors n’etoient pas très-éloignés de ce soldat, se sont dispersés, lorsqu’il leur fit part de sa découverte, et ont cerné l’endroit vers lequel il disoit avoir vu s’enfuir le sauvage : mais leurs recherches ont été inutiles ; ils ont trouvé seulement une petite hutte, ce qui donne de la vraisemblance au récit de cet homme, dont rien d’ailleurs ne devoit faire suspecter la bonne foi. On a trouvé dans cette case un morceau d’algue marine desséchée, très épais et très-dur, suspendu par un cordon de paille : à sa forme, on le pouvoit présumer destiné à couvrir les parties naturelles. Mais cette conjecture paroît détruite par l’absolue nudité des habitans de la baie de l’Adventure, avec lesquels les habitans de cette côte doivent avoir de la ressemblance. M. de la Billardière a trouvé, dans cette même course, et a rapporté les vertèbres d’un animal que nous avons jugé devoir être d’une très-grande espèce. 1792.
Avril.
Indépendamment des huttes dont on a déjà parlé, il y a tout lieu de croire que les naturels se procurent des abris plus sûrs et moins resserrés dans le creux des grands arbres que l’on trouve à quelque distance du rivage, et qui, moins pressés entre eux, s’étendent davantage : du moins avons-nous vu presque tous les arbres de forte dimension, et par conséquent les plus vieux, consumés en dedans jusqu’à une très-grande hauteur, par le feu qui avoit été mis au pied ; quelques-uns même étoient percés jusqu’au sommet, et ressembloient à des arbres frappés de la foudre, dont il ne resteroit qu’une enveloppe très-mince. Leurs racines pénètrent peu dans la terre, soit à cause de la qualité et de l’épaisseur du terrain qui ne leur permet pas d’entrer plus avant, soit par la nature de ces arbres, qui les rend propres à étendre les ramifications de leurs racines plus en surface qu’en profondeur. Il en résulte que la partie noueuse d’où elles partent, et qui est la plus grosse, étant presque toujours hors de terre, donne à l’arbre un diamètre prodigieux. L’un de ces arbres que je fis mesurer à hauteur d’homme, avoit vingt-cinq pieds huit pouces de circonférence. Il étoit absolument creux ; et il ne restoit plus qu’une très-petite partie extérieure du tronc, qui étoit cassé à la hauteur de trente pieds : plusieurs hommes pouvoient y être couchés dans toute leur longueur et très-à-l’aise. Il est à remarquer que l’ouverture des arbres qui sont creusés, est presque toujours vers l’Est, sans doute pour abriter des vents d’Ouest, qui sont vraisemblablement les plus violens ; car 1792.
Avril.
nous avons observé que presque tous les arbres étoient inclinés du côté de l’Est. Ils ont, en général, de ce même côté, une empreinte de feu telle, que leur tige, qui est blanche vue du côté de l’Ouest, est noire et charbonnée de l’autre côté. Cet effet semble ne pouvoir être produit que par le feu mis aux joncs et autres herbes dont la terre est couverte dans la saison des vents d’Est : la flamme étant poussée par ces mêmes vents dans une direction opposée, donne aux arbres qui se trouvent sur son passage une teinte noire.

L’aspect que présentoit l’intérieur de ces arbres, est vrai­ment remarquable. Il est probable qu’ils commencent à se gâter intérieurement, lorsqu’ils ont acquis un certain degré de vétusté. Nous en avons abattu plusieurs de grande dimension, qui n’avoient pas encore subi l’action du feu , mais dont le cœur paroissoit entièrement vermoulu, quoique le dehors eût l’air parfaitement sain. C’est, sans doute, à cet état intérieur de dépérissement que l’on doit attribuer l’effet assez surprenant d’arbres creusés par le feu dans toute leur longueur, tandis que l’écorce, ou du moins l’enveloppe, est absolument intacte. En effet, le feu mis au pied des arbres que le temps a réduits à cet état, doit trouver moins de résistance dans l'intérieur, qui est décomposé et propre à la combustion. La grande humidité du terrain entretient le feuillage de ces arbres dans un état de fraîcheur qui annonce une végétation assez forte ; et l'on peut aussi attribuer à la même humidité cet état d'altération intérieur qui les rend si combustibles. 1792.
Avril.
Les foyers d’argile que M. Anderson avoit remarqués à la baie de l’Adventure au pied des arbres ainsi creusés, ne sont pas, je crois, l’ouvrage des naturels ; car les arbres que nous avons vus déracinés et renversés, avoient entraîné avec eux des couches d’argile mêlées avec de la pierre, tellement durcies par le feu, que l’on auroit pu s’y tromper et les prendre pour de la maçonnerie. Les naturels se servent véritablement de ces foyers, pour faire griller leurs coquillages : on a trouvé des débris de coquilles parmi la cendre qui étoit au pied de ces arbres.

Il y a, dans les environs de ce havre, peu de plantes qui puissent servir de comestibles ; on y trouve peu de cresson et de cerfeuil, mais de la perce-pierre en assez grande abondance. Diverses graines semées par les soins de M. La Haye, jardinier botaniste, pourront, dans la suite, procurer des ressources aux navigateurs qui aborderont dans ce havre, si toutefois leurs productions échappent au génie destructeur des sauvages, qui pourront confondre ces plantes nouvelles, dont ils ignorent les propriétés, avec toutes les autres herbes qu’ils paroissent faire périr par le feu.

D’après les détails précédens, il est inutile de prévenir que l’on peut, dans le port du Nord, se procurer facilement une ample provision d’eau et de bois.

27. Le 27, M. de Cretin partit de grand matin pour visiter le port du Sud ; et il revint à bord de La Recherche le lendemain. Je joins ici le compte de cet officier, d’après lequel il paroît que ce nouveau port peut offrir un abri 1792.
Avril.
tout aussi sûr que celui dans lequel nous nous trouvons actuellement.

Premier Compte rendu par M. de Cretin.

« Je fus chargé d’aller reconnoître le port que l’on apercevoit au Sud de celui où les frégates étoient mouillées. Je partis le 27 avril, avec M. Beautemps-Beaupré, ingénieur hydrographe de l’expédition. Je dirigeai d’abord ma route au Sud-Ouest vers une pointe située entre le port du Nord et celui que nous devions visiter. Parvenus à cette pointe, nous débarquâmes pour y prendre des relèvemens ; ensuite nous prolongeâmes la côte jusqu’à la pointe Nord­-Ouest de l’entrée du port que nous devions reconnoître. Lorsque cette pointe fut par notre travers, nous vîmes une chaîne de roches qui s’avançoit au large, à une assez grande distance dans le Sud-Est. Cette chaîne me parut devoir se continuer sous l’eau, en suivant la même direc­tion, jusqu’à un rocher assez étendu, mais peu élevé, situé à l’ouverture du port. Nous passâmes entre ce rocher et la pointe Nord-Ouest de l’entrée. Dans cette passe, les algues, dont la mer étoit couverte, embarrassoient tellement nos avirons, que l’équipage du canot eut de la peine à nager. Dégagés enfin de ces algues, nous sommes entrés dans un havre assez spacieux, où plusieurs bâtimens peuvent être à l’abri de tous les vents. »

« Nous avons débarqué à la côte méridionale de ce havre,

d’où
1792.
Avril.
 » d’où je me suis rendu, avec M. Beautemps-Beaupré,

sur la pointe Sud-Est de l’entrée. De là on pouvoit apercevoir toutes les côtes de la baie de la Recherche où les frégates avoient d’abord mouillé ; on voyoit distinctement l’ouverture du port du Nord, le cap Boreel et les îlots qui sont à son extrémité. Plusieurs relèvemens ont été observés sur cette pointe : nous espérions pouvoir relever les brisans et les rochers que l’on avoit aperçus au Nord du premier mouillage des frégates ; mais nous ne pûmes jamais parvenir à les découvrir.»

« Après être restés six heures à cette station, nous sommes revenus passer la nuit à notre canot. Le lendemain, à la pointe du jour, nous avons commencé à sonder l’intérieur de ce havre. Le fond y est presque par-tout de sable fin ; et l’on y trouve de 15 à 30 pieds d’eau. Pendant cette opération, nous avons débarqué sur plusieurs points pour y prendre des relèvemens. Les sondes se trouvent marquées dans le plus grand détail sur l’esquisse qui a été tracée par M. Beautemps-Beaupré. Les opérations nécessaires pour dresser le plan de ce havre étant achevées, nous avons fait route pour le mouillage des frégates ; et nous sommes arrivés à bord de La Recherche,le lendemain du jour de notre départ, à cinq heures et demie du soir.

» Signé De Cretin. »

30. Le 30 avril, M. de Cretin fut envoyé une seconde fois dans un canot de La Recherche, avec M. Beautemps-Beaupré, 1792.
Avril.
pour aller reconnoître les côtes situées au Nord-Est et à l’Est du port du Nord. Il est parti accompagné d’un canot de l’Espérance, aux ordres de M. De la Grandière. Ces embarcations sont rentrées dans la matinée du 3 mai : je ne Mai.
3.
leur avois fait prendre de vivres que pour trois jours ; et c’est à regret que M. De Cretin, qui commandoit en chef ces canots, s’est vu forcé de revenir. Je joins ici le récit des découvertes de cet officier.

Second Compte de M. De cretin.

« Je fus chargé de visiter les côtes situées à l’Est et au Nord-Est du port du Nord. Je partis de la Recherche dans la matinée du 30 avril ; et je fus joint bientôt par le canot de l’Espérance, commandé par M. De la Grandière, lieutenant de vaisseau.

» En sortant du port du Nord, nous prolongeâmes la côte de bâbord. Lorsque nous eûmes fait environ une lieue le long de terre, nous passâmes au milieu de rochers qui s’avançoient fort au large de la côte : quelques-uns de ces rochers étoient à fleur d’eau, et d’autres étoient assez élevés. Les vents varioient du Nord-Nord-Ouest au Nord-Nord-Est. Nous nous sommes élevés dans le Nord, en suivant la côte, afin de pouvoir passer au vent des îles Stériles et des dangers qui étoient à tribord.

» A dix heures du matin, la pointe Sud de l’anse des Ormiers restoit par notre travers. Alors je fis diriger la route pour traverser la baie et nous rendre à la côte orientale. 1792.
Mai.
»Nous parvînmes, à force de rames, jusqu’au cap Bruny. Après l’avoir doublé, nous eûmes connoissance d’une anse de sable, terminée par deux pointes de roches. On voyoit à l’ouverture de cette anse un rocher, derrière lequel nous espérions descendre à terre ; mais en approchant nous vîmes la mer briser avec violence, et il fallut renoncer à y aborder. Nous fûmes obligés de mouiller à l’abri du rocher, pour donner aux équipages des canots le temps de se reposer.»

»En sortant de cette anse nous prolongeâmes la côte, qui d’abord court directement à l’Est, et ensuite prend sa direction à-peu-près au Nord-Est Nord pour former avec le cap Boreel une baie ouverte au Sud. Depuis le point où cette côte commence à se diriger au Nord, nous l’avons suivie pendant trois quarts de lieue. Elle est si escarpée, que nous ne pûmes débarquer sur aucun point pour prendre des relèvemens.»

»Enfin, à cinq heures et demie du soir, nous eûmes connoissance d’une petite anse, dans laquelle nous pouvions descendre à terre et mettre nos canots à l’abri. Nous y mouillâmes ; et je fis dresser les tentes sur le bord de la mer pour y passer la nuit. Ensuite je marchai, en suivant le rivage, vers une pointe située au Nord du lieu de notre débarquement, et derrière laquelle je présumois trouver l’embouchure d’une rivière ; mais la nuit m’ayant surpris, je ne pus rien découvrir, et je fus obligé de retourner près de nos canots.» 1792.
Mai.
»Le lendemain, lorsque le jour parut, je me rendis à la pointe où j’étois allé la veille. Derrière cette pointe je vis une très-petite rivière, fermée à son embouchure par une barre sur laquelle la mer brisoit avec violence. M. Jouvency, ingénieur géographe de l’Espérance, s’avança jusqu’au bord, et goûta l’eau, qu’il trouva saumâtre : je revins avec lui aux canots, et nous nous rembarquâmes pour continuer nos recherches. »

»Voyant que la grande baie dans laquelle nous nous trouvions, ne pouvoit offrir d’asile aux vaisseaux, je me décidai à l’abandonner, pour remplir le second objet de ma mission, qui étoit de visiter un grand enfoncement qui avoit été aperçu dans le Nord-Est de la baie de la Recherche. Nous l’avions vu d’assez près hier matin, et nous espérions y faire des découvertes intéressantes ; je quittai donc sans regret cette côte stérile et inabordable, pour nous diriger vers ce vaste enfoncement. »

»Le vent étoit au Nord et Nord-Nord-Ouest : je fis orienter la voile du canot ; et nous longeâmes une seconde fois la côte que nous avions suivie la veille, afin de nous rendre le plus directement qu’il étoit possible à notre destination. Après avoir doublé le cap Bruny, le vent prit du Nord-Est, et nous fîmes route au plus près du vent. La première bordée nous conduisit près de la côte occidentale de l’ouverture que nous voulions visiter ; la seconde bordée nous permit de nous diriger sur une petite île située en dedans de la pointe orientale de cette ouverture. Le vent 1792.
Mai.
»souffloit avec force, et le sillage des canots nous empêcha de sonder au milieu du canal ; mais nous n’aperçûmes aucun danger sur notre route. Je crois qu’il doit y avoir un grand brassiage ; car en approchant l’extrémité Sud de la petite île vers laquelle nous nous étions dirigés, nous avons trouvé vingt-une brasses d’eau, sur un fond de beau sable fin. Nous nous trouvions alors à l’entrée d’une passe très étroite, qui sépare l’île de la pointe orientale de la grande baie dans laquelle nous commencions à nous engager.»

»Après être sortis de cette passe, nous découvrîmes une petite anse de sable, où je me décidai à débarquer. Nous prîmes aussitôt des relèvemens, et nous nous mîmes à faire quelques incursions dans l’île. Nous fîmes partir, dans nos courses, deux compagnies de perdrix qui nous parurent être de la même espèce que celles d’Europe. A une petite distance du rivage, trois huttes, qui étoient abandonnées, nous firent penser que les naturels du pays venoient habiter cette petite île dans certaines saisons de l’année. Sur le soir le temps devint mauvais : toute la nuit nous avons eu des grains violens et de la pluie ; mais notre établissement étoit trop bien situé pour que nous eussions rien à craindre.»

»En quittant l’anse, nous fîmes route sur une ouverture qui restoit au Nord—Est du compas, et qui sembloit indiquer l’entrée d’un canal très-profond. Lorsque nous nous fûmes éloignés du rivage, nous reconnûmes que nous étions dans une rade immense, dont les côtes formoient plusieurs anses profondes, et présentoient des découpures 1792.
Mai.
»derrière lesquelles on pouvoit espérer de trouver des havres bien fermés.

»Nous laissâmes à tribord une petite île (l'ile du Satellite), située à la côte orientale de l’entrée du canal ; et nous continuâmes notre route en nous tenant à égale distance de deux coteaux très-agréables, garnis d’arbres depuis le rivage jusqu’à leurs sommets. Après avoir doublé une pointe de la côte orientale (la pointe de Riche), située à environ deux lieues de l’île dont nous venons de parler, nous découvrîmes un vaste bassin, qui nous parut n’avoir d’issue que dans le Nord. Les pointes qui nous restoient à ce rumb de vent, se croisoient ; et nous pouvions juger que le canal se courboit d’abord au Nord-Ouest pour reprendre ensuite la direction du Nord-Est. Il étoit alors près de midi ; nous avons observé la hauteur méridienne, qui nous a placés par 43° 17’ de latitude : la sonde rapportoit au même instant sept brasses d’eau sur un fond de coquillage.»

»Je goûtai l’eau, que je trouvai aussi salée qu’en pleine mer. Ce nouvel indice me fit espérer que ce canal pouvoit avoir communication avec la mer par son extrémité septentrionale. Nous aurions tous désiré pouvoir vérifier cette conjecture et pousser nos recherches plus loin ; mais la petite quantité de vivres que nous avions emportée ne nous permit pas de nous éloigner davantage des frégates, et nous fûmes contraints de revenir sur nos pas.»

»Il s’élevoit de la fumée sur la côte occidentale : je dirigeai la route pour nous en approcher ; et nous descendîmes à 1792.
Mai.
»terre, près d’un ruisseau, où les équipages des canots eurent quelque temps pour se reposer. En nous promenant sur le bord de la mer, nous découvrîmes quatre huttes qui nous parurent nouvellement construites, mais près desquelles nous ne vîmes aucun des naturels du pays. Le feu vers lequel nous nous étions portés, étoit pour nous une marque qu’ils ne dévoient pas être loin de leurs habitations, dont ils s'étoient vraisemblablement éloignés par la crainte que nous leur avions inspirée. On laissa, dans le lieu le plus apparent de l’une de ces huttes, un couteau et du biscuit.»

»Nous partîmes à trois heures et demie ; le canot de L'Espérance fit route au milieu du canal, où il ne trouva jamais moins de six brasses d’eau sur un fond de sable. Le canot de la Recherche où j'étois, suivit le bord occidental, près duquel il n’y avoit pas moins de quatre brasses. A l’entrée de la nuit nous étions à l’extrémité méridionale du canal. Je dirigeai la route sur une île aperçue dans l’Ouest (l’île Huon), où j’espérois trouver un abri pour y passer la nuit. Avant d’arriver à cette île, nous passâmes près d’un rocher troué qui formoit une espèce d’arcade. Nous parcourûmes la côte orientale et la côte occidentale de l’île, en la tournant par le Nord : mais voyant que nous ne pouvions y débarquer sans compromettre la sûreté des canots, je pris le parti de sortir pendant la nuit de la grande rade que nous avions traversée avant d’entrer dans le canal ; et je profitai du beau temps pour me rapprocher des frégates.» 1792.
Mai.
»A environ minuit nous avons doublé l’île aux Perdrix ; et à minuit et demi, nous sommes entrés dans la baie des Moules. Il s’est trouvé de quatorze à quinze brasses d’eau dans le milieu de cette baie. Nous avons mouillé très- près de la côte, par sept brasses d’eau, sur un fond de sable fin. Au jour, nous avons appareillé ; et en suivant toujours la côte de très-près, nous nous sommes rendus dans le port du Nord. Signé De Cretin

Le récit de M. de Cretin et l’esquisse que M. Beautemps-Beaupré m’a remise des reconnoissances faites par nos canots, m’ont fait penser que cette partie de la côte de la terre de Van-Diémen exigeoit d’être vue de plus près ; et il n’étoit pas hors de vraisemblance que la baie de l’Adventure ne fût située sur une terre séparée du continent par un canal dont M. de Cretin auroit visité la partie méridionale. Je projetai de mettre à la voile aussitôt que les réparations urgentes qui nous restoient à faire seroient terminées, et d’aller mouiller à l’entrée du canal dans lequel les embarcations avoient remonté jusque par la latitude Nord de 43° 17’ observée par MM. de Cretin et de la Grandière : de là je devois expédier de nouvelles embarcations dans le Nord, pour m’assurer, s’il existoit ou non un passage ; et je devois envoyer dans l’Ouest pour reconnoître de vastes baies dont on n’avoit pu déterminer la profondeur. M. Huon me proposa d’envoyer sur-le- champ sa chaloupe ; mais comme il y avoit à-la-fois plusieurs

objets
1792.
Mai.
objets importans à remplir, il m’a paru plus convenable

d’attendre quelques jours et d’aller mouiller dans le canal, dont alors il seroit possible de visiter toutes les parties, sans craindre que la communication des canots avec les frégates fût interrompue par le mauvais temps. Il n’etoit pas à propos de laisser imparfaite la reconnoissance d’une partie de cette côte, qui sembloit offrir de si grands avantages pour la navigation.

Du point où les embarcations se sont arrêtées, l’on découvroit dans le Nord à la distance de deux lieues, la continuation du canal ; il paroissoit se détourner vers le Nord-Ouest pour reprendre une nouvelle direction vers le NordEst, et se rapprocher du lieu où je supposois que devoit être la baie de Fréderik-Hendrikx. Mais, dans tous les cas, l’extrémité de ce canal, s’il existoit, ne pouvant pas être éloignée de la baie de l’Adventure, et la latitude observée étant déjà de quelques minutes plus Nord que le mouillage de cette baie, il me paroissoit certain que le canal devoit aboutir au Nord du cap désigné sous le nom de Frédéric-Henry dans la carte du troisième Voyage de Cook.

Je me proposois de reconnoître l’extrémité de ce canal, et de vérifier si la baie de Fréderik-Hendrikx, dans laquelle nul autre navigateur que Tasman ne paroît avoir relâché, se trouvoit au Nord de la baie de l’Adventure, ainsi que Cook semble l’avoir pensé, d’après le nom qu’il a donné au cap qui forme la pointe septentrionale de cette dernière baie : car à l’inspection de la carte tirée de l’ouvrage de Valentin, 1792.
Mai.
il me paroissoit également probable que la baie de Fréderik-Hendrikx de Tasman étoit celle à l’entrée de laquelle les navires le Mascarin et le Marquis-de-Castries, commandés par M. Marion, avoient mouillé en 1772. Dans ce cas, la baie appelée Oyster-bay par le capitaine Cox, commandant le brik le Mercury, devoit être placée à la côte occidentale de l’île Maria de Tasman ; et le cap Fréderik-Hendrikx de Tasman seroit le cap du même nom, que Cox, à l’époque du 10 juillet 1789, après être sorti de Oyster-bay, auroit relevé au Sud, à la distance de dix à douze milles.

Il étoit nécessaire de résoudre cette question impor­tante pour la géographie ; car il paroît que ni Furneaux, ni Cook, ni en dernier lieu le capitaine Cox, n’avoient pu se tenir assez près de terre pour reconnoître la baie de Fréderik-Hendrikx, soit qu’ils craignissent de s’engager, pendant la mauvaise saison, dans une baie aussi profonde, soit qu’ils eussent été repoussés au large par la violence des vents ou des courans.

Les vents d’Est et de Sud-Est, qui ont soufflé pendant deux fois vingt-quatre heures, ont rendu la pêche beaucoup plus abondante qu’à l’ordinaire ; ils ont amené de nouvelles espèces de poissons dont MM. les naturalistes ont enrichi leurs collections.

Le climat de cette partie de la Nouvelle-Hollande nous a paru très-doux ; le thermomètre de Réaumur s’est cons­tamment soutenu entre 9° et 14° de hauteur : aussi a-t-on trouvé beaucoup de plantes encore en fleurs au mois de 1792.
Mai.
mai, qui, relativement à la position du soleil, correspond au mois de novembre d’Europe. Les arbres, dans le havre, n’avoient pas encore perdu leurs feuillages: il est à présumer que l’été doit y être d’une température beaucoup plus élevée que sa position en latitude ne semble l’indiquer. L’extrême humidité du sol de ce havre doit occasionner, dans les grandes chaleurs, des vapeurs d’autant plus nuisibles, que l’air y est aussi stagnant que les eaux: le port en est si fermé, qu’il ne peut être rafraîchi par les brises de terre et de mer, qui, dans la belle saison, renouvellent et purifient l’air sur les côtes de toutes les terres d’une certaine étendue.

Un grand nombre de pétrifications ont été trouvées dans ce havre ; plusieurs échantillons qu’on en a rapportés, avoient tellement les caractères de bois pétrifié, qu’il n’étoit pas possible de se refuser à les reconnoître.

Les plans de M. Beautemps-Beaupré suffisent pour indiquer les divers mouillages, et les routes pour s’y rendre ; toutes sont également sûres et faciles.

Le capitaine Cook annonce, dans ses observations sur la terre de Van-Diémen, où il a mouillé en janvier 1777, qu’avant lui on n’avoit abordé que deux fois à cette côte ; et il ajoute qu’aucun navigateur Européen ne l’avoit vue depuis Tasman qui la découvrit en novembre 1642, jusqu’à l’époque où le capitaine Furneaux y toucha, en mars 1773: mais le capitaine Cook ignoroit alors qu’en l’année 1772, les navires François le Mascarin et le Marquis-de-Castries avoient mouillé dans une baie nommée par eux, baie de 1792.
Mai.
Fréderik-Hendrikx, sans doute d’après la carte de Valentin ; ils en partirent le 10 mars 1772, et ce fut l’année d’après, que le capitaine Furneaux entra dans la baie de l’Adventure.

La simplicité et la douceur apparentes des habitans de la terre de Van-Diémen, vus à la baie de l’Adventure par le capitaine Cook, et à celle des Huîtres par le capitaine Cox, semblent inconciliables avec la conduite hostile des naturels vus par les vaisseaux François dont nous venons de parler. Peut-être la supériorité des armes Européennes qui leur étoient inconnues avant l’arrivée des François, et dont ils firent l’épreuve dans la malheureuse circonstance où l’on fut forcé d’en faire usage, les a-t-elle rendus seulement plus circonspects et plus timides ; ce qui semble indiquer la nécessité d’être toujours sur ses gardes et de les contenir par la crainte.

Pendant notre long séjour dans le port du Nord, les marées nous ont paru être très-irrégulières, et dépendre beaucoup plus des vents qui souffloient au large, que des phases de la lune : la mer y monte d’environ quatre pieds.

On a fait un très-grand nombre d’observations pour déter­miner la déclinaison de l’aiguille aimantée, ainsi que son inclinaison. La déclinaison étoit de 8° 1′ vers le Nord-Est, et l’inclinaison, de 70° 50′ vers le Sud ; la durée d’une oscilla­tion infiniment petite de l’aiguille aimantée, de 1"869.

Nous avons eu peu de jours propres aux observations ; ce qui nous a fait manquer quatre occultations d’étoiles, dont MM. Rossel et De Bonvouloir avoient préparé le 1792.
Mai.
calcul : on n’a pu observer qu’une seule éclipse du premier satellite de Jupiter, et un assez petit nombre de distances de la lune au soleil et aux étoiles. Au reste, l’accord de ces diverses observations entre elles et avec les résultats donnés par les montres a dû nous inspirer une grande confiance dans ces deux moyens de fixer la position des terres où nous devions aborder. La latitude du port du Nord est de 43° 32’17" : la longitude qui résulte des distances que nous y avons observées, est de 144° 42’39" ; mais d’après les observations qui ont été faites au port du Sud en 1793, elle a été déterminée de 144° 36’33" à l’orient de Paris.

Le port où nous avons séjourné, est le lieu le plus convenable pour faire les réparations que peuvent rendre nécessaires les gros temps auxquels on est exposé dans ces mers orageuses ; les autres grandes baies découvertes dans la partie du Nord-Est de la baie de la Recherche, présentant des abris non moins sûrs, seroient trop vastes, et la mer y seroit trop agitée pour permettre d’y entreprendre de semblables opérations : ce sont de très-belles et de magnifiques rades, placées dans le voisinage d’un excellent port.

Quoique le climat nous ait paru doux, et que nous ayons eu de très-beaux jours pour une saison aussi avancée, il y en a cependant eu peu d’assez favorables pour faire des observations astronomiques, et des reconnoissances le long de la côte avec nos canots : aussi nous a-t-il été bien démontré qu’il seroit aussi imprudent qu’inutile d’essayer de reconnoître la partie Sud-Ouest de la Nouvelle-Hollande, 1792.
Mai.
dans toute autre saison que dans les trois mois d’été ; cette reconnoissance, pour être bien faite, exige un temps constamment beau et de longs jours : le soin de ne rien laisser d’imparfait est resté seul aux navigateurs qui n’ont pas eu le mérite des premières découvertes.

Un des naturalistes a trouvé dans ce havre des ossemens qu’il a jugés avoir appartenu au corps d’une très-jeune fille ; ils étoient parmi les cendres d’un des foyers où il paroît que les naturels font cuire leurs alimens : quelques restes de chair grillée paroissoient attachés à ces ossemens. Un fait ainsi isolé, sans autres indices, sur-tout chez un peuple de mœurs aussi simples, n’est pas suffisant pour autoriser des conjectures injurieuses à la nature humaine et qui la ravalent au-dessous des bêtes les plus féroces, lesquelles du moins épargnent leur propre espèce. Ne pourroit-on pas conclure seulement de ce fait, que les sauvages ont coutume de consumer par le feu les dernières dépouilles de l’espèce humaine !

14. Dès que nos réparations furent terminées, nous nous disposâmes au départ : mais, dans la nuit qui devoit le précéder, des grains violens de Nord-Ouest firent chasser et échouer les deux frégates ; le jour suivant fut employé à les mettre à flot : le vent se calma dans l’après-midi et nous fit espérer de sortir enfin de ce port, où notre séjour avoit été prolongé beaucoup plus que je ne le comptois. Nous mîmes 16. sous voiles, le 16 mai de très-grand matin ; et, à l’aide d’un léger vent du Nord, et par le moyen de nos embarcations, nous quittâmes ce havre. Il nous avoit fait éprouver une 1792.
Mai.
espèce d’enthousiasme quand nous y entrâmes ; mais depuis la reconnoissance des baies et des divers ports qui l’avoisinent, nous commencions à le dédaigner. J’aurois désiré de passer entre l’anse des Ormiers et les îles Stériles ; mais alors nous ne connoissions pas assez le passage pour pouvoir le pratiquer : nous rangeâmes de très-près les brisans qui sont dans le Sud des îles Stériles ; aussi leur position est-elle bien déterminée. Je ne crains pas d’annoncer la carte de cette partie comme une des plus exactes qui aient été faites durant le cours des navigations entreprises dans ces derniers temps.

Le vent et la marée contraires ne nous permettant pas d’entrer dans le canal le même jour, nous mouillâmes à l’entrée, par un fond de trente-cinq brasses. L’apparence de temps étoit très-belle ; mais le baromètre qui baissoit déjà depuis vingt-quatre heures, continua de descendre jusqu’à vingt-sept pouces quatre lignes. Nous ne l’avions pas vu encore aussi bas, même dans les plus gros temps : cet extrême abaissement du mercure étoit inquiétant dans une saison aussi avancée, et dans un mouillage aussi exposé aux vents du large. Toutes nos embarcations se trouvoient alors à la mer ; il me parut prudent de faire hisser du moins la chaloupe à bord, et j’attendis le jour avec impatience : mais, à mon grand étonnement, le lendemain fut aussi serein que le jour précédent ; nous voyions seulement les hautes montagnes couvertes de neiges : le froid étoit piquant, et le vent toujours au Nord. L’état apparent de l’atmosphère n’a pu nous rendre raison de cet abaissement extraordinaire du mercure, et 1792.
Mai.
d’autant moins, que quelques jours après, par le même temps, le baromètre étoit à vingt-huit pouces quatre lignes, c’est-à-dire d’un pouce plus élevé qu’il ne l’avoit été dans les mêmes circonstances. On appareilla dès que le courant devint favorable, et l’on courut des bords pendant toute la journée ; ce ne fut qu’à la nuit que nous parvînmes à doubler l’île aux Perdrix, qui forme l’entrée de la baie : elle fut rangée d’aussi près que le vent le permit ; et dès que la pointe Nord de cette île eut fermé la passe, nous laissâmes tomber l’ancre par vingt-huit brasses fond de vase. La nuit close nous priva de la vue de cette vaste et superbe baie : cette satisfaction nous fut réservée pour le lendemain. De très-grand matin, nous nous disposions tous à jouir de ce spectacle ; mais le temps fut d’abord si obscur, que l’on ne distinguoit guère mieux les objets qu’au moment où nous avions mouillé : le ciel s’éclaircit peu à peu dans la matinée, et chaque nouveau rayon de lumière nous fit découvrir de nouvelles beautés ; de tous côtés l’on apercevoit des baies d’une immense profondeur, toutes également abritées contre les vents, et où la mer n’étoit agitée que par les lames qui se formoient dans l’étendue de leur bassin. Les terres hautes et couvertes d’arbres dont les différentes baies sont entourées, annonçoient par-tout un fond également bon et sans écueils. Aucun des navigateurs de l’expédition n’avoit encore vu, dans ses voyages, de mouillage aussi vaste et aussi sûr ; toutes les flottes du monde pourroient s’y trouver rassemblées, et elles laisseroient encore de grands espaces à remplir : mais

comme
1792.
Mai.
comme ce n'étoit pas à cette seule baie que dévoient se borner

nos recherches, je ne perdis pas un instant, j’expédiai un canot pour aller à la découverte de la baie de Fréderik-Hendrikx ; MM. de Saint-Aignan et Beautemps-Beaupré par­tirent avec des vivres pour quatre jours, vers les onze heures, époque où le temps devint un peu moins mauvais : l’Espérance détacha, peu après, deux de ses embarcations, l’une commandée par M. de la Seinie , accompagné de M. Jouvency, la seconde aux ordres de M. de Luzançay, accom­pagné de M. Pierson, pour reconnoître les enfoncemens que l’on voyoit dans la partie de l’Ouest ; MM. d’Auribeau et De Cretin se chargèrent de parcourir la côte de l’Est : MM. Rossel et de BONVOULOIR furent en même temps envoyés pour aller déterminer la latitude de l’île aux Per­drix, et y faire d’autres observations astronomiques. M. De la Seinie reconnut dans l’Ouest un port excellent (le port de l’Espérance), à l’abri de la mer de la grande baie ; il pourroit servir de lieu de radoub, même pour abattre en carène : on y trouva de l’eau douce avec assez d’abondance. C’est auprès de l’aiguade de ce port que nous avons vu le premier être humain dans ces contrées ; mais il ne fut pas possible de le faire approcher, quelques signes d’amitié qui lui aient été faits. Je joins ici le compte que m'a rendu

M. De la Seinie.
Compte de M. De la Seinie.
1792.
Mai.

«M. Huon de Kermadec, commandant l’Espérance, me chargea de visiter un enfoncement qui restoit au Nord-Ouest du mouillage des frégates. Je partis, le 20 mai, à trois heures et demie après-midi, accompagné de M. Jouvency : les vents étoient de l’Ouest au Nord-Ouest, et nous ne pûmes arriver avant la nuit close à notre destination. Nous débarquâmes sur la côte méridionale d’une petite île (l’île la Haye) située un peu en dedans de l’entrée de l’enfoncernent que nous venions visiter. Cette île est couverte d’arbres ; nous y avons rencontré, à chaque pas, des écailles d’huîtres, et des traces récentes de feu ; tout paroissoit indiquer qu’elle avoit été habitée par des naturels du pays, et qu’ils dévoient l’avoir abandonnée depuis peu de temps.»

»Le 21, en quittant cette île, nous avons fait route au Sud vers une anse étroite, mais profonde, bordée de montagnes élevées, dont l’aspect sembloit indiquer l’embouchure d’une rivière. Entre l’île et la côte, nous avons trouvé depuis dix-sept brasses d’eau jusqu’à vingt-huit brasses, sur un fond de sable et de vase : ce canal, qui peut avoir un peu moins d’un demi-mille de largeur, offre un mouillage où l’on peut être à l’abri de tous les vents.»

»En approchant de l’anse que j’allois visiter, je m’aperçus qu’elle étoit formée par une espèce de ravin qui n’a pas plus d'une encablure et demie près de la mer, et qui s’avance dans les terres en diminuant de largeur jusqu’à 1792.
Mai.
la distance de deux encablures environ. Au fond de cette anse, l’on trouve un ruisseau dont l’eau est excellente, et qui peut en fournir assez pour plusieurs bâtimens. Il y a huit brasses et demie d’eau à l’ouverture de ce petit enfoncement, cinq dans le milieu, et trois au fond. Les vaisseaux peuvent y être assez à l’abri des vents et de la mer pour y être abattus en carène.»

» Nous avons aperçu près du ruisseau une hutte, à laquelle plusieurs sentiers battus venoient aboutir. On a vu un des naturels du pays : ce naturel prit la fuite aussitôt qu’on l’aperçut ; mais néanmoins on eut le temps de remarquer qu’il étoit d’une taille moyenne et fort mince.»

» Les vents souffloient avec force de l’Ouest à l’Ouest-Nord-Ouest ; et nous avons gagné, avec peine, un îlot situé en dedans du port, à environ un demi-mille dans le Nord-Ouest ou le Nord-Nord-Ouest de l’île où nous avions relâché pendant la nuit. Cet îlot n’est abordable que dans la partie du Sud-Est ; tous les autres côtés sont bordés de ressifs qui s’étendent à une portée de fusil au large : presque tous les arbres que nous y avons vus, avoient été attaqués par le feu.»

» De là, nous avons gagné une rivière dont l’embouchure est à la côte septentrionale du port, dans le Nord-Nord-Ouest à-peu-près de l’îlot que nous venions de quitter. Ayant aperçu que cette embouchure étoit fermée par une barre sur laquelle la mer brise avec assez de violence, nous avons été obligés de nous en éloigner pour 1792.
Mai.
»descendre à terre, sur une plage de beau sable blanc. Nous nous rendîmes, en marchant sur le bord de la mer, jusqu’à la rivière dans laquelle nous n’avions pu entrer avec notre canot : lorsque nous fûmes arrivés sur la rive orientale, nous vîmes les arbres de la rive opposée s’agiter ; et nous entendîmes un bruit semblable à celui de branches d arbres que l’on auroit brisées : tous les yeux se dirigèrent à l’instant sur l’endroit d’où ce bruit partoit ; mais on n’aperçut aucun des naturels du pays, quoique tout le monde regardât de ce côté avec une grande attention. Il est probable que les auteurs de ce bruit se sont enfuis à l’instant où ils nous ont découverts ; car il ne s’est plus fait entendre depuis.»

»L’eau de cette rivière est bourbeuse et saumâtre ; d’ailleurs les embarcations ne pouvant y entrer, il seroit extrêmement difficile d’y faire une assez grande quantité d’eau pour approvisionner un bâtiment.»

»Du lieu où nous avons mis à terre, nous apercevions dans le Sud-Ouest les côtes de ce port se rapprocher tellement quelles ne laissoient entre elles qu’un goulet d’environ un demi-mille de largeur, au travers duquel on voyoit des terres dans l’éloignement. Nous nous rembarquâmes pour gagner ce goulet en louvoyant. Parvenus à la pointe septentrionale, nous avons découvert un arrière-port de forme à peu-près semblable au premier, et à l’entrée duquel nous avons aperçu une petite île, située en dedans de la pointe méridionale. Nous avons trouvé de neuf à douze 1792.
Mai.
»brasses d’eau entre la côte septentrionale et l’île ; mais le passage qui est au Sud, se trouve fermé par deux petits îlots.

» Nous passâmes la nuit sur la pointe de tribord en entrant dans l’arrière-port ; et au jour, nous nous sommes rembarqués. Il n’y avoit pas un souffle de vent, et la pluie tomboit en grande abondance. En partant, j’ai fait diriger notre route pour suivre la côte de tribord de l’arrière-port ; mais dans l’espace de moins d’une encablure, le brassiage a diminué de douze brasses à une brasse, et bientôt après la chaloupe s’est échouée. Lorsqu’elle fut mise à flot, j’ai fait rallier la côte de bâbord ; et en la suivant, j’ai toujours trouvé de cinq à six pieds d’eau. À environ un mille en dedans, il y a quatre petits îlots rangés sur une ligne Nord-Est et Sud-Ouest, et liés ensemble par des hauts-fonds. Ces îlots et les bancs traversent l’arrière-port dans toute sa largeur. Au-delà des îlots, j’ai aperçu une espèce de canal qui a des sinuosités et qui est bordé par un terrain marécageux ; au bout de cette espèce de canal on a vu les embouchures de deux rivières, dont l’une paroissoit avoir son cours dans le Sud-Ouest, et l’autre dans l’Ouest. »

»Les marais qui bordent la partie que je n’ai pu visiter parce qu’il n’y avoit pas assez d’eau pour la chaloupe, étoient couverts de cygnes, de canards, de pélicans : tous ces oiseaux nous ont paru très-farouches ; ils se sont envolés avant qu’on ait pu les approcher d’assez près pour les tirer. 1792.
Mai.
»En quittant les îlots où notre course a été arrêtée, nous sommes revenus sonder l’avant-port, où nous avons trouvé depuis vingt-cinq brasses d’eau jusqu’à douze brasses, sur un fond de sable et de vase. Signé De la Seinie


»L’enfoncement que devoit reconnoître M. de Luzançay(la rivière Huon) étoit trop profond pour qu’il pût le parcourir dans toute sa longueur : il s’étendoit dans le Nord-Ouest, sans qu’on l’eût vu se terminer. Le pays est si prodigieusement coupé, et présente une si grande quantité de petites îles, qu’il ne seroit point étonnant que nous pussions trouver plusieurs communications avec la mer.»

»La partie de l’Est où étoit allé M.d'Auribeau, forme aussi plusieurs anses dans lesquelles il ne jugea pas devoir s’enfoncer, parce qu’il craignoit de tomber sous le vent, et de ne pouvoir pas revenir le même jour : ce qu’il avoit parcouru de la côte, laissoit peu d’espérance d’y trouver de l’eau douce. On aperçut sur cette côte deux sauvages et un enfant ; mais ils s’enfuirent aussi précipitamment que les naturels de la côte de l’Ouest, quoique rien n’eût été négligé pour les rassurer. Ils laissoient, d’espace en espace, en s’éloignant, les peaux de kangourou dont ils se couvrent le dos, leurs petits paniers et d autres ustensiles, soit pour pouvoir accélérer leur fuite, soit pour suspendre la poursuite de nos gens, en excitant leur curiosité par les divers objets semés sur leur route. M. d'Auribeau fit prendre un échantillon de chaque chose, qu’il remplaça par des mouchoirs, des gilets, des couteaux ; 1792.
Mai.
car chacun s’empressa de fournir ce qu’il avoit sur lui, dans l’espoir de les attirer par des objets nouveaux pour eux : l’on se proposoit d’y retourner le lendemain, en évitant sur-tout de les effrayer par le bruit de nos armes à feu ; mais une circonstance imprévue fit aborder dans ce même lieu un canot d’où partirent quelques coups de fusils, ce qui sans doute les épouvanta ; car, après avoir été aperçus de nouveau, ils ne reparurent plus le jour suivant.

Trois jours s’écoulèrent dans les diverses opérations entreprises pour la reconnoissance des côtes dont nous étions environnés : j’attendois avec impatience la fin du quatrième jour, époque la plus éloignée du retour du canot expédié dans le Nord ; je n’espérois pas néanmoins qu’il eût trouvé le passage soupçonné, parce que les ordres donnés à M. de Saint-Aignan étoient de revenir sans délai, s’il le découvroit : ne le voyant point paroître le troisième jour, toutes nos espérances à cet égard s’étoient évanouies ; et toute ma crainte, à la fin du quatrième, étoit que ce canot ne fût retenu sans vivres par les vents contraires : mes inquiétudes s’accrurent le lendemain, quand l’heure du dîner fut venue ; je me disposois à expédier les deux chaloupes pour aller à sa rencontre et lui porter des vivres, lorsqu’enfin, dans l’après-midi de ce même jour, on l’aperçut à l’entrée de la baie où nous étions au mouillage, louvoyant pour venir nous rejoindre. Avant d’aborder le navire, des signes dont on ne devina pas d’abord le sujet, et ensuite des cris de joie, nous apprirent qu’ils avoient découvert un passage. Ce fut le soir du jour 1792.
Mai.
de leur départ qu’ils arrivèrent à l’extrémité du détroit ; et ils en seroient revenus le jour suivant, si les vents forcés du Sud ne les avoient obligés de chercher un abri derrière une île (l’île du Satellite) qui étoit en vue, mais où nous ne soupçonnions pas qu’ils dussent se trouver : il ne leur restoit absolument plus de vivres ; et malgré cette disette et le très mauvais temps qu’ils avoient essuyé, ils ont rempli cette mission avec une gaieté qui ne fut pas démentie un seul instant.

Le compte que M. de Saint-Aignan m’a rendu, et que je joins ici, fera connoître les découvertes qu’il a faites.


Compte de M. de Saint-Aignan.


«M. Dentrecasteaux me chargea d’aller dans le canal du Nord-Est, tenter un passage au-delà de l’endroit où MM. de Cretin et de la Grandière s’étoient transportés précédemment. Je partis dans le grand canot avec Beautemps-Beaupré. Nous avions onze hommes d’équipage et pour quatre jours de vivres. Il m’étoit enjoint, par mes instructions, de m’avancer dans le canal, aussi loin que la prudence me le permettroit. Il m’étoit recommandé, si je trouvois le canal fermé, après avoir fait route au Nord-Est, de débarquer et d’essayer de pénétrer dans les terres, en suivant toujours la même direction, afin de tâcher de parvenir jusqu’à la mer : je devois m’assurer si la baie de l’Adventure, ou la baie supposée de Fréderik-Hendrikx, serait éloignée du lieu où je me serois arrêté. Il

»me
1792.
Mai.
»me fut aussi ordonné d’observer la latitude et de prendre des relèvemens pour déterminer les positions respectives

des divers lieux que j’aurois visités.»

»Je quittai la frégate le 18 mai, à onze heures et demie, avec un vent de Sud variable au Sud-Sud-Est, bon frais, le temps pluvieux et par grains. Je gouvernai au Nord-Nord-Est et au Nord-EstNord, pour ranger la pointe occidentale de l’entrée du canal. Lorsqu’elle fut doublée, je dirigeai la route au Nord, et je prolongeai d’assez près les terres qui me restoient à bâbord. Les grains cessèrent lorsque je fus près de la côte ; le vent devint beaucoup moins fort ; le ciel s’éclaircit, et le soleil laissoit apercevoir les terres les plus éloignées. Je passai vis-à-vis de plusieurs anses de peu de profondeur, formées par la terre que je cotoyois à une encablure de distance. On vit le fond pendant quelques instans ; mais en laissant venir sur tribord, on ne tarda pas à le perdre de vue.»

»Lorsque je me trouvai dans le bassin qui avoit été découvert par M. de Cretin (baie de l’Isthme), j’aperçus, par-dessus les terres basses qui me restoient au Sud-Est Sud, un morne élevé, coupé presque perpendiculairement, et qui, d’après sa configuration , son gisement et la latitude que MM. de Cretin et Beautemps-Beaupré avoient observée, me parut devoir être le cap Cannelé, lequel forme la pointe méridionale de la baie de l’Adventure. L’éloignement où j’étois des terres basses, ne me laissoit apercevoir que quelques touffes éparses 1792.
Mai.
»d’arbres dont les tiges sembloient se perdre dans l’horizon. »

»Le canot avançoit avec une vîtesse que je ne voulois pas diminuer en sondant ; d’ailleurs je devois profiter de cette journée favorable pour étendre ma course le plus loin qu’il me seroit possible. »

»Je dirigeai la route sur l’ouverture qui me restoit au Nord et Nord-Nord-Ouest ; et j’entrai dans un canal de même largeur que celui par lequel j’étois arrivé dans la baie de l’Isthme. Les terres de tribord et de bâbord formoient des enfoncemens plus ou moins grands. Après avoir couru quelque temps au Nord, ma route prit de l’Est : parvenu à la partie la moins large du canal, je vis, dans un grand éloignement, une espèce de goulet, au travers duquel je crus apercevoir la pleine mer. J’osai me flatter que c’étoit le terme de mon voyage ; et déjà je me félicitois d’avoir rempli ma mission en si peu de temps. En effet, tout me portoit à croire que ce canal communiquoit avec la mer : on commençoit à ressentir un peu de houle ; les eaux avoient conservé la même âcreté dans toute l’étendue que j’avois parcourue : le courant avoit toujours eu assez de force, et je n’avois vu nul rétrécissement progressif dans ce canal, si ce n’est près des pointes avancées ; mais après les avoir doublées j’entrois dans des baies spacieuses. »

»Lorsque j’eus fait environ une demi-lieue, en continuant de courir au Nord-Nord-Est, j’aperçus des terres par-delà le goulet, mais à toute vue. Je craignis de me livrer trop à l’espérance ; mais, après m’être approché de 1792.
Mai.
ce goulet, il ne me fut plus permis de douter de l’existence d’un détroit, lorsque je vis la mer se briser avec violence contre le rivage, et s’agiter dans toute l’étendue qui se laissoit découvrir. Je sortis du goulet, et je me trouvai dans une baie immense, ouverte au Sud-Est.

» Il étoit environ cinq heures ; la chute du jour ne me permettant pas de m’avancer davantage, je ne m’occupai plus que de chercher un endroit facile pour le débarquement, et en même temps un lieu où le canot pût être en sûreté pendant la nuit. J’accostai la pointe Est du goulet, qui me parut être la seule abordable en dehors du canal. Je mis à terre dans une petite anse de sable très-fin, qui, par sa forme et sa position, m’offroit un abri paisible et sûr.

» Tandis que l’on débarquoit les vivres et les choses nécessaires à notre établissement, je marchai avec Beautemps-Beaupré le long de la côte, et nous profitâmes des derniers rayons du jour pour tâcher d’apercevoir les côtes de la grande baie que nous venions de découvrir. Nous trouvâmes plusieurs sentiers battus ; nous en suivîmes un qui nous conduisit au point le plus avantageux pour l’objet que nous nous étions proposé. Il étoit trop tard pour faire des relèvemens ; mais, par la direction dans laquelle nous apercevions l’ouverture de la baie, nous jugeâmes que les terres qui la forment au Nord-Est, ne pouvoient être que les îles nommées par Cook Iles Maria, dans la carte de son troisième Voyage. L’approche de la nuit nous réunit à notre équipage.

1792.
Mai.
 » On alluma du feu ; on dressa une tente pour nous mettre à l’abri de l’intempérie de la saison, et nous soupâmes tous ensemble : la grande tranquillité qui régnoit autour de nous, faisoit espérer quelques heures de repos ; mais la nuit fut très-froide, et nous fûmes obligés de déserter la tente pour nous approcher d’un grand feu que nous alimentions sans cesse.

» Lorsque le jour nous permit de voir les objets distinctement, Beautemps-Beaupré et moi nous allâmes faire une course du côté du cap que nous jugions être le cap nommé par les Anglois Fréderick-Henry, dans le dessein d’y faire quelques relèvemens. Mais, après avoir marché une heure, nous reconnûmes qu’il n’étoit pas possible de pénétrer facilement dans le pays : le temps étant précieux, je jugeai à propos de revenir pour sonder le goulet.

» A environ une petite portée de fusil de la pointe orientale du goulet où nous nous étions établis, la sonde rapporta quatre brasses ; plus loin elle rapporta dix brasses, et au milieu seize brasses : nous avons trouvé huit brasses en nous rapprochant de la pointe occidentale, et quatre brasses à une très-petite distance du rivage. Je voulois mettre à terre sur cette pointe ; M. Beautemps-Beaupré m’en avoit témoigné le desir : mais la lame qui brisoit avec force sur des rochers et des galets, me fit craindre d’exposer le canot à des avaries. Nous revînmes à la pointe orientale, où nous devions prendre la hauteur méridienne ; Beautemps-Beaupré fit l’esquisse du plan de la 1792.
Mai.
»grande baie extérieure, et observa un grand nombre d’angles avec un cercle à réflexion. Nous fîmes aussi quelques relèvemens à la boussole. Des nuages épais couvrirent le soleil au moment de midi, et nous ne pûmes pas prendre la hauteur méridienne. Nous fîmes démonter la tente, et nous nous rembarquâmes pour nous rendre à bord de la frégate.»

»Sur le bord de notre petite anse nous avions trouvé des espèces de pirogues, longues de sept à neuf pieds, également plates dessus et dessous. Leur largeur étoit de trois ou quatre pieds au milieu, et alloit en diminuant jusqu’aux deux extrémités qui se terminoient en pointe. Elles étoient composées d’écorces d’arbre très-épaisses, rassemblées dans le sens de leur longueur, et liées avec des joncs ou d’autres herbes ligneuses. Ce ne sont, en effet, que de très-petits radeaux auxquels on avoit donné la forme d’une pirogue.»

»Nous avions remarqué près de l’endroit où nous étions établis, des huttes semblables à celles du port du Nord ; elles contenoient des paniers de la même construction, des morceaux de peau de kangourou, des coquilles d’huîtres et de moules. Nous ne pûmes apercevoir aucun des naturels du pays, quoique tout annonçât qu’ils avoient habité récemment les huttes, et qu’ils ne dévoient pas en être éloignés.»

»Nous quittâmes l’anse à deux heures après-midi ; le vent frais et contraire ne nous permit pas d’aller le même jour plus loin que deux lieues, ou deux lieues et demie. Nous» 1792.
Mai.
»arrivâmes avec beaucoup de peine, à neuf heures du soir, dans une autre anse, où nous ne passâmes pas une nuit aussi tranquille que la précédente ; il tomba de la pluie et de la grêle. Au jour nous nous mîmes en route avec un vent très foible. Peu à peu le temps s’éclaircit ; le vent passa au Nord-Ouest, et j’eus l’espérance d’arriver le soir même à bord de La Recherche

»Cependant, lorsque nous fûmes dans le vaste bassin découvert par M. de Cretin, et que nous vîmes, pour la seconde fois, le cap élevé qui paroissoit derrière les terres basses qui me restoient à l’Est, je ne pus résister au desir d’aller voir si je pourrois découvrir la mer de l’autre côté. Je laissai arriver vent arrière ; le canot s’échoua à une grande distance de terre, sur un banc de sable, qui occupe la plus grande partie de l’enfoncement dans lequel je m’avançois : malgré la rigueur de la saison, je ne balançai pas à me déshabiller, à sauter en dehors du canot ; tenant un fusil d’une main, et de l’autre une boussole, je marchai dans l’eau jusqu’au rivage. En y arrivant, j’entendis la mer briser avec violence de l’autre côté. Je traversai une langue de terre qui peut avoir une encablure de large, et je me trouvai sur la cote de la baie de l’Adventure. Le froid ne m’empêcha pas de prendre plusieurs relèvemens sur le lieu où j’étois, et de dessiner la vue des terres que j’avois déjà relevées a l’extrémité du détroit. Je traversai une seconde fois la même langue de terre, au travers des herbes, dont quelques-unes étoient fort piquantes ; et 1792.
Mai.
»je gagnai le canot de la même manière dont je l’avois quitté.»

»Après avoir doublé la pointe méridionale de l’enfoncement dans lequel je m’étois engagé (pointe de Riche), nous mîmes à la voile, avec le temps le plus favorable : mais, par un malheur que j’étois loin de prévoir, le vent tomba tout-à-coup, et nous fûmes obligés de lutter avec les avirons contre un courant très-fort. Nous gagnions avec une peine extrême ; cependant nous arrivâmes, à environ neuf heures du soir, à une petite île située à la côte méridionale de l’entrée du canal (l’île du Satellite). Les rochers dont cette île étoit entourée, ne nous permirent pas de l’aborder ; je pris le parti de mouiller dans le Nord-Ouest, le plus près de terre qu’il étoit possible. Nous passâmes la nuit dans le canot, où nous sommes restés chacun à notre poste. Le temps se chargeoit dans le Sud-Ouest, et nous eûmes des grains, de la pluie et de la grêle, qui ne nous permirent pas de dormir ; le froid sur-tout nous gêna beaucoup. Au jour, nous essayâmes d’appareiller ; mais le temps étoit si mauvais que nous fûmes obligés de remouiller.»

»La conviction où j’étois de pouvoir me rendre la veille à bord de la Recherche, m’avoit fait négliger de prendre des précautions pour ménager nos provisions : il ne nous restoit plus que trois bouteilles d’eau et très-peu de biscuit. Je fis une distribution d’eau et de biscuit. J’avois réservé pour le lendemain près d’une bouteille d’eau pour tout l’équipage et une galette de biscuit pour chaque homme.» 1792.
Mai.
»Quelques moules qui furent prises sur le bord de la mer, nous aidèrent à faire notre repas. Toute cette journée fut très-pluvieuse : le lendemain matin nous parvînmes à des­cendre sur l’île, dont je fis le tour pour chercher de l’eau ; mais toutes mes recherches furent inutiles. »

»Le terrain de cette île forme un plateau élevé, dont les bords sont coupés verticalement. La partie du Nord-Ouest est couverte d’arbres entrelacés qui la rendent impénétrable. Nous trouvâmes beaucoup d’arbres brûlés par les naturels ; et des monceaux de coquilles d’huîtres et de moules nous indiquèrent qu’ils y avoient séjourné. Nous vîmes des perruches et plusieurs autres espèces d’oiseaux. Nous trouvâmes une espèce de persil sauvage dont nous avons mangé. »

»L’après-midi, dans un moment d’éclaircie, nous fîmes quelques relèvemens sur la pointe occidentale de l’île. Nous essayâmes deux fois de mettre sous voile pour nous rendre à bord ; mais voyant qu’il étoit impossible de pouvoir gagner les frégates, je fis dresser une espèce de tente avec la misaine du canot, et nous passâmes la nuit sur le rivage auprès du feu. La pluie fut continuelle ; la mer monta assez près de notre tente pour nous incommoder, et nous passâmes une très-mauvaise nuit. Malgré les désagrémens de notre position, la gaieté prit toujours le dessus ; et tout le monde parut aussi content que si nous n’avions pas manqué du nécessaire. »

»Le lendemain, il falloir quitter ce triste séjour, à quelque prix que ce fût. Les vents contraires étoient encore assez forts :

»cependant
1792.
Mai.
»cependant nous appareillâmes, et nous parvînmes à gagner à l’aviron la pointe méridionale de l’entrée du canal, en

passant au Sud de l’île. Nous relâchâmes dans la plus septentrionale des deux anses situées à la partie Est de la grande rade où les frégates étoient mouillées. On mangea la demi-galette de biscuit, que je distribuai à chaque homme de l’équipage ; et l’on but la dernière bouteille d’eau qui nous restoit. De là nous mîmes à la voile pour gagner la frégate. En louvoyant, le mât du canot cassa dans une rafale ; et il fallut encore relâcher pour le réparer. Enfin nous remîmes à la voile une seconde fois ; et nous fûmes assez heureux pour gagner la frégate, après avoir couru plusieurs bordées. Nous arrivâmes le soir du quatrième jour après notre départ, à trois heures et demie.»

»Nous n’avons pu sonder dans le canal qu’à des distances très-grandes ; mais nous n’avons jamais trouvé moins de neuf brasses d’eau : les terres qui le bordent, sont toutes couvertes d’arbres, depuis le rivage jusqu’au sommet des montagnes les plus élevées. Nous avons trouvé de l’eau douce dans plusieurs endroits ; mais nous n’avons rencontré aucun des naturels du pays. Signé De Saint-Aignan

»Ce passage bien constaté et bien reconnu, il me paroissoit peu important de le remonter avec les frégates, si les vents n’étoient pas favorables, parce que je n’avois plus un instant à perdre pour les opérations indispensables de cette année. Le lendemain les vents soufflèrent du Nord ; et je me disposois 1792.
Mai.
en conséquence à quitter le canal en descendant au Sud : mais les équipages des deux frégates et les officiers témoignoient le plus grand desir de passer par ce détroit. De mon côté, je n’étois pas sans espérance de faire quelque nouvelle découverte au Nord du canal : cette navigation donnoit sur-tout à M. Beautemps-Beaupré le moyen de faire un plan plus exact. D’après ces motifs, je me décidai de remonter dans le Nord, malgré les retards qui pouvoient en résulter.

Ce canal est tellement à l’abri des vents, qu’à peine avons nous ressenti quelques souffles légers, et il nous a fallu quatre jours entiers pour en sortir : mais les mouillages fréquens que nous avons été obligés de faire, nous ont procuré un grand nombre de stations, d’où l’on a déterminé les positions d’une grande quantité de points remarquables. Les dernières stations faites aux deux pointes de l’extrémité septentrionale du canal, nous ont fait connoître la largeur de cette extré­mité avec une grande précision. Les latitudes observées à l’entrée et à la sortie du même canal, ont fixé la longueur entière du détroit. Des deux dernières stations dont on a parlé, plusieurs points importans ont été déterminés, tels que l’extrémité de l’île d’Abel Tasman, et diverses autres îles contenues dans le golfe immense qui s’étend dans le Nord, et que je regrette beaucoup de n’avoir pas pu visiter.

Le moindre brassiage dans ce détroit, et en même temps le fond d’une moins bonne qualité, se trouvent à-peu-près à égale distance des extrémités du canal, au point où M. De Cretin s’étoit arrêté pour observer la latitude, et où il 1792.
Mai.
n’avoit trouvé que sept brasses sur un fond de sable un peu gros : cette diminution prompte de brassiage auprès d’une terre basse, avoit fait craindre de trouver le passage fermé ; mais il paroît au contraire que ce fond plus élevé est comme un banc formé par la mer qui, entrant en même temps dans ce canal par le Nord et par le Sud, doit déposer et amonceler vers le milieu les sables qu’elle entraîne.

Aux deux extrémités du canal on a vu des naturels sur la rive droite ; M. De Saint-Aignan en a rencontré six, qu’il est parvenu à attirer auprès de lui. L’entrevue a été très-amicale. Cet officier leur a donné deux cravates, qu’ils ont mises autour de leurs têtes : il leur a présenté un cou­teau, dont ils ont paru effrayés tant que cet officier s’en est servi pour leur en faire connoître l’usage, mais bien plus encore lorsque, pour le rendre plus tranchant, il l’aiguisa sur une pierre. À l’autre rive, des canonniers virent aussi des naturels, que la vue d’un couteau ouvert effraya et empêcha d’approcher. Parmi ceux-ci se trouvoit une femme qui, saisie d’effroi, se laissa glisser du haut d’une roche sur le bord de la mer ; elle portoit des racines de fougère liées ensemble, et dont il paroît que ces sauvages se nourrissent, ainsi que ceux de la Nouvelle-Zéelande.

Une circonstance remarquable, c’est que cette femme avoit la gorge et les parties naturelles couvertes : la nudité des femmes vues par le capitaine Cook à la baie de l’Adventure, qui n’est pas éloignée, doit faire soupçonner que la rigueur de la saison plutôt que la décence faisoit 1792.
Mai.
prendre cette précaution à celle que nous avons vue.

On a trouvé, sur les deux rives, des espèces de pirogues informes, qui annoncent que ces sauvages sont aussi peu avancés dans ce genre d’industrie que dans tous les autres.

Un navigateur ne pourra jamais être accusé d’exagération en manifestant une sorte d’enthousiasme à la vue d’un mouil­lage prolongé dans un espace de plus de vingt-quatre milles d’étendue, par-tout également sûr, où l’on ne rencontre aucun écueil, où l’on peut par-tout, sans inquiétude, laisser tomber l’ancre, dont les terres peuvent être approchées sans danger à une encablure ; d’un aspect d’ailleurs très-riant, quoiqu’il paroisse monotone à la première vue par la verdure uniforme des arbres dont toutes les collines amoncelées les unes sur les autres sont couvertes depuis le sommet de la

plus élevée jusqu’au rivage, mais varié néanmoins par les sites pittoresques que forment les sinuosités et les baies multipliées de ce canal, et par les rivières qui s’y jettent, mais seulement du côté de la grande terre. Dans une saison aussi avancée, et dans un golfe qui porte un nom si menaçant, la découverte d’un pareil mouillage est faite pour procurer à un homme de mer une jouissance qu’il faut avoir sentie pour pouvoir l’exprimer.
CHAPITRE V.

Départ de la terre de Van-Diémen, le 28 Mai 1792, —Reconnoissance de la côte occidentale de la Nouvelle-Calédonie et des ressifs qui s’étendent dans le Nord-Ouest de cette île. — Vue des îles Hammond et du cap Satisfaction. — Reconnoissance des îles de la Trésorerie, de la côte occidentale de l’île Bougainville et de l’île Bouka. — Arrivée au havre Carteret, le 17 Juillet 1792. — Séjour dans ce havre.

1792.
Mai.
28.
Après que nous fûmes sortis du canal, dont il semble impossible de distinguer l’entrée à deux milles de la côte, les vents soufflèrent du Nord avec trop de force pour que je pusse espérer de remonter dans la baie immense qui s’étend dans cette direction. Cette baie est entrecoupée par des amas d’îles, et cernée par la grande terre que l’on aperçoit dans l’éloignement ; mais quoique nous n’ayons vu aucune issue, il est possible néanmoins, il est même vraisemblable, d’après les anciennes cartes, ainsi que nous l’avons déjà dit, que les terres nommées par Cook îles Maria et formant la partie orientale de ce golfe, soient détachées de la terre de Van-Diémen, peut-être même de la baie de Fréderik-Hendrikx de Tasman : c’est ce que j’aurois 1792.
Mai.
désiré pouvoir vérifier, si le temps me l’eût permis ; mais au moins peut-on regarder comme assuré que le nombre prodigieux de coupures dont cet amas de terre semble haché, doit offrir un très-grand nombre d’excellens mouillages.

Je prolongeai jusqu’à la nuit la bordée sur l’île d’Abel Tasman que j’ai cotoyée ensuite jusqu’au cap Pillar ; et, après avoir dépassé ce cap, j’ai fait route au Nord-Est pour me rendre à la partie occidentale de la Nouvelle-Calédonie.

Du 29 Mai.
au 16 Juin.
La traversée de la terre de Van-Diémen à la Nouvelle-Calédonie n’offre rien de remarquable. Les vents de Sud-Ouest ont soufflé constamment avec plus ou moins de force jusqu’à notre attérage. J’avois dirigé la route de manière à me trouver sur le méridien de l’île des Pins, dès le trentième degré de latitude, limite ordinaire des vents généraux : mais cette précaution devint inutile ; car nous n’avons commencé à ressentir les vents de la partie de l’Est, qu’après avoir remonté de plus d’un degré dans le Nord de la pointe méridionale de la Nouvelle-Calédonie, et pendant vingt-quatre heures seulement. La seule chose digne de remarque dans cette traversée, c’est le peu de changement qu’a éprouvé la déclinaison de l’aiguille aimantée, depuis le 35.e degré 35’de latitude et le 155.e degré 35’de longitude, où la variation Nord-Est étoit de 12° 21′, jusqu’au 23.e degré 6’ de latitude et au 164.e degré 36’de longitude, où elle étoit de 10° 41′. Dans cet espace, qui comprend 12° 29′ de latitude, et 9° de longitude, la déclinaison n’a varié que d’un degré deux tiers ; mais comme ces différences d’un ou 1792.
Juin.
de deux degrés peuvent provenir des erreurs de l’observation, la déclinaison peut être considérée comme étant la même dans cette étendue de mer : elle a diminué, mais très foiblement, depuis que nous avons eu doublé la pointe Sud de la Nouvelle-Calédonie.

La longitude de l’attérage sur l’île des Pins, d’après la 16. montre n.° 14, a été d’un quart de degré à l’Ouest de la lon­gitude que le capitaine Cook assigne à cette île.

Nous avons trouvé la position des ressifs qui s’étendent au Sud de la Nouvelle-Calédonie, déterminée par ce célèbre navigateur avec la plus grande exactitude par rapport à l’île des Pins. Les circonstances nous ayant mis à portée de les tourner dans tous les sens, la proximité où nous nous sommes trouvés de leur extrémité méridionale, presque à l’instant de l’observation de la latitude, nous a fait reconnoître seulement qu’ils s’étendent de quelques minutes plus au Sud. Ces ressifs sont extrêmement dangereux. Des courans violens que nous avons éprouvés à l’Ouest de ces brisans, nous ont mis, le 19 juin, dans une position très-critique. Présumant, 19. d’après la route, que les ressifs étoient entièrement doublés, nous allions attaquer la terre sans défiance ; mais à la pointe du jour nous nous sommes trouvés enveloppés de ces ressifs : l’espace dans lequel nous avions à louvoyer pour nous en déga­ger, étoit très-court ; le vent étoit fort et la mer très-grosse. Nous avons essayé trois fois de virer de bord, vent devant, pour éviter les dangers sur lesquels nous courions, et dont nous n’étions pas éloignés de plus de cinq encablures ; et 1792.
Juin.
trois fois la grosse houle a fait abattre le navire, avant qu’il ait pu venir jusque dans le lit du vent. On a fait une quatrième tentative, en filant l’écoute de misaine, pour rendre l’évo­lution plus prompte : cette méthode a réussi ; et certes il étoit temps, car nous n’aurions pas eu l’espace nécessaire pour virer vent arrière, même en masquant les voiles d’avant. La bordée du Nord-Ouest, qui nous élevoit de la côte, nous a fait prolonger une chaîne non interrompue de ressifs, qui suivait cette même côte, mais qui s’en approchoit à mesure que nous nous avancions dans le Nord-Ouest ; cette chaîne paroissoit former un cordon impénétrable autour de la partie méridionale de la Nouvelle-Calédonie : jusqu’au 21 avril, 21. nous n’avions pas vu la moindre apparence de passage, même pour une embarcation. Comme nous nous sommes tenus très-près de cette côte dangereuse, nous pouvons assurer qu’elle est par-tout bordée de ressifs : nous avons presque toujours vu la mer s’y briser, même de dessus le pont. Le desir de bien reconnoître cette partie inconnue de la Nouvelle-Calédonie, et de pouvoir l’aborder sur quelque point, m’a fait mettre une extrême attention à ne pas dépasser, pendant la nuit, le dernier point aperçu la veille ; et c’est ce que fait voir le détail des routes marquées avec exactitude sur la carte dressée par M. Beautemps-Beaupré.

23, 26. Du 23 au 26 juin, les vents ont soufflé à l’Ouest-Sud-Ouest et Sud-Ouest. Cette contrariété des vents, jointe à celle des courans portant à l’Est, me fit craindre de ne pouvoir pas achever la reconnoissance de la côte occidentale

de
1792.
Juin.
de cette île, que je devois quitter au plus tard le 10 de juillet, pour les opérations indispensables qui me restoient à terminer cette année : cette époque, fixée déjà depuis long-temps, se trouvoit consignée dans les instructions que j’avois données à M. Huon, avant notre départ de la terre de Van-Diémen.

Je regrettois de ne pouvoir procurer à MM. les natura­listes les moyens d’enrichir leurs collections, des productions de cette île intéressante et peu connue : mais d’abord m’en paroissoit impossible de ce côté, et l’approche très-dange­reuse par les vents de Sud-Ouest sur-tout, qui battent en côte et y élèvent une très-grosse mer. On ne peut espérer d’y trouver un abri, ni même de pouvoir laisser tomber l’ancre pendant le calme : à chaque bordée, prolongée toujours très-près du ressif, une ligne de sonde de soixante brasses n’avoit pu encore atteindre le fond.

27. Le 27 juin, les vents passèrent au Sud et au Sud-Sud-Est ; ils nous firent prolonger la chaîne de ressifs qui continuoit à border la côte. Le 28 à midi, 28. étant par 20° 25’ de lati­tude australe, et par 161° 22’ de longitude orientale, nous eûmes connoissance de l’extrémité septentrionale de la Nou­velle-Calédonie ; et nous vîmes du haut des mâts la chaîne de brisans, que nous avions suivie, se prolonger dans le Nord-Ouest, jusqu’où la vue pouvoit s’étendre. D’après nos observations, la différence de latitude entre le parallèle du cap Prince of Wales et celui de l’extrémité Nord de l’île Balabea, est de 2° 27’ : la différence de méridiens entre ces 1792.
Juin.
deux points, est de 2° 35' 40". Ces résultats s’accordent d’une manière surprenante avec l’étendue que Cook donne à la Nouvelle-Calédonie, tant en latitude qu’en longitude : la différence en latitude des mêmes points, prise sur la carte du navigateur Anglois, ne s’éloigne de celle qui résulte de nos observations, que d’une minute et demie; la différence des méridiens, prise sur la même carte, ne s’écarte de celle qui a été obtenue par la montre n.° 14, que de 40" de degré.

Je doute qu’aucun navigateur soit tenté d’aborder à cette côte, dont l’aspect d’ailleurs offre peu de traces de végétation, et conséquemment peu de ressources. Mais la disposition des montagnes, et ce que l’on peut conjecturer de leur organisation, est bien propre à exciter la curiosité d’un miné­ralogiste; leur configuration ne ressemble à aucune autre : une chaîne de montagnes très-élevées s’étend dans toute la longueur de cette île extrêmement étroite ; entre le rivage et cette chaîne, qui n’est presque pas interrompue, sont placés, dans des formes très-variées et souvent assez pitto­resques, plusieurs rangs de collines groupées, de hauteurs différentes : mais la teinte monotone de toutes ces mon­tagnes sans verdure, n’offre rien où la vue puisse se reposer agréablement; ce n’est que sur le bord ou très-près de la mer que l’on aperçoit quelques bouquets d’arbres, placés à de grandes distances les uns des autres : l’intérieur de l’île cependant doit être boisé ; car nous y avons vu des feux très-considérables. On n’a vu des naturels rassemblés que dans un seul endroit : nulle pirogue n’a été aperçue dans 1792.
Juin.
l’étendue de la côte occidentale que nous avons parcourue ; ce qui sembleroit confirmer que le ressif qui borde cette île, est sans issue. Entre les brisans et le rivage, la mer est si tranquille, que le moindre corps flottant doit suffire au transport de ceux qui naviguent pour la pêche, si le poisson sert à la nourriture des naturels. Aussi n’est-ce que vers le Nord de l’île que le capitaine Cook a vu de grandes pirogues, parce que c’est le seul endroit où il ait trouvé un passage au milieu des brisans : d’ailleurs le ressif qui borde les deux côtés de la Nouvelle-Calédonie, s’étend encore à une très-grande distance dans le Nord-Ouest de cette île, où il paroît qu’il forme un immense bassin, au milieu duquel sont quelques petites îles. Ce bassin semble, par son étendue, rendre nécessaire l’usage d’embarcations moins frêles que celles dont peuvent avoir besoin les peuplades qui vivent sur les bords de la grande île, d’où le ressif ne nous a paru presque jamais s’éloigner de plus de trois milles, dans la partie la plus large : car il s’en éloigne davantage aux deux extrémités qui sont plus étroites ; et les brisans de la côte de l’Est, ainsi que ceux de la côte de l’Ouest, conservent entre eux la même distance dans toute leur longueur.

À la seule inspection de la carte on jugera combien cette côte est périlleuse par les vents de Sud-Ouest ; ces vents ont soufflé pendant plusieurs jours, et j’étois loin d’être tran­quille : le détail de notre route fera connoître combien il seroit difficile de s’élever de la côte, s’ils forçoient un peu plus que ceux que nous y avons essuyés. Plus cette côte 1792.
Juin.
étoit dangereuse, plus il étoit important d’y trouver quelque abri : aussi l’avons-nous parcourue avec le plus grand soin et de très-près. Nos recherches ont été infructueuses, et la chaîne de brisans n’a jamais paru être interrompue : une seule fois, étant par 22° 4' de latitude, nous avons remarqué une ouverture ; mais en revenant au vent pour nous en appro­cher , nous avons vu la mer briser avec violence dans l’intérieur d’une espèce d’anse qui fut appelée le Havre trompeur.

Pour lier parfaitement les opérations faites à cette côte, on s’est maintenu toutes les nuits sur les bords, en panne ou à la cape, de manière à relever le lendemain les mêmes points de l’intérieur de l’île et les mêmes caps que l'on avoit vus la veille au coucher du soleil. Je ne saurois donner trop d’éloges au zèle et à l’intelligence de M. Beautemps-Beaupré, ingénieur-hydrographe ; la carte qu’il a faite dans le plus grand détail et avec la plus grande précision, a été terminée en même temps que la reconnoissance de la Nou­velle-Caledonie : il a été secondé par tous les officiers et pilotes du bâtiment. La méthode peu usitée des relèvemens astronomiques, et des mesures de distances angulaires, prises avec les instrumens à réflexion, a été constamment employée : elle donne à ce travail une exactitude qu’on ne peut pas se flatter d’obtenir par les relèvemens à la boussole, qui comparés aux relèvemens astronomiques, nous ont toujours offert de grandes différences.

Les détails de notre navigation le long de cette côte, que nous n’avons pu aborder, apprendront du moins aux 1792.
Juin.
navigateurs à s’en défier ; c’est une chose prodigieuse, et peut-être sans exemple qu’un ressif d’une si grande étendue en latitude et en longitude, qui brise sans laisser apercevoir le moindre espace libre : le seul point sur lequel il puisse nous rester quelque incertitude, est, comme nous l’avons déjà dit, celui qui est vis-à-vis du Havre trompeur. Dans la soirée du 28, quelques personnes crurent remarquer une autre issue ; mais comme elle fut dépassée avec une grande vitesse, les avis restèrent partagés : il eût été impossible d’envoyer une embarcation pour la visiter, parce que la mer étoit trop grosse ; cependant ne voulant négliger aucun moyen de la reconnoître, je me décidai à courir un très-long bord au large pour m’élever dans le Sud-Est, et me trouver le lendemain au vent du point où l’on avoit cru l’apercevoir. Mais je perdis considérablement pendant la nuit, parce que les vents furent forts et que je fus obligé de diminuer de voiles, pour ne pas m’éloigner de l’Espérance, qui marchoit mal et qui avoit toutes les voiles qu’elle pouvoit porter. Forcé de renoncer à la vérification de cette seconde coupure, je continuai à suivre le ressif, dans l’espoir de pouvoir aborder du moins à quelqu’une des îles situées dans le Nord-Ouest de la Nouvelle-Calédonie ; mais elles sont également défendues par la continuation du même ressif, et il a fallu se borner à les voir d’aussi près que les brisans ont permis de les approcher : nulle apparence de passage ne s’est offert à notre vue ; peut-être, dans un temps parfaitement calme, trouveroit on quelque interstice où une petite embarcation pourroit 1792.
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s’introduire. Il est vrai néanmoins que cette bordure de brisans, dont l’aspect offre une ligne argentée que font ressortir et la couleur de la mer et celle de la terre, n’auroit pu être interrompue, sans que quelque coupure eût été aperçue à une aussi petite distance que celle où nous nous en sommes constamment tenus.

Toute espérance de toucher à la Nouvelle-Calédonie, ou aux îles qui l’avoisinent, étant détruite, il m’a paru qu’il étoit important pour la navigation de prolonger cette chaîne jusqu’où elle pouvoit s’étendre, et de la tourner même, s’il étoit possible, jusqu’au point où le capitaine Cook a pu attérir, le seul peut-être où il soit possible d’aborder dans cette vaste étendue de côtes. Au reste cette chaîne continue sans interruption dans la partie occidentale, jusqu’à la latitude où le capitaine Cook s’est élevé de l’autre côté de la Nouvelle-Calédonie.

Le 30 juin, à trois heures après midi, ne nous trouvant qu’à un mille ou deux des ressifs, on commença à remarquer qu’ils étoient détachés ; et bientôt on n’en vit plus de l’avant ni au vent. Soit qu’ils finissent là véritablement, soit qu’ils rentrent pour achever de cerner l’île dans le Nord, ou qu’ils forment un coude et aillent rejoindre ceux que nous avons découverts le lendemain dans le Nord-Nord-Ouest, ils ont disparu pour nous. Nous nous trouvions alors par 19° et demi de latitude et quelques minutes plus au Nord que l’extrémité des ressifs, reconnue par Cook en septembre 1774, lorsqu’il fit la reconnoissance de la côte orientale 1792.
Juin.
de la Nouvelle-Calédonie. Nous osions nous flatter d’avoir atteint l’extrémité des brisans que nous avions suivis à la côte occidentale : mais notre satisfaction ne fut pas de longue durée ; car les vigies ne tardèrent pas à nous annoncer un banc de l’avant, et nous fûmes obligés de changer de route. II ventoit alors grand frais de l’Est à l’Est-Sud-Est ; je fis mettre à la cape à la misaine, bâbord amures, afin de ne pas nous éloigner trop promptement du banc que l’on croyoit apercevoir, et de vérifier son existence ; mais le temps étoit si mauvais, que je ne pus pas y envoyer de canot. A la chute du jour, je fis orienter la grande voile et les huniers, et nous passâmes la nuit à louvoyer.

Juillet.
1.er.
Dans la matinée du 1.er juillet, nous courûmes au plus près du vent tribord amures, pour nous rapprocher des ressifs que nous avions perdus de vue la veille ; nous les relevâmes à l’Est-Sud-Est, à environ six milles de distance : mais nous n’eûmes pas connoissance du banc qui nous avoit été annoncé par nos vigies. A deux heures, on découvrit, du haut des mâts, de nouveaux brisans ; ils entouroient une petite île boisée, vers laquelle nous dirigeâmes notre route : la nuit étant survenue, je fis mettre à la cape bâbord amures, dans le dessein de venir me replacer le lendemain à-peu-près au même point où je m’étois trouvé la veille ; mais quoique nous eussions, à cause des courans, donné beaucoup plus à la dérive qu’on ne le fait dans les temps ordinaires, nous vîmes avec surprise que la longitude obtenue le matin par la montre n.° 14 nous plaçoit de 18’ plus à l’Ouest que l’estime. 1792.
Juillet.
L’accord qui existoit entre les longitudes observées dans les deux bâtimens ne permettoit pas de douter de la réalité d’un courant, qu’on ne peut expliquer que par la direction du ressif dans lequel est enfermée l’île boisée, et en supposant que la chaîne de brisans est interrompue dans cette partie. À six heures et demie du matin, l’extrémité Ouest des ressifs fut vue par la même latitude que l’île qui avoit été aperçue le jour précédent, mais par une longitude de 14’ plus occidentale, d’où il résulte que les brisans s’étendent à quatre lieues dans l’Ouest de cette île ; ce qui doit conséquemment forcer les eaux à refluer dans l’Ouest, et nous avoir fait dériver beaucoup plus que nous ne comptions. La mer houleuse et tout-à-la-fois clapoteuse que nous éprouvâmes cette nuit, acheva de confirmer l’existence de ce courant et l’inter­ruption de la suite des brisans.

Depuis le point où le ressif fut revu le matin, il prend sa direction vers le Nord, dans l’espace de dix à onze lieues, jusqu’à trois rochers très-remarquables, dont le plus Nord est par 17° 57′ de latitude australe et 160° 21′ de longi­tude orientale. C’est à ce rocher que nous a paru se ter­miner cette longue chaîne de brisans qui, après avoir enveloppé la Nouvelle-Calédonie, se prolonge au Nord-Ouest de cette île, à une distance de plus de cinquante lieues, hors de vue de toute terre.

J’aurois désiré revenir au Sud, et pouvoir tourner cette chaîne du côté de l’Est ; mais les vents se sont opposés à l’exécution de ce dessein : je ne fus pas très-fâché d’éprouver

cette
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Juillet.
cette contrariété, parce que j’aurois pu m’engager dans des ressifs où il eût été difficile de trouver une issue ; peut-être aussi ne peut-on pénétrer que par le Nord dans le vaste bassin qu’entourent ces ressifs au-delà de la Nouvelle-Calédonie.

En supposant que la chaîne de brisans qui se prolonge au Nord-Ouest de la Nouvelle-Calédonie fût interrompue dans la partie occidentale, l’espace de près de dix lieues, comme elle nous a semblé l’être, cette chaîne seroit encore plus dangereuse que si elle étoit continue. En effet, il seroit possible de s’engager dans l’ouverture, et de ne pas pouvoir en sortir par l’Est ; car on ignore s’il y a une interruption cor­respondante dans les ressifs de la partie orientale. Au reste, les brisans de la partie méridionale sont plus accessibles que ceux de la partie septentrionale, parce que la vue de la terre annonce l’approche des premiers.

La barrière impénétrable qui semble défendre cette île, est peut-être ce qui contribue le plus à la paix dont jouissent ses habitans, et à cette douceur de caractère que Cook paroît avoir remarquée en eux ; cette barrière les garantit de l’invasion des peuplades voisines, et sur-tout de la fré­quentation des Européens : trop heureux que rien encore n’y excite et n’y attire la cupidité ; car elle ne tarderoit pas à franchir tous les obstacles, et à braver, pour y parvenir, les périls les plus assurés.

Les deux reconnoissances que nous avons faites jusqu’à ce moment, forment un contraste très-remarquable. La 1792.
Juillet.
Nouvelle-Calédonie, située sous le tropique, dans le plus beau climat, ne présente qu’une côte hérissée de rochers et inabordable ; la terre de Van-Diémen, placée à une lati­tude australe élevée, renferme les plus magnifiques rades et les plus sûrs abris : ce sont, pour ainsi dire, les deux extrêmes et en bien et en mal. Si nous ne devons pas espérer de trouver d’aussi beaux mouillages que ceux de la baie des Tempêtes, nous devons nous flatter aussi de ne plus rencontrer de côtes aussi dangereuses que celle de la Nouvelle-Calédonie.

La carte fera mieux connoître le détail de la côte de cette île et des ressifs qui l’environnent, que tout ce que je pourrois ajouter. Ce qui pouvoit présenter quelque diffi­culté dans la construction de cette carte, a été discuté, en ma présence, et par M. Beautemps-Beaupré, et par les officiers chargés des observations astronomiques.

Diverses îles aperçues par nos vigies, pendant cette reconnoissance, ont reçu le nom de ceux qui les avoient découvertes : ce léger encouragement devenoit pour eux un objet d’émulation et les rendoit extrêmement attentifs. Depuis le commencement des opérations, je n’ai eu qu’à me louer des équipages ; ils ont montré une grande fer­meté, et ont exécuté les manœuvres avec beaucoup de sang-froid, dans les situations critiques où nous nous sommes trouvés.

Après avoir déterminé la latitude des derniers rochers situés à l’extrémité Nord des brisans, et avoir couru jusqu’à 1792.
Juillet.
la nuit, je jugeai devoir faire mettre à la cape, afin de nous assurer, le lendemain, si ces rochers formoient réellement l’extrémité septentrionale de la chaîne des ressifs.

3. Le 3 juillet, à midi, n'ayant plus aperçu de brisans dans le Nord, je fis route pour le cap Saint-George, où je voulois faire de l’eau et du bois. J’en avois prévenu M. Huon, et c’est le premier rendez-vous qui lui fut assigné. Je me proposois d’attérir sur une petite île découverte par la Pandora, et nommée île Pitt par le capitaine Edward : elle est précisément sur la route de la Nouvelle-Irlande ; et comme je doutois que ce capitaine s’y fût arrêté, je me déterminai à en faire la recherche pour la reconnoître et en donner le plan.

7. Le 7 au soir, n’ayant pas aperçu l’île Pitt, quoique nous ne fussions pas éloignés de son parallèle, je ne crus point devoir, pour une reconnoissance peu importante, perdre une nuit de vent favorable, et je fis continuer la route.

9. Le 9 au matin, on découvrit la terre à stribord ; nous jugeâmes que c’étoient les îles Hammond : notre point rendoit cette conjecture vraisemblable , et la suite de la côte aperçue la confirma. Ce fut seulement vers le soir­ que l’on vit le rocher appelé Eddystone par le lieutenant Shortland : il fut annoncé à bord de la Recherche, ainsi qu’il l’avoit été sur l’Alexandre, comme une décou­verte de navire. Nous reconnûmes qu’il n’avoit pas été très exactement placé par Shortland, et qu’au lieu d'être au Sud-Est du cap Satisfaction, il devoit être à l'Ouest. 1792.
Juillet.
D’après nos observations, il est situé par 8° 18′de latitude australe, et par 154° 10′ 38″ de longitude orientale.

Voulant rendre notre route utile, sans cependant la prolonger, je pris le parti de passer à l’Ouest des îles nommées par Shortland îles de la Trésorerie, et de cotoyer l’île de Bougainville, qui n’avoit pas été reconnue dans la partie occidentale : d’ailleurs cette route entre la Louisiade, la Nouvelle-Bretagne et l’île Bougainville, n’avoit pas encore été suivie ; et l’opinion, quoiqu’assez peu vraisemblable, de la jonction de toutes ces terres avec la Nouvelle-Guinée, rendoit cette navigation curieuse et intéressante. Mais en prenant ce parti, j’étois déterminé à ne pas m’opiniâtrer à le suivre, si j’avois lieu de craindre que cette route ne me mît sous le vent des détroits par où il falloit passer pour se rendre aux îles de l’Admiralty, où je devois remplir l’objet principal de ma campagne, qu’il ne m’étoit pas permis de perdre de vue. Je fis annoncer à M. de Huon que mon projet étoit de reconnoître la partie Sud-Ouest de l’île Bougainville.

10. Le 10 juillet, nous eûmes connoissance des îles de la Trésorerie. Ces îles, dont le terrain est fort peu élevé, sont couvertes d’arbres, et offrent un aspect assez agréable. À neuf heures du matin, elles s’étendoient depuis le Nord 23° Ouest, jusqu’au Nord du monde ; elles étoient réunies et sembloient ne former qu’une seule île : lorsque le milieu du groupe fut relevé à l’Est, on s’aperçut que l’île la plus Nord étoit beaucoup plus grande que les autres, et qu’elle en étoit séparée par des canaux fort étroits. Nous reconnûmes 1792.
Juillet.
la partie occidentale de ce groupe, d’assez près pour pouvoir en donner un plan exact. Le milieu de la plus grande des îles de la Trésorerie est par 7° 23’30" de latitude australe, et par 153° 9’15" de longitude orientale.

Après avoir dépassé les îles de la Trésorerie, nous nous portâmes sur les terres que nous aperçûmes, à environ midi, dans le Nord-Est. En approchant, nous les trouvâmes divisées en plusieurs petites îles, couvertes d’arbres qui en rendoient l’aspect très-riant, et groupées d’une manière pittoresque: mais souvent les objets les plus agréables vus de loin, cessent de le paroître quand on les voit de près; tel est le sort des choses humaines. Les bouquets d’arbres qui sembloient nous inviter à nous reposer sous leur ombrage, étoient, ainsi que l’aride Calédonie, entourés de ressifs qui en défendoient l’approche: les divers intervalles qui séparoient ces îles, étoient hérissés de brisans, et il fallut renoncer à pénétrer au milieu de ce groupe. Sur le rivage des îles dont nous étions le plus près, plusieurs naturels parurent accroupis sur le bord de l’eau; de grandes pirogues à la voile annonçoient une navigation active dans cet archipel d’îles extrêmement petites : forcé de m’en éloigner, je passai la nuit à courir des bords, pour continuer la reconnoissance de cette côte basse, dont les arbres sembloient sortir de l’eau. Quelques mornes furent aperçus au Nord-Est, dans un grand éloignement : le temps très-nuageux et disposé à l’orage ne nous permettoit pas de juger de 1792.
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la distance à laquelle nous nous trouvions de ces terres élevées.

11. Le lendemain 11 juillet, le temps s’éclaircit un peu vers les huit heures : les mêmes objets qui avoient été relevés la veille, furent vus de nouveau ; mais l’aspect n’en étoit plus le même. Nous fîmes route pour lors en les laissant à stribord, et en rangeant de très-près les derniers îlots aperçus le jour précédent à l’Ouest-Nord-Ouest. Dès qu’ils furent doublés, on mit le cap successivement au Nord-Ouest Nord, ensuite au Nord-Nord-Ouest, et enfin au Nord Nord-Ouest. Les vigies ne tardèrent pas à nous annoncer des brisans qui s’étendoient vers le Nord-Ouest ; il fallut revenir sur bâbord : on se flattoit que ce seroient les derniers ; mais en avançant on en découvrit encore, et dans une direction plus Ouest. Ayant cru, pendant quelques instans, cette chaîne terminée, je fis porter de nouveau sur la terre ; mais à peine le cap fut-il remis au Nord-Ouest, que nous aperçûmes de dessus le pont et qu’on nous signala de l’Espérance des brisans à l’Ouest : le jour étoit trop avancé et le temps trop mauvais pour permettre de s’engager au milieu de ces ressifs, d’autant plus dangereux, qu’ils cessoient quelquefois de paroître pour se montrer de nouveau à des intervalles de près de deux lieues, que l’étendue en étoit très-circonscrite, qu’a peine brisoient-ils, et qu’on ne les apercevoit que quand on étoit près de les toucher. Je crus devoir prendre les amures à bâbord, et courir des bordées jusqu’au lendemain. La route de la nuit nous mit 1792.
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à huit lieues dans le Sud-Ouest du point de midi de la veille. Au jour, je fis mettre le cap au Nord, pour passer à l’Ouest de tous les ressifs, si toutefois ils avoient pris fin, et pour aller ensuite attaquer la terre. Mais, quoique plus favorable que la veille, le temps étoit trop sombre pour qu’il fût possible d’accoster des terres extrêmement basses, et qui, jusqu’alors, avoient paru environnées de dangers. Il semble que les ressifs s’étendent à seize lieues environ dans l’Ouest-Nord-Ouest de la pointe orientale de l’île Bougainville ; et en supposant que celui qui a été aperçu à midi et demi fût effectivement le dernier, nous avons dû passer à la distance de cinq à six lieues dans l’Ouest de ces ressifs.

Vers les dix heures, nous crûmes apercevoir une terre dans le Nord-Nord-Est ; mais l’horizon étoit tellement embrumé, qu’il eût été impossible de rien affirmer à cet égard. Pour sortir plutôt d’incertitude, je fis diriger la route perpendiculairement à la direction que devoit prendre la côte, c’est-à-dire, au Nord-Est : nous ne tardâmes pas à distinguer, au travers d’épais nuages, de hautes montagnes que l’on jugea être celles que, de l’autre côté de l’île, M. De Bougainville avoit vues dans un très-grand éloignement. Nous restâmes en panne pendant la nuit, pour ne pas nous éloigner de la côte ; et le lendemain matin, on fit route sur les terres 13. les plus à l’Est, afin d’assurer la liaison des opérations de la veille avec celles de ce jour. Le temps étoit beau, la mer calme ; et à l’aide d’une brise légère, nous nous flattions de suivre la côte de près, d’en déterminer toutes les sinuosités, 1792.
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et de reconnoître si elle offroit quelque abri : mais en approchant, nous vîmes des terres basses, qui nous firent perdre toute espérance de trouver des ports. Peu après nous passâmes sur un haut-fond que l’on vit très-distincte­ment du bord : on sonda au même instant, et l’on trouva huit, sept, onze brasses ; un moment après la sonde ne put atteindre le fond. Dès que nous fûmes un peu écartés de ce banc, j’envoyai une embarcation pour en reconnoître l’éten­due ; je fis en même temps à l’Espérance le signal du danger de la route ; elle envoya, de son côté, sonder une autre partie du même banc : le plus petit brassiage avoit été trouvé de quatre brasses dans la partie où le canot de La Recherche fut envoyé ; le canot de l’Espérance trouva une demi-brasse de moins. Dans le même temps on aperçut un autre banc ; et un canot y fut expédié : ce second banc étoit de roche et de corail, et aux acores une ligne de cent vingt brasses n’atteignoit point le fond. Pendant que nous étions en panne, la dérive nous jeta sur un troisième banc, que nous eûmes le temps d’éviter. Enfin, après avoir orienté le grand hunier, nous passâmes sur l’extrémité d’un quatrième banc, où l’on ne trouva que sept à huit brasses d’eau. Il étoit temps de s’éloigner d’un parage d’autant plus dangereux, que les hauts-fonds que nous venions de rencontrer à une assez grande distance de la côte, nous laissoient dans l’incertitude sur ceux que nous pouvions trouver plus au large. Nous sondâmes cons­tamment, sans trouver de fond, pendant toute la nuit ;

mais
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mais l’Espérance nous fit connoître qu’elle avoit trouvé fond, et peu après elle fit le signal de tenir le

vent : ce signal fut confondu avec celui de danger, et nous donna de l’inquiétude ; cependant la nuit se passa sans aucune fâcheuse rencontre. Au jour, je fis mettre le cap au Nord, 14. et successivement au Nord Nord-Est et Nord-Nord-Est, pour attaquer la terre, le plus près possible du point où nous l’avions quittée la veille : la partie la plus élevée de la côte étoit extrêmement embrumée et ne pouvoit être distinguée ; cependant on releva l’un des points aperçus le jour précédent. On avoit vu, le 13, dans l’éloignement, des terres s’étendre du Nord à l’Ouest, et former quantité de petites îles ; ces îles, dans la matinée, nous parurent se joindre par des terres basses, et n’etre que la continuation de l’île Bougainville : en nous approchant davantage, les terres, qui avoient semblé se réunir et se confondre, se divisèrent de nouveau en petites îles, au milieu desquelles nous nous flattions de trouver un mouillage ; mais lorsque nous en fûmes à une petite distance, nous les vîmes bordées de ressifs. Vers le centre de cet amas d’îles, qui étoit renfermé dans un golfe considérable, on remarqua un espace où l’on ne voyoit pas de brisans ; mais on découvrit bientôt, au milieu de cet espace, un banc de sable qui nous obligea de porter au large. Il étoit tard, et il eût été dangereux de s’enfoncer dans cet archipel, d’où l’on n’auroit pu sortir avant la nuit si l’on n’y avoit pas trouvé de mouillage. Nous fîmes route pour passer au Nord de la plus grande de ces îles ; mais un haut-fond d’une grande 1792.
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étendue nous força de rebrousser chemin : on aperçut bientôt dans le Nord un second haut-fond qui ne nous permit plus de pénétrer au milieu de cet amas d’îles.

Tout ce que nous avons vu de la côte occidentale de l’île Bougainville, nous a fait présumer que l’abord en est difficile et dangereux, tant vers son milieu, à cause des hauts-fonds que nous avons rencontrés sur notre route, que vers ses extrémités, à cause des ressifs qui défendent l’approche des deux amas d’îles qui y sont situés. Les îles de la partie septentrionale sont en beaucoup plus grand nombre que celles de la partie méridionale ; les formes en sont plus variées et l’aspect plus pittoresque. L’apparence de la côte que nous parcourûmes dans cette journée, nous laissa dans l’incertitude sur la réalité de la séparation de l’île Bouka d’avec l’île Bougainville ; toutes les terres nous ont paru réunies par des terrains bas.

On vit sur la côte quelques pirogues ; mais sans doute nous n’avions pas excité leur curiosité, car aucune ne vint vers nous. Nous passâmes la nuit en panne, comme à l’ordinaire, 15. et au jour nous fîmes route à l’Est-Nord-Est pour rallier la terre ; mais nous avions été portés pendant la nuit de plus de 20’ dans le Nord, par l’effet des courans. La côte de l’île Bouka que nous avions prolongée jusqu’à son extrémité septentrionale, est d’une moyenne hauteur ; elle est boisée depuis le rivage jusqu’au sommet des montagnes. Il se détacha de cette côte plusieurs pirogues : quatre d’entre elles n’avoient pas plus de huit hommes ; mais la plus grande, 1792.
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qui vraisemblablement étoit une pirogue de guerre, en contenoit quarante, dont seize étoient des rameurs et le reste des gens armés d’arcs et de flèches : elles vinrent par le travers des deux bâtimens ; mais les insulaises qui les montoient refusèrent d’abord de s’approcher, quelques signes d’amitié et quelques invitations qu’on leur fît ; enfin des baga­telles mises sur une planche que l’on fila des fenêtres de la grande chambre, attirèrent une pirogue auprès de nous ; les trois autres, dans la crainte peut-être de se trouver prises entre les deux bâtimens, s’approchèrent de l’Espérance, qui étoit de l’arrière. Les naturels nous montrèrent des arcs et des flèches qu’ils avoient l’air de vouloir tirer, ce qui ne nous parut pas être d’un bon augure ; mais nous reconnûmes bientôt qu’ils nous les proposoient en échange, et qu’ils nous en désignoient l’usage pour nous engager à les acheter. Ils atta­chèrent de leur plein gré, et sans qu’on le leur demandât, un de leurs arcs à la ligne qui retenoit la planche où l’on avoit mis des couteaux, des clous, de petits miroirs et un morceau d’étamine rouge que nous leur donnions : cette action excita notre générosité, et chacun s’empressa à l’envi de leur faire passer ce qu’il avoit sous la main ; mais alors ils devinrent plus réservés, et quelque chose qu’on leur donnât, ils n’envoyoient plus que des flèches. Les étoffes rouges parurent leur faire plus de plaisir que le fer, les miroirs, et même que les instrumens tranchans. On desiroit avoir un second arc, et on le leur fit connoître, en montrant d’une main celui qu’ils avoient donné, et de l’autre des 1792.
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mouchoirs rouges qu’on leur proposoit : ils parurent accepter l’échange, et firent signe d’envoyer les mouchoirs qu’on leur avoit montrés ; mais en retour nous ne reçûmes que des flèches. Ils mettoient tant d’adresse dans ce commerce, qu’il semble que ce n’étoit pas leur coup d’essai : peut-être des navires autres que ceux de M. de Bougainville avoient-ils abordé depuis peu à ces îles. Au reste les habitans sont tels que les a dépeints le navigateur français : ils sont entiè­rement nus ; leurs cheveux sont crépus et noirs ; plusieurs les ont peints en rouge ; les taches de craie qu’ils se peignent sur différentes parties du corps, faisoient ressortir la couleur noire de leur peau. Sans doute ils mâchent du bétel, puisque leurs dents sont rouges. Rien, ni dans leur physionomie, ni dans leurs gestes, ne put nous faire juger qu’ils fussent d’un caractère féroce ; ils nous parurent portés à la gaieté. M. de Saint-Aignan joua un air un peu vif sur son violon : le son de cet instrument, nouveau pour eux, sembla leur être très-agréable ; ils rioient et sautoient sur le banc de leur pirogue : ils proposèrent en échange de ce violon, non-seulement l’arc qu’on leur avoit déjà demandé, mais des massues qu’ils n’avoient pas encore montrées. L’air de Marlborough[5] qui avoit fait une grande sensation chez d’autres peuples sauvages où avoit abordé M. de la Pérouse, ne parut pas les affecter ; les airs d’une mesure vive sont 1792.
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plus de leur goût que les autres. Ils répétèrent avec une grande facilité plusieurs mots de notre langue ; mais il nous fut très-difficile de saisir leur prononciation ; du moins ne trouvai-je pas autant de conformité entre les mots prononcés par eux et répétés par nous, qu’entre ceux que nous avions articulés et qu’ils répétoient eux-mêmes.

Pendant cette entrevue le calme survint ; le courant nous entraîna vers la côte ; le navire ne gouvernoit plus, et il fallut mettre les embarcations à la mer pour nous éloigner de terre : à la vue des canots, les naturels reprirent bien vite la route du rivage ; mais leur départ ne fut marqué par aucun acte de trahison semblable à celui qu’ils avoient commis contre la frégate la Boudeuse, commandée par M. de Bougainville. Nous apprîmes le soir que l’Espérance avoit fait un plus grand nombre d’échanges que nous ; mais aussi y avoit-il de son côté une grande concur­rence ; nous n’avions eu à traiter qu’avec sept à huit hommes, et il s’en trouvoit près de soixante autour d’elle.

Les pirogues de l’île Bouka sont d’une construction légère et d’une forme élégante ; elles sont très-propres à marcher à la rame, et ont à cette allure une vitesse étonnante : mais rien ne nous a fait juger quelles pussent aller à la voile, car elles n’ont point de balancier, et sont véritablement trop volages.

Après nous être avancés dans l’Est de manière à relever un cap de la partie orientale de l’île Bouka dans le Sud-Est, nous fûmes fondés à croire qu’il n’existoit pas de terre 1792.
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plus au Nord, ce que confirmoit la latitude observée. Nous fîmes route, à deux heures après midi, pour le cap Saint-George.

Le cap Nord de l’île Bouka a été placé, d'après nos observations, par 5° o' 30" de latitude australe et par 152° 14' 45" de longitude orientale.

16. La nuit fut orageuse ; nous la passâmes à la cape. Le 16 juillet, le temps devint sombre, et l'on ne revit plus les terres de l’île Bouka, d’où les courans seuls avoient pu nous éloigner. Nous vîmes, dans le Nord, une île basse, que nous jugeâmes devoir être celle de Sir Ch. Hardy ; dans l’après-midi, on crut apercevoir des terres de l’avant ; et peu après on dis­tingua, à travers les nuages, une terre très-élevée que l'on présumoit être le cap Sainte-Marie, qui est au Nord du cap Saint-George. Le temps ne s’éclaircit point le reste du jour ; nous nous tînmes sur les bords pendant la nuit pour nous défendre des courans, qui dévoient porter au Nord. 17. Le len­demain 17 juillet, la terre étoit encore embrumée, et ce ne fut qu’en l’approchant que nous pûmes reconnoître le cap Saint-George. Des trois mouillages situés à la partie orientale de la Nouvelle-Irlande, je crus devoir choisir le havre Carteret, parce que j'avois l'espoir d'y trouver en abondance des noix de coco, et sur-tout parce que sa position dans un canal assuroit la circulation de l'air, ce qui n'avoit pas lieu dans l'anse aux Anglois et dans le port Praslin, l'un et l'autre entourés de très-hautes montagnes. Ce dernier avantage fut le seul, en effet, que nous retirâmes de la 1792.
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préférence donnée au havre Carteret, où nous mouillâmes à quatre heures du soir. À peine pûmes-nous recueillir dans ce havre une douzaine de noix de coco : l’eau y est bonne, claire et abondante ; on s’en procure aisément en établissant une communication par le moyen de jumelles, dans lesquelles est versée l’eau que l’on puise sans peine. On y fait le bois avec facilité ; mais ce bois présente un grand inconvénient, celui de remplir le navire de toute sorte d’insectes venimeux.

Les arbres du rivage de ce havre ont l’air de sortir de l’eau ; les montagnes, boisées depuis le bord de la mer jusqu’à leurs sommets, sont escarpées, et se présentent sous l’aspect de massifs élevés, revêtus d’une verdure si épaisse, qu’elle ne laisse pas même apercevoir la tige des arbres. D’après le récit de M. de Bougainville, qui avoit mouillé au port Praslin dans la même saison et dans le même mois, nous devions nous attendre à avoir des pluies abondantes ; mais elles le furent au-delà de notre attente : depuis le 17 au soir, que nous avions mouillé dans le havre Carteret, jusqu’au 24, jour de notre départ, il ne cessa de tomber des torrens d’eau qui nous retraçoient la scène du déluge.
CHAPITRE VI.

Départ du havre Carteret, le 24 Juillet 1792. —Reconnoissance de la côte méridionale de la Nouvelle-Hanovre, des îles de l’Admiralty, de plusieurs îles situées au Nord de la Nouvelle-Guinée, et d’une partie de la côte Nord de cette dernière terre. —Passage dans le détroit de Sagewien et dans les Moluques. — Arrivée à Amboine le 6 Septembre 1792.


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Nous n’avions jamais eu autant d’empressement à reprendre la mer, et nous sortîmes du havre Carteret avec des vents très-foibles : l'Espérance, qui appareilla après nous, fut surprise par le calme dans la passe de l’Ouest ; elle fut entraînée vers les brisans et obligée de laisser tomber une ancre sur un très-mauvais fond : elle ne retira que le câble, coupé à dix brasses de l’étalingure. Dès notre arrivée au port Carteret, les tentes d’observations avoient été dressées : mais il ne fut pas possible d’en faire usage ; et pendant tout le temps que dura notre relâche, on ne put observer la latitude, ni par les hauteurs méridiennes du soleil, ni par celles des étoiles. Le temps demeura encore couvert trois jours après le départ ; de sorte que dix jours s’écoulèrent sans que nous fussions parvenus à obtenir la hauteur

méridienne,
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méridienne, ce qui arrive très-rarement, même dans les latitudes les plus élevées : cependant les hauteurs que nous

pûmes observer hors du méridien, nous firent obtenir des latitudes assez exactes : l’accord qui s’est trouvé entre les résultats des différentes observations, doit en garantir la jus­tesse ; mais il n’est pas moins étonnant que, dans le beau climat des tropiques, on ait été si long-temps privé des moyens d’observer les hauteurs méridiennes. Nous avons à regretter de n’avoir pas pu fixer la position du havre Carteret, ni celle de la côte de la Nouvelle-Irlande, avec toute la précision que nous devions nous promettre des instrumens dont nous étions pourvus.

Les observations astronomiques sont plus importantes dans ces parages que par-tout ailleurs, parce que les courans y ont quelquefois une si grande rapidité et varient à un tel point, que l’estime de la route devient une mesure très insuffisante de la base qui sert à la construction des cartes. Les observations, quoiqu’en petit nombre, que nous avons cependant pu faire dans le canal Saint-George, et celles sur-tout qui ont été faites à la distance de trois milles des îles Portland que Carteret regarde comme terminant le détroit qu’il a découvert, nous ont donné à connoître que le même défaut d’un assez grand nombre d’observations astronomiques avoit fait placer, par Carteret, la partie occidentale de la côte de la Nouvelle-Irlande, sur un parallèle trop Nord de 10' ou 12’ ; et que la différence en lon­gitude entre l’île Sandwich et le cap Saint-George étoit trop 1792.
Juillet.
grande de quarante et quelques minutes. Nos observations placent le cap Saint-George par 150° 28’ 40" de longitude orientale. Comme nous ne pûmes observer la hauteur méri­dienne le 17 à midi, nous avons adopté la latitude que M. de Bougainville assigne à ce cap.

Les terres de la Nouvelle-Irlande nous parurent d’une extrême hauteur jusque vis-à-vis l'île Sandwich : là elles s’abaissent, et présentent le même aspect que cette île, qui est à six milles de distance de la grande terre, et semble en avoir été détachée. La configuration de l'île Sandwich nous a paru différente de celle que lui donne Carteret ; elle est terminée dans l’Ouest par un îlot que ce navigateur n’avoit pas remarqué.

Nous passâmes à une petite distance de l’extrémité Sud-Est de la Nouvelle-Irlande, et nous fûmes à portée de bien voir le grand nombre de petites îles qui sont entre elle et la Nouvelle-Hanovre. Nous reconnûmes que les passages qui s’offroient à la vue comme entièrement libres, étoient fermés par des ressifs qui en traversoient l’entrée. Les courans nous avoient approchés de terre, pendant le calme, à environ deux tiers de lieue ; et nous fîmes route pendant toute la nuit le long de la côte. 27. Le 27 juillet, au jour, on vit l’extré­mité Nord-Ouest de la Nouvelle-Hanovre. Cette île se termine dans l’Ouest par des terres basses. On ne tarda pas à apercevoir les îles Portland, qui sont aussi très-basses ; nous les rangeâmes de près : au lieu de former un groupe, elles se trouvent placées dans une même direction, presque 1792.
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Est et Ouest : les ressifs et les bancs de sable qui les cernent, en rendent l’approche très-dangereuse ; leur étendue est de sept milles. Ce ne seroit pas une conjecture très-hasardée que de supposer qu'elles ont fait partie des terres basses qui terminent la Nouvelle-Hanovre. La pointe Nord-Est de la plus orientale de ces îles est située par 2° 36' de latitude australe, et par 147° 18’ 45" de longitude orientale.

Étant parvenu à l’extrémité du canal Saint-George, et me trouvant près des îles de l’Admiralty, je n’eus plus d’autre objet en vue que de tâcher de découvrir les traces de M. de la Pérouse, en faisant usage des renseignemens contenus dans les dépositions qui m’avoient été envoyées au cap de Bonne-Espérance par M. de Saint-Félix ; mais au milieu du grand nombre d’îles qui forment cet archipel, le hasard seul pouvoit me faire rencontrer celle dont il est fait mention dans le récit des deux capitaines François. Je me décidai à visiter les plus orientales, dont avoit eu connoissance le bâtiment Hollandois qui transportoit le capitaine Hunter à Batavia, et à parcourir ensuite la partie septentrionale de cet archipel, qui étoit inconnue à l’époque du voyage de M. de la Pérouse, et dont je présumois qu’il auroit dû entreprendre la reconnoissance, si toutefois il étoit venu dans ces parages. Je fis diriger la route sur l’île Jésus-Maria, et nous en eûmes connoissance le 28 juillet, 28. dans l’après-midi. Cette île, assez étendue, d’un abord très-dange­reux, est entourée de ressifs, ainsi que la plupart des îles que nous avions rencontrées depuis notre départ de la 1792.
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Nouvelle-Hollande ; à moins d’une demi-lieue de terre on ne trouva pas de fond : c’est à cette distance que l'île fut rangée, pour que rien sur la côte ne pût échapper à nos regards.

On vit entre les ressifs et la terre plusieurs pirogues : deux ou trois groupes de naturels furent aperçus sur les pointes les plus saillantes ; ils étoient entièrement nus et très-noirs. Aucune pirogue ne s’avança vers nous : la lame étoit trop forte pour que nous pussions y envoyer nos em­barcations ; et d’ailleurs, à bord des frégates, on voyoit ce qui se passoit sur le rivage, aussi distinctement qu’on auroit pu le voir dans des canots mouillés près des ressifs.

L’île Jésus-Maria nous a paru peu cultivée ; elle est d’un aspect très-agreste : le petit nombre des sauvages que nous avons aperçus, nous donne lieu de penser que la population n’en est pas considérable, et le peu de terrains cultivés que nous avons vus semble justifier cette conjecture.

Dans la préoccupation des esprits, causée par le désir bien naturel de découvrir quelque trace de M. de la Pérouse, un grand arbre étendu sur les ressifs, et à l’une des extrémités duquel on voyoit s’élever une branche et à l’autre extrémité ses racines, fut pris par quelques personnes pour les débris d’un navire dont il n’eût resté que la quille, l’étrave et une partie de l'étambot. On ne tarda pas à reconnoître que l’on s’étoit trompé. La même apparence se reproduisit sur plusieurs autres points des ressifs ; et il auroit fallu ad­mettre le naufrage d’une flotte entière, pour persister dans 1792.
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l’opinion que ce pouvoient être des débris de vaisseau. La pointe Sud-Est de l’île Jésus-Maria est par 2° 22’ de latitude australe et par 145° 28’ de longitude orientale.

Après avoir parcouru une partie de l’île Jésus-Maria, je crus devoir visiter l’île de la Vendola, que l’on relevoit à l’Est-Nord-Est. Je me déterminai à remonter vers celle-ci, parce qu’il étoit dit, dans la déposition du capitaine Préaudet, que c’étoit à l’île située le plus à l’Est qu’avoient été aperçus les hommes vêtus d’étoffes Européennes. Je jugeai cependant qu’il étoit important d’avoir l’opinion de M. Huon, tant sur cet objet en particulier, que sur la route que je m’étois proposé de suivre et j’eus la satisfaction de trouver qu’il étoit de mon avis.

Le 29 au jour, je fis diriger la route sur la Vendola, et à midi nous n’en étions plus qu’à deux lieues. Cette île 29. a moins de trois milles de circonférence : la veille nous avions jugé, d’après sa petitesse, quelle étoit inhabitée ; mais en l’approchant, nous la vîmes couverte de cocotiers, et nous ne tardâmes pas à y apercevoir des naturels : on vit des pirogues ; mais elles ne faisoient aucun mouvement pour venir vers nous. N’apercevant pas d’abord de ressifs le long de la côte, je pensai que nous devions tâcher d’avoir une entrevue avec ces naturels, qui ne pouvoient manquer de communiquer avec ceux des autres îles de i’Admiralty. Nous tournâmes l’île pour nous placer sous le vent ; mais elle est si petite, qu’elle ne présente aucun abri. Je fis mettre en panne, et j’expédiai une embarcation armée et 1792.
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pourvue d’objets d’échange, aux ordres de M. Rossel; en même temps, je fis signal à l’Espérance de faire partir un de ses canots. Nous nous tînmes à portée de soutenir ces embarcations, dans la crainte qu’on ne trouvât des hommes aussi féroces que ceux dont le capitaine Carteret a fait un portrait si désavantageux.

La Vendola, qui, à une certaine distance, ne paroît que comme un rocher isolé, offre, à mesure qu’on s’en approche, l’aspect le plus agréable : nous nous aperçûmes d’abord qu’elle étoit bien cultivée ; ensuite on crut voir des enclos ; les cases nous parurent nombreuses, vastes et assez élégantes : aussi le nombre d’habitans que renferme cette île est-il considérable. Ces habitans nous appeloient à grands cris, et nous faisoient toute sorte de signes d’amitié, tels que d’élever et d’agiter des branches d’arbre, de montrer des cocos, &c. Le rivage en étoit couvert ; ils couroient le long de la plage, et firent le tour de l’île aussitôt que nous. Nos canots approchèrent du rivage, dans l’intention de débarquer ; mais ils furent retenus au large par une chaîne de ressifs qui s’étend à une demi-encablure de la côte. Les insulaires accoururent en foule, les uns en se mettant à la nage, d’autres en marchant sur les ressifs ; tous montroient un air assuré, une physionomie ouverte, confiante, et qui n’annonçoit rien de sinistre. Les échanges se firent avec beaucoup de calme : ils n’avoient pas de choses précieuses à nous donner ; mais ils se défaisoient sans peine de leurs armes, de leurs ornemens, et enfin de 1792.
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tout ce qu’on leur demandoit. Ils parurent assez indifférens pour toutes les bagatelles qui leur furent présentées, et même pour les étoffes rouges ; mais, à la vue du premier clou, ils manifestèrent un empressement extrême pour en avoir ; tout le reste fut, en quelque sorte, dédaigné ; et il est hors de doute que le fer est ce dont ils font le plus de cas.

Ces peuples parurent, ainsi que tous les habitans du grand Océan, avoir de l’inclination pour le vol : on remar­qua cependant que c’étoient les hommes avancés en âge qui se livroient le plus à ce penchant ; il y avoit plus de loyauté et de franchise parmi les jeunes gens. Nous comptâmes environ cent cinquante individus sur le rivage. Les femmes formoient un groupe et se tenoient à l’écart ; mais bientôt elles se rapprochèrent des hommes. Je pense que tous les habitans de l’île étoient à-peu-près rassemblés ; néan­moins la population parut immense pour un terrain d’une aussi petite étendue. Il ne fut pas possible, comme on l’a dit, de mettre pied à terre, à cause des ressifs ; d’ailleurs, M. Rossel, s’il avoit pu débarquer, n’auroit rien appris de plus qu’en voyant ainsi tous les habitans réunis autour de son canot. Il les a jugés d’un naturel confiant ; leur phy­sionomie lui a paru agréable ; ils n’ont rien de dur dans les traits ; ils sont d’une belle stature, ainsi que les habitans de l’île reconnue la veille.

Nous n’avons pas jugé que les habitans de la Vendola eussent eu en leur possession ni armes ni habillemens 1792.
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Européens ; car on n'en a pas aperçu le moindre vestige. On n’a rien remarqué qui fût conforme aux faits énoncés dans les récits de MM. Magon de l'Épinay et Préaudet. Cependant, comme tous les naturels de ces îles portent des ornemens de coquilles blanches et des ceintures d’un rouge sombre, on peut conjecturer que des hommes préoccupés du passage de M. de la Pérouse dans cet archipel, qu’il n’avoit cependant pas ordre de visiter, auront pu prendre ces ornemens pour des ceinturons, et confondre la couleur de la peau de ces insulaires avec celle des habits uniformes de la marine de France. Le signe qui avoit été pris pour être celui d’un homme qui voudroit se raser, n’est autre chose que le geste que les naturels font avec une coquille dont ils se servent pour cet usage, et qui fait partie des ustensiles qu’ils proposèrent en échange. Nous croyons pouvoir nous arrêter à ces conjectures ; car avant que nous fussions arrivés au point d'où la vue distincte des objets ne laissoit plus d’incertitude, on croyoit déjà voir ces mêmes hommes couverts d’étoffes &c. &c. : tant on aime le merveilleux et tant on est disposé à le saisir avec avidité !

Ces insulaires ont les parties naturelles couvertes avec une coquille : j’ignore si elle est un ornement, ou si c’est par décence qu’ils la portent ; mais cet usage me semble particulier aux habitans de ce groupe d’îles ; il n’en est fait mention dans aucun Voyage. Les femmes ont les reins entourés d’une ceinture. L’air de contentement peint sur tous les visages, un beau climat, une île fertile et

abondante
1792.
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abondante sur-tout en cocotiers, tout semble annoncer que cette peuplade jouit d’un sort heureux ; mais ce qui paroît

rendre leur position plus avantageuse encore, c’est qu’ils sont séparés de six ou sept lieues des autres îles de ce groupe, très-rapprochées entre elles, et dont la proximité peut donner lieu à des dissensions.

Comme l’objet le plus important de cette entrevue étoit de s’assurer si les habitans de la Vendola possédoient les dépouilles des équipages de quelques navires Européens, dès que je le jugeai rempli, je fis signal aux embarcations de revenir. N’ayant obtenu aucun éclaircissement dans l’île la plus au Sud, ni dans celle qui est la plus à l’Est, je crus con­venable de me rendre à l’île qui porte plus particulièrement le nom d’île de l’Admiralty. Je voulois prendre connoissance de la pointe Nord-Est de cette île, pour en suivre la côte septentrionale, que le capitaine Morelle n'avoit vue que de loin.

Le milieu de la Vendola est par 2° 14' de latitude australe, et par 145° 49’ 52" de longitude orientale.

Après avoir passé la nuit du 29 au 30 à courir des bordées, 30. je m’élevai jusqu’à la latitude que Morelle donne à la grande île de l’Admiralty. Dans la matinée du 30 juillet, le temps étoit sombre, le vent fort et par grains, et l’horizon très-borné. Nous fîmes huit ou dix lieues au Nord sans rien apercevoir. Je me dirigeai ensuite à l'Ouest ; et après avoir fait six lieues dans cette direction sans découvrir aucune terre, je remis au plus près bâbord amures, le cap 1792.
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au Sud-Ouest, certain de rencontrer l’île à cette route : elle fut en effet aperçue de l’avant ; nous gouvernâmes au même rhumb de vent jusqu’à la nuit, que l’on passa, comme à l’ordinaire, sur les bords. Le lendemain 31 juillet, à la 31. pointe du jour, nous fîmes route sur les îles Négros de Morelle, et nous longeâmes la côte, ou plutôt les îles et les ressifs qui forment un cordon autour de l’île prin­cipale. Ces îles présentent l’aspect le plus agréable ; elles sont toutes couvertes d’arbres d’un vert ni trop foncé ni trop pâle. Les cocotiers croissent en grand nombre dans la plus grande partie de ces îles, et nous avons remarqué que celles qui en produisent étoient seules habitées ; soit que l’eau de coco supplée à l’eau de source ou de rivière qu’il est difficile de rencontrer dans des îles aussi petites et aussi basses, soit que l’amande de ce fruit soit pour les habitans une partie nécessaire de leur subsistance. Il paroît cependant qu’ils se livrent à la pêche. Un très-grand nombre de piro­gues furent aperçues entre les ressifs et les îles : plusieurs se détachèrent et vinrent à nous en passant par-dessus les ressifs. Je fis mettre en panne pour les attendre : elles s’arrêtèrent à une petite distance, sans doute afin de s’as­surer de nos dispositions ; mais quelques clous et d’autres objets mis sur une planche au-dessus de laquelle flottoit un petit pavillon d’étoffe rouge, les décidèrent à s’approcher. Les insulaires qui étoient dans ces pirogues se saisirent des clous avec la plus grande avidité : le fer seul parut avoir quelque prix à leurs yeux ; car ils laissèrent sur la planche les 1792.
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morceaux d'étoffes et les autres objets que nous voulions leur donner. Ils se dessaisissoient de tout ce qu’on leur demandoit : on obtint d’eux leurs ornemens, leurs armes et même les coquilles qui couvroient leur nudité. Ces hommes ont une physionomie riante, montrent peu de défiance, et portent tous les caractères d’un peuple content de son sort. Leurs armes se bornent à des sagayes terminées par une pierre dure et acérée, et à des espèces de flèches qu’ils lancent à la main, car on ne leur a pas vu d’arcs : ils n’ont point de massues. A en juger par la nature des armes qu’ils avoient dans leurs pirogues, on pourroit penser que ces insulaires ne se font point la guerre entre eux ; et sans doute la même douceur de caractère et les mêmes mœurs sont le partage des naturels de la grande île ; sans quoi il est à présumer que ceux-ci ne tarderoient pas à envahir les possessions des paisibles habitans des petites îles dont ils sont environnés.

Après une entrevue d’environ deux heures, nous con­tinuâmes notre route : alors les pirogues s’approchèrent de l'Espérance ; mais comme elle ne tarda pas à se mettre aussi en marche, quoique je lui eusse fait le signal de ne pas faire attention à notre manœuvre, ces pirogues mirent toutes à la voile pour nous suivre, et les hommes qui les montoient nous engagèrent par signes à aller à terre avec eux. C’étoit un spectacle vraiment curieux que de voir cette petite flottille après quelle eut déployé ses voiles ; mais ce qui nous parut bien plus surprenant, c’est la vîtesse d’une 1792.
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des pirogues, qui doubloit notre sillage et qui nous eut dépassé dans un clin-d’œil, quoique le vent fût assez frais et que nous eussions beaucoup de voiles. Un examen très attentif des naturels qui ont été vus tant dans leurs pirogues que sur le rivage, nous a convaincus que les bâtimens de M. de la Pérouse n’avoient pas fait naufrage sur ces îles. La connoissance que ces habitans ont de l’usage du fer, leur a été donnée, sans doute, par la frégate Espagnole la Princessa. Nous sommes fondés à croire que ce qui a été dit de la férocité de ces peuples, de leurs vues hostiles, &c., est exa­géré. La communication fréquente qui doit exister entre des îles aussi rapprochées, ne permet pas de penser que quelques-uns de leurs habitans aient un caractère aussi opposé à celui des autres, que le Voyage de Carteret porteroit à le croire.

Nous continuâmes à cotoyer ces îles jusqu’au soir du même jour, et par-tout nous aperçûmes un très-grand nombre de pirogues, dont plusieurs étoient occupées à la pêche. Nous mîmes en panne à la chute du jour : alors quelques pirogues s’approchèrent à une certaine distance ; mais, soit que la nuit qui s’avançoit inspirât de la crainte à ces nouveaux venus, soit qu’ils fussent naturellement moins confians que ceux que nous avions vus le matin, toutes nos invitations devinrent infructueuses. Après une heure d’attente sans avoir pu réussir à les attirer près de nous, je voulus leur donner le spectacle d’une fusée, prévoyant bien que cet artifice commenceroit par les étonner, mais qu’il pourroit ensuite exciter leur admiration, et peut-être leur curiosité. Au moment où la 1792.
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fusée partit, ils cessèrent de répondre à nos cris et res­tèrent dans le silence ; lorsqu'ensuite elle éclata et qu'elle retomba en pluie de feu, la frayeur s’empara d'eux, et ils s’éloignèrent avec précipitation : peu après nous les vîmes revenir, mais ils se tinrent toujours à une grande distance. J’imaginai de faire mettre sur une planche, avec des clous et d’autres objets d’échange, une bougie enveloppée d’une lanterne de papier, afin que ce corps flottant pût être aperçu et recueilli par eux. Mais ils parurent plus effrayés de cette lumière qui, détachée de la frégate, sembloit s’avancer vers eux en marchant sur l’eau, qu’ils ne l’avoient été de l’éclat de la fusée. Ils soupçonnèrent sans doute qu’il y avoit quelque chose de merveilleux dans la marche apparente de ce feu errant sur les flots ; car, à mesure que la dérive qui nous éloignoit de la bougie leur faisoit croire qu’ils s’en rapprochoient eux-mêmes, ils s’écartoient en prononçant à très haute voix et d’un ton précipité, des mots par lesquels ils avoient l’air de conjurer, en quelque sorte, un génie mal­faisant : enfin ils se retirèrent tout-à-fait. Le temps étoit si calme et la mer si belle, que cette bougie resta allumée près de deux heures. Lorsque les naturels arrivèrent à terre, ils allumèrent des feux, soit qu’ils crussent pouvoir attirer ainsi l’objet qu’ils imaginoient voir marcher sur les eaux, soit au contraire qu’ils voulussent l’écarter de leurs habita­tions. Au reste, ce spectacle dont ils parurent si effrayés, fut très-réjouissant pour l’équipage. Si j’avois pu prévoir néan­moins l’effet qu’il produiroit, je leur aurois épargné cet 1792.
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effroi, qui pouvoit accroître une défiance bien naturelle que l’on doit tâcher de faire disparoître, en évitant, avec la plus scrupuleuse attention, tout ce qui pourroit l’entretenir.

Quoique ces îles paroissent entièrement bordées de ressifs, je présume qu’il seroit possible de découvrir plusieurs passages par où des bâtimens tels que les nôtres pourroient entrer dans l’espace de mer assez considérable qui est entre les ressifs et la terre. On doit trouver sur la grande île de l’eau et des rafraîchissemens, et se procurer entre les ressifs une pêche abondante.

La pointe Nord de la plus orientale des îles Négros de Morelle a été placée sur les cartes par 1° 58′ 50″ de latitude australe et 144° 56′ 50″ de longitude orientale.

Nous passâmes la nuit en panne, et le 1.er août nous Août.
I.er.
reprîmes nos opérations. Après avoir fait quelques milles, nous nous trouvâmes à l’extrémité occidentale de la grande île de l’Admiralty ; nous aperçûmes au large un grand nombre de petites îles entourées de ressifs, et semblables à celles qui bordent la côte septentrionale que nous avions parcourue la veille. Je fis diriger la route au plus près du vent, bâbord amures, afin de prolonger les ressifs qui défendent l’approche de ces îles. À midi nous étions dans le Nord de l’île la plus occidentale, et nous la vîmes, comme toutes les autres, environnée de ressifs. Je continuai de gouverner au Sud-Ouest pendant quelque temps, afin de m’assurer s’il existoit des dangers plus au Sud ; mais à trois heures de l’après-midi, n’en ayant découvert aucun, et 1792.
Août.
me trouvant presque hors de vue de la dernière île, je fis route pour le cap de Bonne-Espérance de la Nouvelle-Guinée. Comme aucun des navigateurs qui ont fréquenté ces parages, n’avoit suivi le parallèle de la grande île de l’Admiralty, je me décidai à faire cette nouvelle route, et fis mettre le cap à l’Ouest. Mais vers cinq heures on aperçut un ressif de l'avant qui nous força de venir sur stribord : cette rencontre inopinée, qui eut lieu au déclin du jour, me fit craindre de trouver de nouveaux écueils en suivant la direc­tion que j’avois prise, et je jugeai devoir gouverner pen­dant la nuit à l’Ouest-Nord-Ouest.

Le 2 août, à la pointe du jour, nous eûmes connoissance 2. de plusieurs îles découvertes par M. de Bougainville, et nommées, par le capitaine Morelle, los Ermitanos : elles étoient assez élevées dans le Nord-Ouest, et sembloient laisser des intervalles assez considérables pour nous permettre de passer entre elles ; mais en approchant, nous les vîmes terminées par des terres basses, et cernées par un banc de sable très-étroit, en dedans duquel on voyoit un grand espace où la mer étoit tranquille. Nous passâmes au Nord de ces îles, afin de pouvoir les cotoyer ensuite sous le vent. Nous vîmes plusieurs pirogues déborder la pointe Nord de l'île la plus considérable ; et les insulaires, après les avoir transportées sur le banc de sable, vinrent à nous : nous mîmes en panne pour les attendre. Ils s’approchèrent, mais sans montrer la même confiance que les habitans des îles de l’Admiralty : les démonstrations d’amitié que nous leur fîmes ne 1792.
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purent les déterminer à entrer en marché avec nous ; ils se tinrent toujours à une distance telle, que les échanges ne pouvoient avoir lieu. On essaya la méthode de communi­cation par la petite planche garnie de morceaux de fer, de clous, &c. ; mais il paroît qu’il s’éleva entre les naturels un débat pour savoir si l’on iroit ou non chercher la planche : enfin ils l’abandonnèrent, et nous continuâmes notre route. Le temps étoit trop précieux pour le perdre dans une en­trevue tout-à-fait stérile. Au reste, nous ne pûmes pas juger si les habitans de ces îles avoient communiqué avec des Européens.

Ces insulaires sont d’une belle stature ; nous ne leur avons point vu d’armes ; peut-être en avoient-ils de cachées, peut-être aussi ne sont-ils que pêcheurs. Ils vou­lurent jeter à bord de l’Espérance quelques fruits qui, à cause de l’éloignement, ne purent y arriver, et qui tom­bèrent à l’eau : on crut d’abord que c’étoient des pierres, et que ceux qui les lançoient avoient des vues hostiles ; la même opinion eut lieu à bord de la Recherche, d’après la même cause ; mais on finit par être détrompé. C’est ainsi, peut-être, que plusieurs de ces peuples ont été taxés de cruauté et de perfidie, sur de fausses interprétations don­nées à des actes qui pouvoient avoir des motifs tout-à-fait opposés ; c’est ainsi peut-être qu’ils nous ont jugés nous mêmes malfaisans, quand nous ne cherchions qu’à exciter leur curiosité pour les engager à prendre les objets utiles que nous voulions leur procurer. Nous fîmes le tour de ces
îles,
1792.
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îles, et leur position fut parfaitement déterminée. La lati­tude de l'îlot du Nord-Est est de 1° 28’ 30" australe, et sa longitude de 142° 47’ 20" orientale.

Le capitaine Morelle, commandant la frégate Es­pagnole la Princessa, avoit aperçu ces îles à huit lieues de distance, et les avoit nommées, comme nous l’avons dit, los Ermitanos ; il faut, ce me semble , être bien jaloux d’imposer des noms, pour en donner à des terres découvertes depuis long-temps, sans les avoir reconnues soi-même avec quelque détail.

Lorsque nous eûmes terminé la reconnoissance de ce groupe d’îles, nous reprîmes la route de l’Ouest. Vers les deux heures de l’après-midi, nous aperçûmes de l’avant l'île appelée la Boudeuse par M. de Bougainville : en approchant de cette île, on découvrit les îles Basses qui s'étendoient de l’Ouest-Nord-Ouest au Nord. Nous passâmes la nuit en louvoyant à petites voiles, pour en faire la recon­noissance le lendemain au jour.

3. Le 3 août, nous dirigeâmes la route pour nous approcher des îles Basses et les prolonger, en les laissant très-près à stribord : à la pointe du jour nous avions mis le cap à l’Ouest, et nous fûmes obligés de venir successivement jusqu’au Sud Sud-Ouest, pour doubler la dernière île dans le Sud. Ces îles, que le capitaine Morelle a nommées les Mille-îles, sont en très-grand nombre ; nous en avons placé sur la carte une trentaine ; mais il est à présumer qu’il s’en trouve, dans la partie septentrionale de ce petit archipel, que nous 1792.
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n’avons pas pu voir. Toutes ces îles nous parurent liées par des ressifs. Au moment de doubler les terres qui nous parurent former l’île la plus méridionale, un grain violent nous força de virer de bord et de mettre bientôt après à la cape : le temps s’éclaircit vers le soir, et nous vîmes distinctement ces terres se diviser en deux petites îles qui étoient environnées de ressifs.

La pointe méridionale de celle des îles Basses qui est située le plus au Sud, fut placée par 1° 40′ 30″ de latitude australe, et par 141° 43’ de longitude orientale.

Je me décidai à passer la nuit à la cape, pour vérifier si l’archipel des îles Basses étoit terminé par les deux dernières îles que nous venions de doubler. 4. Nous les revîmes le 4 à la pointe du jour ; et n’ayant aperçu aucune autre terre, je fis mettre le cap à l’Ouest.

Vers midi, on aperçut une nouvelle île à stribord ; peu après, l’Espérance nous en signala une autre à bâbord : la position de ces deux îles a été parfaitement fixée. Nous ne les vîmes pas d’assez près pour pouvoir assurer quelles sont, ainsi que les îles Basses, bordées de ressifs ; mais comme elles nous parurent peu élevées, je pense qu’il est convenable de ne les approcher qu’avec prudence. L’île la plus Nord est l’île du Rour, et la plus Sud, l’île Matty. Le capitaine Carteret les découvrit en septembre 1767. L’île du Rour est par 1° 33′ 40″ de latitude australe, et par 140° 52′ 30″ de longitude orientale. La latitude de l’île Matty a été trouvée de 1° 46′, et sa longitude, de 140° 36′ 30″. 1792.
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Depuis le 4 jusqu’au 12 août, époque à laquelle nous aperçûmes les îles Schouten, nous ne fîmes que très-peu de chemin ; 4, 12. nous fûmes contrariés par de petits vents d’Ouest qui nous forcèrent de louvoyer.

14. Le 14, les deux îles de la Providence furent successi­vement aperçues.

15. Le 15, le temps resta pluvieux et couvert jusque vers les six heures du soir ; mais alors il s’éclaircit, et l’on vit dis­tinctement la côte de la Nouvelle-Guinée.

17. Le 17 août à midi, nous nous trouvions de 16’ 20" au Nord de la ligne équinoxiale, et par 131° 39’ de longi­tude orientale, c’est-à-dire, d’environ 19’ à l’Ouest du méri­dien de la pointe occidentale de la baie du Geelvink. Les courans qui nous portèrent constamment au Nord pendant tout le temps que nous mîmes à traverser l’ouverture de cette baie immense, semblent indiquer qu’il doit y avoir au fond un grand fleuve, ou plutôt un détroit, par lequel il seroit possible de communiquer avec la partie de mer qui sépare la Nouvelle-Guinée de la Nouvelle-Hollande. En effet, les eaux poussées par les vents de Sud-Est et de Sud-Sud-Est, qui sont constans dans le Sud de la Nouvelle-Guinée, pourroient, en entrant dans la baie du Geelvink, y occasionner un courant assez rapide pour se faire sentir dans toute l’étendue de cette baie, et même à quelques lieues au large de son ouverture. Quoi qu’il en soit, depuis le 9 août jusqu’au 12, c’est-à-dire, depuis l’instant où nous avons été sous le méridien de la pointe orientale de la baie du 1792.
Août.
Geelvink, jusqu’à celui où nous nous sommes trouvés à-peu près sous le méridien de l’extrémité occidentale de l’île Schouten, le courant nous a entraînés dans le Nord de trois lieues trois quarts à quatre lieues un tiers par jour, et, depuis l’extrémité occidentale de l’île Schouten jusqu’à la pointe Dory, les courans nous ont portés, dans la même direction, de cinq à six lieues par jour. Les longitudes obtenues par la montre marine ont été alternativement à l’Est et à l’Ouest de la longitude estimée, et il paroît que le courant nous a portés à-peu-près directement au Nord.

17, 18. Du 17 au 19, le temps ayant été orageux, les vents foibles et très-variables, nous fîmes peu de progrès dans l’Ouest.

19. Enfin le 19 août à midi, on releva, presqu'à l’Ouest, le cap le plus Nord de la Nouvelle-Guinée, qui devoit être le cap Goede-Hoop (de Bonne-Espérance) ; mais la latitude de ce cap, qui fut trouvée, d’après nos observations, de 0° 19' 5" australe, nous laissa quelque temps dans l’incerti­tude, parce que, d’après les observations du capitaine Forest, celui des navigateurs qui paroissoit mériter le plus de confiance, ce même point devoit être de quelques minutes au Nord de l'équateur. 20. La route faite jusqu’au lendemain, et la latitude obtenue le 20 à midi, nous confir­mèrent la justesse de notre détermination, et par conséquent l’inexactitude de celle de Forest.

Nous ne tardâmes pas à voir les deux petites îles Mispalu, qui sont de quelques lieues plus à l’Occident, et sur le même parallèle à-peu-près que le cap de Bonne-Espérance. 1792.
Août.
La côte, dans un espace de dix lieues environ, court à-peu-près Est et Ouest, et il est difficile de reconnoître quelle est la pointe qui s’avance le plus vers le Nord. Cependant nous avons bien reconnu le cap de Bonne-Espérance ; il est par 130° 5’ 30" de longitude à l’Orient de Paris [6].

Les jours suivans, nous prolongeâmes la côte de la Nou­velle-Guinée : mon projet étoit d’entrer dans le grand archipel d’Asie, en passant le détroit nommé Gallewo, qui est formé par la Nouvelle-Guinée et l'île Sallawatty, parce qu’il étoit moins connu que les autres ; mais les vents de la partie du Sud nous empêchèrent d’y pénétrer, et il fallut se décider à diriger la route pour passer par le détroit de Sagewien, entre l’île Sallawatty et l’île Batenta.

23. Le 23 à midi, la bordée qui nous portoit un peu sous le vent de la pointe la plus orientale de Batenta, nous fît découvrir à l’extrémité de cette pointe, des hauts-fonds de roche et de corail. A environ quatre ou cinq milles au large de la côte, nous trouvâmes dix à douze brasses d’eau. Nous fûmes forcés de virer de bord pour nous élever au vent, et nous ne pûmes donner dans le détroit qu’à trois heures et demie.

l'Espérance étoit restée en arrière, et nous diminuâmes de voiles pour l’attendre, dans l’espoir qu'elle pourroit 1792.
Août.
nous rejoindre avant la nuit ; mais au déclin du jour, je crus devoir virer de bord et forcer de voiles pour sortir du détroit et la rallier ; heureusement qu’avant la nuit close elle put s’élever assez au vent pour y pénétrer. Alors je repris la bordée de l’Ouest et me conformai à sa marche. Le vent tomba tout-à-fait pendant la nuit ; mais les courans nous entraînèrent d’une manière si sensible, que nous doublâmes, à vue d’œil, les points de la côte qui étoient par notre travers. Lorsque nous fûmes arrivés à l’île appelée Pulo-Sagewien, qui termine le détroit à l’Ouest, les courans ne furent plus aussi favorables qu’ils l’avoient été à l’entrée et au milieu du canal. Ce ne fut que dans la matinée du 24 et après avoir couru plusieurs bordées, que nous parvînmes à dépasser i’île Sagewien. La carte de M. Beautemps-Beaupré indique toutes les îles situées à l’extrémité occidentale du détroit de Sagewien : leurs positions ont été déterminées avec une grande exactitude ; mais la nuit nous empêcha de prendre les relèvemens qui auroient servi à tracer avec la même précision les côtes du détroit. La pointe Nord-Ouest de l’île Sagewien est par 0° 56′ 45″ de latitude australe, et par 128° 13’ de longitude orientale.

Nous avions vu, le 23, sur la côte de l’île Batenta, une pirogue portant un pavillon que l’on jugea être Portugais, parce qu’il étoit blanc, et que l’on croyoit distinguer des armes au milieu ; jaurois désiré que cette pirogue fut venue à bord, ou que le vent ne m’eût pas obligé de m’en éloigner et de serrer la côte de Sallawatty : ce pavillon avoit piqué notre curiosité ; 1792.
Août.
mais elle ne put être satisfaite. Les hommes qui montoient cette pirogue ne parurent pas faire attention à nos bâtimens. Nous aperçûmes deux autres pirogues à la voile, qui longeoient la côte de la même île. 24. Le 24 août, à la pointe du jour, nous avions vu les naturels sortir des cases qui formoient un petit hameau sur le rivage de Batenta ; ils montrèrent la même indifférence à notre égard, que ceux qui étoient sur les pirogues : il est vrai que les navires Européens, dont ils ont vu sans doute un assez grand nombre, ne doivent plus être pour eux un objet assez nouveau pour exciter leur curiosité.

Les vents de la partie du Sud ne nous laissant aucune espérance de passer à l’Est de l’île Mysol, nous fîmes route pour attérir sur la côte septentrionale de l'île Céram, et pour nous rendre, par l’Ouest de cette dernière île, à Amboine.

25. Le 25 août au jour, on eut connoissance du groupe des îles Popo, et l’on découvrit en même temps d’autres îles dans le Sud-Est : la position des unes et des autres a été par­faitement déterminée.

La pointe la plus Sud de l'île Popo se trouve sur le paral­lèle de 1° 15' 45" de latitude australe, et sur le méridien de 127° 21' 15" de longitude orientale.

26. Le lendemain 26, on aperçut de nouvelles îles que l’on reconnut être celles que le capitaine Forest a nommées Kanary ; nous trouvâmes quelque différence entre les posi­tions que le navigateur Anglais leur a données, et celles que nous avons déduites de nos observations. 1792.
Août.
La position de la pointe Nord-Ouest de la grande île Kanary doit être regardée comme bien déterminée ; cette pointe est par 1° 47' 30" de latitude australe, et par 127° 11' 30" de longitude orientale.

Le peu de chemin que nous faisions à cause du calme, et les courans, tantôt plus forts, tantôt plus foibles, qui nous portoient assez constamment dans le Nord et dans l’Est, rendoient la mesure des routes inexacte et la construction des cartes très-difficile. Depuis plus de quinze jours, nos plus fortes journées n’avoient pas été de dix lieues ; et pendant les quatre ou cinq derniers jours, à peine avions-nous fait douze milles.

29, 30. Nous n’eûmes connoissance de l'île Céram que le 29 août : on aperçut, le 30, les îles qui sont à la pointe occiden­tale du golfe de Saway, formé par la côte de l'île Céram. Nous restâmes en calme et à vue de ces îles pendant deux jours de suite, et nous fûmes à portée d’en bien déterminer les positions ; la plus considérable, appelée Mattalima, est par 2° 45' de latitude australe, et par 126° 34’ 30" de longitude orientale.

Septembre.
I.er.
2.
Le 1.er septembre, nous suivîmes la côte Nord de l’île Céram : nous parvînmes le 2 à l'extrémité occidentale de cette île, et nous vîmes la côte fuir dans le Sud-Ouest. Dès que nous nous trouvâmes à l’ouverture du canal formé par l'île Céram et l’île Bonoa, les vents qui soufflèrent du Sud-Ouest nous firent craindre d'être forcés de passer à l’Ouest de Bonoa et de nous mettre sous le vent d’Amboine. Nous

louvoyâmes
1792.
Septembre.
louvoyâmes néanmoins, pour tenter le passage du canal.

En y pénétrant, nous éprouvâmes, ainsi que Dampier et M. de Bougainville, l’action de lits de marée qui faisoient le même bruit que le courant d’une rivière très-rapide. Nous vîmes à l’extrémité de la pointe septentrionale de Bonoa, une pirogue dans laquelle étoient un petit nombre de naturels, et qui suivoit de très-près la terre, dont nous n’étions pas nous-mêmes éloignés de plus de deux milles : on avoit aperçu avant le jour, sur le rivage, un très-grand feu que l’on jugea avoir été allumé par des pêcheurs ; cependant la côte ne nous paroissoit pas être habitée ; elle est boisée jusqu’au rivage, et n’offre aucune trace de culture. Quelques roches qui, regar­dées d’un peu loin, ont l’air d’enclore des terrains défrichés, peuvent avoir induit en erreur ceux qui, n’ayant vu cette terre que dans l’éloignement, l’ont crue bien cultivée. Au reste, la côte est extrêmement remarquable par sa configu­ration pittoresque et variée, qui présente les formes les plus singulières.

Nous fûmes contrariés pendant quelques jours par des calmes et par des courans très-variables ; enfin nous par­vînmes, le 5 septembre, à l’extrémité occidentale de l’île d’Amboine. 5 et 6. C’est dans la nuit du 5 au 6, et d’après le plan de Valentin, que nous nous avançâmes dans le golfe où se trouve le fort Hollandois. Lorsque nous eûmes dépassé la baie des Portugais, je fis mettre en panne pour attendre le jour, afin de ne pas me méprendre sur le véritable mouillage. La brise qui nous avoit permis d’entrer dans le golfe 1792.
Septembre.
d’Amboine pendant la nuit, nous manqua à la pointe du jour et c’est seulement à l’aide d’un vent très-léger, variant tantôt d'un bord, tantôt de l’autre, et qui nous forçoit à manœuvrer continuellement, que nous pûmes nous appro­cher du mouillage.

J’avois envoyé de très-bonne heure un officier pour présenter au gouverneur la copie de la lettre des États généraux, par laquelle il étoit ordonné à tous les gouverneurs des établissemens Hollandois de nous recevoir. Je crus convenable de ne pas laisser tomber l’ancre, avant d’avoir eu connoissance du résultat de la délibération du conseil d’Amboine : la liberté de mouiller nous fut d’abord accordée ; mais ensuite on voulut nous astreindre à des conditions auxquelles je ne pouvois ni ne devois consentir. Les difficultés qu’on nous faisoit, étoient fondées sur ce que l’acte des États généraux, dont je ne pouvois présenter que la copie officielle, n'avoit pas encore été adressé par le gouverneur général de l’Inde.

Je n’eus pas de peine à lever ces difficultés, en faisant remarquer que j’avois devancé de plusieurs mois l’arrivée dans la colonie des nouvelles d’Europe, qui n’y parviennent ordinai­rement, par les bâtimens de la compagnie des Indes, qu’après dix-huit mois de date.
CHAPITRE VII.

Réflexions générales sur le Gouvernement d’Amboine. - Productions de cette île. - Commerce. - Religion. - Population

L'île d’Amboine, qui est le chef-lieu des établissemens Hollandois dans les Moluques, ne présente, ni dans l’aspect 1792. Septembre. du pays, ni dans les mœurs et les usages des habitans, rien qui soit propre à fixer l’attention d’un observateur. Les natu­rels de cette île sont paresseux et ennemis du travail, comme le sont en général les habitans de la zone torride, à qui la terre offre, presque sans culture, tout ce qui est nécessaire à leur subsistance. L’indolence qui leur est naturelle, est entretenue par le régime de la compagnie Hollandoise, dont l'intérêt, qui étouffe toute industrie, est de borner le travail à la culture du girofle, culture circonscrite encore, parce que la compagnie, obligée d’en recevoir la récolte entière, ne desire pas quelle s’étende fort au-delà de la consommation annuelle en Europe et dans les autres parties du monde. On n’y permet pas même la culture du riz, denrée de première nécessité pour les gens aisés ; soit qu’on veuille, en le leur vendant, les tenir dans une plus grande dépendance, soit qu’on ait en vue de réserver cette culture à l’île de Java, dont elle forme le principal revenu, et où celle du girofle est 1792. Septembre. interdite. Quoi qu’il en soit, l’importation du riz est devenue l’objet d’un commerce avantageux pour les employés de la compagnie, et remplit les vues de l’administration, puisqu’elle fait sortir des mains des habitans de l’île d’Amboine le numé­raire que l’on y verse tous les ans pour les achats de girofle, et qui deviendroit trop abondant s’il restoit dans la circulation.

Quant aux mœurs des naturels d’Amboine, elles ont dû être modifiées et même altérées par le mélange de ces insulaires avec les nations Européennes sous la domination successive desquelles ils ont passé ; et à peine, en effet, peut-on dis­tinguer le caractère primordial de ce peuple, qui, même avant la conquête des Portugais, étoit déjà mêlé d’Arabes, de Malais, de Javanois, &c. Aussi les relations des premiers voyageurs n’offrent-elles rien de particulier ni d’intéressant au sujet de cette île, ni même des autres îles réputées vraies Moluques, et dont Amboine et Banda n'etoient autrefois que des dépendances. Ces îles n'ont acquis de la célébrité que par les épiceries, qui y ont été de tout temps recueillies exclu­sivement à toutes les autres régions de la terre : car ces précieux aromates, connus des Grecs et des Romains, et plus anciennement encore des Chinois, ont été également recherchés par les nations modernes.

L’un des premiers soins des navigateurs qui ont pénétré dans les Indes orientales, a été de découvrir les îles qui produisent les épiceries : les Portugais, les Espagnols et les Hollandois y ont successivement établi des comptoirs et des forts ; mais les Hollandois sont parvenus enfin à dominer sur 1792. Septembre. toute l'étendue de mer où elles sont situées. Si ces îles offrent quelque intérêt sous le rapport de leurs rares productions, elles n’en méritent pas moins lorsqu’on envisage la manière dont les Hollandois s’y sont affermis, le degré d’opulence où les a élevés la possession exclusive qu’ils se sont attribuée d’une denrée dont la consommation est universelle, la poli­tique qu’ils ont constamment suivie, tant pour écarter toutes les nations de ce riche commerce, que pour prévenir les exportations frauduleuses. Mais nous remarquerons aussi que les mêmes causes qui ont contribué à l’élévation rapide de la compagnie Hollandoise, paroissent devoir en accélérer la décadence. C’est la soif des richesses qui a fait entreprendre toutes ces expéditions lointaines ; l’intérêt, ce puissant mobile, réuni à l’héroïsme chevaleresque qui n’étoit pas encore tout-à-fait éteint, a produit dans les deux mondes ces pro­diges d’audace et de valeur qui nous semblent incroyables : mais parvenues, par une saine politique, à la jouissance tran­quille de richesses immenses, les mêmes compagnies, qui n'ont plus eu besoin, pour les conserver, de déployer le cou­rage qui les leur avoir acquises, se sont uniquement livrées à l’esprit de lucre, qui, en isolant les hommes, a détruit tout esprit public, et a dû rendre les individus à qui ces compagnies ont confié la direction de leurs affaires, plus soigneux d’avancer les leurs que celles de leurs commettans. Telle est la situation actuelle de la compagnie Hollandoise, dont l’affoiblissement doit être attribué moins aux dépenses énormes dont elle est surchargée, qu’aux malversations de ses employés. Le mal est sans remède, parce que les abus 1792. Septembre. sont trop invétérés, et que trop de gens en profitent pour que l’on puisse espérer de les réformer. Quelques exemples de sévérité, tels que celui qui venoit d’avoir lieu à Banda, d’où le gouverneur et le sous-gouverneur avoient été rap­pelés à Batavia, sont insuffisans pour en arrêter les progrès.

Le même esprit de lucre qui anime tous les employés de cette compagnie, dirige les vues de l’administration géné­rale : aussi en résulte-t-il un régime destructif de toute industrie, parce qu’il tend à réduire la culture aux seules productions dont elle tire quelque avantage ; ce qui exige qu’on ne favorise ni les progrès de la population, ni le goût du travail, afin que les habitans, bornés au plus simple néces­saire, puissent fournir au taux le plus bas les fruits de leur labeur. L’administration met une si grande importance à prévenir ainsi le surhaussement du prix des denrées, que quand elle est contrainte de recevoir des bâtimens étran­gers, le conseil a l’attention de nommer des commissaires qui leur fournissent toutes les provisions dont ils peuvent avoir besoin, afin d’empêcher une concurrence qui contrarieroit ses vues. Ce n’est pas tout : les habitans sont tenus à un genre de contribution tyrannique, qui se reproduit à tous les momens ; c’est l’obligation qu’on leur a imposée de fournir gratuitement toutes les productions du pays néces­saires à la consommation des principaux employés de la compagnie.

Les Hollandois étendent ce régime oppressif jusque sur les princes qui sont sous leur dépendance. Ils ne leur laissent 1792. Septembre. quelque ombre d’autorité que pour conserver par eux le commerce exclusif des productions de leurs propres pays. Jaloux sur-tout de celui des épiceries, dont les îles de Ternate et de Tidor produisoient une plus grande abondance que les îles d’Amboine et de Banda, possédées en toute souveraineté par la compagnie, ils sont parvenus à forcer les prétendus souverains de ces premières îles, à faire arracher les plants de girofliers et de muscadiers qui croissoient dans les divers lieux de leur domination, afin que ces plants ne pussent être cultivés que dans les seules îles qui appar­tiennent à la compagnie sans partage d’autorité.

Mais toutes ces précautions sont vaines : cette compagnie a beau vouloir soumettre à un régime prohibitif toutes les îles Moluques et en interdire l’abord à toutes les nations ; elle a beau entretenir, dans toutes les îles voisines de ses possessions, des résidens dont la plus importante fonction est de faire extirper jusqu’aux germes de ces plants, que les oiseaux ou les vents y portent sans cesse, et que la nature y fait croître presque sans culture ; jamais elle ne pourra entièrement les détruire : elle n’empêchera pas non plus l’exportation des épiceries, favorisée peut-être, et même très-vraisemblablement, par ses propres employés, qui ne peuvent trouver que dans ce commerce illicite le dédommagement de la modicité du traitement que leur assigne la compagnie.

C’est principalement par les petites embarcations de Céram que se fait cette exportation, et c’est aux Anglois 1792. Septembre. qu’en est vendu le produit. Aussi l’île de Céram est-elle approvisionnée en munitions de guerre, et fournie des plus belles toiles de l’Inde, que l'on vend aux habitans d’Amboine, et dont le prix équivaut à un cinquième de la valeur des épiceries qui sortent de l’île par le commerce interlope ou par les écoulemens illicites. Le commerce important des productions des Moluques sera enlevé à la compagnie Hollandoise, par la naturalisation des arbres à épiceries sur un sol qui puisse leur convenir, tel que celui de l’îIe-de-France, et plus encore celui de Caïenne, où les progrès de la culture du giroflier et du muscadier ont de quoi alarmer cette compagnie, et peuvent accélérer l’effet de la destruc­tion dont elle porte les principales causes dans son sein.

Pour rassurer le conseil d’Amboine sur les projets qu’il auroit pu supposer à des étrangers qui étoient venus dans un port dont l’entrée leur étoit interdite, je fis observer que les François ne dévoient pas leur être suspects, puisque toutes les productions des Moluques croissant à l’Ile-de-France, l'introduction de nouveaux plants y seroit absolument inutile.

Je n’entrerai dans aucun détail sur les moyens de défense que peut opposer cette colonie. Pour en parler avec connoissance de cause, il auroit fallu prendre des renseignemens ; ce que je devois m’interdire, d’après les engagemens que j'avois pris avec l’administration. Mais en tout il m’a paru que cette île étoit assez fortifiée pour se défendre contre les pirateries des insulaires qui l'environnent. Si l’on avoit à

craindre
craindre une guerre contre quelque puissance Européenne, 1792. Septembre. sans doute on ne se borneroit pas aux moyens actuels de défense : en effet, il y a une si grande quantité de postes à fournir dans les îles circonvoisines, qui reste fort peu de troupes disponibles à Amboine même.

Je ne parlerai pas non plus du nombre des résidences et des postes qui dépendent du Gouvernement d’Amboine ; il en est fait mention dans toutes les histoires des Moluques : je me bornerai seulement à remarquer que les Hollandois ont deux postes à l'île de Céram, l'un à Saway et l’autre à l’extré­mité Sud-Ouest de cette île.

La bonne opinion que M. de Bougainville, pendant son séjour à Bourou, avoit donnée des mœurs et du caractère agréable et poli de la nation Françoise, n’étoit point encore effacée du souvenir de la veuve du résident de cette île, actuellement retirée à Amboine ; les officiers de notre expé­dition reçurent chez elle l’accueil le plus amical : elle faisoit apprendre à ses enfans la langue Françoise ; mais les res­sources qu’on trouve dans cette île pour ce genre d’ins­truction, sont bien foibles. Depuis que M. de Bougainville avoit quitté l’île Bourou, où des besoins pressans le forcèrent de relâcher, le Gouvernement d’Amboine, craignant que trop de facilité n’attirât des navires étrangers à Cajeli, où il ne pouvoit les surveiller, défendit d’y en recevoir d’autres par la suite. Deux bâtimens Anglois qui y avoient mouillé en 1791, ne purent s’y procurer les secours dont ils avoient besoin : peut-être aussi le manque de provisions à Bourou n’étoit-il qu’un prétexte allégué par les employés, pour 1792. Septembre. faire venir ces bâtimens à Amboine, d’où, si l’on en croit l’opinion générale, ils firent une exportation assez consi­dérable de clous de girofle. Il est certain qu’ils éprouvèrent moins de difficultés, quoique reconnus pour des bâtimens de la compagnie Angloise, que nos deux frégates, que l’on ne pouvoit pas douter être des bâtimens de l’État, des­tinés à une mission qui devoit écarter toute idée de vues mercantiles.

Il existe une grande diversité d’opinions sur l’état de la population d’Amboine et des lieux de sa dépendance. Quel­ques personnes qui paroissent dignes de confiance, la font monter à cent cinquante mille ames, sans y comprendre celle de Bourou ; d’autres la portent seulement à soixante douze mille. Je pense que la première évaluation est établie d’après les anciens comptes rendus à la compagnie, et qui probablement ont été exagérés. On vouloit présenter ces îles sous le point de vue le plus florissant ; mais il est peu vraisemblable que des pays soumis à un régime prohibitif, et où il n’y a ni culture, ni commerce, ni industrie, puissent avoir une aussi nombreuse population.

C’est de Céram et de Macassar que les habitans d’Am­boine tirent leurs esclaves. Cette observation, qui semble indifférente en elle-même, a pour but de faire connoître les nations chez lesquelles existe encore la coutume de vendre son semblable, et qui font la guerre uniquement pour avoir des prisonniers : mais l’humanité est forcée d’applaudir à cet usage barbare, du moins à l’égard de l’île de Céram, 1792. Septembre. dont les habitans, autrefois antropophages, sont devenus moins féroces depuis qu’ils ont l’assurance de tirer un meilleur parti de leurs prisonniers.

Les Chinois sont les seuls étrangers admis à Amboine ; mais ils sont obligés de s’y faire naturaliser : le nombre de ceux à qui la permission de s’y établir a été accordée, n’est pas considérable. Tous sont marchands ; plusieurs d’entre eux ont le privilège exclusif de vendre tels objets en particulier, et ils paient un droit considérable pour jouir de ce privilège : ils font aussi le commerce maritime, mais ils ne peuvent pas l’étendre au-delà des possessions Hollandoises ; le commerce direct avec leur ancienne patrie leur est consé­quemment interdit. C’est à Batavia et à Macassar, où les bâtimens venant de Chine sont admis, que ces Chinois natu­ralisés vont se pourvoir des marchandises de la Chine : les marchandises d’Europe sont achetées et débitées par eux dans le pays. Leur chef, appelé vulgairement Lieutenant des Chinois, est douanier de la compagnie.

La plus grande partie des habitans d’Amboine professent le christianisme, introduit chez eux par les Portugais : ils étoient catholiques sous leur domination ; mais depuis qu’ils ont passé sous celle des Hollandois, ils sont devenus calvi­nistes, et il ne reste plus actuellement parmi eux la moindre trace du catholicisme ; les Hollandois ont mis un soin remar­quable à l’éteindre entièrement. Ils entretiennent, à grands frais, dans toute l’étendue de l’île, des écoles où les enfans apprennent à lire et à écrire, et sont élevés en même temps 1792. Septembre. dans les principes du calvinisme.

Il y a deux temples à Amboine ; ils sont desservis par quatre ministres : dans l’un l’office se récite en hollandois, et dans l’autre en malais. Les Chinois ont leur pagode, et les Musulmans une mosquée.

Les îles qui sont aux environs d’Amboine, produisent beaucoup plus de clous de girofle que l’île principale : l’expor­tation totale de cette épicerie est, année commune, de dix-huit cents balles, pesant chacune cinq cents livres, ou plutôt de trois mille six cents balles en deux ans ; ce qui complète la cargaison de trois vaisseaux, dont il en est expédié deux la première année et un seulement l’année suivante. L’irré­gularité périodique des recettes a sans doute déterminé cette inégalité dans les envois que l’on fait chaque année. Quelques personnes font monter au double, c’est-à-dire, à trois mille six cents, le nombre des balles qui sont exportées chaque année par la compagnie Hollandoise. On a permis, depuis quelque temps, la culture de la muscade à Amboine ; ce fut après un ouragan qui avoit fait périr une grande partie des muscadiers de Banda, que la compagnie se vit forcée de prendre cette mesure. On regarde cependant la noix d’Amboine comme étant d’une qualité inférieure à celle de Banda.

L’île d’Amboine est sujette à de fréquens tremblemens de terre ; c’est communément à l’époque du changement de mousson, mais plus particulièrement dans le mois de novembre, qu’on en ressent les secousses. Ils sont très-violens 1792. Septembre. dans les années de grande sécheresse. La crainte de ces tremblemens de terre force les habitans à construire au milieu de leurs jardins, avec des bambous ou des branches de sagoutier, des cabanes dans lesquelles ils se retirent pendant qu’ils ont lieu. À l’exception des édifices publics, il y a dans la ville peu de maisons bâties en pierre.

Le sagou est la principale nourriture du peuple d’Amboine : la pêche contribue aussi à sa subsistance ; elle est extrêmement abondante et fournit de très-beaux poissons. Le pays seroit fertile, s’il étoit cultivé. Le cacao y est d’une bonne qualité : le café y réussit assez bien ; mais il est inférieur pour la qualité à celui de Java, d’où il a été transporté, et par conséquent bien plus inférieur encore au café des Antilles.

Nos frégates sont les premiers bâtimens François qui aient mouillé à Amboine. Les deux navires Anglois dont nous avons parlé et qui alloient aux îles Pelew, y avoient mouillé l’année précédente. Cette apparition de vaisseaux étrangers, pendant deux années consécutives, dans un port en prohibition, parut causer de l’inquiétude au conseil d’Amboine, et l’engagea à prendre à notre égard d’excessives précautions.

La latitude d’Amboine a été conclue de plusieurs observations de hauteurs d’étoiles voisines du méridien ; elle est de 3° 41′ 41″ australe : la longitude en a été déterminée par des distances de la lune au soleil ; elle est de 125° 58′ 44″[7]. La montre n.° 14 avançoit, à Amboine, de 1792. Septembre. 2" 14 sur le temps moyen, en vingt-quatre heures : son retard absolu sur le temps moyen, le 10 octobre, à sept heures quarante-quatre minutes du matin, étoit de 8h 31′ 21″ 95. L’aiguille aimantée inclinoit vers le Sud de 20° 37′, et la durée d’une oscillation infiniment petite de l’aiguille étoit de 2”403. La proximité des terres dont nous étions environnés à notre mouillage, nous empêcha d’observer la déclinaison de l’aiguille aimantée à bord des frégates ; il paroît cependant qu’elle devoit être nulle. D’après les dernières observations qui avoient été faites à l’ouvert du golfe d’Amboine avant d’y entrer, la déclinaison de l’aiguille étoit de 0° 41′ Nord-Est, et nous la trouvâmes de 1° 13′ Nord-Ouest en sortant de ce golfe.

Il ne nous fut pas possible de déterminer exactement l’heure de la pleine mer. Il paroît cependant que la mer doit être pleine à midi trente-trois minutes, les jours de nouvelle et pleine lune, et qu’elle monte de sept à huit pieds.

CHAPITRE VIII.

Départ d’Amboine le 13 Octobre 1792.Reconnois­sances d’une partie de la côte occidentale de l'île Timor, des îles Savu, et de la partie de côte de la terre de Nuytz située à l’Ouest de la baie de l’Espérance.—Mouillage à la baie de l'Espérance, le 9 Décembre 1792.

1792. Octobre.
Du 13 au 18.
Nous partîmes d’Amboine le 13 octobre , à huit heures du matin, à la faveur d’une brise très-foible du Sud-Est ; et nous étions sortis du golfe avant midi. La route fut dirigée sur l'île Timor. Des courans très-violens nous por­tèrent dans l’Ouest les premiers jours de la traversée : mais à l’approche des îles qui sont dans le Nord de Timor, ils diminuèrent de force ; et deux jours avant d’avoir eu connoissance de terre, les longitudes obtenues par la montre n.° 1 4 nous placèrent à l’Est de l’estime.

19. Le 19, nous vîmes la terre à travers des vapeurs épaisses qu’un soleil très-ardent avoit élevées ; à peine l’apercevoit-on à deux lieues de distance, quoiqu’elle fût très-haute. Le peu de confiance que nous avions dans les cartes de ces parages, nous laissa dans l’incertitude sur la position précise de cette terre , par rapport à Timor ; et il nous fut d’abord impossible de reconnoître à quelle île appartenoit la côte 1792. Octobre. qui étoit en vue. Nous continuâmes à gouverner au Sud, certains de découvrir Timor dans cette direction : nous aperçûmes une terre peu d’heures après ; mais nous ne la vîmes, comme la précédente, que quand nous étions près de la toucher. La nuit qui approchoit ne nous laissa pas le temps de visiter une ouverture que l’on apercevoit dans l’Est, et qui étoit marquée par deux caps que nous distinguions mieux que toutes les autres parties de la côte ; mais cette ouverture, qui pouvoit être l’entrée d’un détroit, auroit pu être simplement celle d’une baie assez profonde pour que les terres les plus éloignées eussent été dérobées à notre vue par la brume.

Nous passâmes la nuit à courir de petites bordées pour nous entretenir à-peu-près à la même place ; 20. mais le lendemain, à la pointe du jour, nous n’eûmes connoissance d’aucun des points qui avoient été relevés la veille. Nous vîmes une côte très-élevée qui fuyoit au Sud-Ouest Sud, dans l’espace de sept à huit lieues. Enfin la hauteur du soleil, observée à midi, qui nous plaçoit par 8° 47’26" de latitude australe, leva nos incertitudes, et ne nous permit plus de douter que nous ne fussions à la côte occidentale de Timor. Nous reconnûmes que, pendant la nuit du 19 au 20, nous avions été portés dans le Sud-Ouest par un courant très-violent ; et nous eûmes la certitude que la première terre que nous avions aperçue le 19, étoit l’île Kisser. L’ouverture que nous n’avions pas pu visiter, étoit l’entrée du canal qui sépare cette île de la côte septentrionale de Timor. La position de la pointe

la
1792. Octobre la plus occidentale de l’île Kisser avoit été déterminée par les observations du 19, et nous l’avions placée par 8° 15’ 50" de latitude australe, et par 123° 1' 30" de longitude orientale. Les courans dont nous venons de parler nous avoient portés dans le Sud de 19’ 13" en latitude, et dans l’Ouest de 29’ en longitude. Ces différences furent réparties pro­portionnellement sur la route estimée, pour trouver la posi­tion de la pointe Nord de l’île Timor. Cette pointe a été

placée par 8° 28’ de latitude australe et par 123° 2’ de longitude orientale ; mais il doit régner encore de l’incertitude sur la position en latitude de ce point assez important, parce que nous ignorons à quelle époque de la journée les courans commencèrent à se faire sentir. En effet, la longitude observée le 19 à quatre heures et demie du soir, s’accordoit si parfai­tement avec l’estime, qu’il y a lieu de croire que nous n’avions commencé à être entraînés dans le Sud-Ouest qu’après l’époque de cette observation : dès-lors il pourroit bien se faire que la latitude de la pointe Nord de Timor fut trop Sud de 2 ou 3 ’.

21, 22. Dans la journée du 21 octobre, nous prolongeâmes la côte à environ une lieue de distance, à l'aide des brises de terre et du large, qui furent assez régulières, mais très-foibles : le 22, à la pointe du jour, nous la vîmes qui commençoit à se diriger presqu’à l’Ouest. A huit heures trois quarts du matin, nous entendîmes l’explosion et nous aperçûmes la fumée d’un coup de canon qui avoit été tiré sur le rivage : je savois que nous ne devions pas être très-éloignés de l'établissement Portugais de Lefao ; mais je ne pensois cependant pas qu'il 1792. Octobre fût aussi près, de nous. Cet établissement étoit caché au milieu des arbres élevés qui bordent le rivage ; et nous n’en étions pas à plus d’une lieue dans le Nord-Est, que nous n’avions encore aperçu ni le fort ni aucune des maisons qui sont dans le voisinage. Je fis mettre les pavillons de poupe et de distinction : les Portugais envoyèrent au large une pirogue qui vint nous reconnoître ; mais elle se tint quelque temps à une demi-lieue des frégates, et ensuite fit route pour retourner à terre, sans nous avoir approchés davantage. Le fort de Lefao ne fut aperçu que lorsque nous le relevâmes au Sud. Sa latitude est de 9° 12’ 15" australe, et sa longitude de 121° 55’ orientale.

Les brises foibles que nous avions éprouvées depuis notre attérage sur Timor, me faisoient prévoir que nous serions obligés d’employer beaucoup de temps à parcourir la côte occidentale de cette île dans toute sa longueur ; en conséquence je pris la résolution d’en abandonner la reconnoissance, et de me rendre sur-le-champ à la côte Sud-Ouest de la Nouvelle-Hollande. Je fis courir au large, dans l’espérance d’y trouver des vents plus forts que ceux qui souffloient près de terre.

Dans la soirée du 22, nous eûmes connoissance de la petite île Goula-Batou : elle est par 9° 15’ de latitude australe, et par 121° 31’ de longitude orientale. Les courans continuèrent à nous porter dans le Sud et dans l’Ouest, et les relèvemens de Goula-Batou nous firent connoître leur violence. Pendant la nuit nous ne perdîmes pas de vue cette 1792. Octobre petite île, et nous fûmes à portée de remarquer que, malgré le calme, nous la doublions d’une manière très-sensible.

23. Le calme continua le 23, ou du moins nous n’éprou­vâmes qu’un léger souffle de vent du Sud-Ouest à l’Ouest. Des vapeurs semblables à celles qui avoient obscurci l’horizon les jours précédens, nous empêchèrent d’apercevoir la terre, quoique nous n’en fussions pas à plus de quatre lieues. Les courans suppléèrent au défaut du vent, et nous firent avancer de dix lieues dans l’Ouest-Sud-Ouest. Il paroît que ces courans, modifiés par les marées, qui sont très-irrégulières dans ces parages, suivent assez constamment la direction de la côte.

24. Nous restâmes en calme toute la journée du 24, et nous eûmes lieu de remarquer que le manque absolu de vent devoit être attribué à ce que le soleil passoit au méridien très-près du zénith, plutôt qu’à la grande proximité des terres, dont alors nous étions éloignés de plus de quinze lieues. Les résultats de nos observations nous placèrent à treize lieues dans l’Ouest-Sud-Ouest de notre estime. Nous croyons devoir observer ici que les courans violens que nous avons éprouvés, ont rendu la construction des cartes très difficile, non-seulement parce que la route estimée ne pouvoit donner que des bases très-défectueuses, mais encore parce que les longitudes obtenues par les montres marines devoient participer de l’erreur de la latitude employée pour calculer l’heure du lieu. Aussi ne doit-on pas être surpris que les diverses cartes de cette mer, qui ont été faites 1792. Octobre d’après des routes estimées, soient si peu exactes et offrent d’aussi grandes différences entre elles. Les positions des points déterminés par des observations astronomiques, sont les seules qui méritent confiance.

L’eau d’Amboine, qui nous avoit été vantée comme se conservant long-temps à la mer dans son état de pureté, étoit corrompue quelques jours après notre départ de cette île, au point de faire jaunir les vases d’argent où elle avoit été déposée pour quelques minutes.

25. Le 25, au jour, on vit les îles Savu ; nous prolongeâmes la côte septentrionale de ces îles, à environ deux milles de distance, et à huit heures et demie nous vîmes le canal qui sépare la petite île d’avec la plus grande. La description que le capitaine Cook a faite des îles Savu, se ressent de l’impression qu’il avoit conservée de l’aspect des côtes de la Nouvelle-Hollande. Les ressources que ces îles lui promettoient après une navigation longue et périlleuse, dévoient les lui faire envisager sous le point de vue le plus avantageux. La grève, qui avoit paru si agréable et si riante à cet illustre navigateur, n’avoit réellement que le mérite de pouvoir être abordée sans danger. D’ailleurs le rivage n’offre à la vue qu’une plage de sable, et c’est seulement à quelque distance des bords de la mer que commence une verdure inanimée qui ne réveille aucune idée de fraîcheur. Les collines que Cook avoit vues s’élever en amphithéâtre, ne sont que de très-petits coteaux qui n’ont rien de pittoresque. En général, l’aspect de ces îles est tellement monotone, 1792. Octobre qu’à peine nous fut-il possible de distinguer quelques points assez remarquables pour pouvoir être relevés.

Nous éprouvâmes, le long de la côte de Savu, des courans aussi rapides que ceux qui avoient eu lieu près de Timor. Nous fûmes obligés de multiplier les observations d’angles horaires, pour pouvoir relever les mêmes objets aux époques des deux observations les plus voisines. Afin de rendre moins incertaine la longitude du point où le vaisseau s’étoit trouvé à midi, on observa un angle horaire à une très-petite distance du passage du soleil au méridien. Cette méthode, qui est sans inconvénient quand le soleil est près du zénith, peut être employée utilement dans les parages où les courans sont très-forts. La proximité des terres, qui étoient à midi dans la direction du vertical du soleil, nous força d’observer le supplément de la hauteur méridienne du côté de l’horizon opposé à la côte ; ce désavantage n’a laissé cependant qu’une incertitude de deux minutes au plus sur les latitudes observées, et c’est la différence qui a existé entre l’observation de M. Rossel et celle de M. de Bonvouloir. D’après ces observations, la pointe la plus Nord des îles Savu a été placée par 10° 24’ 20" de latitude australe, et par 119° 26’ 20" de longitude orientale.

26. Nous aperçûmes, le 26, la petite île appelée Nouveau-Savu ; elle fut placée, d’après nos observations, par 10° 42’ 30" de latitude australe, et par 118° 49’ 20" de longitude orientale. Cette détermination a dû participer des erreurs de la route estimée ; cependant l’erreur dont elle peut être

1792
Octobre
affectée ne doit pas être de plus de trois ou quatre minutes.

27. Le 27, au coucher du soleil, nous vîmes dans le Nord-Nord-Est les terres élevées de l’île Sandelbos. Quoique nous eussions gouverné pendant toute la nuit au Sud, 28. ces mêmes terres furent encore aperçues le lendemain matin. Cette vue nous fit présumer l’existence d’un courant qui nous avoit portés au Nord : en effet, l’observation de la lati­tude nous apprit que ce courant nous avoit entraînés de 10’ dans cette direction ; mais il continuoit à se diriger à l’Ouest, et nous trouvions assez régulièrement des différences de 20’ à 24’ entre la longitude estimée et la longitude observée.

Les changemens dans la déclinaison de l’aiguille aimantée sont peu sensibles dans ces parages ; la déclinaison étoit nulle à Amboine ; et le 27, lorsque nous étions à une petite distance dans le Sud-Ouest du Nouveau-Savu, l’ai­guille ne déclinoit que de 1° 30′ vers l’Est.

Novembre
5.
Le 5 novembre, étant par 14° 57′ de latitude australe, et par 111° 49′ de longitude orientale, nous eûmes des vents assez frais de Sud-Est, variables à l’Est. On vit, au coucher du soleil, un très-grand nombre d’oiseaux qui volèrent autour du vaisseau jusqu’à la nuit ; mais on ne put reconnoître la direction qu’ils prirent pour se rendre au lieu de leur retraite. L’apparition de ces oiseaux dans un parage aussi peu connu, nous fit redoubler d’attention pour tâcher de découvrir les terres qu’ils sembloient annoncer ; mais aucune ne s’offrit a notre vue. 6. Le 6, la distance méridienne 1792. Novembre du soleil au zénith n’étoit que de 10’ : malgré cette grande élévation, qui rend la mesure des hauteurs très-incertaine, les latitudes des différens observateurs s’accordèrent toutes, à une minute près. Les vents de Sud-Sud-Est, variables au Sud-Est, soufflèrent avec force les jours suivans ; ils nous portèrent dans l’Ouest, à une si grande distance de la côte de la Nouvelle-Hollande, que je fus obligé, d’abandonner le projet que j’avois formé d’aborder à la baie de Dirck-Hartoges, nommée Shark-Bay par Dampier, dont j'aurois désiré de déterminer la position.

14. Le 14, nous étions sur le parallèle et dans l’Est de la plus septentrionale des îles Trials : sans doute nous n'en étions pas éloignés, car on voyoit une prodigieuse quantité d’oiseaux. Les vents souffloient avec force du Sud-Est, la mer étoit très-grosse, et nous nous attendions à trouver quelque différence entre l’estime et les observations ; mais celle qui eut lieu ne pouvoit pas être prévue. La latitude observée le 15 à midi nous mettoit de près de 24’ plus Nord que l’estime ; et la longitude obtenue par la montre, de 36’ à l’Ouest.

23. La latitude étoit, le 23, de 30° 8’ australe, et la longi1tude, d’après la montre n.° 14, de 96° 53’ orientale. La route commença à prendre de l’Est. Peu de jours après les vents passèrent à l’Ouest, et nous fîmes route pour nous rendre au cap Leeuwin avec des vents frais et une mer très-grosse.

Dans le nombre des bestiaux embarqués à Amboine, il 1792. Novembre se trouvoit un cerf et une biche que j’avois l’intention de déposer sur le point de la Nouvelle-Hollande qui me paroitroit le plus propre à la propagation de ces animaux. Malheureusement le mâle, à qui on avoit laissé la liberté de courir sur les gaillards, tomba à la mer dans un fort roulis ; et je fus frustré, par cet événement, dans l’espérance que j’avois eue d’ajouter ce présent à ceux que nous devions faire à ces contrées.

Décembre.
5.
Le 5 décembre, à quatre heures et demie du matin, nous vîmes la terre dans le Nord-Est, à environ quatre ou cinq lieues de distance. Le temps étoit brumeux et ne nous permettoit de distinguer que quelques points de la côte. Notre latitude nous plaçoit un peu plus au Nord que le cap Leeuwin ; je fis gouverner à l’Est-Sud-Est, pour aller en prendre connoissance. Nous découvrîmes bientôt toute la côte, qui paroissoit se diriger au Sud-Est. De loin elle avoit semblé former plusieurs îles ; mais en approchant, nous vîmes que les parties détachées se trouvoient liées par des terres plus basses. Cette côte est en général médiocrement élevée ; nous la longeâmes d’assez près pour reconnoître qu’elle est extrêmement nue et très-aride : ce ne sont par-tout que des dunes de sable entrecoupées de bruyères d’un vert noi­râtre, ou des rochers taillés à pic. Rien d’ailleurs ne pouvoit nous faire espérer d’y trouver un abri : sans la fumée aperçue dans un seul endroit, nous eussions jugé que le pays étoit inhabité. L’aspect du rivage, qui est très-escarpé, ainsi que celui des îles ou roches situées le long de terre, annoncent

que
1792. Décembre que la côte doit être vivement battue par la mer, et qu’il est impossible d’en faire la reconnoissance pendant la mauvaise saison : en effet, dès la première nuit, nous éprouvâmes un coup de vent qui nous obligea de mettre à la cape sous les deux basses voiles. La pointe Leeuwin fut placée par 34° 25′ 50″ de latitude, et par 113° 15′ de longitude orientale.

Les premières terres dont nous avions eu connoissance dans le Nord-Est, sont celles près desquelles M. de Saint-Alouarn mouilla en 1772. Elles nous parurent séparées de la grande terre, et nous les appelâmes îles Saint-Alouarn.

6. Le 6 à la pointe du jour, le ciel étoit chargé ; les vents souffloient avec force de l’Ouest-Nord-Ouest : nous res­tâmes à la cape. À huit heures le temps s’éclaircit, et nous fîmes route pour aller attaquer la terre et la prolonger ; mais nous ne pûmes prendre notre reconnoissance au point où nous l’avions quittée la veille : cependant la lacune qui existe sur nos cartes, ne doit pas être bien considérable. La nécessité de se porter au large pendant la durée des vents forcés, rend ces interruptions inévitables. L’aspect de la partie de la terre de Nuytz que nous visitâmes dans cette journée, ressembloit à celui de la côte qui avoit été recon­nue la veille : il seroit également dangereux de l’approcher par des vents qui viendroient du large, parce qu’on ne pourroit pas s’en relever. Cependant cette côte, qui n’avoit présenté que de légères sinuosités, commençoit à former des baies profondes, et le sol en étoit moins sablonneux. À six heures du soir, nous découvrîmes une vaste baie à l’ouvert 1792. Décembre de laquelle il y avoit deux petites îles ; ce ne fut qu’après l’avoir dépassée que nous pûmes reconnoître qu’on y auroit été à l’abri des vents du large. Je desirois vivement d’aller mouiller dans cette baie : mais alors nous étions déjà beaucoup sous le vent ; et le temps étoit si mauvais, qu’il eut été impos­sible d’y entrer en louvoyant. À environ une lieue de la côte, nous trouvâmes cinquante brasses d’eau. Le fond qui, à cette distance, est d’un sable pur sans être très-fin, me fit conjec­turer qu’il ne devoit pas être moins bon dans l’intérieur de la baie, où doit vraisemblablement se déposer la vase for­mée par les débris de toutes les terres qui entourent le mouillage[8]. Le cap méridional de l’entrée de cette baie est par 35° 10′ de latitude australe, et par 115° 42′ 40″ de longitude orientale.

7. On passa la nuit à la cape ; mais comme le temps étoit beau, nous nous trouvâmes au jour peu éloignés des derniers points relevés la veille. Nous suivîmes la côte, qui, dans cette partie, se dirige à l’Est-Nord-Est. Depuis que nous étions à la terre de Nuytz, le temps avoit été brumeux tous les matins ; les vents d’Ouest avoient pris constamment du Nord 1792. Décembre pendant la nuit, et du Sud pendant le jour. Nous remarquâmes que presque toutes les baies, et principalement les plus pro­fondes, étoient ouvertes aux vents du Sud-Est, c’est-à-dire, à ceux qui battent en côte.

Dans la matinée du 8, on aperçut de l’avant deux ressifs à quelques milles l’un de l’autre ; nous passâmes entre eux et la terre : bientôt on découvrit une petite île, qui, examinée 8. de plus près, parut être environnée de brisans qui s'étendoient presque jusqu'à une pointe très-basse de la grande terre. Sur cette pointe, dont le sol étoit purement de sable, de la fumée s’élevoit de trois ou quatre endroits. Nous fûmes forcés de passer au large de la petite île et d’un rocher qui n’en étoit pas éloigné ; ensuite on se rapprocha de la côte pour continuer de la prolonger. Des îlots furent découverts dans l’après- midi ; ils étoient si près les uns des autres, que, vus d’une petite distance, ils paroissoient n’en former qu’un seul. Nous n’entrons dans aucun détail, ni sur les gisemens qu’ils ont entre eux, ni sur les ressifs dont ils sont entourés ; la carte fera mieux connoître leurs positions que tout ce que nous pourrions en dire. Dans la soirée nous passâmes entre la terre et ce groupe de rochers.

9. Pendant la nuit nous courûmes des bordées à très-petites voiles. Le lendemain au jour, nous fîmes route le long de la côte avec des vents de l’Ouest-Nord-Ouest frais et l’apparence du plus beau temps : le baromètre, il est vrai, commençoit à baisser ; mais cela même sembloit nous promettre la conti­nuation du vent d’Ouest prenant du Nord. A neuf heures 1792. Décembre quelques îles furent laissées à tribord ; à mesure que nous avancions on en découvroit de nouvelles, et enfin à onze heures nous en fûmes environnés. Nous vîmes toutes ces îles entourées de ressifs ; et comme la mer étoit assez grosse, ils nous parurent former dans l’Est une chaîne non inter­rompue, qui ne laissoit aucun espoir de trouver un pas­sage. Il fallut venir au plus près, pour tâcher de sortir de cet archipel en louvoyant. Mais à cette époque le vent tourna au Sud-Ouest ; il s’accrut successivement, et devint si impé­tueux, qu’à trois heures nous fûmes obligés de serrer les huniers, malgré la nécessité où nous nous trouvions de faire de la voile. L’espace entre la terre et les îles étoit étroit ; on faisoit de très-courtes bordées ; nous allions inévitablement en dérive. L’Espérance, qui portoit la voile moins bien que la Recherche, prit de bonne heure le parti courageux, mais indispensable, de laisser arriver, et de longer les ressifs pour chercher un abri derrière quelque île, ou du moins une issue au travers des écueils. Nous la vîmes parcourir sous la misaine la chaîne de brisans, et passer devant quelques îles ; enfin, à trois heures et demie, nous l’aperçûmes qui mouilloit dans un endroit que nous jugions découvert de toute part. La nuit, qui n’étoit pas éloignée, nous eût laissés sans ressource, et il n’y avoit plus à balancer pour prendre le même parti que l’Espérance. Nous examinâmes cependant sa position ; et après nous être assurés qu’elle tenoit sur ses ancres, nous allâmes la rejoindre. 1792. Décembre En approchant du mouillage, nous vîmes avec satisfac­tion que la mer y étoit moins grosse qu’au large, et que nous y serions abrités par une petite île et par plusieurs ressifs. L'Espérance nous signala en même temps que le fond étoit de bonne qualité. Nous laissâmes tomber l’ancre un peu en dedans de cette frégate, par vingt-trois brasses fond de sable fin. Trois grosses ancres étoient parées ; la première chassa, la seconde nous fit faire tête ; le vent étoit si violent et la mer encore si agitée, qu’il parut indispensable de mouiller la troisième ancre. On cala promptement les mâts de hune ; mais les tangages étoient si forts, que des haches furent portées sur le pont, afin de couper la mâture, si les ancres n’eussent pas tenu. Le vent continua avec la même force toute la nuit : le baromètre, qui avoit baissé considé­rablement dans la soirée, commença cependant à remonter et nous fit espérer le retour du beau temps.

10. Le lendemain, le vent et la mer s’apaisèrent par degrés, et la communication entre les bâtimens devint possible. M. Huon m’envoya prévenir que les deux barres du gou­vernail de l'Espérance s'étoient rompues depuis qu’il étoit au mouillage, que l’étambot avoit été ébranlé par les vio­lentes secousses du gouvernail, et qu’enfin la chaîne d’une de ses ancres étoit cassée. Il seroit à souhaiter qu’on pût mettre assez de soin dans la fabrication de ces sortes d’ou­vrages, pour qu’ils pussent résister au plus mauvais temps : nous avions appris déjà, au port du Nord de la terre de Van-Diémen, à ne pas trop compter sur leur solidité ; mais 1792. Décembre cette nouvelle épreuve faite par l'Espérance, et celle que nous fîmes nous-même à bord de la Recherche, où plusieurs anneaux d'une de nos chaînes furent près de manquer, nous déterminèrent à les réserver pour les seules occasions où l'on seroit obligé de mouiller sur un fond

de roches.
CHAPITRE IX.

Séjour dans la baie de L'Espérance. -— Reconnoissance des îles et des ressifs dont cette baie est environnée. -— Excursions faites dans le pays.

1792. Décembre La position extrêmement critique où les deux frégates s'étoient trouvées, nous rendit précieuse la découverte de l'abri où nous jetâmes l'ancre le 9 décembre. J’ai cru devoir donner à ce mouillage le nom de baie de l’Espérance, de celui de la frégate qui y étoit entrée la première. Cette baie doit être considérée comme très-avantageuse et comme très-sûre : quoiqu’en apparence elle soit ouverte dans plu­sieurs directions, on y est cependant abrité par les ressifs et les îles qui l’environnent. La mer n’y peut venir, d’aucun point de l’horizon, de plus de trois ou quatre lieues ; le fond y est d’une excellente tenue. Au reste, un tel abri n’est dû qu’à l’amas d’îles situé au large de la côte ; car la grande terre ne paroît offrir aucun lieu où il seroit pos­sible de se réfugier dans un mauvais temps. C’étoit par­tout la même aridité ; on ne voyoit que des rochers ou des dunes de sable, qui laissoient peu d’espoir de trouver de l’eau.

Mon premier soin fut d’envoyer reconnoître la partie de la côte près de laquelle nous étions à l’ancre. Toutes nos 1792. Décembre recherches pour trouver une aiguade furent infructueuses ; et je vis avec peine qu’il nous restoit trop peu d’eau pour que je pusse me flatter d’achever la reconnoissance de la côte Sud-Ouest de la Nouvelle-Hollande, si nous ne trouvions pas les moyens de renouveler notre provision aux îles Saint-François, et même avant d’arriver à ces îles : car nous étions réduits, depuis plusieurs jours, à une mesure d’eau qui ne permettoit plus de nouveaux retranchemens.

13. Le 13, à trois heures du matin, M. Willaumez et M. Beautemps-Beaupré partirent dans le grand canot de La Recherche, pour lever le plan des îles qui nous entouroient. D’autres canots furent envoyés à l’île près de laquelle nous étions mouillés, et l’on monta au sommet. Tout ce qui put être découvert de l’espace dans lequel nous avions louvoyé par un vent forcé, dut faire regarder comme un prodige que nous ne nous fussions pas brisés sur quelqu’un des ressifs au milieu desquels nous avions passé sans pouvoir les distinguer d’avec les vagues, qui sembloient être autant de brisans, et qui déroboient à notre vue les dangers qu’il falloir éviter.

Le 11, les vents avoient passé à l’Est ; ils continuèrent à 14. souffler de cette partie jusqu’au 14. Ils prenoient du Nord dans la matinée, et tournoient vers le Sud dans l’après-midi. Le baromètre se soutenoit à une grande hauteur ; mais il étoit plus haut le matin que le soir.

MM. Willaumez et Beautemps-Beaupré revinrent 15. à bord, le 15, à huit heures du soir ; ils avoient visité les îles

les
1792. Décembre. les plus voisines de notre mouillage, et avoient pris des relèvemens pour faire le plan de cet archipel, dont on peut regarder la partie occidentale comme bien connue : mais les îles les plus orientales ont été relevées dans un si grand éloignement, que la plupart de leurs positions sont dou­teuses,

et ont été marquées comme telles sur le plan. Ce même archipel est indiqué sur la carte de Nuyts ; mais l’échelle en est trop petite pour qu’aucun des détails de la côte ait pu y être tracé. Nous devons cependant rendre justice au navigateur Hollandois, et dire que la latitude de la pointe Leeuwin et la position en latitude de la côte de la terre de Nuyts ont été trouvées d’une exactitude surpre­nante pour l’époque reculée à laquelle cette côte avoit été, découverte.

Toutes les recherches de M. Willaumez pour trouver une aiguade furent infructueuses. Dans un seul endroit, il découvrit près du rivage un petit filet d’eau, qui auroit pu fournir tout au plus à la consommation journalière de cent cinquante hommes ; par-tout ailleurs, ce n’est qu’à une demi-lieue, dans l’intérieur du pays, qu’il a pu trouver de l’eau douce : c’est en traversant des dunes d’un sable sans consis­tance, sur lequel il est très-pénible de marcher, que M. Willaumez est parvenu jusqu’aux mares où elle a été puisée. Il est à présumer que ces espèces de montagnes de sable sont formées par les tempêtes, qui doivent être d’une grande violence sur ces côtes, à en juger du moins par la manière dont elles sont battues par les vagues. L’eau de la mer 1792. Décembre. jaillit jusqu’au sommet des plus hautes îles ; et l’on en trouve, à une grande élévation, dans les crevasses des rochers. M. Willaumez éprouva une grande difficulté à débar­quer sur presque toutes les côtes qu’il a visitées : la lame vient s’y briser avec force ; et ce ne fut qu’en prenant de grandes précautions qu’il parvint à mettre pied à terre, même sous le vent des îles, où il devoit espérer de trouver quelque abri.

La partie de côte qui étoit au Nord de notre mouillage, ne présentoit également que des dunes de sable, dont la blancheur éblouissante n’étoit coupée que par la verdure inanimée de quelques broussailles éparses, qui, pour la plupart, sembloient avoir subi récemment l’action du feu. On ne découvrit aucune trace d'habitation dans l’espace par­couru par les différentes personnes qui étoient allées à terre les jours précédens. On doit croire que les naturels habitent loin du rivage, et qu’ils ne tirent de la mer aucun de leurs alimens, puisqu’on n’a rencontré de débris ni de poisson ni de coquillages. Sans l’incident dont j’aurai bientôt à parler, et qui nous obligea de faire de nouvelles courses, rien n’auroit pu nous indiquer que les habitans fréquentassent les bords des étangs salés qui sont marqués sur les cartes : il paroît même certain qu’ils ignorent l’usage des corps flottans les plus simples, tels que ceux dont se servent les habitans de la terre de Van-Diémen.

Les réparations de l'Espérance furent terminées ce même jour ; et je me proposois de mettre à la voile le 1792. Décembre lendemain : mais un événement inattendu nous força de retarder notre départ. M. Huon avoit envoyé dans la matinée un canot à la grande terre : M. Riche et plusieurs officiers qui s’y embarquèrent, furent prévenus que ce canot avoit ordre de revenir à bord à une heure après midi, afin qu’il fût de retour avant que la brise du large eût pris de la force, à raison des dangers auxquels les embarcations pouvoient être exposées près du rivage. Le canot partit avant dix heures ; et lorsqu’il fut arrivé à terre, chacun se dispersa, ou du moins suivit la route qui lui convenoit. M. Riche s’éloigna seul, et bientôt on le perdit de vue. Le groupe le plus nombreux se dirigea vers des feux que l’on voyoit s’allumer tout-à-coup de distance en distance, sans que l’on pût apercevoir la moindre trace d’habitans dans les environs, et sans qu’il fût possible d’assigner la cause d’un incendie aussi subit. Mais les jours suivans nous vîmes des naturels ; et nous conjecturâmes qu’à cette époque ils ne dévoient pas être éloignés. Ils avoient mis probablement le feu à ces broussailles desséchées, pour nous dérober leur fuite, et se soustraire à la vue d’étrangers dont ils ignoroient les intentions et qui avoient dû les effrayer.

Dans cette course sur un sable brûlant, plusieurs per­sonnes tombèrent en défaillance. A l’heure indiquée pour le retour, tout le monde, excepté M. Riche, se trouva au rendez-vous. Ce retard n’eut rien de tonnant dans le premier moment ; mais vers les cinq heures, ne le voyant point pa­raître , on eut des inquiétudes sur son sort : la défaillance 1792. Décembre qu’avoient éprouvée quelques personnes bien plus robustes que lui, donna lieu de craindre que ce naturaliste, d’une complexion délicate, n’eût éprouvé le même accident, et que, seul et privé de secours, il n’eût succombé sous l’excès de la fatigue que les hommes les plus forts de l’équipage du canot avoient eu de la peine à supporter. M. de la Grandière, qui commandoit le canot, l’attendit jusqu’à sept heures du soir ; mais ne pouvant rester plus long-temps à terre, parce qu’il étoit sans vivres et qu’il craignoit d’être surpris par le mauvais temps, il se détermina à retourner à bord. On laissa au lieu du rendez-vous, le manteau, les armes de M. Riche, ainsi que du biscuit et de l’eau-de-vie, avec un billet pour lui annoncer, en cas qu’il revînt pendant la nuit, l’indispensable nécessité où l’on s’étoit trouvé de partir sans lui ; on l’invita aussi à ne pas s’écarter, et on lui promit de venir le prendre le lendemain.

16. M. Huon envoya, en effet, le 16 de grand matin un canot pour aller chercher M. Riche : dès qu’on eut mis pied à terre, on se rendit au lieu où le manteau et les armes de ce naturaliste avoient été déposés la veille ; mais les ayant trouvés à la même place , et sans qu’ils eussent éprouvé le moindre dérangement, l’on reconnut avec chagrin qu’il n’étoit pas encore venu au lieu du rendez-vous. L’officier qui commandoit le canot, se mit alors à visiter le pays, pour tâcher d’en découvrir les traces. Il vit, dans cette course, les premiers naturels qui aient été aperçus ; mais toutes ses recherches , pour retrouver M. Riche , ayant été 1792. Décembre infructueuses, il revint à bord à une heure après midi, con­formément aux ordres qu’il avoit reçus.

Lorsqu’à l’heure indiquée je vis revenir le canot sans M.Riche, je commençai à concevoir de l’inquiétude ; mais lorsque j’eus appris que l’on avoit vu d’assez près un groupe d’habitans, je fus très-alarmé sur son sort. Cette première apparition de naturels dissipa une partie de mes espérances, et me fît craindre que M. Riche, qui étoit seul et sans armes, n’eût été rencontré par ces sauvages, et qu’il n’eût été enlevé ou égorgé par eux. Je jugeai qu’ il n’y avoit pas un instant à perdre pour aller à son secours, si toutefois il en étoit encore temps. Je fis prier MM. La Billardière et Deschamps de venir se concerter avec moi : je leur exposai les divers comptes qui m’avoient été rendus, et je ne leur cachai pas la trop juste crainte que j’avois de la fin malheureuse de leur collègue ; car il me paroissoit impossible de s’égarer dans l’espace assez étroit, compris entre le rivage de la mer et les étangs salés qui étoient dans l’intérieur des terres.

II fut convenu que MM. les naturalistes iroient avec les détachemens qui dévoient être envoyés pour parcourir le pays. Je fis armer le grand canot de La Recherche, moitié par l’équipage de cette frégate et le reste par celui de l’Espérance. En arrivant à terre, l’équipage du canot devoit se diviser en deux parties ; les hommes de chaque frégate devoient se réunir sous les ordres d’un de leurs officiers : ces deux détachemens, à chacun desquels devoit se 1792. Décembre joindre un de MM. les naturalistes, avoient ordre de suivre des directions différentes. On avoit fait déjà des recherches dans l’Est et dans le Nord-Est du lieu où les canots abordoient ordinairement : ces nouvelles recherches devoient s’étendre dans le Nord et dans le Nord-Ouest.

Le canot partit dans la soirée du même jour : je donnai aux officiers l’ordre de se mettre en marche le lendemain de très-grand matin, afin de profiter de la fraîcheur. Dans la crainte qu’on ne fût obligé de rester plusieurs jours à terre, j’avois fait prendre des vivres pour quatre jours. Le temps fut très-favorable au débarquement. 17. Le soleil ne parut presque pas le lendemain, et permit de prolonger, sans être incommodé par la chaleur, une course qui s’étendit jusqu’aux étangs salés , dont on visita les bords. Nos yeux étoient sans cesse fixés sur la passe par où le canot devoit revenir : enfin il parut à midi. Nous restâmes dans une grande per­plexité, presque jusqu’à l’instant où il aborda l’Espérance. Toutes les lunettes avoient été dirigées sur ce canot, dès qu’il fut aperçu ; et nous n’avions pas pu découvrir M. Riche : on y avoit cependant brûlé des amorces, et c’étoit le signal qui devoit mettre fin à nos alarmes ; mais, la fumée en ayant été confondue avec celle des coups de fusil que l’on avoit tirés par intervalle, notre incertitude fut prolongée jusqu’au dernier instant. Nous reconnûmes enfin M. Riche ; et notre satisfaction fut d’autant plus grande que nous avions perdu presque tout espoir de le retrouver : il arriva à bord de l'Espérance, épuisé de fatigue.

1792. Décembre M. de la Grandière, lieutenant de vaisseau, qui commandoit le détachement de l’équipage de l’Espérance, avoit trouvé un des pistolets de poche, un mouchoir de M. Riche, et un morceau de papier où l’on reconnut son écriture. On ne douta pas, d’après cela, qu’il n’eût été ren­contré par les naturels du pays ; mais ce naturaliste nous apprit lui-même que, succombant à la fatigue, il avoit été forcé d’abandonner tout ce qui ne pouvoit que le surcharger. En effet, je n’aurois jamais osé me flatter qu’il eût pu supporter deux jours entiers de marche forcée sur un sol aussi aride, où l’on n’avoit pas fait une excursion sans que quelque homme de l’équipage n’eût été suffoqué par la chaleur. Je ne puis envisager sans effroi les suites qu’auroit pu avoir l’imprudence que M. Riche a probablement commise par un excès de zèle, si le mauvais temps nous eût empêchés de communiquer avec la terre et de voler promptement à son secours. Je joins ici le compte que M. Mérite, com­mandant le détachement de l’équipage de la Recherche, m’a rendu de la course qu’il avoit faite pour aller chercher M. Riche : l’on trouvera, à la suite de ce rapport, le récit des principaux événemens qui sont arrivés à ce natura­liste , tel qu’il l’a écrit lui-même.

Compte rendu par M. Mérite

«Le 15 décembre, je partis avec M. de la Grandière, lieutenant de vaisseau, dans le grand canot de La 1792. Décembre «Recherche. Nous étions accompagnés de MM. La Billardière et Deschamps, naturalistes. Lorsque nous fûmes arrivés au lieu où les canots avoient coutume d'aborder, nous y débarquâmes, et nous y passâmes la nuit sous une tente que j'avois fait dresser avec la voile du canot. Le lendemain, je laissai quelques hommes pour garder notre embarcation, et le reste fut divisé en deux détachements. M. de la Grandière, à la tête des gens de l'Espérance, se dirigea au Nord-Nord-Ouest; je marchai au Nord avec le détachement de l'équipage de la Recherche. Le temps étoit couvert et très-favorable à notre excursion. Il régnoit une brise de l'Est assez fraîche qui tempéroit la chaleur et rendoit notre marche moins pénible. Arrivés au sommet d'une des dunes qui bordent la mer, nous en vîmes un grand nombre d'autres qui s'étendoient dans toutes les directions. Celles du Nord-Ouest sont très-remarquables, tant par leur élévation que parce qu'elles sont dépouillées de toute espèce de verdure. Pendant une heure et demie de marche sur ces collines de sable, nous ne vîmes ni insectes ni oiseaux, rien enfin de ce qui a vie. Nous montions et descendions sans cesse au travers des broussailles ; et nos plus beaux chemins étoient les lieux où ces broussailles paroissoient avoir été mises tout récemment en combustion.»

«J'avois soin de faire étendre nos gens sur la droite et sur la gauche, afin de découvrir une plus grande étendue de terrain. Cependant je crus que la prudence exigeoit

«de
1792. Décembre « de les tenir toujours en vue, afin de pouvoir les réunir dans le cas où les circonstances l’auroient exigé. À mesure que nous pénétrions dans l’intérieur du pays, les dunes étoient beaucoup moins élevées et plus éloignées les unes des autres ; par conséquent le chemin devenoit moins pénible.

Nous ne voyions plus de traces de feu. Nous trouvant au pied d’une élévation beaucoup plus boisée que toutes celles que nous avions déjà franchies, nous entendîmes les cris d’une multitude d’oiseaux, et nous vîmes bientôt après de nombreuses troupes de perroquets s’élever dans les airs : arrivés au sommet, nous eûmes ta vue du lac, et à sept heures et demie, nous n’en étions plus qu’à deux portées de fusil. Un de nos canonniers m’annonça qu’il avoit trouvé de l’eau douce : elle étoit au milieu d’une espèce de jonc qui croît sur les bords de ce lac, où il s’élève presque à hauteur d’homme. Nous nous désaltérâmes tous avec cette eau, qui, quoique stagnante, nous parut très-bonne.

« Nous suivîmes les bords du lac, en nous dirigeant à-peu-près à l’Est-Nord-Est. Nous trouvâmes d’abord les traces d’un grand quadrupède ; et peu après nous vîmes deux empreintes de souliers, qui nous indiquoient que quelqu’un des nôtres étoit venu dans cet endroit. Je continuai la même route pendant une demi-heure, dans l’espérance de rencontrer M. Riche ; mais n’ayant plus aperçu aucunes traces, je crus devoir m’éloigner du lac : les boues fangeuses et les eaux croupies dont les exhalaisons

1792. Décembre » infectoient l’air, me firent penser qu’il n’avoit pas dû rester long-temps au milieu de ces marécages.

» Nous prîmes une demi-heure de repos sur une des hauteurs qui dominent le lac, et d’où nous pouvions le voir dans toute son étendue. Ce lac dont nous avions trouvé les eaux saumâtres, peut avoir une lieue et demie de l’Est à l’Ouest, et environ une lieue de largeur du Nord au Sud. Dans l’Est, on apercevoit les eaux d’un second lac moins grand que le premier ; mais nous en étions trop éloignés pour avoir pu juger de son étendue. Nous trouvâmes sur la dune un arbre de moyenne taille, mais d’une végétation vigoureuse, et couvert de grappes de fleurs qui avoient la couleur d’orange. C’est le seul arbre de cette espèce que nous ayons vu. Nous n’aperçûmes aucun des oiseaux aquatiques que nous avions trouvés en très-grand nombre sur les lacs de la terre de Van-Diémen.

» À neuf heures, nous nous remîmes en marche, pour revenir à notre canot. Alors nous ne suivîmes plus une même direction ; mais nous fîmes des détours pour visiter une plus grande étendue de pays. Notre marche étoit très-pénible au milieu de ces sables mouvans. Il nous tardoit d’arriver au sommet des dunes pour respirer ; car, dans les vallées, nous étions suffoqués par la chaleur. Il paroît cependant que les vents violens y pénètrent ; le sable y est sillonné dans tous les sens, par l’effet des tourbillons. Je tuai, sur une des dunes, un serpent de cinq pieds de long, qui rampoit très-près de moi.

1792. Décembre » Nous parvînmes, en continuant notre course, dans un petit vallon garni d’arbres, qui devoient être d’une grande vétusté ; ils étoient du même genre que ceux que nous avions vus à la terre de Van-Diémen, mais beaucoup plus petits et noueux. Une grande quantité d’oiseaux faisoient retentir ce vallon de leur ramage, et plusieurs perdrix s’envolèrent à nos pieds. Enfin c’est le seul endroit un peu animé que nous ayons rencontré entre les lacs et le bord de la mer. A peu de distance de ce petit vallon, nous traversâmes une gorge très-resserrée, où un de nos canonniers tomba subitement en foiblesse. Je ne puis attri­buer cet accident qu’à l'extrême chaleur que nous éprou­vâmes dans cette gorge, où il est impossible que le moindre air puisse pénétrer. Il reprit bientôt ses forces, après avoir bu quelques gouttes d’eau-de-vie, et nous nous mîmes en route. Nous arrivâmes à midi et un quart au bord de la mer, sans avoir trouvé d’autres traces de M. Riche que les deux empreintes de souliers que l’on avoit vues près du lac. J’aperçus M. de la Grandière, qui avoit joint le canot un peu avant nous. Il n’avoit pas rencontré M. Riche, et n’avoit trouvé que quelques-uns de ses effets. Nous nous entretenions , le cœur triste du malheur que nous avions eu de le perdre, quand tout-à-coup on annonça qu’il étoit à l’endroit où nous avions passé la nuit. Notre surprise fut grande, sans doute ; mais elle fit place à la joie. Nous nous hâtâmes de le rejoindre, et de lui donner d’abord les secours les plus pressans ; ensuite nous nous 1792. Décembre » rembarquâmes pour le conduire à bord de l’Espérance, avec l'extrême satisfaction de voir qu’un de nos compagnons de voyage dont nous venions de déplorer la perte, nous étoit enfin rendu. Signé Mérite. »

Compte rendu par M. Riche.

»Le 14 décembre, je descendis le matin sur la grande terre ; l'on avoit aperçu des tourbillons de fumée dans diverses parties de l’intérieur, et à peu de distance de la côte : je dirigeai ma course, ainsi que plusieurs autres personnes, vers l’une de ces colonnes de fumée, qui ne sembloient pas être à une grande distance ; arrêté à chaque pas sur cette nouvelle terre par des observations ou des collections, j’étois encore sur la plage , que j’avois perdu de vue toutes les personnes qui s’avançoient vers l’intérieur des terres. Après avoir côtoyé quelque temps la mer, je rencontrai cet amas de bois pétrifié dont je donne la description dans mes observations minéralogiques. Une vallée enfoncée entre des dunes de sable , étoit couverte de troncs d’arbres calcaires, cassés vers leurs racines, et dont les tronçons debout ne s’élevoient pas à plus d’un pied de hauteur ; au niveau du terrain, on distinguoit les nœuds, les couches ligneuses et tous les autres accidens durables de la végétation : quelques tiges avoient près d’un pied de diamètre, et prouvoient qu’autrefois ce canton aride avoit été fertile, et par conséquent plus éloigné de la mer, 1792. Décembre »par-tout bordée de sable sur cette côte. Cette forêt détruite occupoit toute la vallée, et sembloit se prolonger sur les dunes : les anciens auraient cru reconnoître les traces du regard de la Gorgone sur un vallon autrefois fertile.

»En suivant la côte, je trouvai en grande quantité les patelles, les turbos, les haliotis dont se nourrissent les habitans de la terre de Van-Diémen, et que, par cette raison, l’on trouve bien plus rarement sur cette dernière terre. Ils couvroient ici tous les rochers du rivage ; et aucun débris de coquille, aucun feu, ne m’a présenté, les jours suivans, l’apparence que les naturels en fissent leur nourriture.

»En avançant dans l’intérieur du pays, je reconnus que les apparences nous avoient trompés sur la distance à laquelle la fumée devoit être de la côte. Il y avoit trois heures que j’avançois à travers une multitude de dunes de sable, souvent séparées par des vallées remplies d’arbres et d’arbrisseaux ; et j'étois encore très-éloigné de mon but. Je jugeai alors que je n’y pourrois parvenir sans manquer à l’heure du retour dont nous étions convenus. J’ignorois entièrement le gisement de la côte du mouillage ; je montai sur la plus grande hauteur qui se présentoit sur mon horizon : j’aperçus de là une grande étendue d'eau ; croyant que c’étoit la mer, je m’y dirigeai. Après quelques heures de marche j’arrivai au bord d’un lac salé ; j’avois marché depuis dix heures et demie du matin, et je n’avois que très-peu mangé : la chaleur excessive, la fatigue, le poids de ma collection, et sur-tout la soif, 1792. Décembre »m’accabloient au milieu de ces sables, où l’on ne trouve nulle part de l’eau. J’étois sur le point de tomber en foiblesse, lorsqu’en côtoyant le lac, je rencontrai une source d’eau douce : un athée même, dans un bonheur si inat­tendu, rameneroit malgré lui sa pensée sur la bienfaisance de la divinité. Je me mis en état de continuer ma route, en mangeant auprès de cette fontaine un morceau de biscuit et un morceau de sucre, la seule nourriture que j’eusse apportée.

»Ignorant entièrement la situation du mouillage, il ne me restoit plus d’autre ressource pour y retourner, que de diriger, du lac où j’étois alors, différentes courses de divers côtés. Les recherches pouvoient être très-longues ; et pour ménager mes forces qui diminuoient, je me vis, avec bien du regret, forcé à jeter ma collection de plantes et de pierres, qui étoit très-pesante.

»Je m avançai vers l’Ouest ; mais je reconnus bientôt que cette route n’étoit pas celle de la côte : l’aspect du pays étoit entièrement changé ; le fond des vallées étoit couvert de marécages : les coteaux, jusqu’à une certaine hauteur, ombragés par de grands arbres, l’herbe élevée, les espèces de plantes très-multipliées , une grande variété d’oiseaux, rendoient cette scène vivante ; j’y remarquai sur­tout ce gros perroquet blanc à panache rose, que Linné désigne sous le nom de Psittacus Mollucensis. Je suis persuadé que derrière ces dunes élevées que nous avons vues sur toute la côte de la terre de Leeuwin, on trouveroit 1792. Décembre »constamment des marécages semblables à ceux que je voyois dans ce moment se prolonger à-peu-près dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Les vents élèvent des collines de sable sur la rive de la mer ; elles empêchent l'écoulement des eaux fournies par les terres qu’elles bordent, ce qui nécessite la formation de ces marécages.

»Je vis plusieurs places où les naturels avoient fait du feu, et il s’élevoit plusieurs colonnes de fumée autour de moi : je m’avançai vers un de ces feux qui paroissoit être poussé avec activité ; mais lorsque j’arrivai sur la place, les naturels s’étoient retirés. Leur foyer n’est point fixe : ils mettent le feu à un champ couvert d’arbrisseaux, et propagent la flamme jusqu’à ce qu’elle en ait consumé toutes les productions ; ils laissent ce feu s’éteindre pendant la nuit, et se transportent ailleurs le lendemain. J’ai cherché inutilement des débris de leurs alimens, pour reconnoître quelle étoit leur nourriture. Des excrémens d’hommes renfermoient des pepins et des grains. Les pepins appartenoient a une très-petite baie que j’ai rencontrée depuis : cette baie est agréable au goût, et provient d’un arbrisseau dont j’ai colligé des échantillons sur cette terre. Les graines étoient celles du Mesembryanthemum edule (Lin.) ; il est commun sur cette côte. La nature semble avoir donné cette plante, qui croît dans les sables des pays chauds, pour fournir à l’homme les moyens de peupler les déserts les plus arides. Elle croît en grande abondance sur toute la pointe Sud de l’Afrique, et y a été nommée, par son usage, le pain des 1792. Décembre »Hottentots : ses fleurs, qui se développent successivement sur le même pied, fournissent ainsi des fruits pendant une grande partie de l’année. Je rencontrois à chaque pas cette plante dans le pays que je parcourois ; mais les naturels avoient été si habiles à en ramasser les fruits, que je ne pus en rencontrer aucun en maturité. Quels que soient les autres moyens de subsister des naturels, s’ils en connoissent encore d’autres, il faut qu’ils soient moins pénibles et plus abondans que celui de la pêche la plus facile, puisque, ainsi que je l’ai observé, ils négligent les productions de la mer les plus faciles à saisir. J’ai vu le lendemain plusieurs naturels qui restèrent depuis le matin jusqu’au soir à attiser leurs feux : je ne pouvois pas les distinguer, parce qu’ils se tenoient toujours sous le vent et dans la fumée ; lorsque je m’approchois ils s’éloignoient, et lorsque je m’écartois ils retournoient ensuite à leurs feux. Des pêcheurs et des chasseurs habiles ne sont pas aussi sédentaires.

»Mais quelle peut être la cause qui les oblige, dans un climat chaud, à faire toute la journée des feux si considérables ! Cet usage est répandu sur une grande partie de la Nouvelle-Hollande ; car nous l’avons trouvé en pratique jusqu’à la terre de Van-Diémen. Des voyageurs ont dit que les habitans cherchoient ainsi à se garantir de la piqûre et de l’importunité des moustiques : en effet ces animaux me fatiguoient beaucoup moi-même. Les espèces étoient le Musca domestica, le Stomoxis irritans, le Culex pipiens de Fabr, 1792. Décembre »La nuit étant survenue, je retournai vers ma fontaine ; j’avois quelques allumettes phosphoriques ; je fis du feu : j’espérois qu’il seroit vu par les naturels, peut-être devenus moins timides pendant la nuit, et que je pourrois obtenir d’eux quelque aliment. Je n’avois, à la vérité, dans ce moment, d’autres armes, en cas d’attaque, que mon marteau de minéralogie, et un pistolet chargé, sans poudre ni balle pour une seconde décharge : mais, ayant été vu pendant le jour, je crus qu’il valoit mieux, dans tous les cas, montrer de l’assurance que marquer de la crainte ; d’ailleurs la faim me pressoit, et je la redoutois plus que les naturels pour le lendemain. Je me couchai auprès du feu, et je dormis quelques heures.

»Le 15 décembre, dès que le jour parut, j’attachai auprès de la fontaine un billet à un arbre, pour indiquer ma route à ceux qui auroient la bonté de me chercher, et je m’avançai au Nord-Ouest ; j’apercevois de ce côté-là des dunes de sable, qui me faisoient présumer que j y rencontrerois la mer, ou au moins des hauteurs assez considérables pour découvrir la situation du pays où je me trouvois. Après avoir marché une partie de la matinée sur un terrain souvent marécageux et très-peuplé d’oiseaux et de végétaux, j’arrivai au pied de ces dunes de sable mouvant ; je gravis avec beaucoup de peine sur la plus élevée : de là je reconnus toute l’assiette de la contrée. Le lac que j’avois côtoyé, avoit à-peu-près une lieue de longueur ; il étoit isolé dans les terres, et séparé à l’Est d’un second lac encore 1792. Décembre »plus étendu, situé dans un pays très-plat et couvert de bois ; je ne pus voir si ce second lac se terminoit à la mer. En regardant au Nord, on découvroit fort au loin l’intérieur des terres ; le pays paroissoit assez fertile , et il s’élevoit de plusieurs lieux des colonnes de fumée. Les montagnes qui terminoient l’horizon dans un lointain très-prolongé, n’étoient que très-peu élevées. Il est très-remarquable que le granit qui, par sa résistance à la destruction, a formé le noyau de toutes les hautes montagnes primitives du globe, sert ici de base à une contrée immense, très-unie et presque au niveau de la mer dans toute son étendue. Je crus apercevoir la mer au Sud-Est et au-delà des lacs, mais dans un très-grand éloignement. Il ne me restoit, d’après les apparences, d’autres moyens pour y parvenir sûrement, que de suivre le bord de ces lacs ; mais le trajet étoit considérable et très-pénible : je pouvois tenter de traverser les terres au Sud-Est ; mais il falloit marcher dans un canton de dunes de sable où je devois succomber de soif et de fatigue, si je ne parvenois pas au mouillage après quelques heures de marche. Je retournai donc au lac : en traversant une vallée de sable, j’aperçus un grand casoar qui s’échappa derrière des broussailles élevées. Les marais m’obligèrent ensuite de me détourner, de manière que je me trouvai sur la rive du lac opposée à celle d’où je devois partir pour pouvoir m’avancer au Sud-Est. Ce lac ne ressent aucune marée apparente, et présente une circonstance bien particulière: quoiqu’il soit d'une assez grande étendue et 1792. Décembre »à-peu-près aussi salé que l’eau de la mer, on n’y trouve ni poisson, ni coquilles , ni aucune production marine vivante. Ce fait démontre d’une manière bien évidente qu’il n’a jamais eu de communication ouverte avec la mer, et qu’il s’est formé par infiltration dans les terres : il n’est donc pas le produit du retrait, mais du progrès de la mer qui s’avance graduellement sur cette côte, ainsi que tant d’autres preuves le démontrent. A la terre de Van-Diémen, au contraire, les lacs d’eau salée que j’ai vus, quoique actuellement isolés de la mer, abondent en poissons, en coquillages, qui se propagent avec une fécondité admirable dans ces bassins d’eau toujours tranquille. Cependant le lac que j’avois sous les yeux, et tous ceux qui sur cette côte se trouvent dans la même situation par rapport au rivage, seront incessamment comblés ou déplacés par les amas de sable que le vent y transporte continuellement : celui-ci avoit alors très-peu de profondeur ; il ne sembloit pas y avoir plus de trois pieds d eau vers son milieu. Cette remarque me fit tenter de le traverser pour abréger ma route ; l’essai étoit hasardeux pour un homme qui ne savoit pas nager ; mais si j’avois réussi, j’aurois eu ce jour là le temps d’arriver au mouillage. J’étois parvenu presqu’au milieu du lac, et j’avois déjà de l’eau jusqu’à la ceinture, lorsqu’un vent léger, qui agita un peu la surface de l’eau, me fit faire la culbute ; je me relevai fort étourdi, et fus trop heureux de gagner la rive que j’avois quittée. Je repassai vers la fontaine ; je détachai mon billet : mais ayant perdu 1792. Décembre »mon crayon , je ne pus en écrire un autre ; je pris ma route vers l’Est-Sud-Est. Je ne trouvai alors plus d’eau ; la chaleur étoit excessive : en avançant dans ces sables de quartz blanc, j’avois la gorge brûlante et la poitrine douloureuse. Je rencontrai trois kangourous de la grande espèce, (didelphis gigantea, Lin .) Ils étoient de différens âges ; un seul étoit adulte : ils n’étoient pas très-effrayés de ma vue ; après avoir couru très-agilement l’espace de cinquante pas, ils s’assirent debout sur leur derrière en face de moi. Il paroît que le petit suit long-temps la mère, et ne la quitte pas, même lorsqu’elle a mis bas une seconde fois. J’avois déjà rencontré, la veille, un de ces animaux, suivi par un petit qui avoit à-peu-près les deux tiers de sa grosseur. Rien n’est plus singulier que la manière dont courent ces animaux : ils ne vont point debout, et ne marchent point non plus sur les quatre pattes ; mais l’animal en avançant tient son corps courbé en avant et penché horizontalement comme les autres quadrupèdes, sans cependant poser sur les pattes antérieures, qui sont très-courtes et repliées alors contre sa poitrine : il trotte aussi à l'amble, si l'on peut s'exprimer ainsi, sur ses deux pattes de derrière. C'est toujours dans cette allure que j'ai vu courir six individus de cette espèce qui se sont offerts à moi dans divers instans, pendant que j'ai été égaré sur cette terre. La grande force musculaire de leurs cuisses postérieures explique comment, en courant, ils peuvent se maintenir dans une situation qui est impraticable pour 1792. Décembre »tout autre quadrupède ; et l’inspection de leur squelette (Journ. d’anat. Description d’un squelette de kangourou) prouve qu’ils ne peuvent pas courir debout. Il existe encore dans ce canton un animal carnivore du genre ou au moins de la famille des chiens, Lin. J’en ai rencontré les traces sur le sable du bord du lac ; et il paroît par l’empreinte de ses pas qu’il est au moins de la grosseur du loup. Les mêmes indices m’avoient fourni les mêmes probabilités sur l’existence d’une espèce semblable, à la terre de Van-Diémen.

»Quoique le plaisir que je trouvois à faire ces observations servît à me faire supporter la route, j’étois tellement accablé de fatigue et de chaleur dans ces sables mouvans, que je fus souvent obligé de m’étendre à terre pour reprendre mes forces. J’enviois beaucoup le sort des naturels dont je voyois les feux dans le lointain ; ils passèrent toute la journée auprès de leurs foyers, occupés à en ranimer le feu. Si leur inactivité résulte de l’abondance dans laquelle ils vivent, ils seroient les plus heureux d’entre ces hommes qui se reposent du soin de leur subsistance sur la bienfaisance de la simple nature. Cependant leur population ne semble pas annoncer le bonheur ; car pendant toute la journée je n’ai pas compté plus de trente feux sur une circonférence au moins de dix lieues de diamètre. J’ai assez fait de recherches pour assurer que ces naturels ne construisent pas de casés : on ne peut pas cependant les supposer plus stupides que ceux de la terre de Van-Diémen ; mais ils sont plus rapprochés des tropiques, la patrie naturelle de l’homme, où il peut 1792. Décembre »subsister, comme les autres animaux, sans vêtemens et sans arts.

»Enfin, en arrivant sur une hauteur, je découvris distinctement la mer au Sud-Est : mais j’étois trop fatigué ce jour-là pour y parvenir par la route que j’avois suivie ; j’employai le reste de la soirée à retourner au lac pour me procurer de l’eau. J’avois mangé seulement dans la journée quelques sommités très-amères de laitron (Sonchus oleraceus) : à la nuit, je fis du feu au bord du lac ; j’avois déjà la fièvre et la poitrine oppressée : un orage considérable qui se forma au Nord-Ouest, me fit craindre de la pluie pendant la nuit ; je m’endormis en pensant que si j’étois mouillé pendant quelque temps, je ne serois peut-être pas en état de partir le lendemain.

»Le 16, l’orage s’étoit dissipé sans pluie ; j’avois été fortifié par cinq à six heures de sommeil ; je partis à la première lueur du jour, en me dirigeant vers le Sud-Est : après quelques heures de marche, j’arrivai à la mer. J’avois apporté à-peu-près un demi-verre d’eau douce dans une petite boîte à collection ; et je la réservois pour l’instant du plus pressant besoin, lorsque j’en trouvai en assez grande quantité au pied d’un cap. Ayant suivi ma route à droite, le long de la côte, pendant à-peu-près l’espace d’une lieue, je découvris, d’une hauteur, nos deux bâtimens : j’étois encore tellement éloigné, que je ne les distinguois qu’avec une petite lunette achromatique, contre l’île sous laquelle ils étoient mouillés, quoique le temps fût clair. Je crajgnois 1792. Décembre »beaucoup auparavant, que l’on n’eût mis à la voile à cause de la mauvaise situation du mouillage et du pressant besoin d’eau où se trouvoient les équipages : l’on n’avoit en effet point trouvé d’aiguade sur cette côte aride, depuis que l’on avoit été forcé d’y relâcher. Je doublai le pas, redou­tant à chaque instant le moment du départ : je me mis alors, en avançant, à recommencer ma collection ; l’extrême foiblesse dans laquelle je me trouvois , m’empêchoit de beaucoup me charger. Je ne voyois plus alors un désert où je devois périr ; la nature avoit changé de face à mes yeux. «La roche sur laquelle je marchois, étoit toute hérissée de beaux cristaux de feld-spath, détachés en relief par les flots de la mer qui minoient le granit : des couches de tuf et de pétrifications végétales stratifiées sur la masse granitique offroient des accidens souvent singuliers. L’huîtrier (Hœmatopus ostralegus ), et plusieurs espèces de Charadrius, couvroient la plage : mais, sur toute l’étendue de côte que je parcourus, je n’ai pas même rencontré des traces de l’ours marin, du pingouin de la Nouvelle-Zéelande, et de l’oie que j’ai décrite sous le nom d’Anas terrœ Leeuwin, tandis que l’on trouve ces espèces en grande quantité sur des îles qui ne sont pas à un quart de lieue de la grande terre. Cette observation prouve que les naturels chassent à ces animaux, qu’ils peuvent atteindre avec leurs armes ; mais qu’ils n’ont pas même l’industrie de construire des pirogues ou des radeaux qui puissent transporter les chasseurs à de petites distances en mer. On peut juger de la 1792. Décembre »violence des vents de Sud-Ouest, sur cette côte, puisque j’ai trouvé à plus de cent cinquante pieds de hauteur au­-dessus du niveau de la mer, de petits cristaux de sel marin dans des cavités de rochers avancés sur la mer.

»Après quelques heures de marche, j’arrivai au mouillage : j’étois si foible que je ne pouvois presque pas parler. J’appris des personnes du canot, qui m’attendoient, tous les soins que M. Dentrecasteaux et M. Huon s’étoient donnés pour me faire chercher ; ils avoient, dès la veille, envoyé un grand nombre de personnes à ma recherche, et avoient souvent fait tirer le canon, et des fusées pendant la nuit dernière. Deux officiers de l’Espérance, M. de la Grandiere et M. Laignel, avoient eu la bonté de s’enfoncer fort avant dans les terres et jusqu’au lac que j’avois quitté ; enfin l’on croyoit que l’on avoit épuisé toutes les recherches, et l'on alloit abandonner la côte au moment où j’arrivai. Si je m'étois douté de toute la peine que l’on se donnoit pour moi, elle auroit redoublé la mienne : tous ces soins et l’intérêt que chacun eut la bonté de marquer à mon retour, me firent verser des larmes de reconnoissançe.

»Signé Riche
.

On pourroit être disposé à croire que c’est le refus de donner à MM. les naturalistes des hommes pour les accompagner dans leurs courses, qui a occasionné cet accident : mais M. Riche avoit refusé d’être suivi par son domes­tique, qui, à son retour, lui en fit, les larmes aux yeux, les

reproches
1792. Décembre reproches les plus touchans. Plusieurs personnes qui étoient allées avec M. Riche dans d’autres circonstances, débarquèrent avec lui le jour où il s’égara ; mais comme cette excursion ne devoit durer que deux ou trois heures, il n’avoit témoigné à aucune d’elles le desir d’être accompagné.

Cet événement a donné lieu à des plaintes de la part de MM. les naturalistes, qui ont paru croire que l’astronomie et l’hydrographie obtenoient des préférences sur l’histoire natu­relle. Il ne me sera pas difficile de repousser un reproche aussi mal fondé : car, dans aucun cas, les officiers chargés de faire les observations astronomiques, ne sont allés à terre sans que MM. les naturalistes aient eu la permission d’y descendre ; et ces messieurs n’ont reçu l’ordre de ne pas s’écarter des bâtimens, qu’à l’instant où les observatoires avoient été démontés. Si les occasions de descendre à terre ont été plus rares qu’on ne devoit le desirer, on doit l’attribuer au peu de marche des frégates, et à la longueur des traversées, qui ne nous permettoient pas de faire de fré­quentes relâches.

J’avois, à la vérité, engagé MM. les naturalistes à ne pas s’embarquer dans les canots destinés à reconnoître les côtes voisines des lieux où nous étions mouillés ; et je vais rendre compte des motifs qui m’y ont déterminé. Ces canots devoient toujours aller reconnoître des passes, longer des côtes et sonder des mouillages. Les officiers qui les commandoient, avoient ordre de n’aborder le rivage que pour prendre des relèvemens et faire des stations très-courtes.

TOME I.
Dd

1792. Décembre Un séjour à terre aussi peu prolongé ne pouvoit convenir à MM. les naturalistes, qui auroient été obligés de passer très-infructueusement la plupart du temps dans les embar­cations ; d’ailleurs ces canots étant destinés à naviguer quelquefois au large, ne devoient être chargés que le moins possible : ainsi je devois me borner à faire déposer les natu­ralistes et les personnes désignées pour les accompagner, aux terres les plus voisines et de l’abord le plus facile.

On ne sauroit trop faire sentir l’avantage qu’il y auroit à n’employer, dans ces sortes de campagnes, que des per­sonnes attachées au service de la marine, parce que, ces personnes jugeant mieux de ce que les circonstances peuvent permettre, ne feroient jamais de demandes indiscrètes , et seroient moins disposées à attribuer à une mauvaise volonté, qui ne doit pas être présumée, les observations que l’on seroit obligé de leur faire sur l’impossibilité de se prêter à ce qu'elles pourroient desirer sans en connoître les inconvéniens.

Le séjour forcé que nous fîmes dans ce mouillage, nous procura le moyen de vérifier le mouvement journalier de la montre n.° 14. Elle avançoit, en vingt-quatre heures, de 6"59 sur le temps moyen. Son retard absolu, sur le temps moyen de la baie de l’Espérance, étoit, le 16 décembre, à 5h 7’, de 8h o’ 21"55. Le 16, à 8h 31 ’ du soir, on observa, à bord de la Recherche, l’occultation de l'étoile β du capricorne. Le résultat du calcul rapporté à l’île de l’Observatoire nous a donné la longitude de cette île avec une grande précision, et l’a placée par 119° 34’ 35" de longitude 1792. Décembre orientale. La longitude obtenue par des distances de la lune au soleil observées en mer, et rapportée à l'île de l’Observatoire, est de 119° 27’ 14", c’est-à-dire, de 7’ 21" plus foible que la précédente.

La latitude de l'île de l’Observatoire est de 33° 55’ 17" australe. Celle du mouillage avoit été observée à bord de la Recherche avec un cercle à réflexion. L’horizon se trouvoit borné par la terre du côté où le soleil passoit au méridien, et l’on fut obligé de mesurer le supplément de plusieurs hauteurs voisines du méridien. Le résultat de ces observations rapporté à l’île de l’Observatoire ne diffère que de 12" de la latitude observée sur cette île. Un pareil accord est fait pour inspirer une grande confiance aux latitudes obtenues par le supplément de la hauteur méridienne. [9]

Pendant les premiers jours de notre relâche au port de l’Espérance, l’on prit du poisson, mais en petite quantité ; sur la fin, la pêche devint plus abondante, sans doute parce que le poisson avoit été attiré près des frégates par les im­mondices que l’on jetoit à la mer. On tua quelques phoques ou veaux marins , qui me parurent, ainsi qu’à tout le monde, n’être point désagréables à manger. Les pingouins se trou­vent en très-grand nombre sur toutes les îles : je n’en ai pas mangé ; mais nos équipages s’en sont nourris pendant notre séjour à ce mouillage, et ils les ont trouvés meilleurs que les phoques. Les requins y sont d’une grosseur monstrueuse. Nous 1792. Décembre tuâmes, sur les îles, quelques oiseaux qui ressemblent aux oies d’Europe : mais nous les trouvâmes d’une chair bien plus délicate. L’on vit plusieurs autres espèces d’oiseaux ; ils étoient tous très-farouches, d’où l’on peut conjecturer que les natu­rels les chassent pour s’en nourrir. On ne remarqua nul comestible parmi les végétaux. Les kangourous sont les seuls quadrupèdes que l'on ait aperçus.

La carte de l’archipel de la Recherche, levée par M. Beautemps-Beaupré, me dispense d’entrer dans aucun détail sur la route que l’on doit suivre pour se rendre au mouil­lage de la baie de l’Espérance. On peut également passer à l’Est ou à l’Ouest de l’île de l’Observatoire : ces deux passes sont très-saines et faciles à reconnoître.

CHAPITRE X.

Départ de la baie de l’Espérance le 17 Décembre 1792. —Reconnoissance d’une partie de la côte de la terre de Nuyts, située à l’Est de la baie de l’Espérance. — Mouillage au port du Sud, terre de Van-Diémen, le 21 Janvier 1793.


1792. Décembre
17.
Nous appareillâmes le 17 décembre, à quatre heures et demie du matin, pour sortir du port de l’Espérance. Les vents venoient de l’Est et de l’Est-Sud-Est. Nous laissâmes l’île de l’Observatoire à bâbord ; ensuite nous sortîmes de l’archipel, en rangeant d’assez près la partie septentrionale du groupe de l’Ouest : les vents ne nous eussent pas permis d’en sortir par l’Est ; d’ailleurs je n’aurois pas cru devoir le tenter, parce qu’au milieu de ces îles, presque toutes envi­ronnées de ressifs, le passage, s’il existe, ne peut être que très-dangereux.

Du 18 au 22. Les vents d’Est continuèrent à souffler jusqu’au 23 décembre, et nous passâmes cinq jours à louvoyer afin de nous élever au vent. Nous profitâmes de cette contrariété pour reconnoître l’archipel de la Recherche, dont nous voulions donner un plan exact et détaillé. Mais nous ne pouvons pas répondre que toutes les îles et tous les ressifs soient marqués sur notre carte. Il y en a sûrement que nous n’avons pas pu 1792. Décembre. voir : car le temps étoit très-sombre ; et toutes les fois que la bordée nous portoit près des îles, nous rencontrions des îlots et des dangers qui nous forçoient de virer de bord et de courir au large. Nous avons rencontré des écueils à près de dix lieues de la côte.

23. Le 23 , les vents passèrent au Nord, et successivement au Nord- Nord-Ouest et à l’Ouest ; ensuite ils se fixèrent au Sud-Ouest. Ils s’annoncèrent pour être aussi violens que ceux qui nous avoient engagés dans le labyrinthe d’où nous venions de sortir ; le baromètre étoit encore plus bas qu’il ne l’avoit été le 9 décembre, et le temps étoit devenu tout aussi menaçant. Nous fîmes route à l’Est avec toute la voile que nous pouvions porter , afin de dépasser toutes les îles de cet archipel avant que le mauvais temps se fût déclaré. Nous doublâmes dans la journée plusieurs îles et plusieurs brisans assez écartés de la côte : ils étoient cependant plus loin les uns des autres que ceux de la partie de l’Ouest. La terre, dont nous étions à environ quatre lieues, étoit en général très-basse ; mais on découvroit dans l’éloignement quelques montagnes assez élevées. Ces montagnes sont d'inégale hauteur, et offrent le même aspect que les îles du large. Nous passâmes en dehors de toutes les îles, et assez près pour voir qu'elles étoient bordées de ressifs. Nous laissâmes à tribord un banc très-dangereux, parce qu’il est isolé, et à cinq ou six lieues de la côte.

A cinq heures et demie du soir , nous étions à un mille dans le Sud du groupe des îles du Sud-Est, qui nous parut 1792. Décembre. devoit être très-voisin de l’extrémité orientale de tout l’ar­chipel auquel nous avons donné le nom d’Archipel de la Recherche. La pointe Sud-Ouest de l'île la plus méridionale du groupe du Sud-Est a été placée par 34° 26’ 35" de latitude australe, et par 121° 20’ de longitude orientale.

Après que nous eûmes doublé les îles du groupe du Sud-Est, je fis mettre à la cape. Le vent augmenta par degré, et, à onze heures, il étoit d’une extrême violence. Il con­tinua à souffler avec la même impétuosité, jusqu’à environ trois heures du matin. La mer, qui s’étoit élevée à mesure que le vent avoit pris de la force, fut très-grosse pendant cette espèce de bourasque.

24. Le 24 au jour, le vent et la mer s’étoient apaisés, et le temps étoit devenu assez beau. La très-grande dérive de la nuit nous avoit fait perdre de vue la partie de côte et les îles qui devoient servir à lier les opérations de la veille à celles de ce jour. Nous fîmes route au Nord pour aller attaquer la terre ; à dix heures, de nouvelles îles et des îlots furent aperçus dans le Nord-Ouest. La plus grande de ces îles étoit un rocher nu et aride, et les autres n’étoient que des bancs de sable environnés de ressifs. Nous continuâmes de gouverner au Nord ; et, vers onze heures, la grande terre fut enfin aperçue à bâbord et par le travers : mais nous ne la vîmes de dessus le pont que long-temps après qu’elle eut été annoncée par les vigies. Nous passâmes à quatre milles dans l’Ouest des îles que nous avions nouvellement découvertes. Elles s’étendent du Nord au Sud, et forment 1792. Décembre. le groupe que nous avons appelé groupe de l’Est. L’extrémité méridionale de l'île la plus Sud est par 33° 53’ 45" de latitude australe, et par 121° 52’ 30" de longitude orientale. Lorsque nous eûmes doublé ces îles, il ne nous fut plus permis de douter que nous étions parvenus à l’extrémité orientale de l’archipel de la Recherche, qui est composé d’un amas d îles et de ressifs dont plusieurs s’étendent à près de dix lieues au large. Cet archipel rend l’approche de la côte très-dangereuse dans un espace de quarante-deux lieues de l’Est à l’Ouest, ou de 2° 32’ en longitude.

A sept heures du soir , nous étions à deux lieues de terre ; toutes les parties de la côte que l’on découvroit dans l’Est et dans l’Ouest, présentoient le même aspect. C’étoit un rocher calcaire taillé à pic , d’une hauteur égale dans toute son étendue, et dont les couches étoient parfaitement horizon­tales , ainsi que le plateau du sommet. L’espèce de verdure que l’on voyoit à la partie supérieure, étoit d’une teinte noirâtre, qui contrastoit d’une manière désagréable avec la blancheur de la craie. Nul oiseau ne se détacha de cette côte aride ; nulle apparence de fumée ne se fit remarquer : tout annonçoit que cette terre, dont l’aspect est affreux, n’étoit pas peuplée ; il sembloit que son aridité en eût éloigné les hommes et les oiseaux. Cette nouvelle partie de la côte de la terre de Nuyts se prolonge presque en ligne droite : elle est battue par des vagues dont aucune île n’arrête la violence ; et elle est tout aussi dangereuse que celle qui est à l’Ouest de l’archipel de la Recherche,

Le
1792. Décembre
25.
Le 25, les vents passèrent à l’Est, et ne nous permirent pas de suivre la direction de la côte. Nous fûmes obligés de louvoyer ; mais toutes les bordées furent prolongées jusqu’à un demi-mille de terre. A cette distance on trouva vingt-quatre brasses d’eau, sur des fonds de gros sable et de gravier mêlé de corail. Cette côte s’est offerte sous le même aspect que le jour précédent : elle est tellement taillée à pic, que les caps formés par les sinuosités presque imperceptibles qui s’y rencontrent, ressembloient à la partie angulaire d’un mur de fortification, et avoient même beaucoup moins de talus.

26. Les vents qui avoient passé au Sud-Ouest le 26, nous firent parcourir une assez grande étendue de côte, qui ressembloit parfaitement à celle que nous avions vue les deux jours précédens. L’aspect en étoit si uniforme qu’il fut presque impossible de distinguer quelques points remarquables : cepen­dant des dunes de sable un peu plus élevées que le reste de la côte, nous servirent de points de relèvemens. Dans l’après-midi, lorsque nous étions par 124° de longitude, la terre parut changer de forme ; elle commençoit à s’abaisser, et se terminoit de l'avant par une pointe noyée. La prudence exigeoit de s'en éloigner : je fis tenir le vent tribord amures, sous les deux basses voiles et avec deux ris pris dans les huniers ; nous continuâmes cette bordée jusqu’à minuit. Alors, jugeant que la pointe basse dont nous venons de parler étoit doublée, je fis serrer les huniers, afin de ne plus faire de chemin au Sud.

27. Le 27 au jour, nous fîmes route au Nord, avec des vents de Sud-Ouest, pour nous rapprocher de terre : elle étoit si basse que nous ne la vîmes que lorsque nous en fûmes 1792. Décembre très-près. On crut cependant reconnoître dans le Nord-Ouest la pointe noyée qui avoit été relevée à l’Est le soir du jour précédent. A un peu moins de deux lieues de la côte nous eûmes vingt-quatre brasses d’eau, fond de gravier ; et plus près, dix-sept brasses et la même nature de fond.

La partie de côte que nous parcourûmes le 28, étoit 28. aussi basse que celle qui avoit été vue la veille ; mais elle présentait un aspect moins aride. Nous aperçûmes plusieurs colonnes de fumée s’élever au-dessus des arbres qui sembloient croître dans l’eau. Nous nous tînmes à environ une demi-lieue de cette côte ; le brassiage fut assez constam­ment de vingt-deux brasses, sur un fond de sable mêlé de corail. Depuis le point où la terre avoit commencé à dimi­nuer de hauteur, jusqu’à celui qui étoit par notre travers, nous avions vu la côte s'abaisser insensiblement ; j'étois disposé à croire que la partie la plus basse devoit être ter­minée par des ressifs, ainsi que la carte de NUYTS sembloit l’indiquer. En effet, nous trouvant à midi par 126° 5' de longitude orientale, le brassiage diminua tout-à-coup ; nous eûmes successivement quatorze, treize ou douze brasses d’eau, enfin onze brasses sur un fond de roches. A l’aspect de ces terres noyées, que l’on n’apercevoit que quand elles étoient par notre travers, et qui dîsparoissoient presque aussitôt, on ne se seroit certainement pas douté quelles fissent partie d’un vaste continent, qui peut être considéré comme une cinquième partie du monde. L’on auroit été tenté de croire qu’elles appartenoient à de petites îles, 1792. Décembre semblables à celles dont le grand Océan est couvert, et que l’on ne voit qu’au moment d’y faire naufrage. Vers deux heures après midi, l’on aperçut de l’avant, une côte taillée à pic, et semblable à celle que nous avions parcourue immédia­tement après avoir doublé l’archipel de la Recherche. On ne voyoit pas le plus petit monticule dans l’intérieur des terres.

Le 29, nous suivîmes la côte, dont l’aspect n’avoit pas. 29. changé ; aucun point remarquable ne s’offrit à notre vue. Les vents passèrent à l’Est le 30, et nous fûmes forcés de louvoyer. Dans le courant de ta journée, 30. il se forma une brume épaisse, qui embrassa toute la circonférence de l’horizon. Cette brume n’étoit pas plus élevée que la côte, et y ressembloit tellement que l’on ne pouvoit pas la distinguer d’avec la terre. Il n’y a personne qui, montant sur le pont, ne se fût d’abord mépris. Ce phénomène dura toute la journée, et se termina par un orage sans vent et sans pluie, mais pendant lequel la foudre sillonnoit l’atmosphère dans toutes les parties de l’horizon.

Nous fîmes route le 31 à la pointe du jour, pour rallier 31. la terre, qui étoit si embrumée que l’on ne put la voir avant midi. Elle parut d’abord, au travers de la brume, comme une terre assez haute ; mais ensuite nous reconnûmes qu’elle étoit aussi basse que les parties que nous avions déjà visitées. Il n’est pas étonnant que NUYTS n’ait donné aucun détail sur cette côte stérile, dont l’aspect est si uniforme que l’imagination la plus féconde ne trouverait rien à en dire. Nous ne remarquâmes pas la plus légère apparence de végétation sur la partie qui fut prolongée dans cette journée. 1792. Décembre Le rivage étoit bordé de ressifs, et l'on entendoit très distinctement le bruit des vagues qui venoient s’y briser.

Les vents qui avoient soufflé depuis plusieurs jours entre le Sud et l’Est, nous forcèrent de nous tenir au large ; ils avoient le double inconvénient de couvrir la terre de nuages et de battre en côte. Depuis le commencement de décembre nous avions eu plus fréquemment des vents de la partie de l’Est que de la direction opposée ; il me parut qu’ils dévoient être en général très-variables dans cette saison. Je crois cependant pouvoir attribuer les grandes variations qui avoient eu lieu depuis le 28 décembre, aux orages que nous avions éprouvés.

Le 1.er janvier à deux heures après midi, les vents passèrent 1793. Janvier au Sud-Ouest ; nous fîmes route à l’Est pendant toute la soirée et pendant toute 1.er la nuit, en nous tenant à une assez grande distance de la côte. Le 2 à la pointe du jour, 2. je fis gouverner pour rallier la terre ; mais le vent étant revenu au Sud-Est, nous prîmes les amures à tribord : nous étions alors à quatre ou cinq lieues de la côte. A onze heures, on découvrit la terre de lavant ; et nous virâmes de bord, par trente-deux brasses, fond de sable fin.

Vers less six heures du soir, M. HUON m'annonça par un signal, qu’il n’avoit plus à son bord que la quantité d’eau rigoureusement suffisante pour se rendre à la terre de Van-Diémen. Ce signal fut suivi de celui qui me fit connoître que l’ESPERANCE avoit des avaries dans son gouvernail. Je fis mettre en panne sur-le-champ ; et M. DE 1793. Janvier TROBRIAND vint à bord pour m’apprendre que l'état dans lequel se trouvoit le gouvernail de cette frégate ne lui permettoit pas de tenir encore long-temps la mer. Il m’instruisit que depuis notre départ de la baie de l’Espérance, M. HUON avoit été forcé de faire supprimer les boissons antiscorbutiques et le pain frais ; il me dit que tout le monde, sans distinction, avoit été réduit, depuis long-temps, à trois quarts d’eau par jour, et ajouta que, malgré cette réduction, qui pouvoit devenir très-nuisible à la santé des équipages, il ne restoit plus que trente barriques d’eau à bord de l’ESPERANCE. Nous n’avions pas alors une beaucoup plus grande quantité d’eau à bord de la RECHERCHE : cependant, comme nous étions dans le voisinage des îles Saint-François, où nous pouvions nous rendre en une journée de vents favorables, je ne voulus pas abandonner la reconnoissance de cette côte avant le lendemain matin, dans l’espérance que les vents pourroient changer pendant la nuit, et nous permettre d’aller jusqu’à ces îles.

Le 3 janvier, les vents paroissant fixés au Sud-Est, j’écrivis 3. à M. HUON pour lui demander si l’ESPERANCE étoit en état de rester encore deux ou trois jours sur la côte : sa réponse, qui fut très-bien motivée, ne me permit plus de différer à prendre le parti d’abandonner la reconnoissance de la côte Sud-Ouest de la Nouvelle-Hollande ; et nous fîmes route pour la terre de Van-Diémen. A midi, étant par 31° 49’ de latitude australe, et par 129° 18’ 30" de longitude orientale, nous prîmes la bordée du large. On sonda de 1793. Janvier deux heures en deux heures : dans un espace de sept à huit lieues, le brassiage n’augmenta que de trente-cinq brasses à quarante-deux, et la sonde rapporta toujours du sable fin. Le 4 à huit heures du matin, nous estimant à vingt-quatre ou 4. vingt-cinq lieues de terre, on trouva quarante-huit brasses, fond de gros sable blanc, mêlé de coquilles. A six heures du soir, étant par 33° 3’ de latitude, et à environ trente lieues de la côte, nous trouvâmes quatre-vingts brasses d’eau. Un fond qui s’étend à une aussi grande distance au large, annonce une terre unie et basse, semblable en effet à celle que nous venions de quitter : l’augmentation lente et progressive que nous avions trouvée dans le brassiage à mesure que nous nous en éloignions, me fit présumer que cette même terre ne s’élevoit que par degrés, et que les montagnes dévoient être à une grande distance du bord de la mer ; aussi dans les jours les plus sereins, et du haut des mâts, n’avions-nous aperçu que quelques mondrains, dans l’intérieur du pays.

C’est un phénomène vraiment surprenant, que le vaste continent de la Nouvelle-Hollande, qui s’étend dans un espace de trente degrés en latitude et de quarante degrés en longitude, n’offre, dans presque toutes ses faces, qu’une terre sablonneuse, aride, et qui, sous des latitudes très-différentes, conserve le même aspect et la même stérilité. L’on y découvre, il est vrai, quelques filets d’eau douce placés à de grandes distances les uns des autres ; mais ils ne peuvent être aperçus que par un effet du hasard. Les récits des voyageurs m’avoient fait connoître que les côtes orientales 1793. Janvier et occidentales de la Nouvelle-Hollande étoient presque entièrement dépourvues d’eau ; et je me croyois d’autant mieux fondé à espérer d’en trouver à la côte méridionale, que je pensois y rencontrer les embouchures de toutes les grandes rivières. Mes espérances ont été entièrement frustrées. Je pense que le manque d’eau douce et la contrariété des vents ont forcé Nuyts, ainsi que nous, à terminer ses découvertes aux îles Saint-François et aux îles Saint-Pierre.

Il paroît que les vents de Sud-Est sont ceux qui soufflent le plus constamment, pendant l’été, à la côte de la terre de Nuyts. Il semble qu’ils ne commencent à reprendre le dessus sur les vents d’Ouest, qu’à la fin de décembre. La nature du temps que nous éprouvâmes sur cette côte pendant les vingt premiers jours de décembre, ne rappeloit aucune idée de la belle saison : ce n’étoit que par la courte durée des vents forcés qu’il étoit possible de juger que nous étions en été ; car d’ailleurs nous eûmes peu de jours sereins et très-peu de calmes. Le thermomètre étoit, le matin, à 10° au-dessus de zéro, et indiquoit une température bien différente de celle que l’on éprouve, à la fin de juin, dans l’hé­misphère septentrional. Il paroît que les courans suivent la côte, et prennent leur direction d’après celle des vents qui y ont régné.

Les vents de l’Est au Sud-Est nous conduisirent jusqu’au Du 4 au 7. parallèle de 37° de latitude australe : leur durée diminua mes regrets d’avoir été forcé d’abandonner la reconnoissance 1793.
Janvier
de la côte Sud-Ouest de la Nouvelle-Hollande, laquelle ne peut être bien faite qu’avec des vents qui permettent de la prolonger, en se tenant à une petite distance de terre. Je crois qu’on ne doit entreprendre cette reconnoissance que dans les mois de janvier et de février : il faudroit d’abord attérir sur la terre de Van-Diémen, et remonter ensuite vers le Nord. On pourroit ranger la terre de très-près, avec les vents d’Est, qui ne sont jamais violens ; et lorsque les vents pas­seroient à l’Ouest ou au Nord-Ouest, on se porteroit au large, dans la crainte de se trouver affalé.

Depuis que nous avions perdu la terre de vue, les lon­gitudes obtenues par la montre n°14, nous avoient placés à l’Ouest de l’estime. Ces différences, occasionnées vraisem­blablement par la continuité des vents d’Est, furent cependant plus grandes que l’on ne devoit s’y attendre : elles m’auroient fait soupçonner l’existence d’un détroit entre la Nouvelle-Hollande et la terre de Van-Diémen, si nous n’avions pas été sur un parallèle plus Sud que celui de la pointe Hicks, ou bien si les courans nous eussent portés dans le Nord-Ouest ; mais comme nous étions entraînés directement à l’Ouest, il me paroissoit peu vraisemblable que les courans fussent occasionnés par une ouverture qui ne pouvoit exister que sur un parallèle de 2 ou 3° plus Sud que notre latitude. Néanmoins je me proposai de remonter jusqu’à la pointe Hicks en partant de la terre de Van-Diémen, afin de vérifier si cette terre est séparée du reste de la Nouvelle-Hollande.

Lorsque nous fûmes parvenus au parallèle de 37° de

latitude

1793.
Janvier
11.
latitude australe, les vents de Sud-Est diminuèrent de force, et nous eûmes quelques intervalles de calme ; enfin, le 11 Janvier, ils se fixèrent au Sud-Ouest, et soufflèrent avec violence. Il semble que dans ces parages ils ne peuvent être modérés lorsqu’ils viennent de cette partie.

17. Le 17 à midi, nous étions par 42° 26’ de latitude aus­trale , et par 141° 4’ de longitude orientale. Je me proposois d’attérir au Nord du cap Sud-Ouest de la terre de Van-Diémen, pour reconnoître la direction que prend la côte dans cette partie, et pour voir sur-tout si elle offriroit quelque abri où il fût possible de trouver de l’eau. Mais le vent qui battoit en côte, souffloit avec tant de violence, que, loin de nous permettre d’attaquer la terre, il nous auroit obligés de gouverner au large si elle eût été en vue. D’après la longitude obtenue par la montre n.° 14, nous devions être, à midi, à vingt-cinq ou trente lieues de terre. Des distances de la lune au soleil, observées dans la soirée, nous donnèrent une longitude d’un quart de degré plus orien­tale que la longitude trouvée par la montre ; ces observations nous plaçoient, vers six heures du soir, à huit ou neuf lieues de la côte : mais le temps étoit si mauvais, qu’il auroit été impossible de l’apercevoir à cette distance. Je fis mettre à la cape, et l’on sonda à cent brasses sans trouver de fond. Je jugeai alors que la longitude par les distances nous avoit placés trop à l’Est, et que nous n’avions pas à redouter le voisinage de la côte.

Le vent souffla avec force pendant toute la nuit, et la 1793.
Janvier
18.
mer fut très-grosse. Le 18 au jour, nous aperçûmes la terre au travers de la brume ; elle s’étendoit du Nord 42° Est à l’Est 17° Sud. Nous la prolongeâmes à quatre ou cinq lieues de distance ; mais, à huit heures, le vent com­mençant à se calmer, et la mer étant toujours très-forte, je fis prendre la bordée du large, et elle fut continuée jus­qu'à onze heures. Alors nous fîmes route au Sud-Est Est, avec un vent de Sud-Ouest grand frais, soufflant par rafales. A la nuit nous courûmes au large ; et, à deux heures du matin, nous prîmes les amures à tribord pour rallier la terre.

19. Le 19 au jour, les vents passèrent à l’Ouest-Nord-Ouest ; et nous fîmes route au Sud-Sud-Est, pour longer la côte, à environ deux lieues de distance : on gouverna successivement au Sud-Est et à l’Est-Sud-Est. Cette côte est beaucoup plus montueuse que la terre de Nuyts ; mais elle est tout aussi aride, et offre aussi peu d’abri : il est vraisemblable qu'elle est également dépourvue d’eau. Le terrain en est si inégal, et les montagnes sont tellement entremêlées de terres basses, que vue de quatre à cinq lieues, elle semble être formée par un amas d’îles : il y a cependant quelques rochers peu éloignés de terre. A environ quatre heures après-midi, le cap Sud-Ouest étoit par notre travers à environ un mille de distance. L’approche de la nuit ne nous permit pas de passer entre les îles Maetsuiker de Tasman et la grande terre ; mais le rocher Mewstone fut laissé à tribord.

Nous louvoyâmes pendant toute la nuit à petites voiles ; 1793.
Janvier
20.
et le lendemain 20 janvier, nous continuâmes à suivre la côte méridionale de la terre de Van-Diémen. Je comptois aller mouiller, le jour suivant, dans le détroit que nous avions découvert en 1792 ; mais, le vent étant devenu con­traire 21.dans la matinée du 21 janvier, M. Huon me demanda à aller relâcher au port le plus voisin ; je me déterminai à entrer dans le port du Sud, vers lequel la bordée nous portoit, et dont nous n’étions plus qu’à quatre ou cinq lieues.

Le port du Sud n’avoit pas été entièrement sondé l’année précédente ; on avoit seulement reconnu que le meilleur mouillage étoit près de la côte orientale, vis-à-vis d’une pointe de roche, située aux deux tiers de sa profondeur. Dans la vue de nous rendre plus directement à ce mouil­lage, on rangea d’assez près la côte orientale, qu’on laisse à bâbord en entrant. Comme il y a peu d’eau de ce côté, nous touchâmes légèrement. Nos embarcations auroient suffi pour nous mettre à flot ; mais le vent ayant fraîchi du Sud-Ouest, nous fûmes forcés de porter une grosse ancre de l’arrière, à l’aide de laquelle nous mîmes très-aisément la frégate à flot sans qu'elle ait éprouvé la moindre avarie.

CHAPITRE XI.

Séjour au port du Sud.— Entrevues avec les habitans de la terre de Van-Diémen.— Réflexions générales sur les mœurs et le caractère de ce peuple.— Navi­gation dans le canal situé à la partie méridionale de la terre de Van-Diémen.

1793.
Janvier
Le port du Sud a, dans cette saison, l’avantage inappréciable de fournir une grande abondance de très-bonne eau, que l’on peut faire avec une extrême facilité. Pour peu que l’on soit enfoncé dans ce port, on le voit fermé de toutes parts ; par conséquent on y est à l’abri de tous les vents. Il a encore l’avantage d’être exposé à un courant d’air, et à de très-fortes rafales, qui en rendent la température assez fraîche, même en été, et qui en chassent toutes les exhalaisons pu­trides. Le thermomètre étoit tous les matins à 10 ou 12° de hauteur, et descendoit quelquefois jusqu’à 8° : dans les beaux jours, il montoit jusqu’à 22°. Les jours parfaitement clairs y sont cependant très-rares. Je pense que l’on doit attribuer au voisinage du cap méridional et des montagnes qui l’avoi­sinent, les temps nébuleux que nous y avons éprouvés : je ne doute pas qu’à une plus grande distance de ces montagnes, le temps ne soit plus constamment serein.

La saison de la sécheresse est celle où, d’après le récit 1793.
Janvier
des voyageurs, le poisson semble s’éloigner des côtes voisines de l’établissement que les Anglois ont fait à la côte orien­tale de la Nouvelle-Hollande ; mais nous en avons trouvé dans ce havre presque autant que l’année précédente.

Pendant que l’on étoit occupé à réparer les deux frégates et à compléter notre provision d’eau et de bois, j’envoyai visiter le port du Nord, dans lequel nous avions relâché en 1792. On trouva l’aiguade où nous avions fait notre eau entièrement à sec. Le jardin n’avoit pas réussi ; rien ou presque rien n’avoit poussé, soit que la saison fût peu favo­rable, ou que les graines qui avoient été semées fussent altérées. Je donnai ordre à M. la Haye, jardinier botaniste, de se rendre sur les lieux, pour tâcher d’en découvrir la cause. M. la Billardière profita de cette occasion pour aller compléter la collection qu’il avoit faite en 1792, et recueillir les mêmes plantes dans deux saisons différentes.

Nous fûmes tourmentés, dans ce havre, ainsi que le capi­taine Cook l’avoit été à la baie de l’Adventure, par de très-grosses mouches, dont la piqûre faisoit tomber promptement en putréfaction les oiseaux, les poissons , et généralement toute espèce de chair : le bourdonnement en est très-fort et très-importun. En général, les mouches sont beaucoup plus incommodes à la terre de Van-Diémen que dans nos climats.

On vit, outre des kangourous, deux autres espèces d’opossum, mais qui sont de forme différente et beaucoup plus petites. 1793.
Février
Il sembloit que notre arrivée à la terre de Van-Diémen en eût fait disparoître les habitans : on en découvroit par-tout des traces ; mais on n’en avoit pas vu un seul. Il est certain néanmoins qu’ils étoient venus dans les lieux voisins de notre mouillage : car on remarqua dans le port du Sud une case que l’on n’y avoit pas vue en 1792 ; et l’on ne retrouva plus, dans le port du Nord, une plaque de fer-blanc qui avoit été clouée à un arbre sur lequel on avoit sculpté une figure humaine.

La seconde course que MM. la Billardière et La Haye firent, le 7 février, 7. au port du Nord, fut plus heureuse que toutes les précédentes : ils rencontrèrent des naturels ; et la première entrevue qu’ils eurent avec eux, établit tellement la confiance, quelle fut suivie de plusieurs autres entrevues, toutes aussi amicales, et faites pour donner l’idée la plus avantageuse des habitans de ce pays. Nous regrettâmes de n’avoir fait connoissance avec eux que dans les derniers momens de notre séjour : si nous avions pu prolonger notre relâche, nous aurions été vraisemblablement à portée d’ob­tenir des éclaircissemens très-intéressans sur la manière de vivre de ces hommes si voisins de la nature, et dont la fran­chise et la bonté contrastent si fort avec les vices de l’état de civilisation. L’excursion de MM. la Billardière et la Haye dura deux jours : ils n’aperçurent aucun habitant dans le cours de la première journée ; cependant un des hommes qui les accompagnoient prétendit avoir vu des feux peu éloignés du lieu où ils passèrent la nuit. 8. Le lendemain,

1793.
Février
ces deux messieurs allèrent seuls herboriser à quelque dis­tance de la case qui leur avoit servi d’asile, et où ils avoient laissé leurs effets. Pendant qu’ils étoient occupés à leurs récoltes, ils entendirent quelques voix dans les broussailles ; et ils ne tardèrent pas à voir un nombre assez considérable de naturels. Ignorant leurs dispositions, la prudence exigeoit qu’ils vinssent promptement prendre leurs fusils et rejoindre leurs compagnons. Les naturels les suivirent : on leur fit signe de quitter leurs armes ; et ils posèrent à terre l’espèce de javelot terminé en pointe, dont ils se servent avec adresse et avec assez de force pour le ficher dans un arbre : je pense qu'ils en font usage contre les animaux ; et c’est, à ce qu’il paroît, leur seule arme offensive. Ces messieurs quittèrent aussi leurs fusils : les naturels s’avancèrent avec confiance ; et, dès ce moment, la plus parfaite cordialité s’établit. Quelques unes des femmes ne craignirent pas de s’approcher : elles étoient, ainsi que les hommes, entièrement nues. On voulut faire connoître à ces naturels l’usage de nos armes à feu ; l'explosion d’un premier coup de fusil mit les femmes en fuite : les hommes en parurent effrayés ; mais ils ne s'éloignèrent pas. Cependant quand ils virent recharger les armes ils firent signe de ne pas continuer.

Lorsque MM. les naturalistes reprirent le chemin du rivage, les naturels voulurent les accompagner, et se mirent en marche avec eux. L’équipage du canot vint à leur rencontre ; et les mêmes signes d’amitié eurent lieu entre les naturels et ces nouveaux-venus. Une telle confiance semble ne devoir laisser 1793.
Février
aucune incertitude sur les dispositions pacifiques de ce peuple ; mais on pourroit croire que l’expérience qu’ils ont pu faire antérieurement de la supériorité de nos armes, auroit également produit cette apparence d’amitié, si un trait plus décisif ne prouvoit, de la manière la plus convaincante, qu’ils ne sont pas mal-faisans, lors même qu’ils n’ont rien à redouter de ces armes qui leur inspirent une si grande terreur. Lorsque MM. la Billardière, la Haye et leurs deux com­pagnons de course passèrent près de la case où ils s’étoient reposés pendant la nuit, les naturels leur firent connoître qu’ils les avoient vus couchés et endormis : M. la Haye croyoit en effet avoir entendu rompre assez près de lui des branches d’arbres. Ces quatre personnes surprises sans dé­fense, au milieu de la nuit, auroient certainement été les victimes de la férocité de ces sauvages, si ces derniers avoient été aussi méchans qu’ils le parurent à M. Marion en 1772 : les entrevues que nous eûmes par la suite avec eux, annoncent au contraire qu’ils sont bons et sans méfiance.

On les avoit menés, en allant rejoindre le canot, au jardin que nous avions fait l’année précédente au port du Nord, M. la Haye l’examina avec plus de soin que la première fois ; il trouva que quelques plants de chicorée, de choux, d'oseille, de radis, de cresson, et quelques pommes de terre, avoient poussé , mais qu’ils n’avoient donné que les deux premières feuilles séminales. Pendant qu’il regardoit avec une extrême attention tous les compartimens de ce jardin, un des naturels lui montra les plantes qui avoient levé ; et il

les
1793.
Février
les distinguoit parfaitement des plantes indigènes, quoiqu’elles fussent presque imperceptibles. M. la Haye attribua, avec raison, le peu de succès de ce potager à ce que les graines avoient été semées dans une saison trop avancée.

Cette première entrevue excita dans les deux frégates un extrême désir de visiter des hommes si bons, et si différens de l’idée qu’on se forme de tous les sauvages, d’après les relations des différens voyageurs. Un canot de l’Espé­rance alla, le lendemain 9. 9 février, au port du Nord : on trouva les naturels rapprochés du bord de la mer ; et l’on fut à portée de les voir plus long-temps, et d’être témoins d’un de leurs repas. Ils étoient séparés par familles ; et il y avoit autant de feux que de familles. Le mari étoit placé auprès de sa femme ; l’un et l’autre étoient entourés de leurs enfans. Plusieurs personnes s'assirent à côté d’eux ; et la présence de ces étrangers ne les dérangea en aucune manière. Leur repas consistoit en oreilles de mer et en coquillages qu’ils font cuire sur le brasier. Ils firent goûter sans peine de leurs mets à ceux qui témoignèrent le desir d’en manger ; mais ils ne voulurent toucher à aucun des nôtres : leur répugnance n’a été sur­montée que pour accepter quelques pattes de homard, qui furent présentées à l’un d’eux par M. Ventenat ; cette nourriture sans apprêt leur étoit trop connue pour leur être suspecte. Ils témoignèrent le même éloignement pour les bois­sons qui leur furent offertes. Peut-être le souvenir de quelque fâcheux événement occasionné par des mets qui leur étoient inconnus, et qui leur avoient été présentés par des étrangers, 1793.
Février
leur a-t-il inspiré cette aversion, ou l’espèce de méfiance dont ils ne nous ont d’ailleurs donné des marques que dans cette seule circonstance. Je serois porté à croire, d’après la confiance qu’ils nous ont témoignée dans toutes les autres occasions, qu’ils ne veulent manger que des mets dont une habitude contractée dès l’enfance, qui a pour eux la force de l’instinct, leur a fait connoître l’usage.

Mais un spectacle plus intéressant encore que celui de leurs repas, c’étoit de voir les témoignages de tendresse que ces hommes simples et bons prodiguoicnt à leurs enfans. Cette première affection de la nature est parmi eux dans toute sa pureté et toute sa force. Ils les caressoient, et jouoient avec eux de la manière la plus intéressante. Les petites querelles de ces enfans étoient apaisées sans violence et par une légère correction, suivie de caresses qui faisoient promptement cesser les pleurs. Oh ! que les peuples civilisés et qui s’enorgueillissent de l’étendue de leurs connoissances, auroient à s’instruire à cette école de la nature !

La séparation des divers ménages aux heures des repas, donna lieu à une observation qui a été regardée comme certaine par les personnes qui l’ont faite, et qui a été com­battue par beaucoup d’autres. Dans deux de ces ménages, un seul homme étoit au même feu, entre deux femmes, dont chacune avoit ses enfans auprès d’elle. L’on soupçonna que ces deux femmes appartenoient à ce même homme : on le lui demanda par les signes les plus expressifs ; et l’on crut comprendre qu’il faisoit connoître que l’une et l’autre étoient 1793.
Février
à lui, ainsi que leurs enfans. Les mêmes signes furent em­ployés pour lui demander s’il en usoit avec la même liberté à l’égard des autres femmes et de celles-ci : il rejeta cette idée avec horreur, en montrant les hommes à qui elles étoient unies. Ces mêmes familles, vues le lendemain par d’autres personnes, s’offrirent sous un point de vue différent de celui sous lequel on les avoit vues la veille ; et il fut impossible d’obtenir des éclaircissemens sur ce fait que je desirois cons­tater. Au reste, dans une peuplade aussi peu nombreuse, qui ne connoît d’autres lois que celles de la nature, la pluralité de femmes ne peut exister que passagèrement, et dans cer­taines circonstances ; elle doit avoir lieu quand le nombre des filles excède celui des garçons, parce que, dans cet état de nature, nul individu de l’un ou de l’autre sexe ne peut rester oisif : mais lorsque le nombre des uns et des autres est le même, un seul homme ne peut avoir plusieurs femmes, parce qu’il n’en jouiroit qu’au préjudice de quelque autre membre de la société.

On a cru remarquer que c’étoit aux deux hommes les plus robustes que cet excédant de femmes étoit tombé en partage : est-ce à raison de leur force ? est-ce un choix libre des femmes mêmes, ou une convention de la peuplade ? c’est ce dont on ne pouvoit être instruit que par un plus long séjour parmi eux. Peut-être seroit-on disposé à croire que la première femme doit être affligée de s'en voir associer une seconde, et que ce doit être un sujet de jalousie et de discorde dans le ménage : mais comme les fonctions pénibles 1793.
Février
sont, à leur égard, plus multipliées, et reviennent plus souvent que les témoignages d’amitié de leurs maris, il me paroît que l’une et l’autre femme ne peuvent que gagner à cette association.

La seconde entrevue se passa, ainsi que la première, avec tous les témoignages de la plus sincère cordialité : quoique le nombre des curieux fût plus considérable , les naturels ne témoignèrent aucune inquiétude. Il est vrai, et c'est une justice que je dois rendre aux équipages des deux frégates, que l’on évita avec soin ce qui pouvoit leur causer quelque ombrage : tous les matelots, à l’envi, se dépouil­lèrent de ce qu’ils avoient pour le leur donner.

10. Le 10, nous eûmes une troisième entrevue, qui confirma l’opinion que l’on s’étoit formée de ces hommes simples et bons, en qui l’on n’avoit aperçu aucun des vices que l’on reproche à tous les habitans du grand Océan. Il existoit entre eux et nous une telle familiarité, qu’ils assistoient à nos repas avec le même plaisir que nous marquions à être témoins des leurs ; mais, cette troisième fois, nous fûmes mieux servis par les circonstances , et nous vîmes la manière dont se fait la pêche qui fournit à leur subsistance. Le hasard fit aussi découvrir qu’ils mangent du goêmon ; car, voyant une des longues feuilles de cette plante marine entre les mains d’un des officiers, ils la prirent, la firent griller et la mangèrent. A l’heure destinée pour leur repas, les femmes allument le feu où doivent être cuits les alimens ; elles allument ensuite plusieurs autres feux moins considérables dans les 1793.
Février
environs du premier. Après avoir attaché autour de leur cou un sac destiné à recevoir leur pêche, elles plongent, armées d’un petit bâton aminci par le bout, avec lequel elles prennent des homards, des oreilles de mer et d’autres coquillages, qu'elles déposent dans le sac dont elles se sont munies. Sorties de l’eau, elles se mettent entre plusieurs des petits feux préparés d’avance, pour se sécher en tout sens, et vont ensuite se placer autour du feu principal, où elles font cuire le produit de leur pêche, qu'elles distribuent à leurs maris et à leurs enfans : elles renouvellent cet exercice jusqu’à ce que l’appétit de toute la famille soit satisfait. Les femmes vont aussi chercher à boire pour tout le ménage : ce dernier usage paroît commun à cette peuplade, ainsi qu’à tous les habitans des îles du grand Océan. Quand on fit signe aux hommes qu’ils auroient dû leur épargner cette peine , on crut com­prendre qu’ils répondoient que cet exercice les feroit mourir : mais le signe dont ils se servirent, pouvoit également expri­mer que leur rôle étoit de se reposer ; et c’est ce qui me paroît le plus vraisemblable.

Ils annoncèrent, dans cette entrevue, qu’ils viendroient au port où nous étions mouillés, après deux révolutions du soleil ; et ils tinrent parole : nous les aperçûmes en effet 12. le 12, assez près de nous. Ils allumèrent des feux pour se faire reconnoître ; et nous allâmes avec empressement les joindre : nous ne trouvâmes en tout que cinq hommes et plusieurs enfans ; mais les femmes n’étoient pas sans doute bien éloignées. Après les avoir comblés de présens, on les 1793.
Février
engagea à venir à bord ; et, pour exciter leur curiosité, on fît voir au plus intelligent d’entre eux, les bâtimens dans une lunette d’approche. Plusieurs vinrent jusqu’au canot ; mais lorsqu’ils y furent rendus, ils refusèrent de s’embarquer. Un seul, et c’est celui qui avoit regardé dans la lunette, se décida à venir, sans témoigner de méfiance ni de crainte. On le mena à bord de la Recherche ; je n’y étois pas alors : mais je ne tardai pas à m’y rendre, sans me douter cependant de la rencontre que je devois y faire. Ce fut avec autant de plaisir que de surprise que je vis cet homme, qui avoit osé se livrer, seul et sans défense, à la merci de gens dont les dispositions lui étoient inconnues. Sa confiance me parut faite pour donner l’idée la plus favorable de cette peuplade, mais sur­tout de cet homme, remarquable d’ailleurs par une belle stature et par son intelligence. Tout ce qu’il vit à bord, étoit nouveau pour lui, et ne pouvoit manquer de lui causer un grand étonnement ; aussi le manifestoit-il à chaque nouvel objet qui se présentoit à sa vue : il parcourut toutes les parties du vaisseau. On lui fit voir des cochons, des chèvres, des poules et des oies : il parut reconnoître les oies, sans doute parce que ces oiseaux ressemblent beaucoup aux cygnes, qui sont communs à la Nouvelle-Hollande. Je lui donnai un coq ; et j'y aurois ajouté volontiers des poules, s’il ne nous avoit fait signe qu’il alloit manger le coq qui étoit entre ses mains. Je crains qu’une chèvre et un jeune bouc que j’ai laissés dans les bois, n’éprouvent le même sort. Lorsqu’il eut visité toutes les parties de la frégate, on le reconduisit à terre, où il fut 1793.
Février
reçu avec empressement par ses compatriotes, qui, m’a-t-on dit, avoient témoigné quelque inquiétude de la durée de son absence. Mais je suis disposé à croire que l'on prit pour de l’inquiétude ce qui n’étoit que l’effet de i’impatience qu’ils avoient de se remettre en route, parce que le soleil baissoit et qu’ils étoient pressés d’aller rejoindre leurs femmes ; car, en nous quittant, ils annoncèrent qu’ils reviendroient le len­demain. Mais le vent nous ayant permis d’appareiller à la pointe du jour, nous ne pûmes les attendre : il fallut en profiter pour aller à la rencontre du canot que j’avois expédié depuis quatre jours dans le détroit, pour en compléter la reconnoissance.

Le mardi gras fut le jour où l’entrevue dont nous venons de parler, eut lieu. Les équipages des deux frégates étoient à terre presque en entier. Ce fut à qui donneroit le plus de vêtemens à nos nouveaux amis ; on les couvrit d’étoffes de toute espèce ; on leur pendit au cou des médailles, des son­nettes, des miroirs, des colliers, &c. C’étoient de véritables figures de carnaval : au reste, ces divers objets ne faisoient pas sur eux une grande impression ; ils désiroient, à la vérité, tout ce qu’ils voyoient, mais ils l’abandonnoient sans peine. Tout paroissoit les distraire, et rien ne pouvoit les occuper : ils sont, à cet égard, comme les enfans. Quand on offrit, les jours précédens, des colliers et d’autres ornemens aux femmes, elles en parèrent leurs enfans, et ne voulurent rien garder pour elles. La facilité avec laquelle les naturels nous laissoient caresser ces enfans, prouve l’extrême confiance 1793.
Février
qu’ils avoient en nous ; jamais ils n’ont été inquiets de les voir entre nos bras.

Comme ils ne présumoient pas qu’une aussi grande quan­tité d’hommes pût être sans femmes, ils crurent sans doute qu’un même vêtement confondoit les sexes ; aussi tous ceux à qui leur jeunesse ou une figure plus agréable pouvoit faire trouver un peu de rapport avec le sexe féminin, eurent-ils à subir une visite très-exacte.

Quoique bien pris dans leur taille, et d’une belle corpu­lence, ils ont les bras et les jambes très-grêles ; la forme des nôtres les surprenoit beaucoup, et ils tâtoient avec sur­prise les mollets de ceux qui étoient à portée d’eux.

La position des femmes, lorsqu’elles sont assises, est assez remarquable ; un de leurs talons est placé de manière à couvrir les parties naturelles : mais leur entière nudité dans toute autre situation, ne permet pas de supposer que ce soit par pudeur qu’elles cachent ce qu’elles ne craignent pas de laisser voir quand elles ne sont pas assises. Les jeunes filles ont fait quelques difficultés avant de s’approcher de nous : cependant on a toujours réussi à les faire venir ; et comme il n’y a point eu d’indiscrétion commise, les hommes n’ont témoigné aucune espèce de jalousie. La seule chose qu’ils aient paru vouloir dérober à notre vue avec beaucoup de soin, ce sont leurs armes, lesquelles ont toujours été cachées dans le bois et gardées par des femmes qui jetoient de grands cris quand on en approchoit. Il est difficile de pénétrer leur motif ; car j’ai de la peine à me persuader que ce fût uniquement pour

mettre
1793.
Février.
mettre en sûreté ces armes peu redoutables et faciles à remplacer, qu’ils tâchoient de nous éloigner du lieu où nous

présumions qu’elles avoient été déposées. Ce lieu seroit-il consacré à la Divinité ? Mais aucune de leurs actions n’a pu nous faire soupçonner qu’ils eussent des idées religieuses. On a vainement essayé d’obtenir des éclaircissemens sur cet objet ; ils n’entendoient pas ce qu’on vouloit leur demander : aucun signe n’a pu le leur faire comprendre ; je suis disposé à en conclure que l’idée de la Divinité leur est étran­gère. Cependant il faudroit les avoir fréquentés plus long­temps pour se permettre d’affirmer quelque chose à cet égard.

Parmi les animaux qu’on leur fit voir, il y avoit un singe qui d’abord les étonna beaucoup, et qui finit par les amuser. On leur montra aussi un chevreau : je ne sais s’il fut jugé d’une espèce plus relevée que le singe ; mais ils lui propo­sèrent de s’asseoir en répétant le mot médi [asseyez-vous] : c’est un terme de leur langue qui nous est trop familier pour qu’on ait pu s’y méprendre.

Quoique tout ce qui frappoit leur vue excitât leurs desirs, nous ne remarquâmes pas qu’ils fussent enclins au larcin ; ils n’insistoient jamais quand on leur refusoit ce qu’ils avoient demandé. Les petits enfans à qui on avoit donné des cou­teaux, s’amusoient à couper les boutons de nos habits ; mais ç’étoit plutôt un essai de leur adresse qu’un vol, puisqu’ils ne les cachoient pas après les avoir détachés. Une petite espièglerie d’un jeune homme prouve d’une maniéré moins douteuse, qu’ils n’ont pas en général ce vice, si reproché aux 1793.
Février
insulaires du grand Océan, et qui a souvent obligé les Européens à les traiter avec rigueur. Le jeune homme dont je viens de parler, aperçut un sac rempli de coquillages qui avoit été caché par un matelot, ou peut-être qui avoit été simplement placé sur un arbre : il l’emporta, le laissa chercher long-temps, et finit par le remettre où il l’avoit pris, en se moquant de celui qui croyoit l’avoir perdu. Jamais nous n’avons remarqué en eux la moindre apparence d’humeur ou de colère. Leur manière d’être ne s’est pas démentie un seul instant ; ils ont toujours été obligeans à notre égard, ont paru vivre entre eux avec beaucoup d’accord : nous n’avons remarqué, ni dans leur conduite, ni dans leurs mœurs, rien qui pût affoiblir l’opinion avantageuse qu’ils nous avoient d’abord donnée de leur caractère. Oh! que l’on dut rougir de les avoir soupçonnés, l’année dernière, de se nourrir de chair humaine! Ce sont des hommes intéressans sous tous les rapports, et avec lesquels j’aurois souhaité que nous eussions passé tout le temps que nous avons été forcés de rester à ce mouillage.

La peuplade que nous avons vue, semble offrir la plus par­faite image du premier état de société, où les hommes ne sont pas encore agités par les passions, ni corrompus par les vices qu’entraîne quelquefois la civilisation. Composée de quelques familles réunies, sans autre propriété que celle de leurs femmes et de leurs enfans, elle ne doit avoir dans son sein aucune cause de dissension : n’ayant d’autres chefs que ceux qui sont désignés par la nature elle-même, c’est-à-dire les pères de famille et les vieillards, il doit exister, entre les 1793.
Février
hommes qui la composent, une affection mutuelle, dont les liens se resserrent encore par les mariages qu’ils sont obligés de contracter dans le petit nombre de familles qui vivent rassemblées. Ces hommes, assurés d’ailleurs de trouver facilement leur subsistance, doivent jouir de la paix et du contentement. Aussi leur physionomie ouverte et riante offre-t-elle l’image d’une félicité qui n’est jamais troublée par des réflexions im­portunes, ni par des desirs impuissans. Moins avancés sans doute dans la civilisation que les peuples de la Nouvelle-Zéelande, ils n’en ont pas non plus l’humeur féroce. Les haines qui divisent les habitans de cette île, paroissent être inconnues a ceux de cette partie de la Nouvelle-Hollande.

De tous les objets que nous avions offerts à nos bons amis de la terre de Van-Diémen, nous ne leur en avions donné aucun sans leur en avoir fait connoître l’usage. Celui d’entre eux que j’ai annoncé comme le plus intelligent, se servit très-promptement, et avec adresse, d’une hache dont on lui fit présent : il en donna plusieurs coups à un arbre dans le même sens, et si juste qu’il frappoit toujours au même point. On lui fit voir qu’il falloit que ce fût tantôt dans un sens et tantôt dans un autre : il le comprit très-bien, et il abattit l’arbre sur-le-champ. L’usage de la scie lui devint aussi très-promptement familier. Il apprit à se servir d’hameçons. On alluma devant lui, avec un verre de lunette, un morceau de l’amadou dont les habitans se servent et qui est d’écorce d’arbre. Il essaya d’en allumer un autre morceau. De toutes les leçons qu’il a reçues, c’est certainement celle qu’il retiendra 1793.
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le mieux, parce qu’en voulant diriger le point lumineux sur cet amadou, il le détourna sur sa cuisse et il ressentit une douleur qui ne lui permettra jamais d’oublier l’effet de ce verre.

Nous avons formé un vocabulaire de quelques mots du langage des habitans de la terre de Van-Diémen. Nous leur avons fait redire plusieurs fois le même mot ; et lorsqu’ils l’ont répété, ils ont toujours désigné l’objet dont on leur avoit d’abord demandé le nom. On a fait les mêmes ques­tions à plusieurs d’entre eux ; et l’on a employé les mêmes moyens pour s’assurer si l’on avoit bien saisi leur prononciation : nous ne nous sommes jamais aperçus qu’il y ait eu la moindre contradiction dans leurs réponses. D’après toutes ces précautions, nous croyons que l’on peut compter sur l’exactitude des différens vocabulaires recueillis par plusieurs personnes d’entre nous, et entre lesquels il ne s’est trouvé que très-peu de différence. Mais il faut en conclure que l’idiome des habitans de cette partie de la côte est très-différent de celui des naturels vus à la baie de l’Adventure par le capitaine Cook : car on n’a pas trouvé le moindre rapport entre les mots de notre vocabulaire et les mots de celui de M. Anderson qui doivent avoir la même signification.

Il paroît que nous étions au port du Sud au moment où les habitans commençoient à se rapprocher de ce lieu, pour venir y chercher une subsistance qu’il leur est plus facile de s’y procurer en été que dans la saison rigoureuse. Quand nous arrivâmes dans ce port, leurs feux nous firent juger qu’ils devoient être au Nord du grand lac, qui est peu éloigné du 1793.
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port du Nord : ces feux se rapprochèrent chaque jour ; et il me parut que les naturels devoient continuer leur course vers le cap méridional : car, quelque intimité qui ait régné entre nous, je ne pense pas qu’ils soient venus au port du Sud uniquement pour nous voir. La peuplade que nous avons vue, étoit composée de quarante-huit individus, dont dix hommes jeunes ou vieux, quatorze femmes de divers âges, et vingt-quatre enfans depuis un an jusqu’à douze, parmi lesquels le nombre des garçons égaloit celui des filles.

M. la Billardière trouva un arbrisseau dont il jugea que la feuille pouvoit entrer dans la composition des boissons antiscorbutiques, pour suppléer à la sapinette : lui-même en fit l’essai. Cette production végétale a, sans doute, la vertu que lui attribue ce naturaliste ; mais elle fut trouvée si désagréable au goût par les équipages, qu’ils préférèrent le breuvage qu’on leur préparoit journellement, et qui étoit fait avec du malt d’orge et de la mélasse, conformément au procédé indiqué dans un mémoire Anglois, approuvé par la société royale de Londres. Le chirurgien jugea d’ailleurs que la nouvelle boisson seroit trop astringente, et peu convenable pour une campagne telle que la nôtre, qui exigeoit plutôt l’usage d’un régime opposé.

Le séjour assez long que nous fîmes dans le port du Sud, nous permit d’en lever le plan avec beaucoup plus de détails que nous n’avions pu le faire l’année précédente. M. Jouvency, ingénieur-géographe de l’expédition, fut chargé de 1793.
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cette opération. M. la Seinie sonda le port ; et les sondes qu’il prit, furent rapportées sur le plan de M. Jouvency. Mais, comme nous ignorions l’heure de la marée, on n’a pu désigner si ces sondes avoient été prises de haute ou de basse mer. Au reste, des bâtimens qui tirent treize pieds d’eau, peuvent entrer dans le port du Sud à toutes les époques de la marée ; mais ils doivent passer plus près de la côte qu’on laisse à tribord en entrant, que de celle de bâbord.

J’avois envoyé un canot commandé par M. de Saint-Aignan, pour aller, avec M. Beautemps-Beaupré, sonder les passes qui sont entre la terre et les brisans que nous relevions à l’Est de notre mouillage. On trouva assez d’eau dans toutes ces passes ; mais celle qui est la plus proche de terre, est embarrassée de goémon. Le passage qui existe entre le brisant du milieu et les brisans les plus au large, est libre ; et l’on y trouve de onze à douze brasses d’eau. Je pris la résolution de suivre ce dernier passage pour aller dans le détroit. MM. de Saint-Aignan et Beautemps-Beaupré visitèrent aussi la baie des Moules, qui n’avoit été reconnue que très-imparfaitement en 1792. Quoique cette baie soit ouverte au Sud-Est, ils remarquèrent que des bâtimens de moyenne grandeur pouvoient s’y mettre à l’abri de tous les vents, en mouillant derrière deux îlots ou rochers près desquels il y a quatre ou cinq brasses d’eau, sur un fond de sable. On trouva une grande quantité de moules et d’autres coquillages sur les bords d’une espèce de rivière 1793.
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ou canal dont l’eau est salée, et qui a son embouchure dans la partie la plus enfoncée de la baie.

Nous observâmes, tous les jours, les marées qui ont lieu dans le port du Sud ; mais nous remarquâmes, ainsi que l’année précédente, qu’elles sont tellement modifiées par les vents, qu’il est impossible d’en suivre le cours. Il paroît cependant, malgré ces grandes irrégularités, que la mer monte et descend une seule fois par vingt-quatre heures, et qu’elle ne s’élève jamais de plus de cinq pieds dans les nouvelles et pleines lunes.

La déclinaison de l’aiguille aimantée éprouva , dans ce port, d’étonnantes variations : les deux observatoires étoient éloignés l’un de l’autre de trois cents toises ; la déclinaison observée par plusieurs azimuths, à l’observatoire de La Recherche, étoit de 3°, et elle fut trouvée de 8° à celui de l’Espérance. Nous voulûmes vérifier si cette grande différence provenoit des boussoles ; en conséquence on porta la boussole de la Recherche à l’observatoire de l’Espé­rance, et celle de l’Espérance à l’observatoire de la Recherche : d’après les nouvelles observations qui furent faites, on reconnut que la différence des déclinaisons observées avoit été produite par l’attraction des parties ferrugi­neuses du terrain sur lequel les boussoles avoient été posées. Il y eut aussi un degré de différence entre les déclinaisons observées sur deux lieux qui n’étoient éloignés que de quelques toises. Mais ce qui paroît plus étonnant, c’est que la cause, quelle qu’elle fût, qui faisoit varier l’aiguille dans le sens 1793.
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horizontal, n’ait eu que peu ou point d’influence sur l’inclinaison de cette même aiguille : cette inclinaison fut trouvée, à l’observatoire de l’Espérance, de 71° 1’, et à celui de la Recherche, de 72°.

La latitude du port du Sud est de 43° 34’ 30" australe ; la longitude est de 144° 36’ 54" occidentale. La montre n.° 14 avançoit, en vingt-quatre heures, de 8"08 sur le temps moyen, le 9 février 1792, à 7h 37’. Son retard absolu sur le temps moyen du port du Sud, étoit de 9h 33’ 46" 83.

Pendant notre relâche, le temps fut peu favorable aux observations ; les nuits furent presque toujours sombres, et nous ne pûmes observer ni occultations d’étoiles, ni éclipses du premier satellite de Jupiter. La longitude de ce port a été fixée par un grand nombre de résultats de distances de la lune au soleil [10]

13. Le 13 , nous mîmes à la voile avec un vent d’Ouest-Sud-Ouest, variable au Sud-Ouest, et soufflant par rafales. Je chargeai M. de Saint-Aignan de diriger la route des frégates dans la passe qu’il avoit sondée. Lorsque nous eûmes dépassé les brisans dont elle est bordée, nous fîmes route

pour
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pour nous rendre dans le détroit, en longeant, à un demi-mille de distance, la côte qui nous restoit à bâbord. Nous

passâmes à l’ouvert de la baie des Moules ; et nous ne commençâmes à nous éloigner de terre, que lorsque nous fûmes parvenus à la pointe méridionale de l’entrée de la baie de l’Espérance. Nous avions eu froid dans la matinée ; mais dès que nous eûmes doublé l’île du Satellite, la température changea, et la chaleur devint assez forte. Les vents tenant de l’Ouest, on rangea la côte de bâbord avec confiance. Lorsque nous doublions la pointe de Riche, le bâtiment fut tout-à-coup arrêté sans avoir reçu la moindre secousse ; et nous ne nous aperçûmes qu’il étoit échoué que parce qu’il n’alloit plus de l’avant. L’Espérance éprouva le même sort : c’étoit heureusement vers la fin du jusant. Des ancres furent portées sur-le-champ de l’arrière de la frégate, pour la déséchouer en virant au cabestan : on roidit d’abord fortement le câble, et l’on attendit le changement de la marée. Au commen­cement du flot, les vents varièrent vers le Nord ; et, à l’aide des voiles qu’on avoit mises sur les mâts et de la mer mon­tante, à huit heures du soir les deux bâtimens se trouvèrent à flot.

Dans le courant de l’après-midi, on vit sortir de la baie de l’Isthme le canot que j’avois expédié sous les ordres de M. de Welle ; il nous joignit avant le coucher du soleil. Après avoir remonté jusqu’à quatre lieues en dedans de la rivière Huon, M. de Welle avoit conduit M. Beautemps-Beaupré dans la baie de l’Isthme , d’où l’on découvre 1793.
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parfaitement le cap Cannelé, l’île aux Pingouins, et les terres que Cook avoit prises pour les îles Maria. La facilité de mesurer une base sur la langue de terre qui sépare la baie de l’Isthme de celle de l’Adventure, m’avoit engagé à donner ordre à M. de Welle d’y aborder, afin de donner à M. Beautemps-Beaupré les moyens de fixer avec exac­titude la position de ces points principaux. La rivière Huon, dans laquelle les circonstances n’avoient pas permis de s’enfoncer l’année dernière, se présente d’abord comme une espèce de bras de mer d’environ un mille et demi de largeur, qui commence par prendre sa direction au Nord-Ouest, et forme un coude à sept milles en dedans de son entrée, et se prolonge ensuite au Nord, quelques degrés Est, dans l’espace de cinq milles. On ne trouva pas le fond avec une ligne de quinze brasses dans la partie qui se dirige au Nord-Ouest ; mais, à l’endroit où le canal forme le coude, on trouva onze brasses et demie d’eau sur un fond de vase, et ensuite huit brasses : le brassiage diminuoit à mesure que l’on avançoit. A l’extrémité de ce bras de mer, on rencontra l’embouchure d’une rivière, qui est fermée par une barre, où il n’y a qu’une brasse d’eau : près de cette embouchure, l’eau étoit presque douce. Le port des Cygnes est sur la rive orientale de la rivière Huon, et est situé à environ un mille et demi en dedans de l’entrée : c’est encore une retraite excel­lente , où l’on peut mouiller à l’abri de tous les vents, par cinq et six brasses d’eau, sur un fond de vase. On découvrit au bord occidental de la même rivière un grand ruisseau, 1793.
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dans lequel les plus grosses chaloupes peuvent entrer. Son em­bouchure est marquée sur la carte par 43° 14’ 10" de latitude.

On ne vit aucune trace d’habitans sur le rivage de la rivière Huon ; 0n n’aperçut même pas de feux qui pussent faire présumer qu’ils n’étoient pas éloignés. Lorsqu’on fut rendu à l’endroit où elle forme un coude, on vit la mer cou­verte de cygnes ; on les tiroit, du canot, à bout portant, sans que jamais ils aient essayé de se réfugier à terre : c’est en faisant route qu’on en a tué un assez grand nombre pour nourrir l’équipage du canot pendant toute sa course, et pour en rapporter encore à bord quinze ou seize. Si le canot n’avoit pas eu une autre destination, l’on eût pu faci­lement, dans une journée, en tuer assez pour remplir plusieurs embarcations.

La baie de l’Isthme offrit à l’équipage du canot une grande quantité de poissons et de coquillages, tels que des raies, de petits mulets, des morues, des moules, des huîtres, &c. ; mais l’ample provision qu’il avoit de cygnes, lui fit dédaigner ce dernier genre de nourriture.

14. Le lendemain 14, nous restâmes au mouillage ; et les équipages se reposèrent. Je fis prier M. Huon d’expédier une des embarcations de l’Espérance, pour reconnoître le port du Nord-Ouest, situé sur la côte de bâbord, près de la sortie du canal : je fis de nouveau partir un canot de la Recherche, sous les ordres de M. Willaumez, pour aller visiter les baies profondes que nous avions aperçues en 1792 au fond de la baie des Tempêtes, et vérifier si les 1793.
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terres appelées par Cook îles Maria étoient séparées de la terre de Van-Diémen par un détroit ; ce qui me paroissoit encore problématique, d’après les cartes de M. Marion, du capitaine Cook et de Tasman.

15 et 16. Le 15 et le 16, nous essayâmes plusieurs fois de mettre sous voile : mais le peu de vent qui souffla presque toujours de la partie du Nord, et les courans contraires, nous forcèrent de laisser retomber l’ancre presque aussitôt qu’elle fut levée. Dans la nuit du 15 au 16, il devoit y avoir deux éclipses des satellites de Jupiter. MM. Rossel et de Bonvouloir allèrent à terre pour les observer : mais le temps, qui avoit été très-beau pendant tout le jour, s’obscurcit à l’entrée de la nuit ; le ciel se couvrit de nuages, et força les obser­vateurs à revenir à bord. On profita de ces deux jours pour envoyer jeter la seine dans la baie de l’Isthme ; et l’on en rapporta, chaque fois, une quantité considérable de grosses raies du poids d’environ cent livres, et d’autres petits poissons en assez grande abondance. L’Espérance pêcha une raie pesant deux cent soixante livres.

On vit, le 16, des naturels sur la côte orientale du canal, et assez près de la baie de l’Adventure. On alla les joindre dans l’après-midi : ils étoient au nombre de dix-huit, dont quatre enfans de douze à quinze ans, tous mâles. Ils furent trouvés, en général, d'une plus belle stature que ceux que nous venions de quitter, quoiqu’ils parussent être de la même race. Ils parloient le même langage, et ils comprirent une grand nombre de mots de notre vocabulaire : nous en profitâmes 1793.
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pour l’augmenter de plusieurs mots dont ils nous apprirent la signification.

L’explosion d’un coup de fusil causa à ces naturels un effroi que nous n’avions pas remarqué dans ceux avec lesquels nous avions communiqué précédemment. M. de Saint-Aignan étoit très-porté à croire que parmi ces hommes se trouvoient quelques-uns de ceux qu’il avoit vus en 1792. Il en jugea par divers signes qu’ils firent, et qui sembloient désigner la route que nos frégates avoient prises pour sortir du détroit.

17. Le 17,on mit à la voile pour la seconde fois de la journée, comptant sur le courant du flot : mais à peine fut-il sensible ; cependant le vent passa pour quelques momens au Sud-Ouest, et nous fit avancer de plus de deux lieues : on mouilla de nouveau à huit heures du soir. Il paroît que les vents qui se font sentir au large, ne pénètrent pas toujours dans ce canal, à en juger du moins par les brises légères et variables, et par les calmes que nous y éprouvâmes cette année.

18. Un nouvel appareillage nous mit, le 18, près de l’extré­mité du canal ; et c’est là où je voulois attendre le retour du canot commandé par M. Willaumez. La continuité des vents très-forts de Sud-Ouest, qui avoient soufflé pendant deux jours de suite, me donna de l’inquiétude pour cette embarcation, qui n’étoit partie qu’avec quatre jours de vivres. Nous étions au cinquième jour ; et les vents ne lui permettoient pas de revenir.

19. Je me décidai, le 19, à envoyer l’Espérance chercher un mouillage en dehors du canal, afin qu’elle pût détacher 1793.
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avec moins d’inconvéniens ses embarcations dans tous les golfes que le canot de LA RECHERCHE avoit eu ordre de visiter. Comme le lieu du rendez-vous que j’avois donné à M. WILLAUMEZ, étoit à la sortie du canal, je devois rester au mouillage pour l’attendre. L’ESPERANCE mit sous voile à cinq heures et demie ; et bientôt nous la perdîmes de vue : le canot aborda cette frégate à l’entrée de la nuit. Il étoit temps pour l’équipage d’arriver : ceux qui le composoient, étoient excédés de fatigue et transis de froid. M. HUON, et tout l’équi­page de L’ESPERANCE à son exemple, s’empressèrent de leur fournir tout ce dont ils commençoient à avoir le plus pressant besoin. M. HUON les retint à son bord ; mais il me détacha, sans délai, une embarcation pour m’annoncer leur retour. MM. WILLAUMEZ et BEAUTEMPS-BEAUPRE revinrent à bord de LA RECHERCHE le lendemain de fort bonne heure, Ils me rendirent compte du peu de succès qu’avoient eu leurs recherches pour trouver un passage entre les terres appelées par COOK îles Maria et celles qui sont au Nord ; mais ils m’annoncèrent la découverte d’un grand nombre de baies nouvelles et considérables qui s’étendoient dans le Nord jus­qu’au parallèle de 42° 42′ de latitude, et dans l’Est jusqu’au méridien du cap Pillar. Il semble que tous les abris de la Nouvelle-Hollande soient réunis dans les environs du cap Sud, à l’Est duquel on trouve une suite non interrompue de havres, de ports, de baies, qui forment un vaste abri de dix-huit lieues en latitude et de quatorze en longitude : je ne crois pas qu’il y ait, dans toute l’étendue du globe, un aussi grand nombre 1793.
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d’excellens mouillages réunis dans un aussi petit espace.

En sortant du canal, M. WILLAUMEZ fit route au Nord, et prolongea la côte qui lui restoit à bâbord. Il parvint à l’entrée d’un grand enfoncement, qu’il prit d’abord pour un bras de mer : il le remonta en suivant toujours la côte de bâbord, où il trouva une petite anse, au fond de laquelle se jette un ruisseau qui peut fournir une grande abondance de très-bonne eau. Avant d’arriver à cette anse, on trouva, au milieu du canal, quatorze et quinze brasses d’eau : ensuite, à mesure qu’on s’avançoit, le brassiage diminua ; et la sonde ne rapportoit plus que sept, six et quatre brasses. Le canot s’arrêta à environ quatre lieues en dedans de l’entrée, près d’un coude, au-delà duquel il fut facile de reconnoître que ce qui avoit été d’abord pris pour un bras de mer, etoit effectivement l’embouchure d’une rivière assez considérable. M. WILLAUMEZ sortit de cette rivière, que nous avons appelée rivière du Nord, en rangeant d’assez près la rive orientale, et vint visiter la double baie à l’entrée de laquelle il y a sept brasses et demie d’eau ; mais plus en dedans il ne trouva que quatre brasses.

Le canot côtoya ensuite la partie méridionale de la pres­qu’île du Nord, et passa entre l’île Willaumez et la terre. Lorsqu’il eut doublé la pointe des lacs, il se dirigea vers une baie profonde, qui, d’après sa position, pouvoit avoir communication avec la baie de Fréderik-Hendrikx, découverte par Tasman, et dans laquelle M. MARION avoit mouillé en 1772. Trois jours s’étoient écoulés depuis le 1793.
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départ de ce canot ; il ne lui restoit plus que pour un jour de vivres, lorsqu’il arriva à l’île Saint-Aignan. Cependant M. WILLAUMEZ profita de la bonne volonté que l’équi­page témoigna dans cette circonstance ; il diminua la ration de chaque homme, afin de pouvoir tenir la mer un jour de plus, et aller au fond de la baie dont nous venons de parler. Il parvint à la pointe Renard avant la chute du jour : mais alors le temps devint très-mauvais ; il fut obligé de chercher un abri derrière cette pointe, et de passer la nuit à terre. Le lendemain, lorsque le jour parut, on vit des terres dans l’Est qui firent d’abord soupçonner qu’il n’y avoit pas de passage dans cette partie : on ne pouvoit cependant rien assurer à cet égard, parce qu’elles étoient tellement hachées, qu’un canal auroit pu former des sinuosités au pied des montagnes qu’on voyoit dans l’éloignement, et échapper à la vue. Le mauvais temps empêcha M. WILLAUMEZ de s’avancer davantage ; il fit route pour venir rejoindre les frégates, et aborda L’ESPERANCE, comme je l’ai dit plus haut, le soir du cinquième jour écoulé après son départ.

Il est à remarquer que le seul endroit où il eût été pos­sible de trouver un passage, est sur le même parallèle que la pointe Renard, dont la latitude se trouve être de 42° 53′ 40″, c’est-à-dire, à-peu-près la même que celle du mouillage de M. MARION. On peut présumer, d’après cela, que s’il existe un canal, il doit communiquer avec la baie baie dans laquelle ce navigateur a relâché : dès-lors le bassin 1793.
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qu’il a pris pour un lac d’eau salée, pourrait bien n’être que la partie orientale du grand enfoncement que MM. WILLAUMEZ et BEAUTEMPS-BEAUPRE ont vu à l’Est de lapointe Renard. D’après des données aussi incertaines, nousne pouvons pas affirmer que la partie que nous avons appelée île d’Abel Tasman, tienne aux terres qui sont dans le Nord : mais nous croyons avoir acquis la certitude qu’elle ne peut en être séparée que par le canal indiqué dans le plan de M. MARION, ou bien par un autre canal qui serait à l’Est et sur le même parallèle que celui-ci ; à moins qu’on ne veuille adopter l’opinion peu vraisemblable, qu’il pourrait y avoir un autre canal entre la pointe Renard et le mouil­lage de M. MARION, lequel devrait remonter beaucoup au Nord, et irait aboutir à la mer, au-delà de l’île sur laquelle est située la baie aux Huîtres, où le capitaine COX a mouillé ; car les côtes de tous les autres golfes ont été visitées.

J’étois très-disposé à douter qu’il y eût une séparation, d’après la configuration des terres que nous apercevions à l’Est lorsque nous sortîmes, en 1792, du détroit que nous venions de découvrir. Il est à regretter que nous n’ayons pas pu aller assez loin cette année pour éclaircir ce doute ; mais il est au moins certain que M. MARION avoit raison de croire qu’il étoit mouillé dans la baie de Fréderik-Hendrikx de TASMAN, et que la baie aux Huîtres de COX est effec­tivement à la côte de l’île que TASMAN a nommée île Maria. Le capitaine COOK, qui est venu mouiller, en janvier 1777, 1793.
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dans la baie de l’Adventure, découverte quatre ans aupara­vant par le capitaine FURNEAUX, a conservé les noms que celui-ci avoit donnés aux caps et aux terres qui sont dans les environs de cette baie. Il appelle cap Fréderik-Henry la pointe septentrionale de la baie de l’Adventure, et nomme îles Maria les terres qu’il avoit vues à l’Est-Nord-Est de cette baie. Au reste, ces deux navigateurs ne purent s’aper­cevoir de l’erreur qu’ils avoient commise, parce qu’ils ne visitèrent pas la côte orientale de la partie que nous avons appelée île d’Abel Tasman. COOK fit route pour la Nouvelle-Zéelande, après avoir doublé le cap Pillar ; et FURNEAUX, après avoir dépassé ce cap, fut contraint, par des vents forcés, de prendre le large, et de se tenir à plus de quatre lieues des terres qui sont au Nord du même cap. Il n’est pas étonnant qu’à cette distance, la véritable île Maria lui ait paru tenir à la côte vis-à-vis de laquelle elle est placée, et qu’il se soit décidé à donner le nom d'îles Maria aux terres de l’île d’Abel Tasman, dont les montagnes sont assez dé­ coupées pour faire croire qu'elles sont séparées de la terre de Van-Diémen par plusieurs canaux. Sortie du canal situé à la partie méridionale de la terre de Van-Diémen, le 21 Février 1793. — Relâche à la baie de l'Adventure. — Reconnoissances des îles des Trois-Rois, de la partie septentrionale de la Nouvelle-Zéelande et des îles Kermadec. — Arrivée à Tongatabou le 23 Mars 1793.

Nous sortîmes du canal dans la matinée du 21 février ; 1793.
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nous comptions aller mouiller à la baie aux Huîtres, située à la côte de l’île Maria, pour remplacer l’eau qui avoit été 21. consommée depuis notre départ du port du Sud. Nous aurions pu nous en pourvoir dans le détroit même, s’il avoit été possible de prévoir que nous y serions retenus aussi long­ temps par le calme ; car, malgré la grande sécheresse qui avoit fait tarir une partie des sources très-abondantes que nous avions vues l’année précédente, un ou deux jours de travail auroient suffi pour nous en procurer dans plusieurs endroits de ce canal. Les vents de Sud-Est ne nous per­mirent pas de doubler le cap Pillar de toute la journée : nous louvoyâmes pendant la nuit ; et voyant, le lendemain 22. matin, que nous n’avions pas gagné au vent, je me décidai à faire route pour la baie de l’Adventure, où j’étois assuré de ne pas manquer d’eau, parce que cetoit dans cette même saison que les capitaines FURNEAUX et COOK y en avoient 1793.
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trouvé. Nous mouillâmes à onze heures et demie, par treize brasses d’eau, sur un fond de vase.

Dès l’instant que l’ancre fut au fond, nous mîmes une em­barcation à la mer pour aller reconnoître l’aiguade indiquée sur le plan du capitaine COOK ; mais les vents de Sud-Est qui battoient en côte, formoient sur la plage une barre qui en rendoit l’approche dangereuse : nous préférâmes faire notre eau à la côte méridionale de la baie, où il est beaucoup plus facile de se la procurer. Les ruisseaux et les sources qui se trouvent dans cette partie, ont fort peu de pente, et leurs eaux se mêlent, près du rivage, avec celles de la mer ; mais en remontant un peu dans l’intérieur, l’eau est très-bonne, quoiqu’elle conserve un léger goût de marécage. L’ESPERANCE fit son eau à l’aiguade du capitaine COOK, avec d’assez grandes difficultés, et en prenant beaucoup de pré­cautions ; car il est bien rare que la mer soit assez calme pour qu’on puisse aborder cette aiguade sans danger.

Je ne comptois rester que vingt-quatre heures à ce mouil­lage ; mais la continuité des vents d’Est et d’Est-Sud-Est, assez forts, et contraires à la route que nous devions suivre, m’engagea à ne pas aller battre inutilement la mer. Nous profitâmes de cette prolongation de séjour pour faire lever le plan de la baie de l'Adventure, afin d’en lier les points principaux au plan général du canal dans lequel nous avions passé deux fois. Le plan que nous donnons, a été rédigé d’après les relèvemens observés par M. JOUVENCY, géographe embarqué sur l’Espérance, et par M. BEAUTEMPS-BEAUPRE. M. 1793.
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JOUVENCY avoit mesuré plusieurs bases sur le terrain ; et les distances que l’on en a conclues entre les principaux lieux, se sont trouvées d’accord avec celles qui avoient été calculées d’après une base d’environ deux milles, mesurée au moyen d’un micromètre, et de deux mires placées à une petite distance l’une de l’autre.

Le soleil a été couvert pendant toute la durée des vents d’Est, et il n’a paru que quelques instans ; MM. ROSSEL et PIERSON en ont profité pour aller observer la hauteur 25. méri­dienne. Le 26, au jour, les vents passèrent au Nord : le 26. baromètre qui baissoit considérablement, me fit espérer qu’ils tourneroient vers l’Ouest, et nous nous disposâmes à mettre sous voile ; mais les vents ne tardèrent pas à revenir au Sud-Est. Lorsque je me vis forcé de renoncer à appareiller, je donnai ordre de visiter les câbles, et de les sortir de l’entre­-pont, où l’on avoit jugé devoir les placer afin de les mieux conserver ; aussi furent-ils trouvés dans le meilleur état. Le temps s’éclaircit dans l’après-midi ; le soleil reparut, et permit d’observer des angles horaires, qui ont servi à déterminer la longitude de ce mouillage d’après nos montres : plusieurs hauteurs méridiennes d’étoiles, prises pendant la nuit, ont fixé la latitude de la baie de l’Adventure.

Ce mouillage est beaucoup mieux fermé qu’on ne le jugeroit à la première inspection ; le plan très-exact que l’on en donne, doit le prouver avec certitude : il est vrai que dans ce plan, le cap Trobriand, appelé par COOK Fréderik-Henry, est beaucoup plus rapproché de l'île aux Pingouins qu’il ne 1793.
Février
l'est sur la carte du voyageur Anglois. Les relèvemens que nous avions observés l’année précédente en sortant du canal, avoient placé, en effet, ce même cap de plusieurs minutes au Sud de la latitude que COOK lui avoit assignée ; mais on n’avoit pas cru devoir se permettre alors de rien changer à un point déterminé par ce célèbre navigateur. Les observarions qui furent faites cette année, ne nous laissèrent plus de doute à cet égard. La baie de l’Adventure est parfaitement abritée ; la tenue en est très-bonne, et les navires n'y sont pas exposés directement à la mer du large : cependant les vents d'Est et de Sud-Est battent sur la côte occidentale et y élèvent une très-grosse mer qui refluant à la côte méridionale, forme une barre sur toutes les parties du rivage, et rend souvent assez difficile la communication avec la terre. Ce mouillage réunit d’ailleurs tous les avantages que l’on peut desirer pour une courte relâche : on est assuré d’y trouver de l’eau dans toutes les saisons ; le bois s’y fait avec une grande facilité ; la pêche y est extraordinairement abondante, ainsi que dans le détroit, mais sur-tout celle de nuit et au flambeau. L’équipage de l’ESPERANCE, qui avoit trouvé ce moyen de pêcher avant celui de LA RECHERCHE, s’est approvisionné pour trois mois en poissons secs ou salés.

On trouva près du rivage quelques traces d'étabiissemens passagers faits par les Anglois, tels qu’un très-grand creux pour scier du bois, des montans de tente, plusieurs piédestaux en bois, destinés à placer des instrumens pour 1793.
Février
faire des observations astronomiques ou trigonométriques.

Nous retrouvâmes les inscriptions que le capitaine BLIGHT avoit fait graver sur des arbres, pour indiquer des planta­tions qu’il avoit faites dans cette baie. La première que l’on découvrit, fut celle des arbres fruitiers : de sept arbres annoncés dans l’inscription, nous n’en vîmes d’abord qu’un seul. J’envoyai M. LAHAYE, jardinier botaniste, pour reconnoître l’état dans lequel étoient les autres : son rapport fut qu’il existoit deux grenadiers, un coignassier et trois figuiers. Les jets de ces arbres avoient un pouce de long, et paroissoient assez vigoureux ; mais les arbres eux-mêmes lui pa­rurent fort petits, probablement parce qu’ils étoient étouffés par les fougères dont ils étoient environnés : il les en déga­gea, en remuant la terre autour de leur pied. Une autre inscription annonçoit du cresson d’eau ; mais il n’avoit pas réussi, car on n’en trouva pas de vestige. Une troisième inscription fut vue la veille de notre départ par une seule personne qui, ne sachant pas l’anglois, eut l’attention de la copier : elle nous apprit que le capitaine BLIGHT avoit aussi planté des choux. Il est à craindre que ces légumes n’aient pas mieux réussi que le cresson, parce que celui qui vit cette nouvelle inscription, sans l’entendre, se doutant néan­moins qu4elle devoit avoir le même objet que les deux autres, chercha avec un très-grand soin, aux environs du lieu où elle avoit été placée, et ne découvrit aucune plante de nos contrées. On trouva sur la côte orientale de la Baie de l'Adventure, un pommier de cinq pieds et demi de haut, qui doit avoir été planté plusieurs années avant le passage du capitaine BLIGHT ; il étoit languissant, et ne promettoit pas devoir vivre long-temps.

Du haut de l’île aux Pingouins, on découvrit une partie du détroit, par-dessus les terres basses qui séparent la baie de l'Isthme de celle de l'Adventure : il se présente de là comme une prolongation de la baie qui est nommée baie de Fréderik-Henry sur la carte du capitaine FURNEAUX.

On n’aperçut aucune trace récente du séjour des naturels dans cette baie ; il est assez vraisemblable qu’ils l'ont aban­donnée, depuis qu'elle a été visitée plusieurs fois par des navires étrangers. Dix-huit hauteurs d’étoiles, prises près du méridien, sur la pointe de l’observatoire, ont donné, pour la latitude de cette pointe, 43° 21’ 29" australe. La longitude de cette même pointe, conclue d’après la montre n.° 14, est de 145° 0’ 13" orientale ; mais d’après la chaîne de triangles qui a servi à placer sur les cartes les points principaux du détroit, la longitude qui doit être adoptée est de 145° 3’ 40" : la déclinaison de 1'aiguille aimantée, observée à bord de la frégate, étoit de 7° 20’ du Nord à l’Est.

Le temps a été en général assez sombre pendant notre dernier séjour à la terre de Van-Diémen ; les beaux jours ont été beaucoup plus rares dans cette saison que l’année dernière au commencement de l’hiver : aussi le nombre des des observations astronomiques que nous avons faites cette 1793.
Février
année, n'est-il pas très-considérable. Les vents ont été très variables, et la température très-changeante : le thermo­mètre étoit assez communément à 10° vers six heures du matin ; il est même descendu jusqua 6° : il montoit, dans la journée, à 20 et 23°.

S’il étoit permis de prononcer, d’après une seule expérience, sur l’espèce de temps qui a lieu à la terre de Van-Diémen pendant l’été, nous serions autorisés à ne pas en donner une idée favorable. Peut-être faut-il attribuer le froid qu’on y éprouve dans la matinée, aux vents de la partie du Sud, qui régnent presque continuellement pendant que le soleil est dans l’hémisphère austral : en effet ces vents passent sur des glaces qui ne fondent jamais ; et les vapeurs dont ils se chargent, doivent rendre le temps nébuleux et très-froid lorsque le soleil n’est que depuis peu de temps sur l’horizon.

La côte de la baie de l’Adventure, sur laquelle on est descendu en plusieurs endroits, offre un aspect plus riant que la côte du continent. Le pays est moins fourré, et il est moins pénible d’y marcher que par-tout ailleurs : la terre y semble meilleure et plus susceptible de culture ; elle est peuplée d’un grand nombre d’oiseaux, et l’on y a vu aussi plusieurs kangourous. Mais, de tous les aspects, le plus pittoresque et tout-à-la-fois le plus sauvage, c’est celui de l’extrémité méridionalede l’île d’Abel-Tasman, ou le cap Pillar, que nous avions vu en 1792. Les divers points de vue de cette partie de côte sont parfaitement bien rendus dans les dessins de M. PIRON. La carte qui comprend les côtes de la terre de Van-Diémen, 1793.
Février
depuis le cap Sud-Ouest jusqu’au cap Pillar, a été refaite en entier. Nous avons déterminé les positions des points principaux par des relèvemens astronomiques, sans avoir employé les relèvemens faits à la boussole. Ces nou­velles positions différoient si peu des anciennes, qu'elles ont dû nous inspirer la plus grande confiance dans le travail de M. BEAUTEMPS-BEAUPRE. Les différences les plus consi­dérables, et qui ne sont cependant que d’une petite quantité, ont été produites par les changemens que l’on a été forcé de faire subir à la latitude de l'île aux Pingouins et à celle du cap Trobriand, qui avoient été regardées comme certaines l’année précédente, et dont une détermination plus exacte a fait connoître l’erreur. D’après la seconde carte, sur l’exac­titude de laquelle nous avons lieu de compter,- il paroît que la variation diurne de la montre n.° 14 n’avoit pas changé, du moins sensiblement, depuis l’époque des der­nières observations que nous avions faites au port du Sud, et dans un intervalle de dix-sept jours ; puisque la longitude de l'île aux Pingouins, conclue d’après cette montre, n’a différé que de 3’ 27" de celle qui avoit été obtenue par des opérations trigonométriques.

Nous avons déposé à la côte de l’extrémité septentrionale du détroit, une chèvre pleine et un jeune bouc ; ce lieu nous a paru moins fréquenté par les naturels, et plus propre dès-lors à la multiplication de cette espèce d’animaux. En 1792, nous avions laissé au port du Nord un autre bouc avec une chèvre. Peut-être, de ces deux couples, en échappera-t-il 1793.
Février
quelqu’un à la vue et à la poursuite des naturels, qui, ne connoissant pas tous les avantages qu’ils pourroient en retirer dans la suite, et cédant au besoin toujours pressant de la faim, ne leur laisseraient pas le temps de se propager.

Il y a lieu de croire que le couple de cochons laissé à la baie de l’Adventure par le capitaine COOK, n’a pas pros­péré, puisqu’on n’en a aperçu aucune trace, soit qu’ils y aient péri naturellement, ou qu’ils aient été détruits par les habitans qui ne sont pas encore assez avancés dans la civilisation pour connoître le prix d’un pareil don. Ces hommes, accoutumés à ne chercher leur subsistance qu’au moment où ils éprouvent le besoin de la faim, ne peuvent imaginer de se la procurer par des moyens dont leur ma­nière de vivre semble devoir éloigner d’eux l’idée. Il est à regretter que les Européens ne puissent pas leur faire sentir l’utilité des présens qu’ils font à leur contrée ; car ces naturels donnent, à d’autres égards, des marques de prévoyance qui peuvent faire présumer qu’ils ne négli­geraient pas de profiter des avantages qu’on voudrait leur procurer, s’il étoit possible de les leur faire connoître. En effet, il paraît très-vraisemblable que le feu qu’ils mettent aux arbres et aux arbustes de petite dimension qui ne peuvent leur servir d’abri, a pour objet, en les faisant mourir, de les laisser ainsi se dessécher jusqu’à l’époque de leur retour. Ces hordes errantes, qui ne font nulle part de long séjour, ont besoin de trouver promptement, dans les lieux où ils s'arrêtent, tout ce qui leur est nécessaire ; 1793.
Février
et les feux destinés à cuire leurs alimens, ainsi que ceux qu’ils allument pour sécher leurs femmes au sortir de l’eau, exigent l’emploi d’un bois facile à allumer. Aussi la terre est-elle couverte et embarrassée d’arbres abattus qui rendent les courses dans ce pays très-pénibles, et qui offrent partout l’image de la destruction. Néanmoins les arbres ren­versés, tombant promptement en pourriture, fertilisent cette terre sablonneuse, qui, sans engrais, seroit moins propre à la végétation.

Le 27 février, les vents soufflant du Sud au Sud-Sud-Ouest, nous nous disposâmes à 27. mettre sous voile : les rafales étoient si fortes qu'elles nous firent craindre de ne pouvoir arriver à pic de nos ancres. L’ancre du bossoir, qui devoit être levée la première, chassa à vingt-cinq brasses : il y avoit bien moins à compter sur celle de détroit ; cependant elle tint ferme, moyennant la précaution que l’on eut de cesser de virer pendant la durée des plus fortes rafales. Nous mîmes sous voile avant huit heures : la route fut dirigée sur le cap Pillar, que nous doublâmes à une heure après midi ; ensuite nous prolongeâmes la côte orientale de l’île d’Abel-Tasman jusqu’à la baie où je supposois que M. MARION avoit mouillé : il ne fut pas possible de la méconnoître, soit par la direction que prend la côte aux approches de cette baie, soit par le rocher qui est au Nord du cap Fréderik-Hendrikx. Nous reconnûmes aussi et nous relevâmes au Nord-Est 1/4 Est l’île Maria, où le capitaine COX avoit mouillé. Dès qu’il ne me resta plus d’incertitude sur la position de 1793.
Février
la baie de Marion, je fis prendre les amures à tribord ; et je signalai la route à l’Est, pour doubler l’île Maria et nous éloigner de terre.

Les vents du Sud au Sud-Ouest, qui souffloient alors bon frais, m’inspirèrent le désir de prolonger la côte orientale de la terre de Van-Diémen jusqu’au cap Hicks : j’aurois voulu vérifier s’il existe un détroit dans le Sud de ce cap, ainsi que j’en avois eu l’idée pendant la traversée de la terre de Nuitz au port du Sud, d’après les courans violens que nous avions éprouvés entre les parallèles du trente-deuxième degré de latitude australe et du trente-sixième degré. Mais nous étions éloignés, depuis trop long-temps, des parages où nous pouvions avoir l’espérance de trouver des traces de M. DE LA Pérouse, pour nous arrêter à faire une reconnoissance que j’aurois été obligé de laisser incomplète, en supposant même qu'elle eût été accompagnée de quelque succès.

Notre trajet de la baie de l’Adventure à la Nouvelle-Zéelande n’offre rien de remarquable ; c’est la première traversée pendant laquelle nous n’ayons pas éprouvé de contrariété.

Le 10 mars, à 1'entrée de la nuit, la longitude conclue Mars.
10
par la montre n.° 14, nous plaçoit sur le méridien des îles des Trois-Rois ; on ne les avoit cependant pas encore vues : le temps étoit, il est vrai, extraordinairement sombre, et l’ho­rizon très-épais. Nous passâmes la nuit en travers ; et, le 11 mars, à la pointe du jour, le ciel s’étant un peu éclairci, 11. nous aperçûmes les îles des Trois-Rois dans l’Est-Nord-Est, à 1793.
Mars
environ trois lieues de distance. Lorsque nous en eûmes connoissance, elles parurent confondues en une seule île : ce n’est que lorsque nous relevâmes le groupe au Nord, que nous pûmes distinguer trois petites îles, qui occupent un espace de six milles à-peu-près sur le même parallèle. Le canal qui sépare l’île la plus occidentale, qui est la plus petite, d’avec celle du milieu, est fermé par des rochers placés à de très-petites distances les uns des autres. Le canal qui est entre l’île du milieu et la plus orientale des trois îles, nous parut libre. Cette dernière île, quoique très-petite, est cependant plus étendue que les deux autres : elle est aussi beaucoup plus élevée dans son milieu ; mais le rivage est bordé de rochers escarpés et très-arides : nous y vîmes cependant de la fumée, qui nous fit présumer qu’elle étoit habitée.

Après avoir doublé les îles des Trois-Rois, nous eûmes connoissance d’une partie de l’extrémité septentrionale de la Nouvelle-Zéelande, que nous jugeâmes devoir être le cap Maria Van-Diémen de TASMAN. Je fis alors diriger la route à l’Est-Sud-Est, pour prendre connoissance du cap Nord, et déterminer sa position en longitude. La plus orientale des îles des Trois-Rois est par 34° 13’ 10" de latitude australe, et par 169° 49’ 45" de longitude orientale d’après la montre n.° 14. Le cap Nord de la Nouvelle-Zéelande est plus Est que cette île, de 51’ 30" ; ainsi sa longitude doit être de 17° 41’ 15" orientale. La longitude du même cap, prise dans le volume des observations du premier voyage de 1793.
Mars
Cook, publié par M. WALES, est de 170° 58’ 35", et diffère de la nôtre de 17’ 20". Mais comme ce célèbre navi­gateur n’avoit pas de montres marines pendant son premier voyage, cette différence ne doit pas paraître considérable.

Pendant que nous prolongions cette partie de la Nouvelle-Zéelande, nous vîmes des pirogues qui venoient vers nous. Je fis diminuer de voiles pour les attendre ; et elles nous joignirent assez promptement. Les hommes qui les montoient ne firent aucune difficulté de s’approcher : mais, comme ils abordèrent de l’arrière de la frégate, et que l’on serait porté en foule sur la dunette, soit pour les voir, soit pour entrer en marché avec eux, ils restèrent dans leurs embarcations. Je crois qu’ils seraient montés à bord, si le grand nombre de curieux ne les avoit effrayés : au reste une entrevue avec eux ne pouvoir rien avoir d’intéressant ; les naturels de ces îles ont été visités si souvent, leurs usages et leurs mœurs sont si bien connus et décrits, qu’il aurait été difficile de rien ajouter à ce qui en a été dit. Ils sont moins noirs que les habitans de la terre de Van-Diémen ; leurs membres sont plus musculeux et leur taille plus élevée : mais leur phy­sionomie annonce beaucoup moins de bonté ; elle a même quelque chose de sombre et de farouche. Il paraît cependant qu’ils ne sont pas portés à la défiance, puisque, ne connoissant pas nos dispositions à leur égard, ils n’ont pas craint de venir à la rencontre de nos bâtimens, qui se trouvoient 1793.
Mars
à quelque distance de la côte.

On entra en marché avec eux : ils avoient du poisson, des nattes ; des armes, telles que des javelots, des lances, dont une avoit seize pieds de longueur, un casse-tête d’une pierre dure et parfaitement polie ; des hameçons de toutes les gran­deurs, faits de coquilles et d’os d’animaux, des lignes de pêche, faites avec le lin de la Nouvelle-Zéelande, et beaucoup mieux tressées que nos cordonnets les plus fins. Ils étoient enveloppés depuis la ceinture jusqu’aux pieds, par une espèce de couverture très-grossière : les extrémités des feuilles qui servent à la fabriquer, sortent en dehors du tissu, et s’appliquent sur l’étoffe même, qu'elles rendent très-épaisse et très-pesante. On leur donna des haches, des clous et quelques morceaux d’étoffe. Ils ont paru faire plus de cas du fer travaillé que des autres objets.

Leur parure consistoit en plumes dont ils ornent leurs cheveux, et en colliers faits de différens os d’animaux. Ils cédèrent quelques-uns de leurs colliers, et l’on reconnut avec horreur que des os humains en faisoient partie. Pour faire connoître à l’un d’eux l’usage des couteaux, quelqu’un fit semblant de se couper le doigt, et le porta à la bouche en feignant de le manger : ce signe parut faire un grand plaisir à ce sau­vage féroce, et il manifesta sa joie en se frottant les mains et en riant de tout son cœur, Tous les échanges, au reste, se firent avec beaucoup de bonne foi. Ils restèrent près de nous jusqu’à la nuit.

L’ESPERANCE
L’ESPERANCE étoit alors assez éloignée pour n’etre plus 1793.
Mars

aperçue : on brûla des amorces, afin de lui faire connoître notre position. La lumière de ces amorces ne les épouvanta pas, comme je l’avois craint : cependant ils se retirèrent peu après ; mais ce n’est pas, je pense, parce qu’ils avoient eu de la frayeur : une de leurs pirogues avoit été endommagée en se heurtant contre la frégate, et c’est ce qui vraisemblablement les engagea à retourner à terre.

Dès que nous eûmes quitté le cap Nord, je fis gouverner de manière à nous rendre à l’île de Tongatabou, sans nous exposer à tomber sous le vent de cette île, et en évitant de suivre une route déjà tracée. Nous fûmes favorisés par les vents : le 15 mars, étant par 31° 41′ de latitude australe et 15. par 178° 32′ de longitude orientale, nous découvrîmes un rocher fort élevé et très-acore, près duquel nous passâmes à sept heures du soir. Il étoit d’une si petite étendue, et nous en étions si près lorsque nous le doublâmes, que, dans l’es­pace de cinq minutes, il fut relevé successivement au Nord-Est, au Nord et à l’Ouest. L’élévation de ce rocher isolé lerend peu dangereux ; il faudrait que la nuit fût très-obscure pour en dérober la vue avant qu’on eût pu l’éviter. Nous rap­pelâmes rocher de L’Espérance ; il est par 31° 27′ 30″ de lati­tude australe, et par 178° 45′ de longitude orientale.

Le lendemain 16 mars, à la pointe du jour, on vit, à 16. l’Ouest 2° 4′ Nord, un second rocher un peu plus considérable que celui qui avoit été aperçu la veille. Nous croyons que c’est le même qui se trouve dans les cartes Angloises, sous le nom d’île Curtis. On aperçut presque aussitôt, 1793.
Mars
dans l’Ouest 69° 4’ Nord, un îlot qui, dans les mêmes cartes, est appelé île Macaulay. Je fis diriger la route au Nord-Nord-Ouest, pour nous rapprocher de ce dernier îlot, dont nous passâmes assez près pour reconnoître qu’il est bordé de rochers escarpés, recouverts, d’espace en espace, par une verdure languissante. On voyoit au milieu du même îlot plusieurs bouquets d’arbres. L’île Curtis est située par 30° 36’ 15" de latitude australe, et par 178° 8’ 30" de longitude orientale ; la latitude de l’île Macaulay est de 30° 16’, et sa longitude de 179° 8’ 3".

Le soir de ce même jour, à l’instant du coucher du soleil, on crut voir dans le Nord une seconde île d’une assez grande étendue : elle fut aperçue d’abord par M. RAOUL ; plusieurs personnes montèrent au haut des mâts pour vérifier l’exis­tence de cette île, et crurent en effet l’apercevoir. Nous passâmes la nuit à la cape ; et nous revîmes la même île le 17, à la pointe du jour : elle fut appelée île Raoul, du 17. nom de celui qui l’avoit découverte. C’est à plus de quinze lieues de distance qu'elle avoit été aperçue la veille ; car, malgré la dérive, qui par des vents de Sud avoit dû nous en approcher, nous en étions encore, au jour, à onze ou douze lieues.

L’île Raoul est formée par une montagne élevée et très escarpée, qui est couverte de bois : en l'approchant, nous remarquâmes, près de la pointe orientale, des rochers et des îlots qui paroissoient s’étendre à plus d’un mille et demi au large. Je fis gouverner sur la pointe la plus Ouest, près de laquelle nous rencontrâmes un haut-fond, qui ne s’étend 1793.
Mars
pas à plus de trois encablures du rivage, et qui nous força de venir de plusieurs rumbs sur bâbord. Ensuite nous revînmes jusqu’au Nord-Est, pour prolonger, autant qu’il étoit possible, la côte septentrionale. Cette île est de forme triangulaire, et n’a pas plus de quatre lieues de tour. Nous la côtoyâmes d’assez près pour reconnoître qu’elle n’offroit aucun abri ni aucun mouillage : ses bords escarpés sont battus par une lame très forte, qui en rend l’approche dangereuse pour des canots. La pointe Nord-Ouest de l’île Raoul est par 29° 16’ 45" de latitude australe, et par 179° 35’ 40" de longitude orientale.

Le 22, à deux heures après midi, on vit l’île Eoa : nous 22. nous en approchâmes ; et, à l’entrée de la nuit, nous vînmes en travers pour courir de petites bordées. Le 23 mars, au 23. point du jour, je fis diriger la route pour longer la côte orientale de cette île : nous rangeâmes ensuite de très-près

la pointe orientale de Tongatabou. Il est extrêmement important de suivre le ressif dont cette dernière île est bordée, afin de ne pas dépasser l’entrée du havre, qui est formée par l’interruption de ce même ressif, et qui est si étroite, que l’on a de la peine à la reconnoître quand on vient du large. La route tracée sur la carte, fera mieux connoître la direction qu’il faut suivre, que toutes les explications que l’on pourroit donner.
CHAPITRE XIII.

Séjour dans le havre de Tongatabou, du 23 Mars au 9 Avril 1793. - Récit des principaux événemens arrivés pendant cette relâche.


Nous mouillâmes dans le havre de Tongatabou, à midi 1793.
Mars
trois quarts. Ce fut un spectacle vraiment curieux que de voir la multitude de pirogues qui parurent tout-à-coup sur 23. la mer, en dedans des ressifs, au moment où nous donnâmes dans l’entrée. Le nombre s’en étoit accru à mesure que nous avancions ; elles sortoient par tous les interstices, et bientôt nous en fûmes environnés : quelques-unes étoient en avant des frégates, et paroissoient nous marquer la route qu’il falloir suivre ; d’autres sembloient placées sur les pointes des brisans pour nous servir de balises. Nous ne pûmes croire à des atten­tions aussi désintéressées, avant de connoître les habitans de l’île ; mais, après les avoir vus de plus près, nous eûmes lieu de juger que, s’ils sont obligeans, c’est toujours avec l’assurance de recevoir la récompense de leurs services.

Dès que nous fûmes dans le havre, nous le vîmes entièrement couvert de pirogues, grandes et petites, et nous en fûmes assaillis de toutes parts ; de prétendus chefs montèrent à bord, et furent suivis par une multitude d'hommes qui sembloient leur appartenir : quelque fatigante que fut cette Cohue, il fallut bien la supporter, en attendant que nous 1793.
Mars
eussions pu nous établir à terre. On acheta, dans ce premier moment, quelques cochons et quelques fruits.

M. DAURIBEAU descendit sur l’île de Panghaimodou, et alla, dans la soirée, reconnoître le lieu le plus propre pour faire les échanges, et pour dresser les tentes astronomiques, ainsi que celles où l’on devoit faire les salaisons. Cette petite île dont nous étions fort près, nous parut plus favorable à ces établissemens que la pointe de l’observatoire du capitaine COOK, où l’on ne peut pas d’ailleurs aborder dans tous les temps. Un tel inconvénient me parut très-grave dans ces pays, ou les dispositions des habitans doivent toujours être regardées comme très-suspectes, et où conséquemment la communi­cation avec les vaisseaux ne doit jamais être interceptée un seul instant. M. DAURIBEAU traça l’enceinte qui devoit renfermer les quatre tentes ; et les dispositions furent faites pour les monter le lendemain, à la pointe du jour.

Comme il ne devoit y avoir qu’un seul marché pour les deux frégates, je chargeai un officier de diriger les échanges ; et je lui donnai, de chaque bâtiment, un bas-officier des troupes de la marine, pour maintenir l’ordre. M. DE LA GRANDIERE, lieutenant à bord de l’ESPERANCE, me parut le plus propre à conduire cette opération délicate, qui demandoit autant de prudence que de fermeté. Le 24, 24. dès que les tentes furent établies, je fis défendre de faire aucun marché à bord des frégates ; et il ne fut permis d'acheter à terre que des comestibles, jusqu’à ce qu’on eût pu se procurer une quantité suffisante de ces objets de 1793.
Mars
première nécessité.

On avoit aperçu, dans le centre de l’île Panghaimodou, un lieu où étoient creusés plusieurs trous qui fournissoient de l'eau médiocrement bonne. Moyennant quelques baga­telles, on obtint du propriétaire la liberté d’en faire dans ce même lieu. On creusa tout l’espace où étoient contenues ces petites sources ; ce qui forma un réservoir assez grand pour remplir nos barils. Nous fîmes marché avec quelques uns des insulaires pour le transport de l’eau, et ils s’y prêtèrent volontiers : mais, peu accoutumés à porter sur leurs épaules des poids aussi considérables que des barils de galère pleins, ils furent blessés sur-tout par les cercles de fer qui resserrent ces barils ; et il fallut renoncer à ce moyen. L’ESPERANCE avoit une charrette dont on n’avoit pas encore fait usage : le sol de cette île, assez égal, permettoit de s’en servir ; elle fut montée : ce spectacle, très-nouveau pour les habitans de Tongatabou, les amusa beaucoup, et facilita le marché que l’on fit avec eux pour la traîner ; un grain de verre, donné à chaque homme par voyage, nous dispensa d’y employer nos gens.

Le marché fut ouvert le 25 mars : il étoit abondamment 25. pourvu en cochons, figues-bananes, ignames et cocos. On se procura une assez grande quantité de cochons pour la consommation journalière des frégates, et pour les salaisons, auxquelles on travailla dès ce même jour. Ce fut M. RENARD, chirurgien-major de LA RECHERCHE, que je chargeai de diriger cette opération. Les échanges se firent avec une 1793.
Mars
très-grande tranquillité dans la matinée ; mais, malgré ce calme apparent, on avoit remarqué que les gens armés, soit qu’ils le fussent dans la vue de trafiquer de leurs armes ou dans des desseins hostiles, étoient plus turbulens que les marchands d’autres objets : ils étoient placés parmi ceux-ci ; et nous avions de la peine à les contenir hors des limites qu’on avoit tracées sur le terrain. Le tumulte augmenta le soir, et nous sembla d’un mauvais augure : il nous détermina à prendre des précautions dont il sera parlé plus bas, et que l’événement a prouvées être très-nécessaires. Il nous fut impossible de connoître si ces hommes turbulens étoient de la classe des guerriers ou de celle des chefs, ou bien si le nombre n’en étoit composé que d’une masse de gens sans aveu et sans propriété.

Dans cette même soirée on crut devoir leur inspirer de la crainte, en leur faisant connoître l’usage de nos armes à feu : deux oiseaux furent attachés à un arbre assez éloigné, et un des meilleurs tireurs se présenta, comme assuré de les abattre du premier coup ; mais il les manqua deux fois. Une seconde personne renouvela le même essai ; son fusil ne partit pas. Des risées s’élevèrent de tous côtés, mais plus encore de celui des gens armés ; un d’eux tendit son arc, et abattit un de ces oiseaux. Cet acte d’adresse eut des applaudissemens sans nombre, et contrasta d’une manière fâcheuse avec le peu de succès de nos premières tentatives. Une troisième personne se présenta, et tua le second oiseau : mais la première impression étoit faite ; et l'on remarqua que la confiance de 1793.
Mars
ces gens en leur propre force étoit augmentée, et que la crainte de nos armes à feu étoit extrêmement affoiblie. L’air insultant que l’on aperçut en eux, me fit juger que nos moyens de défense étoient trop foibles, et qu’il failoit qu’une des deux frégates se rapprochât sans délai de l’île Panghaimodou, afin de les intimider par la vue de notre artillerie. L’ESPERANCE étendit tout de suite une touée de quatre grelins, sur laquelle elle se hala, et se mit dans la nuit même à une très-petite portée de mitrailles, du lieu où étoient établies les tentes.

La nuit fut sombre et pluvieuse : à quatre heures du matin, 26. des coups de fusil partirent du camp ; on y répondit en même temps du bord de l’EESPERANCE, laquelle mit un feu au grand mât. Ce signal d’alarme me décida à me rendre en diligence à bord de cette frégate, pour en connoître la cause, et de là à terre, pour prendre le parti le plus convenable. J’appris qu’une de nos sentinelles avoit été assommée d’un coup de massue, dont la violence avoit été heureuxsement amortie par son casque. Elle avoit eu la force en tombant de donner l’alarme ; mais son fusil avoit été enlevé. On me dit qu'à l'instant même on s’étoit mis sous les armes, et qu’on avoit demandé du secours à l’ESPERANCE. D’après les dispositions que la multitude dont on étoit environné la veille, avoit montrées, on avoit craint qu’ils n’eussent formé le projet d’une attaque générale : mais, dès qu’ils virent que l’on s’étoit rassemblé, ils n’osèrent plus se porter à aucun acte acte d’hostilité. Ces hommes mal-intentionnés furent contenus, sans doute, par la 1793.
Mars
promptitude avec laquelle tout le camp se trouva en armes et en état de les repousser. Je mis pied à terre au moment où le jour commençoit à per­mettre de distinguer les objets : la tranquillité paroissoit être rétablie ; mais j’aperçus néanmoins qu’il y avoit de la fermentation du côté où étoient les gens armés : on voulut les forcer à s’éloigner ; ils s’y refusèrent. Ils agitoient leurs massues et leurs lances avec un air d'insulte qu’il eût été peut-être nécessaire de réprimer ; mais je ne voulois pas encore employer les moyens de rigueur. Aucun chef n’avoit paru : dès la veille, les principaux d'entre eux s'étoient retirés d’assez bonne heure, instruits vraisemblablement des projets de cette populace, qu’ils n'avoient ni les moyens ni la vo­lonté de contenir.

D’après l’événement qui avoit eu lieu pendant la nuit, il ne nous restoit que deux partis à prendre pour nous mettre en sûreté contre les attaques de ces insulaires ; celui de nous retrancher dans une enceinte fortifiée et entourée d’un fossé, d’où l’on auroit pu repousser par la force toute entreprise de leur part ; ou bien celui de nous résoudre à ne laisser sub­sister à terre aucun établissement fixe, et nous borner à faire des échanges pendant le jour, et à revenir à bord avant la nuit. La construction d’un retranchement devoit exiger un temps considérable, et pouvoit d'ailleurs occasionner de nouveaux actes d’hostilité, que je voulois éviter. Le dernier parti me parut préférable, et ce fut celui auquel je m’arrêtai. Je fis successivement démonter les tentes qui avoient été 1793.
Mars
dressées la veille. Comme on commençoit à exécuter les ordres que j’avois donnés, deux prétendus chefs se présentèrent : ils eurent, dans le premier instant, l’air d’en imposer à la multitude et de l'écarter ; et ils me firent les plus vives ins­tances pour conserver notre établissement. J’exigeai pour condition, que l’assassin de la sentinelle seroit remis entre nos mains, dans la matinée même, et que le fusil nous seroit rendu. Cependant, comme, de leur part, tout se passoit en promesses et que rien ne s’effectuoit, je donnai l’ordre de continuer à enlever tous les effets. Plusieurs voyages des deux chaloupes furent nécessaires pour achever le transport des objets qui avoient été déposés à terre. A trois heures de l’après-midi, la chaloupe qui avoit fait le dernier voyage, se rendit à bord. La garde avoit été sous les armes pendant toute cette opération, afin d’empêcher que les naturels n’y missent obstacle : mais il n’y eut de leur part aucun mouve­ment. La plus grande partie des habitans parurent affligés de la mésintelligence qui avoit fait suspendre les échanges dont ils étoient plus avides que nous, quoique nous en eussions plus besoin qu’eux. Un chef que nous n’avions pas encore vu, parut ce même jour ; il apporta une pièce immense d'étoffé pour le soldat qui avoit été blessé. Ce présent de peu de prix en valut à ce chef de beaucoup plus considérables ; il avoit été, me disoit-on, annoncé dès la veille, et lui-même annonçoit le grand chef des îles des Amis pour le jour suivant : mais j’avoue que je ne comptois guère sur la vérité de cette annonce, qui me parut d’abord n’avoir été 1793.
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faite que pour obtenir des présens d’une plus grande valeur. En effet, parmi les personnages de quelque importance qui nous avoient visités, le dernier venu fut toujours désigné comme étant revêtu de la plus grande autorité : mais je me trompois cette fois ; j’aurai bientôt occasion de rendre compte de la visite que le souverain de ces îles nous fit le lendemain.

Il n’y eut point de marché le 27 ; je fis écarter 27. soigneusement toutes les pirogues dont les frégates furent envi­ronnées dès la pointe du jour. Cette suspension d’échanges me parut être d’un très-bon effet ; et je pense que c’est un des meilleurs moyens que l’on puisse employer pour forcer les chefs à maintenir l’ordre, parce qu’étant, peut-être, les seuls propriétaires, ils ont le plus grand intérêt à entretenir un commerce dont ils retirent tout l’avantage. Ce même jour, le grand chef de l’île, accompagné de plusieurs personnes de sa suite, et de quelques-uns des chefs que nous avions vus les jours précédens, vint à bord, menant avec lui l’homme qui avoit frappé la sentinelle : cet homme étoit garroté, et avoit déjà reçu deux ou trois coups de massue, dont il étoit grièvement blessé. Un des chefs, nommé FEINOU, que nous crûmes être celui qui avoit eu des liaisons particulières avec le capitaine COOK, proposa de le tuer en notre présence ; mais je rejetai avec horreur une pareille proposition, que je jugeai ne devoir pas être feinte, d’après la manière dont il avoit été maltraité. Je déclarai que je ne voulois autre chose que le faire châtier à bord de la frégate par quelques coups de corde ; ce qui fut exécuté 1793.
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à l’instant. FEINOU ou parut de nouveau vouloir l'assommer ; mais on le retint. Je fis venir ensuite le soldat canonnier, nommé Dupont, qui avoit été blessé, afin que lui-même demandât la grâce du coupable et obtînt sa liberté. Mais comme le naturel étoit toujours menacé par Feinou, je crus devoir le faire mener à bord de l’ESPERANCE, pour le dérober à la vue de ce chef ; et je fis recommander de ne le mettre à terre sur l’île Panghaimodou qu’à la nuit close. Il paroît que ce malheureux homme n’étoit pas sans inquiétude : car, aussitôt qu’il fut débarqué, il demanda de quel côté FEINOU étoit allé ; et ayant appris qu’il étoit encore dans l’île, il se glissa le long de la grève en se tenant courbé, sans oser pénétrer dans l’intérieur.

La réparation que je venois d’obtenir, m’inspira quelque confiance, et me fit espérer que la bonne intelligence ne seroit plus troublée. Je fis au chef principal des présens qui parurent lui être très-agréables ; j’en fis aussi aux chefs inférieurs. J’engageai le premier à dîner avec moi ; ce fut une exclusion pour tous les autres, ainsi que j’aurai occasion de l'expliquer plus bas, en parlant des usages de ce peuple. Je me borne, à présent, au récit des faits principaux, sans y mêler des objets qui doivent être traités ailleurs.

Dans le nombre des cadeaux qui furent faits au chef principal qui étoit d'un âge très-avancé, celui d'une serinette lui fit le plus grand plaisir ; il parut redescendre à l'âge de la première enfance, par la satisfaction qu'il manifesta, ainsi 1793.
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que par le désir de faire jouer sans cesse ce frêle instrument dont il ne voulut pas se dessaisir un seul instant.

Ce vieux chef, nommé TOUBOU, m’engagea d’une manière très-pressante d’aller à Tongatabou : mais, comme le fusil du soldat n’avoit pas été rendu, je lui fis entendre que je n’irois le voir que quand l’objet volé aurait été restitué : il le promit pour le lendemain ; et FEINOU le rapporta, en effet, à l’époque fixée. D’après cette conduite qui me parut loyale, j’annonçai que les échanges qui avoient été sus­pendus, recommenceraient le jour suivant, 28mars. FEINOU retourna ensuite à Panghaimodou, où il s’assit au milieu du peuple, qu’il harangua sans doute ; et, après avoir pris la cava, avec ceux qui l'avoient accompagné, il se rendit à Tongatabou.

Le marché fut très-abondamment pourvu le lendemain, 28. et les denrées se soutinrent à un prix modéré ; l’attention scrupuleuse que l’on a toujours eue pendant notre relâche d’empêcher les échanges particuliers, a fait qu'elles n’ont renchéri que peu de jours avant notre départ, et dès que la liberté de trafiquer fut accordée à tout le monde.

Quelques chefs vinrent m’annoncer, le 29, une fête que 29. TOUBOU devoit me donner le lendemain. Je me rendis le 30, de très-grand matin, à Tongatabou ; mais, comme l’on 30. ne nous avoit pas fait connoître exactement le lieu où il étoit possible de mettre pied à terre, je fus obligé de longer la côte pour chercher un endroit propre au débarquement. Cette côte est bordée d’un ressif qui s’étend à près d’une 1793.
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encablure au large, et nous ne pûmes y débarquer qu’avec le secours d’une pirogue. Tous les officiers qui n'étaient pas de service, descendirent avec moi ; un d’eux à tour de rôle, et la moitié des équipages des trois embarcations, furent destinés à garder les canots. Nous fûmes reçus à terre par FEINOU ; il nous dit que TOUBOU n’étoit pas encore rendu au lieu où se devoir donner la fête. Peu d’instans après, le temps s’obscurcit, devint pluvieux, et nous força d’aller cher­cher un abri sous les hangars destinés à cette fête, où le chef devoit nous recevoir, et où la pluie nous obligea de le devancer.

TOUBOU arriva quelque temps après, et la fête com­mença ; mais elle ne parut pas d’abord devoir être d’une grande magnificence. J’ignore si l’on avoit fait beaucoup de préparatifs ; mais il est certain que le très-petit nombre de spectateurs, le peu de musiciens et d’acteurs, la lenteur avec laquelle s'élevoient les piles d’ignames, de bananes et de poissons, le peu de considération dont paroissoit jouir le chef lui-même, ne promettoient rien de brillant, ni qui dût ressembler à la beauté de la fête décrite par M. ANDERSON. J'offris à TOUBOU, ainsi qu'a quelques personnes de sa suite, les choses qui me parurent devoir leur être les plus utiles. A un grand nombre de belles pièces d’étoffe, de toiles peintes, de bijouteries, de différens ouvrages en fer, j’ajoutai un bouc et une chèvre pleine, ainsi qu’une couple de lapins mâle et femelle, élevée par le maître d’équipage de l’ESPERANCE, qui eut l’attention de me l’offrir. L’indifférence que TOUBOU 1793.
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témoigna quand on lui présenta ces animaux, me fit regretter de les avoir mis entre les mains d’un homme qui ne paroissoit pas en sentir le prix.

Je me trouvai à portée de prendre, dans cette circons­tance, des informations sur les bœufs et les chevaux qu’avoit laissés le capitaine COOK dans son dernier voyage aux îles des Amis. Quelques naturels nous avoient dit qu’ils avoient pros­péré, ou du moins avions-nous cru l’entendre : je demandai avec beaucoup d’instance à les voir ; mais les uns me répon­dirent qu’ils étoient morts, et les autres, qu’ils étoient à l’île d’Hapaé. Je jugeai, d’après ces réponses, qu’on ne vouloiT pas nous les montrer ; et je crus que l’empressement que nous témoignions de voir ces animaux, leur étoit suspect, et qu’ils se refusoient à les faire paraître, dans la crainte qu’on ne leur en demandât, comme on leur demandoit des cochons, des volailles &c. Ne pouvant donc obtenir aucun éclaircissement à cet égard, et la fête étant d’ailleurs très-peu animée, rien ne pouvoit m’engager à prolonger mon séjour à Tongatabou. Je me hâtai de profiter d’un moment d’éclaircie, pour me rendre au rivage, et revenir à bord. Lorsque nous arrivâmes à nos canots, la mer étoit extrêmement basse ; et le ressif, à découvert dans l’espace de près d’une encablure, empêchoit les pirogues de pouvoir accoster : il fallut se résoudre à mar­cher dans l’eau pour se rendre aux embarcations.

Le penchant irrésistible de ces peuples pour le vol, ne peut être contenu par la crainte d'être surpris en présence de leurs chefs. Pendant la fête que TOUBOU nous donna, il n'y 1793.
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eut pas de poche qui ne fut fouillée ; et ils prirent tout ce qu’on avoit eu la mal-adresse de ne pas soustraire à leur filouterie. Quand je parlerai du caractère de ce peuple, je tâcherai de rendre raison de ce vice si commun parmi les habitans des îles du grand Océan. Tandis que ceux qui assistaient à la Tête, exerçoient leur adresse sur nous, leurs compatriotes trouvoient également à exercer la leur sur nos deux frégates, malgré la surveillance continuelle et très-exacte qui y étoit observée. Nous avions déjà essayé de faire éloigner les pirogues dont nous étions investis de toutes parts, en les poursuivant avec nos canots mais, comme on ne vouloit pas employer des moyens de force, toutes les tentatives furent inutiles : pendant que nos canots les écartoient d’un côté, elles revenoient de l’autre. On avoit aussi dirigé sur elles le tuyau d’une pompe à incendie ; ce jet d’eau un peu fort étonna d’abord ceux qui les montoient : mais, comme il ne leur faisoit pas grand mal, ils s’y accoutumèrent, et finirent par y prendre plaisir. L’espérance d’obtenir quelques baga­telles par le petit nombre d’échanges qui avoient encore lieu, malgré les défenses que j’avois faites, les empêchoit de s’éloigner. Ils furent retenus près de nous, sur-tout par un genre de marché que j’avois interdit plus particulièrement que les autres, mais vis-à-vis duquel échoue toute autorité ; c’est celui des filles prostituées, dont les pirogues étoient remplies, et que les chefs offroient avec une licence qui ne rencontre pas même parmi les peuples les plus corrompus ; l'espoir l’espoir d’en introduire quelques-unes à bord, malgré les 1793.
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rondes fréquentes que j’y faisois faire pour les expulser, les empêcha constamment de s’éloigner de nous. Il faut convenir que les équipages ne montroient pas un grand zèle pour exécuter des ordres qui contrarioient leurs désirs ; mais je ne de vois ni autoriser un pareil désordre, ni employer des moyens de sévérité pour le faire cesser.

La douceur avec laquelle nous avions, jusqu’à ce moment, traité ces insulaires, sembloit les enhardir à piller avec plus d’effronterie : les vols devenoient si fréquens qu’il fallut enfin prendre le parti de nous faire justice par nous-mêmes, et de punir à bord ceux qui avoient été pris sur le fait. On en fustigea quelques-uns, en présence des pirogues qui nous environnoient ; l’agilité de beaucoup d’autres leur donna les moyens de s’échapper. Lorsque je vis qu’il étoit impossible d’arrêter le plus grand nombre des voleurs, j’autorisai à tirer sur. eux avec des fusils chargés à sel, quand ils n’étoient pas loin du navire ; et de tirer à petit plomb, quand ils étoient à une plus grande distance. Afin de faire juger aux chefs que nous avions à bord, et à la multitude d’hommes qui nous entouroient, de la modération avec laquelle on en usoit à leur égard, je voulus leur faire connoître la facilité que nous aurions à les exterminer, s’ils nous forçoient à prendre des voies de rigueur : je fis tirer, en leur présence, une caronade de trente-six, chargée à mitraille. Ils virent, avec une sur­prise mêlée d’admiration et d’effroi, l’eau jaillissant dans une immense étendue ; et je ne doute pas que ce spectacle n’ait épouvanté ceux qui en furent témoins : mais ni cette épreuve, 1793.
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ni la punition que nous avions infligée à tous ceux que l’on avoit pris sur le fait, ne purent réprimer cette passion pour le vol, qui a enfin occasionné le fâcheux événement dont nous aurons bientôt à rendre compte.

J’ai fait remarquer déjà que, dans les visites que nous avions reçues des difierens chefs, il avoit été observé un ordre qui, soit étiquette soit politique, nous avoit paru réglé sur le degré de considération ou de pouvoir ; de manière que le plus élevé en dignité étoit le dernier qui fût venu à bord ; et c’est d’après cela que le vieux TOUBOU avoit été jugé devoir être le chef principal. Le 31 mars, je reçus une nouvelle visite 31. qui dérangea toutes nos combinaisons ; ce fut celle d’une femme que l’on m’annonça comme étant la véritable sou­veraine des îles des Amis. Ma première pensée fut que c’étoit une nouvelle ruse employée pour extorquer des présens ; et j’étois peu disposé à faire un bon accueil à cette reine : elle venoit, accompagnée de beaucoup de femmes qui disoient être de sa suite, et que je soupçonnois venir dans d’autres desseins. Cependant, comme deux des principaux chefs qui étoient à bord, s’échappèrent en secret, et très-prompte­ment, dès qu’ils s’aperçurent que cette femme arrivoit, et comme tous ceux qui restèrent lui rendirent les hommages dus à la plus haute dignité, je fus convaincu que ce n’étoit pas un jeu, et je m’empressai de lui faire des présens conve­nables. J’appris qu'elle s’appeloit TINEE, et qu'elle alloit s’établir pour quelques jours sur l’île de Panghaimodou, où elle avoit fait construire une hutte de feuillages pour y passer 1793.
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les nuits ; l’on me dit aussi qu'elle devoit tenir sa cour près du lieu où se faisoient les échanges. C’est probablement à un sentiment de curiosité, et à l’espérance de recevoir quelques présens, que l’on devoit attribuer le séjour que cette reine venoit faire à Panghaimodou : peut-être aussi, à raison de son éminente dignité, setoit-elle crue obligée de se rap­procher pour nous donner une fête semblable à celle du vieux TOUBOU.

Nous avions annoncé un feu d’artifice, qui fut tiré sur l’île Avril. Panghaimodou le 2 avril. J’avois fait descendre à terre un 2. détachement de canonniers-matelots des deux frégates, dans la meilleure tenue ; cette troupe, quoique peu nombreuse, exécuta avec précision plusieurs évolutions, et fit ensuite l’exercice à feu : les insulaires en furent effrayés, malgré la précaution qu’avoient eue MM. les officiers de se placer entre eux et la troupe. L’on profita de cette circonstance pour leur faire connoître jusqu’où nos armes pouvoicnt atteindre. Une décharge à balles faite sur le rivage, leur en apprit la portée, par le jaillissement de l’eau et les ricochets des balles, dont ils furent extrêmement étonnés. Aux approches de la nuit, on lança quelques fusées ; elles réussirent parfaitement bien : leur vétusté ne leur avoit rien fait perdre de leur force ; car elles s’élevèrent à une très-grande hauteur, et elles furent d’un plus grand effet, à mesure que la nuit devenoit plus obs­cure. Ce feu d’artifice avoit attiré un très-grand nombre de spectateurs, non -seulement sur 1 île de Panghaimodou, mais encore sur la côte de Tongatabou, d’où l’on entendoit de 1793. grands cris d’applaudissemens et de joie. Les fusées, contre mon attente, parurent leur faire plus d’impression que les soleils et les chandelles romaines, malgré la diversité de couleurs et la variété de formes des masses de feu que pré­ sentent ces dernières pièces d’artifice.

La côte de Tongatabou nous offrit aussi, pendant cette même nuit, un spectacle assez curieux ; elle étoit bordée de feux qui formoient une superbe illumination. On m'a assuré que ces feux avoient été allumés pour attirer le poisson près du rivage ; mais je serois porté à croire que les habitans de l’île vouloient nous rendre témoins d’un spectacle analogue à celui que nous leur donnions : en effet, la petite quantité de poissons qui parut à notre marché le jour suivant, ne me sembla nullement proportionné au grand nombre d’hommes qu’il auroit fallu supposer avoir été occupés à la pêche.

Les naturels commirent, ce même jour, le vol le plus hardi et le plus insolent qu’ils se fussent encore permis ; ils arra­chèrent un sabre à un officier qui étoit assis entre deux de ses camarades, et le voleur eut le temps de se sauver avant qu’on eût pu l’atteindre : ce vol avoit été précédé de plusieurs autres. L’île Panghaimodou, où il ne réside peut-être aucun chef, devenoit le réceptacle de tous les fripons que notre marché y attiroit. On nous prévint que cet amas d’hommes qui n'etoient soumis à aucune police, avoient formé le projet d’attaquer nos gens à force ouverte, ou de les entraîner au milieu deux, en se faisant poursuivre. 1793.
Avril
Quelques personnes furent engagées par des femmes à se rendre à bord ; mais ces premiers avis ne parurent pas mériter de fixer l’attention.

Le lendemain 3 avril, 3. jour de la fête donnée par la reine, je me rendis à terre avec plusieurs officiers des deux états majors ; j’y trouvai un si grand nombre d’insulaires rassemblés, que je ne crains pas de le faire monter à cinq ou six mille. J’offris à cette princesse les présens que je lui avois destinés. Une pièce de toile peinte, d’un grand aunage, fut reçue avec d’extrêmes applaudissemens ; car c’est souvent par la longueur des étoffes qu’ils jugent de leur beauté. La reine étoit au milieu des femmes de sa suite ; les hommes étoient plus loin d’elle, et formoient un grand cercle : les musiciens s'assirent au milieu de ce cercle, au nombre de trente-un, et vis-à-vis de la reine ; les danseurs, au nombre de trente-sept, se rangèrent sur trois lignes en avant des musiciens. Leur musique, quoique assez monotone, n’est pas sans agrément. Leur danse, quoique peu variée, ressemble à nos ballets pantomimes : nous n’avons pas pu en concevoir les sujets ; mais il est vraisemblable que c’est la représentation de quelque chose qui les intéresse. Les danseurs avoient tous une petite pagaye, qui sembleroit annoncer que le sujet du ballet étoit relatif à quelque événement de mer. Ils chantoient en dansant ; mais nous ne connoissions pas assez leur langue pour pouvoir distinguer les paroles, et moins encore en deviner le sens. La mesure qui étoit tantôt lente et tantôt vive, donnoit de l’action à la danse, et produisoit un très-bon effet. Il règne dans ces ballets un ensemble aussi parfait 1793.
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que dans ceux de nos meilleurs spectacles ; et je ne doute pas qu’ils ne fissent le plus grand plaisir, même au théâtre de l’Opéra. Il y eut, selon l’usage, une pile de bananes, d’ignames, &c., qui m’étoit destinée ; je dus aussi accepter l’étoffe étendue sur le sol, et sur laquelle j’avois marché pour aller prendre place, ainsi que la natte sur laquelle je m’étois assis.

Dès que la fête fut terminée, je pris congé de la reine TINEE, et je me rendis à bord de l’ESPERANCE ; il n’étoit alors que trois heures : tout me paroissoit tranquille, et j’étois bien éloigné de prévoir ce qui alloit se passer. Peu de temps après que je fus arrivé, nous entendîmes des cris tumultueux ; on demandoit du secours à l’ESPERANCE : nous vîmes une partie de nos gens courir sur la grève ; et, à l’aide de la lunette, on crut en apercevoir de plus éloignés qui poursuivoient les naturels jusque sur le ressif qui joint l’île de Panghaimodou à Tongatabou. Mais on ne tarda pas à remarquer que la chance avoit tourné, et que les poursuivans étoient poursuivis à leur tour ; de nouveaux cris, venus de terre, nous apprirent que des hommes de nos équipages avoient été massacrés, et que quelques autres étoient engagés au milieu des insulaires. Dès-lors il n’y eut plus à délibérer, et il fallut repousser la force par la force. Je fis tirer quelques coups de pierriers et deux coups de canon à mitraille sur le groupe des naturels, qui paroissoit serrer de fort près quelques uns de nos gens, que nous pouvions distinguer par leurs vêtemens et la différence de couleur. La direction qu’il fallut 1793.
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donner aux pierriers pour tâcher de disperser ce groupe, faisoit passer les balles par-dessus une grande pirogue amarrée au rivage ; et cela fit croire mal-à-propos qu’on avoit tiré sur elle. Un des coups de canon fut si bien ajusté, que le boulet tomba près des insulaires, et les mit en fuite.

La dispersion de nos gens continuant toujours, je craignis qu’ils ne donnassent dans quelque embuscade, et que, surpris par la nuit, ils ne fussent victimes de leur imprudence. Je descendis alors à terre pour rallier tout le monde, et pour prendre les mesures les plus convenables, d’après le compte que l’on me rendroit de la situation des choses. En arrivant, j’eus la douleur de voir porter un de nos gens à demi mort ; c’étoit un Anglois, excellent ouvrier en instrumens de mathé­matiques, que nous avions embarqué au Cap de Bonne­ Espérance. On m’avoit annoncé que des officiers et quelques autres personnes avoient eu le même sort ; mais heureusement ceux que l’on avoit nommés, furent les premiers que j’aperçus, un instant après qu’on m’eut fait ce récit. Je me fis rendre un compte succinct de ce qui s’étoit passé ; et j’appris par M. DE CRETIN, qu’à la suite de quelques vols faits par les naturels, on s’étoit mis à poursuivre ceux que l’on soupçonnoit de les avoir commis. Il me dit que dans la mêlée qui en étoit résultée, il y avoit eu des coups de massue donnés et des coups de fusil tirés. M. DE CRETIN ajouta qu’il avoit envoyé un détachement de quelques hommes, commandé par M. MERITE, pour aller au secours de ceux qui pouvoient être engagés au milieu des naturels, et pour rallier tous ceux 1793.
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que l’on rencontreroit. Le rassemblement des insulaires augmentoit à chaque instant. Je donnai ordre à M. DE TROBRIAND de s’avancer, pour faire revenir sans délai M. MERITE et son détachement. Je fis embarquer tous les hommes qui étoient sans armes, et ranger en ordre ceux qui en avoient. M. MERITE revint bientôt après avec M. DE TROBRIAND, et accompagné de tous les hommes de l’équipage sur le sort desquels j’avois eu de l’inquiétude.

On retint, comme otages, plusieurs chefs qui voulurent s’enfuir pendant ce tumulte. Cependant, pour ne pas les effrayer, M. DE SAINT-AIGNAN s’assit au milieu d’eux. Comme nous ne pouvions être assurés qu’il ne manquoit personne qu’après un appel fait à bord des deux bâtimens, je fis embarquer avec moi le jeune TOUBOU, qui étoit du nombre de ceux que l’on avoit arrêtés. Il me répétoit souvent qu’il étoit François ; que tous les habitans de Tongatabou étoient des voleurs qu’il falloir tuer : mais il paroissoit très épouvanté, et il ne venoit qu’avec une répugnance extrême. Il engagea un nommé TITSIFA, chef, à ce que je pré­sume, ou principal propriétaire de Panghaimodou, de venir avec lui, et ce dernier s’y décida sans peine. Je les menai à bord ; et dès que l’appel, auquel tout le monde répondit, fut achevé, nous redevînmes bons amis ; ils soupèrent avec l’état-major, et couchèrent dans la grande chambre. Le 4. lendemain nous les renvoyâmes à Panghaimodou, où les échanges se firent comme s’il n’étoit rien arrivé : il y eut cependant, cependant, dans la matinée, beaucoup moins d’insulaires 1793.
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au marché ; et il vint moins de pirogues près des frégates. Mais comme la liberté de faire des échanges fut accordée le même jour à tout le monde, nous ne tardâmes pas à en être environnés.

Quelques officiers que je laissai à terre après la fête qui fut suivie de l'événement dont je viens de rendre compte, avoient été avertis par les principaux habitans de se tenir sur leurs gardes : mais ces avis furent négligés ; et je n’en eus connoissance qu’après mon retour à bord de la RECHERCHE. La reine et plusieurs autres femmes, ainsi que quelques hommes qui paroissoient nous être attachés, avoient engagé les personnes de leur connoissance à s’embarquer de très bonne heure, leur faisant entendre qu’il y avoit beaucoup de gens mal-intentionnés sur l’île de Panghaimodou. En effet, un très-grand nombre de femmes retournèrent à Tongatabou ; et ce fut peu d’instans après leur départ, qu’on entendit crier au voleur, et qu’eut lieu la malheureuse dispersion que ces gens avoient peut-être eu l’intention d’opérer, dans la vue de dépouiller plus facilement les personnes assez imprudentes pour s’écarter en les poursui­vant. Un de nos matelots a eu des dents cassées par un coup de massue : l’Anglois dont j’ai parlé, a été très-grièvement blessé ; il eût été tué sans doute, sans le coup de pierrier tiré de l’Espérance, et qui mit en fuite ses assassins. Afin d’intéresser tous les habitans à procurer la restitution des objets volés, j’avois ordonné, dès les premiers instans de notre arrivée, d’arrêter les pirogues dont on pourrait se saisir, 1793.
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aussitôt qu’il y aurait quelque vol commis. Pendant la mêlée qui eut lieu le 3 avril, on voulut s’emparer d’une grande pirogue qui étoit au bord du rivage ; et, d’après cet ordre, des soldats furent envoyés pour la conduire auprès de nos embarcations. Au moment où ils y arrivoient, un des naturels sortit de cette pirogue, et leva sa massue pour assommer le soldat qui serait présenté le premier ; mais il fut abattu d’un coup de fusil. Ce naturel, et un autre qui fut tué sur la grève, sont les deux seuls dont la mort ait été certaine ; un troisième a été blessé d’un coup de fusil tiré à petit plomb. Les habitans nous ont dit qu’il y avoit eu trois hommes matés ; mais comme ils se servent du mot maté, pour désigner un homme mort, blessé ou malade, il est vraisemblable que le blessé étoit compris dans ce nombre.

J'attachois un très-grand prix à terminer cette campagne sans effusion de sang ; aussi ai-je été vivement affecté de ce fâcheux événement : mais il n’y avoit plus à hésiter. Le danger où se trouvoient quelques-uns de nos gens, ne permettoit pas de différer d’employer les moyens de rigueur, que j’ai toujours été dans la ferme résolution d’éviter, autant que cela dépendoit de moi. Les avis qui nous avoient été donnés à diverses reprises, la conduite toujours plus insolente de quelques-uns de ces insulaires, le peu de police qui régnoit dans l'île Panghaimodou, à cause de la foiblesse du gouvernement actuel, l'absence très-remarquable, pendant les deux jours précédens, de quelques chefs qui paroissoient avoir le plus d’influence, l’assassinat d’une sentinelle dès le premier 1793.
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moment de notre arrivée, sans qu’il y eût alors le moindre prétexte à cet acte d’hostilité, tout annonçoit qu’il y avoit, le 3 avril, un complot formé contre nous, par des gens sans aveu et sans discipline. Les chefs étoient vraisemblablement informés de ce complot ; mais ils n’eurent pas le pouvoir d’en arrêter les suites.

Cet événement inattendu n’a pas paru troubler la bonne intelligence qui avoit jusqu’alors régné entre les habitans de Tongatabou et nous. Les chefs qui n’avoient pas osé se montrer dans ce moment d’orage, revinrent le lendemain. Jusqu’au 9 avril, jour que j’avois fixé pour notre départ, la tranquillité n’a pas cessé d’exister un seul instant. Le vieux TOUBOU et la reine sont venus nous faire leurs adieux. Dans la matinée du jour de notre départ, le nombre de pirogues qui nous entouroient, étoit prodigieux ; mais, pour n’être pas gênés dans nos manœuvres, on ne laissa monter à bord que les personnes distinguées par leur rang. Le vieux TOUBOU arriva au moment où nous commencions à faire route, et il

ne fut pas possible de le recevoir.
CHAPITRE XIV.

M. DE LA PÉROUSE n’a pas relâché aux îles des Amis. — Conjectures sur la forme du gouvernement, et sur l’ordre de la succession au Trône. - Caractère des habitans. - Leurs mœurs et leurs usages. — Description de l’île Tongatabou. - Observations sur la culture du sol de cette île.

L'objet le plus important de notre relâche à Tongatabou, 1793.
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métropole des îles des Amis, étoit de tâcher d’y découvrir des traces de M. DE LA PEROUSE ; aussi notre premier soin a-t-il été de prendre quelque connoissance de la langue des habitans, pour parvenir à nous faire entendre. Le vocabulaire que l'on trouve dans le dernier Voyage de COOK, nous a été d’un foible secours, soit à raison de la différence qui existe entre la prononciation des Anglois et la nôtre, soit parce que la plupart des mots que COOK avoit crus faire partie de la langue des îles des Amis, n’étoient, le plus souvent, que des mots mal prononcés par les Anglois eux mêmes et que les insulaires avoient répétés avec un signe d’approbation qui avoit pu faire croire que l’on s'étoit entendu de part et d’autre. Au commencement, nous fumes dans le cas de nous méprendre souvent par la même cause ; et ce ne fut qu’à force de revenir sur les mêmes objets, que nous reconnûmes la fausseté des premières notions. D’après les renseignemens divers que nous avons pris des 1793.
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insulaires les plus intelligens, il est hors de doute que M. DE LA PEROUSE n’a relâché dans aucune des îles voisines de Tongatabou. On se souvient parfaitement bien, dans cette île, de tous les voyages de COOK, et de tous les intervalles qu’il y a eu entre ces voyages ; on se rappelle aussi le voyage de BLIGHT à Anamoka, qui est postérieur aux voyages de COOK. Les habitans nous ont parlé de l’événement qui est arrivé à BLIGHT dans l’île de Tofao : ils nous ont nommé le meurtrier de l’homme qui avoit été assassiné en démar­rant sa chaloupe ; c’étoit un des chefs d’Anamoka, que le capitaine BLIGHT avoit connu dans ses précédens voyages. Les habitans de Tongatabou se servent du nom de grandes pirogues pour désigner les vaisseaux Européens qui sont venus les visiter ; et ils nous ont dit que nulle autre grande pirogue n’avoit mouillé à Tongatabou et à Anamoka. On s’est informé s’il n’en avoit pas relâché à l’île de Vavao, laquelle fait partie du même archipel, et est soumise au chef suprême des îles des Amis, résidant à Tongatabou. Ils nous ont marqué deux époques ; l’une, assez éloignée , sembleroit concourir avec celle du voyage de la frégate Espagnole la Princessa : l’autre, plus rapprochée, paroîtroit s’accorder avec celle où M. DE LA PEROUSE a passé en vue de Vavao ; mais comme ils n’ont fait mention que d’un seul navire, et comme nous ne connoissons pas très-exactement leur mesure du temps, il est possible que le bâtiment dont ils ont voulu nous parler soit la corvette Angloise la Pandora, qui a, je crois, aussi reconnu la même île en revenant de Taïti. Nous avons remarqué 1793.
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quelques différences dans les époques auxquelles ils nous ont dit que des bâtimens Européens avoient paru : mais tous se sont accordés à dire que ces bâtimens étoient partis sans avoir éprouvé d’accident ; et le récit qu’ils font de l’événe­ment arrivé au capitaine BLIGHT, annonce qu’il n’y a de leur part aucune dissimulation.

On a trouvé, à Tongatabou, plusieurs effets de fabrique Angloise, dont une grande partie provenoit du capitaine COOK : il n’y en avoit qu’un très-petit nombre de ceux que le capitaine BLIGHT avoit laissés à l’île d’Anamoka ; ce qui annonce, cependant, la circulation de ces divers objets dans toutes les îles qui composent l’archipel des îles des Amis. Nous n’avons aperçu aucun des effets provenant de manufactures Françoises dont les frégates de M. DE LA PEROUSE étoient pourvues. Les médailles que nous avons données aux habitans de ces îles, étoient pareilles à celles que cet officier avoit dû distribuer dans le cours de son voyage ; et elles ont paru absolument nouvelles à leurs yeux. J’en ai fait montrer à un habitant de l'île de Vavao, à qui elles étoient également in­connues. Les relations continuelles qui existent entre toutes les îles, me font croire qu’un événement aussi important pour ces peuples que l’arrivée de navires étrangers, ne peut être ignoré à Tongatabou, qui est le centre de toutes les communications. On peut dès-lors regarder comme certain que M. DE LA PEROUSE n’a relâché ni dans cette dernière île ni à Anamoka. SI LA BOUSSOLE ET L'ASTROLABE sont du nombre des bâtimens qui ont été vus près de Vavao, on 1793.
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doit en conclure que M. DE LA PEROUSE s'est éloigné de cette dernière île sans avoir éprouvé d’accident. On ne peut pas supposer qu’il ait relâché dans quelqu’une des autres îles de cet archipel, et qu’il en soit parti sans avoir laissé de traces de son passage, puisqu’on en retrouve du passage de COOK, plus reculé que celui de M. DE LA PEROUSE d’un grand nombre d’années, et du passage de BLIGHT, pos­térieur d’un an seulement à l’époque où M. DE LA PEROUSE a pu y passer lui-même.

L’application assez suivie que plusieurs personnes ont mise à faire un vocabulaire de la langue des îles des Amis, nous a donné les moyens de prendre des informations sur le gouver­nement de ces îles. Il nous a paru conforme à ce qu’en dit le capitaine COOK, dont une longue expérience, et l’avan­tage inappréciable d’avoir eu un interprète, rendent l’au­torité d’un très-grand poids, dans les objets même étrangers à la navigation. Il paroît, ainsi qu’il le dit, que la souveraineté se perpétue dans la même famille ; mais il ne nous a pas semblé que cette famille eût un nom particulier : celui de FATAFÉ que porte le fils de POULAO, et que COOK avoit dit être le nom de la famille régnante, n’étoit pas celui du père de POULAO, lequel s’appeloit TUIBOULOUTOU. Ce TUIBOULOUTOU avoit épousé une fille de la famille des TOUBOU, de qui il eut deux garçons, l’un appelé POULAO, l’autre FATAFE, et deux filles, lune nommée TINEE, l’autre NANATCHI. POULAO succéda à TUIBOULOUTOU ; et il laissa un fils nommé FATAFE, que nous avons vu et que nous 1793.
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avons jugé être de l'âge de vingt-cinq à vingt-six ans, mais qui, lors de la mort de son père, étoit trop jeune pour lui succéder. Son oncle, frère de POULAO, qui s’appeloit aussi FATAFE, prit les rênes du gouvernement : son règne ne fut pas de longue durée. Après lui, sa sœur TINEE fut investie de la souveraineté : c'étoit elle qui jouissoit de cette suprême dignité, mais sans en exercer les pouvoirs, dont sans doute les femmes ne peuvent pas être revêtues ; et, ainsi qu’il a été dit dans le chapitre précédent, c’étoit le vieux TOUBOU, frère ou très-proche parent de la femme de TUIBOULOUTOU, mère de TINEE, qui étoit en possession de l’autorité. La reine TINEE avoit épousé un des chefs de l'île TOFAO, appelé COVEA, de qui elle étoit séparée, mais dont elle avoit eu deux fils, COVEA et COVEATSI.

D’après cet exposé, il n’est pas facile de prononcer avec certitude sur l’ordre de la succession au trône. Voici la diffi­culté qu’offre le détail qu’on vient de voir. Est-ce à raison de sa trop grande jeunesse que FATAFE n'a pas succédé à son père POULAO ? J'ignore si, à la mort de son oncle, il étoit assez âgé pour régner : mais dans le moment où nous l’avons vu, il ne pouvoit plus être douteux que son âge ne devoit pas être un obstacle à ce qu’il fût chargé du gouvernement. Il semble donc que la succession au trône n’est pas du père au fils, mais du prince régnant à ses frères et ensuite à ses sœurs, et que le pouvoir revient après, par ordre de primogéniture, aux enfans des aînés qui ont régné, la préférence étant étant toujours accordée aux mâles. Il se présente cependant 1793.
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une nouvelle difficulté. La princesse qui règne après les puînés ses frères, quoique ses cadets, ne peut pas exercer l’autorité ; elle ne la confère pas à son mari, puisque celui de la reine TINEE vivoit encore et n’en étoit pas revêtu : elle peut la transmettre à ses enfans ; car il est généralement reconnu qu'à la mort de la reine TINEE et après celle de sa sœur NANATCHI, ce ne seront pas ses propres enfans qui régneront, mais que ce sera FATAFE, fils de POULAO, qui montera sur le trône. A qui donc la loi confie-t-elle l’autorité dont les femmes ne peuvent pas avoir l’exercice ? c’est sans doute aux plus proches parens de la princesse régnante, du côté maternel, lesquels doivent en jouir tant que vit la reine ; mais, après sa mort, cette autorité doit passer à l’héritier véritable du trône, pris toujours dans la même famille, ainsi qu’on l’a expliqué plus haut. Aussi nous a-t-on dit que les TOUBOU dévoient conserver le pouvoir pendant la vie de la reine TINEE et celle de sa sœur NANATCHI.

Cette disposition présumée, mais très-vraisemblable, présente un grand et très-grand inconvénient, celui de dis­tinguer les hommes qui exercent le pouvoir d'avec ceux a quil’on rend les honneurs ; ce qui affoiblit les deux principaux ressorts de tout gouvernement, L’autorité doit être moins respectée lorsqu'on ne lui rend pas les hommages dus à la souveraineté ; et les hommes sans pouvoir n'ont jamais une grande considération. De cette division de deux choses qui devroient être inséparables, résultent une anarchie générale et des factions entre la famille propriétaire de la souveraineté 1793.
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et celle qui n’en a que l’exercice. Aussi avons-nous trouvé le gouvernement sans force ; nulle police ne contenoit le peuple : la classe des guerriers, sur-tout, sembloit ne reconnoître aucune autorité. Il paroît que les deux familles rivales tâchent de se les attacher ; ce qui leur assure l’impunité. Le respect pour la famille royale se maintient cependant ; et, quoique dépouillés de pouvoir, les individus de cette famille reçoivent des hommages de la famille même qui jouit de l’au­torité. Les marques de respect sont de ne boire ni manger en présence de la personne revêtue d’une plus haute dignité, de se mettre la tête sous ses pieds, de ne pas s’asseoir à côté d’elle, &c. ; car nous avons vu tous les TOUBOU rendre ces honneurs, non-seulement à la reine TINEE, mais même à ses enfans, quoique ceux-ci ne soient pas destinés à monter sur le trône : à plus forte raison les rendent-ils à FATAFE, qui doit régner après la mort de TINEE et de sa sœur.

Mais si la famille de FATAFE a l’honorifique de la souve­raineté, les TOUBOU en ont les droits utiles ; ils se saisissent de tous les présens, et même du produit des échanges. Nous en avons été témoins plusieurs fois, mais particulièrement dans une circonstance remarquable. FATAFE étoit chez moi, ainsi qu’une personne dont on nous a assuré qu’il avoit épousé la fille ; un TOUBOU, frère du chef principal, entra dans le moment où le beau-père de FATAFE venoit de recevoir quelques présens : il s’empressa de les cacher quand il aperçut ce TOUBOU ; mais il n’y mit pas assez de dextérité pour n’étre pas vu par lui ; et TOUBOU, 1793.
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sans nulle autre formalité, lui prit dans la ceinture ce qu’il avoit reçu. L’ins­tant d’après, FATAFE remit, de bonne grâce, à TOUBOU, les présens qui lui avoient été faits ; ce dont il se seroit cer­tainement dispensé, s’il n’y avoit pas été obligé et s’il n’eût pas craint d’éprouver la même humiliation. FATAFE et son beau-père sortirent ensuite avec TOUBOU. FATAFE, qui passa le premier, s’arrêta à la porte, tendit le pied en ar­rière , et TOUBOU lui rendit les hommages dus aux personnes de la famille royale. C’est la circonstance où la distinction entre les hommes qui exercent le pouvoir et ceux à qui l’on rend les honneurs, m’a paru la plus frappante.

Le droit, ou plutôt l’abus de la force, qui consiste à exiger des inférieurs ce qu’on leur a donné, ou même ce qu’ils ont obtenu par échange, est, à mon avis, la vraie cause de la disposition au vol qu’ont tous les habitans des îles du grand Océan. Un pareil vice, qui ne peut pas provenir du climat, tient évidemment de la nature du gouvernement qui, en autorisant les chefs à dépouiller les inférieurs, doit exciter dans ces mêmes inférieurs, le désir de se procurer, par adresse, ce qui leur a été enlevé par force : aussi sont-ils tous d’une dextérité qu’égale à peine celle des filoux des plus grandes capitales de l’Europe ; ce qui prouve que le vol a lieu habituellement parmi eux. Les étrangers, sans doute, sont plus exposés à ces larcins, parce que les objets qu'ils leur portent, sont, pour ces insulaires, d’un très-grand prix. D’ailleurs les chefs, à qui, tôt ou tard, les objets volés doivent appartenir, les autorisent peut-être, 1793.
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ou du moins les laissent impunis. Sans doute on arrêteroit ce brigandage, si, dans le principe, on faisoit usage des moyens de rigueur aux­quels on est inévitablement obligé de recourir après avoir usé de condescendance. Mais l’humanité s’opposera toujours à ce qu’on les emploie avant d’y avoir été forcé : le simple vol n’est pas un motif suffisant pour en venir à ces moyens extrêmes, qui ne peuvent être justifiés que par la nécessité de se défendre.

Cette disposition au vol, des habitans des îles des Amis, influe nécessairement sur leur caractère ; forcés d’employer toute sorte de ruses pour dérober sans être vus et cacher ce qu’ils ont pris, ils sont dans un état continuel de dé­fiance qui les rend dissimulés et traîtres, sur-tout à l’égard des étrangers, dont ils tâchent de gagner la bienveillance pour pouvoir plus aisément trouver l’occasion de les voler. Comme ils redoutent les armes des Européens, ils n’hé­sitent pas à terrasser ceux-ci d’un coup de massue, afin de les dépouiller avec moins de danger. Ils ne sont pas, il est vrai, féroces par caractère ; mais néanmoins il paroît que les sentimens d’humanité leur sont inconnus. La police des chefs se fait à coups de massue ; les inférieurs emploient les mêmes moyens pour parvenir à leur but. Les uns et les autres commettent ainsi des actes de cruauté, qui les accou­tument à n’attacher aucun prix à la vie des hommes. Ils sont cependant disposés naturellement à la gaieté, et je les crois moqueurs : une mal-adresse, une espièglerie, les amuse infiniment ; d’une aube à l’autre 1793.
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nous étions environnés de pirogues, et il y avoit peu d’instans où l’on n’entendît de grands éclats de rire parmi eux. Il faut que ce caractère de gaieté soit à l’épreuve de tout ce qui peut leur arriver, pour n’etre pas affoibli par le régime oppressif sous lequel ils gémissent : car, ainsi qu’on l’a déjà dit, les chefs les dé­pôuillent à leur gré ; et rien n’a pu nous faire juger que ces peuples dussent jamais espérer d’obtenir justice contre eux.

Je suis disposé à croire, ainsi que COOK, que ce gou­vernement a de très-grands rapports avec l’ancien régime féodal, dont les inconvéniens augmentent à proportion de la foiblesse du chef principal. Aussi avons-nous trouvé ce pays dans un état d’anarchie qui nous a forcés à nous faire justice par nous-mêmes, n’en ayant aucune à attendre de la part des chefs. Ceux-ci sont presque tous grands propriétaires, et forment une première classe ; il y a deux autres classes, l’une appelée la classe des Moas, et la troisième celle des Touas. La distinction entre ces deux dernières classes ne nous est pas bien connue ; et je crois en effet qu’elle n’est pas bien marquée : presque toutes les prérogatives étant pour la première classe, ce qui en reste pour la seconde, n’est pas assez sensible pour pouvoir être remarqué.

La classe des chefs jouit du droit d’avoir plusieurs femmes ; et les deux autres classes sont réduites à n’en avoir qu’une. Ils ont paru très-étonnés quand ils ont appris qu’il n’y avoit, à cet égard, parmi nous, aucune différence, et que depuis le plus grand Égui ou Égui-Laï (c’est ainsi qu’ils distinguent le premier chef) jusqu’au dernier 1793.
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de ses sujets, tout homme ne pouvoit avoir qu’une femme.

La plupart des femmes, dans la classe de celles qui appar­tiennent aux chefs, ont une physionomie très-agréable : leur regard est intéressant ; il a de l’expression, sans annoncer de la coquetterie. Elles ont en général la main très-belle, et leurs doigts pourroient servir de modèle : il est dommage qu'elles soient obligées de se couper les phalanges du petit doigt et de l’annulaire, à la mort de leurs plus proches parens. C’est un usage bien bizarre que celui de se mutiler ainsi, en témoignage de douleur. Qu’un violent désespoir porte l’homme qui en est atteint, à des mouvemens qui peuvent même abréger ses jours, on le conçoit ; mais que de sang froid on se coupe les doigts, c’est un acte réfléchi dont on ne trouve pas la source dans la nature, et que la raison désavoue.

Nous remarquâmes avec plaisir que les femmes sont mieux traitées aux îles des Amis que dans les îles les plus occi­dentales du grand Océan, où elles sont employées à tous les travaux pénibles ; aussi paroissent-elles d’une complexion plus forte et jouir d’une meilleure santé que toutes celles que nous avions vues jusqu’à présent : elles sont ici uni­quement destinées aux travaux du ménage et à l’éducation des enfans.

Les femmes, ainsi que les hommes, ceux du moins d’un rang distingué, sont d’une extrême propreté : les uns et les autres aiment passionnément les parfums ; et quoique accou­tumés à l’odeur désagréable de l’huile de coco, nos eaux de senteur leur étoient 1793.
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extrêmement agréables. Ce n’est, je pense, que pour rendre la peau plus douce, qu’ils font usage de cette huile : peut-être aussi, sous la zone torride, des corps nus et exposés à l’ardeur du soleil ont-ils besoin de cette onction pour arrêter une transpiration trop forte ; cependant il n’y a que les gens aisés qui s’en servent.

La hardiesse avec laquelle ils entreprennent sur mer des voyages de cent cinquante lieues, est vraiment surprenante. En effet, ils vont très-souvent dans leurs pirogues jusqu’aux îles Fedgi, qui sont à trois journées de Tongatabou ; et si l’on évalue, ainsi que COOK, chaque journée à cinquante lieues, ces îles doivent être à environ cent cinquante lieues de distance. Dépourvus, comme ils le sont, de tous moyens de se diriger quand ils perdent la terre de vue, et avec d’aussi frêles embarcations que leurs pirogues, il doit en périr un très-grand nombre : cela pourrait servir à expli­quer la manière dont se sont peuplées les îles du grand Océan, mais ne feroit pas concevoir aussi facilement, comment elles auraient pu l’être par l’Ouest, comme M. FORSTER a très-ingénieusement cherché à le prouver. Depuis qu’on fréquente cette mer, on n'a pas entendu parler de pirogues qui aient été entraînées dans l’Est. Dans le dernier voyage du capitaine COOK, OMAI a trouvé, dans l’île Wateeoo, trois de ses compatriotes qui y avoient été jetés par la tempête ; mais cette île est à plus de cent soixante lieues dans l’Ouest-Sud-Ouest, c’est-à-dire, sous le vent de Taïti. On peut concevoir comment les îles qui sont peu distantes de 1793.
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la côte d’Asie, où la mousson de l’Ouest règne pendant six mois de l’année, auroient pu être peuplées par l’Occident ; mais cette mousson, ne s’étendant pas fort au-delà des Philippines, ne peut servir à expliquer comment les îles plus orientales auroient pu être peuplées de la même manière.

Ce peuple ne m’a pas paru belliqueux ; et il est difficile qu’il le soit. Les chefs sont trop efféminés, ils mènent une vie trop voluptueuse, pour pouvoir s’accoutumer aux fatigues et aux dangers de la guerre. Les autres classes ont trop peu d’intérêt à défendre leur patrie, pour qu’on puisse attendre d’elles une grande valeur ; aussi est-ce avec beaucoup de désavantage qu’ils combattent les habitans des îles Fedgi, avec qui ils sont souvent en guerre. Ils reconnoissent eux memes leur infériorité ; et ils s’en dédommagent en les traitant de peuple féroce et en les accusant de dévorer leurs ennemis. Un naturel des îles Fedgi que nous avons vu à Tongatabou, n’en est pas disconvenu. Il paroît que les habitans de ces dernières îles, quoique très-féroces, sont plus industrieux que ceux des îles des Amis. Les armes qui viennent de Fedgi, sont meilleures et beaucoup mieux travaillées que celles des îles des Amis ; et les pirogues y ont la même supériorité : il n’y a pas jusqu’à leurs étoffes En un mot, on annonce, comme étant d’un plus grand prix, tout ce qu’on rapporte de ces îles. Le naturel de Fedgi dont je viens de parler, n’étoit plus bel homme que ceux des îles des des Amis ; car il est 1793.
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impossible de voir une plus belle race d’hommes, sur-tout celle des chefs, qui vivent dans une très grande aisance. Mais, avec une aussi belle stature, il avoit le caractère de la physionomie plus fortement prononcé : il nous a paru doué de plus d’intelligence, et avoir plus de désir de s’instruire que cette foule d’habitans des îles des Amis, qui n'étoit conduite à bord que par un esprit d’intérêt. Le naturel des îles Fedgi étoit amené sans doute par le même motif : mais l’empressement de parcourir nos vaisseaux, d’en exa­miner toutes les parties, l’emporta sur le premier sentiment ; et ce ne fut qu’après avoir satisfait sa curiosité, qu’il s’occupa d’échanges. J’appris, après notre départ de Tongatabou, qu’il avoit témoigné le désir de venir avec nous : si j’en avois été instruit, je m’y serois prêté volontiers. Cet homme aurait pu nous rendre de grands services ; il réunissoit tous les avan­tages que peuvent donner une belle figure et une grande intelligence : il provenoit d’un groupe d’îles qui n’avoient pas encore été fréquentées par les Européens, et dont la langue diffère de celle des îles des Amis ; il connoissoit éga­lement ces deux langues, et peut-être aurait-il pu nous servir d’interprète dans toutes les îles du grand Océan, si, comme le pense M. FORSTER, elles ne sont peuplées que par deux races d’hommes et qu’il n’y ait que deux idiomes bien distincts.

Malgré les fréquentes guerres que les naturels des îles des Amis ont avec les habitans de Fedgi, dès que les hostilités sont finies, il y a entre eux de fréquentes communications. Les habitans des îles des 1793.
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Amis tirent des îles Fedgi des vases de terre cuite, des plumes d’une espèce de perroquet rouge, et du bois de sandal, qui y est très-abondant. On a essayé plusieurs fois de transplanter le bois de sandal à Tongatabou ; mais, soit ignorance dans l'art de la culture, soit que le sol de l’île ne convienne pas à cet arbre, toutes les tentatives ont été infructueuses. Fedgi fournit aussi aux îles des Amis les pierres dont se servent les habitans pour suppléer au défaut de fer dans la fabrication de leurs haches et de tous les autres instrumens tranchans dont ils font usage. J’ignore quels sont les objets donnés en échange aux habitans de Fedgi.

On a rassemblé quelques mots du dialecte des îles Fedgi ; ils seront insérés à la suite du vocabulaire de la langue des îles des Amis, que nous donnons. On réunira dans un dépôt public les vocabulaires faits par diverses personnes, afin que tout le monde puisse juger de la conformité et des dissem­blances qui existent entre les mêmes mots entendus par différens individus.

Outre ce naturel de Fedgi, qui avoit marqué le désir de venir avec nous, deux personnages considérables de Ton­gatabou avoient manifesté la même envie : l’un d’eux, qui paroissoit fort de nos amis, mais qui, je pense, l’étoit plus encore de nos haches et des autres objets d’échange, vouloit sans doute se rendre plus agréable par cet empres­sement ; car, aux approches du départ, il n’en témoigna plus autant de désir : l’autre, d’un rang bien plus distingué, puisqu’il étoit fils 1793.
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aîné de la reine TINEE, n’a pas cessé un seul jour de venir faire part de son projet ; et pour nous convaincre que ce n’étoit dans aucune vue d’intérêt, il a constamment refusé les présens qu’on a voulu lui faire. La veille du départ, il vint s’établir à bord de l’ESPERANCE ; d’où on me le renvoya, pour savoir si je voulois me prêter à ses désirs. Je lui fis observer que peut-être il ne reverroit jamais sa patrie, qu’il serait long-temps encore exposé aux fatigues et à l’ennui d’une pénible navigation ; en un mot, je mis tout en usage pour le détourner de ce dessein : rien ne put le faire changer. Je consentis alors à le laisser em­barquer, et il retourna très-satisfait à bord de l’ESPERANCE. À l’heure du dîner, il se mit à table avec l’état-major de cette frégate ; mais à peine fut-il assis, que toutes les personnes qui tenoient à lui vinrent dans des pirogues, envoyées par la reine, pour l’engager à aller faire les derniers adieux à sa famille. Il ne put refuser cette consolation à sa mère, et en nous quittant il annonça qu’il reviendrait dans l’après midi ; mais nous ne le revîmes plus : il paraît que l’on s’op­posa à son départ ; et je n’en fus nullement fâché. Cet homme, d’une figure très-noble, mais sérieuse et mélan­colique, ne pouvoit se résoudre à quitter sa patrie que par des chagrins que le séjour d’un vaisseau n’auroit certaine­ment pas dissipés : il laissoit neuf femmes et autant d’enfans. Comment aurait-il pu supporter un souvenir aussi déchirant ? Chaque instant eût accru ses regrets et sa douleur, et ils eussent été sans remède. M. DAURIBEAU1793.
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, qui, à diverses reprises, étoit allé reconnoître la côte, y retourna encore pour visiter les possessions de FATAFE, où l’on avoit dit qu’étoient les bœufs laissés à Tongatabou par le capitaine COOK. FATAFE et son beau-père accompagnèrent M. DAURIBEAU ; mais lorsqu’on fut arrivé, FATAFE fit entendre que les jeunes bœufs pro­venant du couple dont le capitaine COOK avoit fait présent au roi POULAO son père, étoient à Eoa, île éloignée de quelques lieues de Tongatabou : il proposa à M. DAURIBEAU de le conduire à cette île, s’il vouloit les voir ; et il ajouta que les bœufs laissés par COOK étoient morts. Il fit voir le lieu où on les avoit enterrés : on y vit en effet une espèce de mausolée, qu’il proposa de faire ouvrir, pour que l’on pût reconnoître les ossemens de ces animaux. Au reste, nous n’en avons vu aucun de vivant, et nous ne pouvons pas affirmer qu’il en existe aux îles des Amis. J’avois pensé, jusqu’à ce moment, que la famille de TOUBOU avoit pu nous cacher la vérité, par un sentiment de jalousie contre celle de FATAFE, dans la possession duquel devoient être ces animaux ; mais l’ambiguité ou plutôt la contradiction des réponses de FATAFE, et 1'assurance positive que nous a donnée un des fils de la reine, ennemi juré des TOUBOU, que les bœufs laissés par COOK à Tongatabou, ainsi que trois femelles et deux mâles qui en étoient provenus, étoient morts, m’ont donné lieu de craindre que le fruit du service important rendu par le capitaine COOK aux habitans du grand Océan et à tous les navigateurs qui doivent fréquenter ces îles, ne soit entièrement 1793.
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perdu : mais la reconnoissance de toutes les nations n’en est pas moins due à ce grand homme.

Les personnes qui voudraient ne pas perdre toute espé­rance, demanderont peut-être quel intérêt pouvoit avoir FATAFE à assurer que ces animaux vivoient encore. Je leur répondrai qu’il vouloit nous convaincre du soin qu’il avoit mis à les conserver, afin de ne pas éloigner de nous l’idée de lui donner d’autres espèces qu’il désirait avec empressement, telles que des lapins, des oies et des pigeons. Il a obtenu de chaque frégate une couple d’oies. On peut espérer que ces animaux, moins capables de fixer l’attention, ne réveil­leront pas la jalousie des îles voisines, et que FATAFE pourra les élever sans être troublé dans sa possession ; car je suis disposé à croire que les bœufs et les chevaux laissés par COOK à Tongatabou, ont été une occasion de guerre entre les habitans de Fedgi et ceux des îles des Amis : ce qui semblerait justifier cette opinion, c’est que les chèvres que COOK avoit également laissées à Tongatabou, n’existent plus dans cette île, et qu’il y en a à Fedgi, où il est évi­dent qu’elles ne peuvent être venues que de Tongatabou. Il ne serait nullement étonnant que la grande quantité de marchandises Européennes versées dans cette dernière île pendant notre séjour, n’excitât la cupidité des insulaires de Fedgi, et qu’une visite pacifique de notre part, faite aux premiers, ne leur en attirât une très-hostile de la part des habitans des îles Fedgi. Il semble, en vérité, que toute communication des malheureux 1793.
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Indiens avec les Européens, ne puisse que leur être nuisible, dans quelques dispositions amicales que ces derniers viennent chez eux ; et qu’ils n’aient pas. moins à gémir de nos funestes présens, que des cruautés qu’ils ont éprouvées de la part de nos ancêtres.

L’île de Tongatabou paroît être d’une fertilité étonnante ; des bois immenses de cocotiers et de bananiers, des champs couverts d’ignames, ne laissent apercevoir aucun espace qui ne soit cultivé et en rapport. Les propriétés y sont marquées et garanties par des enclos beaucoup mieux faits encore que ceux d’Amboine. Le paysage y est extrêmement agréable ; on peut, à toute heure du jour et par-tout, se mettre à l’abri des rayons du soleil. Les riches propriétaires de ces îles logent sous de grands hangars, très-artistement construits, et qu’ils ferment avec des nattes pendant la nuit. Le peuple n'habite que de simples huttes, dont le plancher, ainsi que celui des hangars, est élevé d’un demi-pied au-dessus du sol, sans doute pour laisser circuler l’air. On ne trouve dans toute l’étendue de l'île Tongatabou que de l’eau de mau­vaise qualité ; la nature, si libérale envers ses habitans, leur a refusé cet objet essentiel, auquel néanmoins ils peuvent suppléer par l’eau des cocos qu’ils ont en très-grande abon­dance. Ce défaut d’eau sera toujours un grand obstacle à ce que ces îles soient fréquentées par les Européens. Les naturels nous on dit qu'il y en avoit à Koa, île voisine de Tofao ; j'étois trop pressé pour pouvoir aller m'en assurer : mais si l'on trouve en effet de l'eau dans cette île, et qu'elle y soit facile à faire, il ne manquera rien 1793.
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aux ressources que peuvent offrir les îles des Amis.

Quant aux cochons, volailles, &c. &c., il y a peu ou point de pays où l’on puisse, comme à Tongatabou, se pro­curer, dans l’espace de quinze jours, près de quatre cents cochons, six cents cocos par jour environ, cinq cents volailles, des ignames autant que l’on pourroit en consommer, ainsi que des bananes et des cannes à sucre. Le fruit à pain y étoit moins abondant que les autres objets : il paroît qu’il est plus négligé, parce que les habitans, et sur-tout les chefs, n’en font pas un grand usage. L’on a embarqué, sur chaque frégâte, plus de mille cocos, et de tous les autres comestibles autant qu’il étoit possible d’en conserver. Il seroit difficile, dans quelque relâche que ce pût être, de se pourvoir d’autant de rafraîchissemens ; aussi les équipages trouvoient-iis que c’étoit le meilleur pays de la terre. Mais ce n’est pas à raison des comestibles seulement que ce mouillage étoit si fort de leur goût ; la malheureuse facilité qu’ils ont eue de se lier avec les femmes qu’ils y ont rencontrées, et dont quelques-uns se sont ressentis, contribuoit beaucoup à le leur rendre agréable.

C’est à l’extreme abondance de toute espèce de vivres que sont dues sans doute la prodigieuse population des îles des Amis, et la bonne constitution des habitans, que l’on remarque sur-tout parmi les chefs, qui jouissent de tous les agrémens de la vie. Aussi, d’abord, avois-je été tenté de croire que ces chefs étoient choisis à l’embonpoint et à la taille ; mais, quoique d’une belle stature, 1793.
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on remarquoit en eux quelque chose d’efféminé , suite naturelle d’une vie oisive et volup­tueuse. Leur plus grand exercice est celui de la danse : dans les fêtes publiques, eux seuls, je crois, ont le droit de figurer ; car il est peu croyable qu’ils consentissent à se mêler avec les autres classes. L’on en vit des plus considérables danser, à la fête que nous donna la reine TINEE ; ses fils et d’autres chefs qui nous étoient connus, étoient acteurs dans la danse : d’où je crois être fondé à conclure qu’ils étoient tous de la même classe. Le peuple me sembleroit être d’une race diffé­rente ; cependant il paroît jouir d’une santé qui annonce de l’aisance. La seule marque de misère que l’on ait aperçue dans ces îles, c’est une espèce de gale ou de maladie cu­tanée dont presque tous les hommes des classes inférieures sont infectés, et dont il paroît que ceux de la première classe ont les moyens de se préserver. On a vu aussi plusieurs ulcères dans les diverses classes d’habitans ; mais ils paraissent ne pas s’en inquiéter, et ils n’y portent aucun remède.

Si les bœufs et les chevaux laissés par COOK à Tongatabou n’ont pas eu un sort heureux, les cochons qu’il y a déposés ont beaucoup prospéré. L’espèce de cochons natu­relle à ces îles, étoit excessivement petite ; mais croisée avec ceux d’Europe, elle fournit actuellement des cochons du poids de près de deux cents livres. On a fait à bord, et consé­quemment avec beaucoup d’incommodité, des salaisons ; cependant elles étoient d’une assez bonne qualité. Nous avons fait notre eau à Panghaimodou : elle n'etoit point point saumâtre, mais elle étoit 1793.
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bourbeuse et fade ; on la puisoit dans un creux éloigné de trois ou quatre cents pas du lieu de l’embarquement : aussi a-t-on été obligé de transporter les pièces sur une charrette, comme on l’a dit plus haut.

Quoique nous n'ayons pu prendre qu’une très-petie provision d’eau, nous n'avons pas hésité à en destiner tout ce qui étoit nécessaire pour arroser les plants d’arbres à pain que nous avions embarqués sur les deux frégates : on avoit pu placer environ trois cents pieds de ces arbres sur chaque bâti­ment. M. LA BILLARDIERE et M. LA HAYE en ont cultivé séparément à bord de LA RECHERCHE ; ils ont employé des procédés différens, afin de jeter quelques lumières sur la manière la plus avantageuse de les conserver. Je regardois comme très-important que quelques-uns pussent arriver en bon état à l’île de France, d’où cet arbre pouvoit être faci­lement transplanté dans nos colonies de l’Amérique.

Nous avons profité de notre séjour dans le havre de Tongatabou, pour en lever le plan ; deux canots ont été détachés pour trouver une passe dans le Nord de notre mouillage : l’ingénieur-hydrographe a fait plusieurs stations, d’où il a fixé, par des relèvemens astronomiques et par des mesures d’angles, les points principaux qui étoient en vue. La mesure de la hauteur angulaire des mâts de LA RECHERCHE, prise de l’extrémité Sud de l’île d’Atata, a servi à calculer la base de ce plan, que l’on peut regarder comme très-exact. Les passes que nos canots on découvertes au milieu des bancs situés au Nord du mouillage, 1793.
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rendent ce havre très-commode. La sortie du côté de l’Est avec des vents et des courans contraires, étoit très-difficile ; mais l’on est actuellement assuré d’y entrer et d’en sortir par toute sorte de vents. Il y a, entre i’île Panghaimodou et les trois bancs qui sont à l’Ouest de cette île, un espace assez étendu, où la mer du large ne peut jamais se faire ressentir. L’on verra dans le plan les diverses routes que les canots ont suivies pour sonder ce havre, et celles que les bâtimens ont tenues pour y entrer et pour en sortir. La pointe de l’observatoire du capitaine COOK a été un des lieux de station ; l’on y a encore trouvé plusieurs des piédestaux qui avoient servi à poser les instrumens de ce célèbre navigateur.

Après avoir été forcés de renoncer à tout établissement fixe à terre, l’on s’est contenté d’aller à i’île Panghaimodou le matin, à midi, et le soir, prendre des angles horaires, et observer la latitude. Une garde de quelques hommes suffisoit, pendant le temps des observations, pour écarter tous ceux qui s’approchoient. On est descendu à terre trois fois pendant la nuit, pour observer des éclipses de satellites de Jupiter ; mais le temps couvert a toujours empêché de faire ces obser­vations. Au défaut de phénomènes célestes instantanés, on a observé un grand nombre de distances du soleil et des étoiles à la lune. La montre n.° 14, qui avançoit par jour de 8"o8 en partant de la terre de Van-Diémcn, n’avançoit plus, a Tongatabou, que de 5 "2 sur le temps moyen. Il y a eu quelque différence entre les résultats d’angles horaires pris aux mêmes époques 1793.
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par divers observateurs ; mais cela provenoit de ce que le cercle astronomique ne portoit pas sur un terrain solide : cependant les résultats des angles horaires observés les derniers jours par MM. ROSSEL et BONVOULOIR, eurent entre eux le plus parfait accord.

Si l’on suppose que le mouvement de la montre n.° 14 avoit été uniformément retardé pendant la traversée de la terre de Van-Diémen à Tongatabou, la longitude de l’ob­servatoire situé sur l’île Panghaimodou seroit de 182° 20’ 34" orientale. La longitude du même observatoire, obtenue par vingt-un résultats de distances orientales de la lune au soleil, et dix résultats de distances occidentales, corrigés des erreurs des Tables de la lune, est de 182° 26’ 46" orientale. La latitude de l’observatoire est de 21° 7’ 35" australe. La latitude du mouillage de LA RECHERCHE a été trouvée

de 21° 8’ 22".
CHAPITRE XV.

Départ du havre de Tongatabou, le 9 Avril 1793. -— Reconnaissances des îles Tanna, Annatom et Erronan. —Découverte des îles Beaupré. —Arrivée dans le havre de Balade. —Séjour dans ce havre, du 18 Avril au 9 Mai. —Récit des principaux événemens qui y ont eu lieu.


Nous mîmes à la 1793.
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voile le 9 avril, à six heures et demie du matin ; et à huit heures quarante-cinq minutes, 9. nous étions en dehors de la passe du Nord. Je fis diriger la route à l’Ouest-Nord-Ouest jusqu’au lendemain, pour nous écarter des bancs de l’île de Tongatabou, dont l’étendue nous étoit inconnue. Le 10, 10. à la pointe du jour, je fis gouverner à l’Ouest pour nous rendre à la Nouvelle-Calédonie. J’espérois que, sur cette route qui n’avoit pas encore été suivie, nous pourrions découvrir quelque île nouvelle ; mais il ne s’offrit à notre vue que la petite île de la Tortue, dont nous eûmes connoissance à cinq heures et demie du soir.

Le 15 avril 15., à environ midi, nous aperçûmes l’île d’Erronan dans l’Ouest 27° Nord ; et peu de temps après, l’ESPERANCE nous signala l’île d’Annatom au Sud-Ouest. Nous entre ces deux îles sont les plus méridionales de l'archipel del Espiritu-Santo. Dans la soirée, l'on vit très-distinctement 1793.
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le volcan de l’île Tanna. La fumée qui en sortoit, nous le fit paroître comme au milieu des nuages, tandis que le ciel étoit serein dans toutes les autres parties de l’horizon. Nous eûmes, à l’entrée de la nuit, le spectacle de ce volcan. La latitude de l’île d’Erronan est, par nos obser­vations, de 19° 32’ 15" australe ; et sa longitude, d’après la montre n.° 14, est de 167° 39' 51" orientale. COOK place la même île par une longitude qui est plus orientale que celle-ci de 18' 22" (2) ;. mais nous croyons que la longitude du navigateur Anglois est trop orientale de plusieurs minutes.

Nous eûmes constamment, pendant cette traversée, des vents très-violens de l’Est au Sud-Est. Aux approches de l’archipel del Espiritu-Santo, les courans nous jetèrent dans le Nord de près de 24’ par jour ; et ils continuèrent à nous porter dans cette direction avec la même force, jusqu’à notre arrivée à la Nouvelle-Calédonie. La prudence exigeoit qu’en suivant une route nouvelle, dans cette mer parsemée d’écueils, nous prissions de grandes précautions pendant la nuit. Aussi avois-je fait régler la voilure de manière à pouvoir revenir au plus près du vent en cas de rencontres imprévues : cependant, pour les prévenir autant qu’il étoit possible, j’avois donné ordre aux officiers de quart de mettre à la cape, toutes les fois que le temps viendrait à s’obscurcir.

Le 17 au soir, 17. veille de notre arrérage à la Nouvelle-Calédonie, il ventoit grand frais ; le temps étoit nuageux, mais pas assez sombre 1793.
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pour me décider à perdre une nuit en restant à la cape : je donnai ordre de continuer la route avec peu de voiles. Vers trois heures du matin, le temps s’obscurcit, et l’on entendit un grand nombre d’oiseaux crier près de la frégate, indice presque certain, à cette heure, du voisinage de quelque terre. Quoique le jour ne fût pas très-éloigné, M. MERITE, officier de quart, eut la prudence de faire mettre en travers. À quatre heures, nous fîmes route ; mais, à peine pouvoit-on distinguer les objets, qu’une terre très-basse s’offrit à la vue : l’instant d’après, l’on vit cette terre entourée de brisans, sur lesquels nous eussions donné, sans la précaution que l’officier de quart avoit prise ; car nous faisions deux lieues par heure, sous les huniers seulement avec un seul ris largue. Cet écueil dangereux fut reconnu de très-près : le plan particulier en a été levé avec soin. Il peut avoir de neuf à onze milles de longueur du Nord au Sud, et sept à huit milles de largeur de 1'Est à l’Ouest. Nous vîmes deux petites îles boisées, placées à la partie orientale de ce ressif, et une troisième plus grande que les deux autres au milieu ; nous les avons nommées îles Beaupré. La latitude de l’île la plus septentrionale est de 20° 15′ 30″, et sa longitude est de 163° 50′ orientale.

Nous eûmes connoissance de la Nouvelle-Calédonie le même jour, à une heure et demie. Je fis diriger la route à l’Ouest-Sud-Ouest, pour nous défendre contre les courans qui portoient au Nord. À quatre heures et demie, nous étions à un mille du ressif qui est près de la côte orientale de cette grande île ; 1793.
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elle nous parut en être bordée, ainsi que la côte occidentale que nous avions reconnue en 1792. Nous aperçûmes, sur le flanc d’une montagne dont le sommet se perdoit dans les nuages, une tache blanche, qui, vue de plus près, fut reconnue pour être une superbe cascade ; on en remarqua plusieurs autres dans les environs de celle-ci : toutes ces chutes d’eau produisoient un effet très-pitto­ resque, au milieu des arbres d’un vert sombre, dont la montagne étoit recouverte. Plusieurs personnes, à bord de l’ESPERANCE, révoquèrent en doute l’existence de ces cascades parce qu'elles n’avoient pas vu leurs eaux se jeter dans la mer : mais, à bord de la Recherche, nous vîmes dis­tinctement un ruisseau qui s’y rendoit ; et il est probable que les eaux des autres cascades se perdoient dans les terrains bas et sablonneux qui sont au pied de la mon­tagne d’où elles se précipitent.

Nous passâmes la nuit à courir des bordées, à très-petites voiles. Le 18, 18. à la pointe du jour, nous nous trouvâmes, à notre très-grand étonnement, au point où nous étions la veille au coucher du soleil, malgré une très-grosse mer qui nous avoit fait craindre de dériver dans le Nord. Comme l’entrée du havre de Balade, où je me proposois de mouiller, n’étoit marquée que par l’interruption du ressif qui borde la côte, nous prolongeâmes ce ressif de très-près, pour ne pas manquer l’ouverture qui conduit au mouillage. Mais comme il ventoit grand frais et que nous filions de sept à huit nœuds, à peine eûmes-nous aperçu cette entrée, qu'elle étoit déjà dépassée. 1793.
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Quoique nous ne fussions pas à une grande distance de la côte, nous n’avions pas pu distinguer l’île de l’Observatoire de COOK, que je croyois devoir servir de point de reconnoissance. Je fis prendre les amures à tribord et courir une bordée au Nord-Est, pour nous élever dans l’Est et pour nous mettre au vent de la passe. Il faut convenir que le temps n’étoit pas favorable pour s’engager dans un havre formé par des ressifs, et rempli de bancs. Cependant la vue de l’île Balabea, et la latitude observée à midi, qui étoit de 20° 5′ 49″, ne m’ayant laissé aucun doute que l’ouverture que nous avions dépassée ne fût l’entrée de Balade, je n’hé­sitai pas à y donner. Nous vîmes enfin l’île de l’Observatoire, lorsque nous arrivâmes à l’entrée de la passe ; mais elle est si basse, qu’il n’est point étonnant que, dans la matinée, elle ait paru confondue avec les brisans qui l’entourent : c’est plutôt un banc de sable qu’une île, quoiqu’il y croisse quelques genêts.

Nous étions dans la passe à près de deux heures ; on trouva au milieu quinze brasses d’eau. Le premier pilote faisoit gouverner du haut du mât de misaine : nous courumes plusieurs bords sans gagner beaucoup au vent, parce que nous étions forcés de louvoyer sans grande voile et avec deux ris pris dans les huniers. Nous passâmes sur plusieurs hauts-fonds. Une bordée plus avantageuse que les autres, nous faisoit espérer d’arriver au mouillage, quand on nous avertit que l’ESPERANCE étoit échouée : nous arrivâmes aussitôt, pour passer sous le vent de cette frégate ; et nous vînmes mouiller mouiller, 1793.
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de manière à pouvoir lui porter du secours. Nous laissâmes tomber l’ancre par sept brasses d’eau sur un fond de sable. Je fis, sur-le-champ, mettre les embarcations à la mer ; et j’envoyai la chaloupe à bord de l’ESPERANCE : mais il ventoit si grand frais, qu’elle fut près d’une heure sans pouvoir y arriver. J’étois sur le point de la faire revenir, lorsqu’enfin j’aperçus qu'elle s’étoit assez approchée pour pouvoir gagner au vent, en se mettant à l’abri de la fré­gate. J’avois expédié une embarcation légère, pour être informé de l’état dans lequel se trouvoit cette frégate : j’appris, avec satisfaction, qu'elle n’étoit échouée que très légèrement, et qu'elle n’éprouvoit aucune secousse. Deux ancres portées, l’une par la hanche de bâbord, et l’autre par le bossoir du même bord, la tirèrent promptement de danger ; et nous la vîmes à flot vers les neuf heures du soir. Cet accident me fit juger qu’il étoit convenable de nous touer jusqu’au mouillage. Nous y travaillâmes le 19 et le 20 ; 19, 20. mais le vent étant très-fort, nos grelins se rompirent, et nous fûmes forcés de mouiller une grosse ancre. Le fond étoit mauvais ; l’ancre chassa, et il fallut en mouiller une seconde. Nous étions tombés si loin sous le vent du mouillage, qu’il n’y eut plus moyen de le gagner à la touée, et qu’il fallut mettre à la voile le 21, pour 21. aller le prendre en louvoyant. Six bords nous mirent à-peu-près à la place où le capitaine COOK avoit mouillé en 1774. Ce ne fut qu’en approchant l’île de l’Observatoire, appelée par les habitans du pays Botiguioué, que l’on commença à trouver 1793.
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un fond de bonne qualité ; car il avoit été jusqu’alors de gros gravier, mêlé de corail et quelquefois de roche. Nous laissâmes tomber l’ancre sur du sable fin et vaseux, par six brasses et demie d’eau, à cinq cent trente cinq toises de l’île Bouguioué.

Le vent étoit trop frais, le jour de notre entrée, pour que les pirogues des habitans de Balade pussent naviguer ; aussi n'en vîmes-nous aucune de toute la journée. Le lendemain la brise s’apaisa, et il en vint quelques-unes auprès de nous. Les insulaires nous parurent, au premier aspect, tels qu’ils ont été dépeints dans le Voyage du capitaine COOK : néan­moins, malgré la confiance que devoit nous inspirer le récit de ce célèbre navigateur, nous ne trouvâmes pas qu’ils fussent une aussi belle race d’hommes que l’avance M. FORSTER. Ils ont la même stature et ils prennent les mêmes attitudes que les habitans de la terre de Van-Diémen. On doit juger, d’après cela, qu’ils sont d’une taille bien inférieure à celle des naturels des îles des Amis. Ils ont peu de cor­pulence ; leurs bras et leurs jambes sont très-grêles : une excessive maigreur décèle leur misère. Il semble que leurs moyens de subsistance soient très-insuffisans, quoique la population de l’île nous ait paru bien moins considérable que ne le pense M. FORSTER. Loin de pouvoir nous fournir des cocos, des bananes et des ignames, ils nous donnèrent tout ce qu’ils avoient dans leurs pirogues, pour un ou deux des cocos qui restoient à bord. La première journée que nous vîmes ces hommes, se passa très-tranquillement : le jour suivant, 1793.
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ils revinrent ; mais comme on avoit à manoeuvrer, on ne les laissa pas monter à bord.

Nous avions mis à la voile le 21, de très-bonne heure, comme nous l’avons déjà dit, et nous avions mouillé à dix heures du matin. Dès ce moment, les pirogues vinrent près des frégates ; les échanges recommencèrent, et l’on ne tarda pas à s’apercevoir que le vol n’étoit pas aussi étranger aux habitans de cette contrée, que le dit M. FORSTER. Ils prirent plusieurs mouchoirs, parce que l'on étoit sans mé­fiance ; mais aussitôt que l’on s'en aperçut, on les menaça de les châtier, et ils se sauvèrent tous à la nage.

Dans l'après-midi du 22, 22. M. DE CRETIN et un officier de l’ESPERANCE allèrent à terre dans la chaloupe, pour préparer le lieu où devoit se faire l’eau. Les habitans se rendirent en assez grand nombre près de l’aiguade ; et à peine le travail étoit-il commencé, qu’on en fut environné : un d’eux eut la hardiesse d’entrer dans le cercle qui avoit été tracé pour leur servir de limite, et de venir au milieu de nos gens enlever une hache. On le poursuivit, sans pouvoir l'atteindre : un soldat voulut tirer sur lui avec un fusil chargé à petit plomb ; mais M. DE CRETIN s’y opposa. A-peu-près au même moment, mais dans un autre endroit, MM. ROSSEL et BONVOULOIR, prenant des angles horaires, furent éga­lement entourés de naturels : on eut grand soin de les forcer à s’éloigner, pour pouvoir observer sans être impor­tuné par eux ; mais tandis que M. DE BONVOULOIR, assis sur son sabre, étoit occupé à placer le niveau de l'instrument, deux de ces insulaires 1793.
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traversèrent, en courant, le cercle qui leur avoit été tracé. Le premier enleva le bonnet de police de M. DE BONVOULOIR : cet officier se leva aussitôt pour arrêter le voleur ; et, dans le même instant, le second em­porta son sabre. Ce trait de filouterie est digne de remarque, et paroît prouver que ce n'étoit pas le premier coup d’essai de ces deux hommes. Dans le même après-midi, on prit à M. DE WELLE, qui se promenoit avec M. WILLAUMEZ, le sabre qu’il avoit à son côté.

Tous ces vols d’une audace plus caractérisée que les der­niers vols qui nous avoient été faits aux îles des Amis, eurent lieu dès le second jour que nous mîmes pied à terre. Nous y descendions assurément avec les dispositions les plus pa­cifiques, parce que nous étions convaincus que c'étoient des gens tranquilles et avec qui il étoit inutile de prendre des précautions. Mais ce qui doit surprendre le plus ceux qui ont lu le récit dans lequel M. FORSTER fait une peinture si séduisante des mœurs simples et de l’humanité des habitans de la Nouvelle-Calédonie ; c’est que ce peuple qui lui avoit paru si bon, et qui avoit témoigné, à ce qu'il dit, une si grande horreur en voyant des matelots manger de la chair, parce que ces insulaires crurent que c'étoit de la chair humaine, c'est que ce peuple, dis-je, est lui même anthropophage : il est avide de chair humaine, et il ne s'en cache pas ; ainsi il sembleroitque ce n'est pas un usage nouvellement établi parmi eux. Les préventions favorables que nous avions sur 1793.
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le caractère de ce même peuple, dévoient, comme on le pense bien, nous empêcher d’abord de croire fondée une accusation aussi injurieuse à la nature humaine, et aussi contraire à l’opinion que nous nous étions formée de sa douceur. Mais, ce jour même, on fit une découverte qui ne permit plus de révoquer en doute qu’ils ne se souillent de cette affreuse nourriture. Un os humain, où restoient encore quelques lambeaux de chair grillée, fut donné par un de ces féroces insulaires à M. PIRON, qui l’avoit vu s’en repaître. L’instant d’après, M. PIRONle remit à M. LA BILLARDIERE, qui le reconnut pour avoir appartenu aux ; os du bassin d’un enfant de quatorze à quinze ans. Mais, afin de s’en assurer d’une manière plus positive, on demanda à l’insulaire d’où provenoit cet os, et il montra l’endroit qu’avoit désigné M. LA BILLARDIERE. Le même os, ayant été porté à bord, fut présenté à deux naturels, qui ache­vèrent de manger ce qui y étoit encore attaché. On vit aussi entre les mains d’un autre homme, un morceau de chair qui, à la peau, fut reconnu pour être de la chair humaine. Tous leurs gestes enfin tendoient à prouver qu’ils s’en nourrissent. Ils croyoient sans doute se laver de cette infamie, en faisant entendre qu’ils ne mangent que leurs ennemis : mais, que ce soit pour assouvir leur faim ou leur vengeance, il est de fait qu’ils commettent cet acte de férocité, dont le moindre degré de civilisation devroit les corriger, et qui, étant des plus atroces, peut faire supposer qu’ils sont capables de tous les autres. Ce même peuple dont on avoit 1793.
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fait un si grand éloge, et que l'on avoit dépeint comme doué d’un caractère doux, rentre donc dans la classe des peuples les plus féroces.

Le 23, 23. j’envoyai faire de l’eau et du bois ; une garde de huit hommes, fournie par chaque bâtiment, fut destinée à protéger cette double opération. Pendant que l’on s’occupoit de ces travaux, quelqu’un crut avoir entendu crier au secours : un officier s’enfonça dans les bois avec une patrouille, pour courir au lieu d’où les cris étoient partis ; car on craignoit que quelqu’un des nôtres ne fût engagé au milieu de la foule des naturels rassemblés dans le voisi­nage. Aucun de nos gens ne fut aperçu ; mais on vit les insulaires qui, armés et rangés en bon ordre, s’avançoient vers le lieu où l’on faisoit l’eau. On transporta sur-le-champ à la chaloupe, les pièces à eau qui étoient remplies ; ensuite les soldats qui avoient protégé cette opération, se rapprochèrent de ceux qui coupoient du bois. Les travaux furent suspendus ; et l’on se réunit, afin de se mettre en état de défense : on s’occupa néanmoins de rembarquer les outils des travailleurs. Plusieurs naturels étoient restés près de l’aiguade ; et l’on n’avoit pas cru devoir les forcer à s’éloigner, parce qu’ils n’avoient témoigné aucune mauvaise intention : mais dès qu’ils s’aperçurent que l’on embarquoit les haches, ils tentèrent d’assommer, à coups de massue, le matelot qui les portoit. Un soldat qui étoit auprès de ce matelot, le dé­fendit, sans cependant faire encore usage de ses armes à feu. Cependant, la troupe des naturels, dont le nombre avoit 1793.
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été évalué à trois cents hommes, précipita sa marche, et commença l’attaque : les hommes du premier rang avoient la sagaye levée ; et ceux du dernier lançoient des pierres, dont quelques-uns de nos gens furent atteints. La prudence ne permettoit pas de les laisser s’approcher de trop près, et on leur fit signe de s’arrêter ; mais ils n’en tinrent aucun compte. Alors, pour éviter d’en être enveloppé, on tira quelques coups de fusil qui les mirent en fuite. Lorsqu’ils furent à quelque distance, ils firent halte, et semblèrent vouloir revenir sur leurs pas ; mais des coups de fusil tirés de nouveau, les détournèrent de leur dessein. Nous apprîmes, le jour suivant, que deux hommes de cette troupe avoient été blessés à la cuisse.

Le bruit des coups de fusil que j’avois entendu du bord, me donna des inquiétudes. Je voyois sur la grève un grand nombre d’habitans qui tantôt fuyoient, tantôt revenoient sur leurs pas. Je voulus, pour les intimider, leur faire connoître la portée de nos armes ; et je fis tirer deux coups de canon que l’on pointa entre le lieu où ils étoient et l’aiguade : les boulets, dont ils purent entendre le sifflement, et qui en tombant élevèrent une grande quantité de sable, les mirent en fuite. Nous les vîmes alors s’enfoncer dans les bois ; et la tranquillité parut bientôt régner dans notre camp. Les embarcations ne tardèrent pas à se rendre à bord ; et je fus instruit par M. DE LUZANCAY du détail que je viens de donner. Le même jour, et quelque temps avant cet événement, les insulaires avoient essayé de retenir de force plusieurs 1793.
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embarcations qui étoient allées à terre pour différens objets.

MM. les naturalistes 25. se rendirent le 25 avril sur les mon­tagnes qui étoient près de notre mouillage ; ils me parurent satisfaits de leur course, et principalement M. RICHE, qui étoit chargé de la partie minéralogique. M. BEAUTEMPS-BEAUPRE y monta avec eux, dans l’espérance de découvrir les ressifs dont la rade de Balade est couverte, et d’en fixer la position. On vit parfaitement de ces hauteurs la vallée décrite dans le deuxième Voyage du capitaine COOK ; mais elle ne paroissoit pas très-peuplée. On découvrit aussi la mer à l’Est, à l’Ouest et au Nord. M. BEAUTEMPS-BEAUPRE reconnut les îles Balabea et de la Reconnoissance, ainsi que plusieurs autres points qui avoient été placés sur les cartes en 1792. Il détermina les positions de ces mêmes points par rapport à l’observatoire de Balade, afin de lier les opé­rations trigonométriques de cette année à celles de l’année précédente. Du haut des mêmes montagnes l'on aperçut le ressif qui borde l’autre côté de la Nouvelle-Calédonie ; et l'on distingua une interruption, qui, d’après de nouveaux relèvemens, sembloit répondre à celle que nous avions cru apercevoir le 28 juin 1792.

Depuis que nous avions fait connoître aux habitans de la Nouvelle-Calédonie, la supériorité que nous donnoient nos armes à feu, ils devinrent moins entreprenans, et ils sem­blèrent avoir renoncé à tout projet d'attaque. La tranquillité dont nous commencions à jouir, nous faisoit espérer que l’on pourroit, pourroit, sans danger, 1793.
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faire de nouvelles incursions dans leur pays, pourvu que l'on fût en assez grand nombre pour éviter les surprises. Aussi MM. les naturalistes se proposèrent-ils d’en faire encore quelques-unes : ils desiroient pouvoir y employer deux jours ; et j’y consentis très-volontiers. J’avois moi-même le désir qu’on se rapprochât de la côte occidentale, que M. DE LA PEROUSE avoit reçu ordre de parcourir, et où, peut-être, il eût été possible de se pro­curer, sur son sort, des renseignemens que nous ne pouvions pas espérer d’obtenir au havre de Balade, situé à la côte orientale, que cet illustre et infortuné navigateur ne devoit point visiter.

Le 28 avril, 28. MM. les naturalistes entreprirent une course avec un grand nombre de personnes qui se joignirent à eux : elle devoit être de deux fois vingt-quatre heures ; mais le temps devint si mauvais, qu’ils furent forcés de revenir dans la soirée. Une seconde troupe moins nombreuse alla le même jour au village de Balade ; et l’on eut de nouvelles preuves que ce peuple est anthropophage. Toutes les parties d’un squelette où des traces de feu se faisoient remarquer, étoient attachées à un poteau. A quelques pas, un second poteau portoit le crâne d’un jeune homme, et au-dessus étoit le fourreau du sabre pris à M. DE BONVOULOIR : sans doute ils favoient regardé comme une des dépouilles de leurs ennemis, et l’avoient placé là, pour servir de trophée. Ce fourreau fut repris ; mais on ne retrouva pas le sabre. On détacha du squelette grillé plusieurs os, auxquels restoient encore quelques ligamens, 1793.
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qui annonçoient avec évidence que l'on n’avoit pas laissé à la chair le temps de se corrompre. L’insulaire à la porte duquel étoit attaché ce squelette, fit connoître, de la manière la plus expressive, que c'etoient les restes d’un malheureux qui avoit été dévoré.

On avoit reçu, quelques jours auparavant, de ces insu­laires, un genre d’instrument (2) que le capitaine COOK n’avoit pas connu, et dont nous avions ignoré quelque temps l’usage. D’après les premières informations nous avions cru que c’étoit un instrument de danse ; mais comme on n’avoit remarqué parmi eux aucune apparence de gaieté, et comme l’espèce de danse qu’ils avoient figurée en le tenant à la main, ainsi que les habitans de Tongatabou tiennent leurs espèces de pagayes, étoit accompagnée de grimaces qui n’offroient pas l’image de la joie, nous étions restés dans l’incertitude à cet égard. Nous apprîmes enfin par plusieurs d’entre eux, que cet instrument étoit des­tiné à éventrer les corps de leurs victimes, et à détacher la chair des os. Toutes les circonstances de cette horrible céré­monie nous furent représentées : elle commence en effet 1793.
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par une danse pendant laquelle un des acteurs tient une pique d’une main, et l’instrument dont je viens de parler, de l’autre. Ils n’omirent aucun détail sur la manière dont ils assassinent la malheureuse victime destinée à leur servir de festin, et dont ils la dépècent ensuite : ils nous représentèrent le partage qui s’en fait ; et enfin ils nous donnèrent l’idée de l’avidité hor­rible avec laquelle ils la dévorent après l’avoir fait cuire. Oh l’effroyable peuple !

Il n’est point étonnant que l’instrument dont nous venons de parler, n’ait pas été connu du capitaine COOK : soit par un sentiment de honte, soit à raison du prix qu’on y attache dans le pays, ce ne fut que plusieurs jours après notre arrivée à Balade, que les habitans en échangèrent un, mais en secret. La nouveauté de cet instrument le fit rechercher ; et pour lors ils en apportèrent plusieurs. Mais il paroît qu’il étoit plus rare que tous les autres objets qu’ils avoient échangés avec nous. Il est vraisemblable qu’ils ont usé d’une aussi grande circonspection vis-à-vis du capitaine COOK, et que le court séjour de cet illustre navigateur à Balade a été cause qu’il en est parti sans avoir connoissance de l’instrument singulier qui avoit excité notre curiosité dès qu’on l’aperçut. Ce ne fut que le 28 avril, qu’ils nous en apprirent l’usage ; et nous crûmes remarquer qu’ils le faisoient avec répugnance. Au reste, il paroît que les chefs seuls ont le droit de s’en servir.

Dans une course 29. qui fut faite le 29 par un grand nombre d’officiers des deux frégates, on parvint au sommet des mon­tagnes situées près de notre mouillage, et l’on descendit jusqu’à mi-côte. 1793.
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On crut voir de là, que la vallée dont parle COOK, et au milieu de laquelle serpente une rivière assez large, étoit aussi stérile que la partie de côte la plus proche des frégates. Le sol sembloit ne produire qu’une espèce d’herbe très-grossière, qui cependant étoit assez haute. Quel­ques cases éparses dans l’étendue de ce vallon, annonçoient que la population y étoit proportionnée au peu de fertilité de cette contrée : aussi ne rencontra-t-on qu’un très-petit nombre de naturels, dont l’excessive maigreur prouvoit, d’une manière convaincante, que ce sol ingrat ne pouvoit pas même fournir à la subsistance de ce petit nombre d’habitans. Le besoin pressant de la faim les porte à manger d’une terre calcaire, qui peut, dans le premier moment, apaiser l’appétit de celui qui la dévore, mais qui certainement ne peut pas servir de nourriture : ils mangent aussi des racines peu substantielles, ce qui fait connoître également que le pays est dénué de toute ressource.

Du 30 avril au 3 mai, Du 30 Avril.
au 3 mai
on fit plusieurs incursions dans l’intérieur de l’île, et l’on n’y vit rien d’extraordinaire ; elles servirent cependant à confirmer l’opinion que nous nous étions faite de la misère et de la férocité des habitans de cette malheureuse contrée.

Le 4 mai, 4. MM. les naturalistes revinrent à bord des fré­gates, après avoir fait une course de deux jours et demi. Ils s’étoient dirigés vers l’Ouest, pour contourner la mon­tagne au sommet de laquelle on étoit déjà monté, et pour pénétrer, par ce nouveau chemin, dans le vallon dont parle le capitaine COOK. M. LA BILLARDIERE 1793.
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parut assez satisfait de sa collection de plantes. Les recherches minéralogiques ne produisirent rien de plus que ce qui avoit été découvert dans les autres courses. On trouva que cette vallée étoit plus cultivée qu’on ne l’avoit cru d’abord ; mais l’on y rencontroit à chaque pas des traces de dévastation, et de nou­velles preuves de la férocité de ces peuples. Un très-grand nombre de cases brûlées, des cocotiers abattus, des têtes attachées à des piques pour servir de trophée, annonçoient la manière barbare dont ils se font la guerre. Je ne crois cependant pas que leurs guerres soient générales ; ce sont vraisemblablement des rixes de canton à canton, dans les­quelles les animosités et les vengeances qui s’entretiennent par le besoin de la faim, s’exercent encore avec plus de fureur que dans une guerre générale. Ce qui me fait juger ainsi, c’est que nous avons été, à différentes reprises, plu­sieurs jours sans voir beaucoup de naturels, et que, toutes les fois qu’ils ont paru en plus grand nombre, nous avons vu entre leurs mains de nouveaux lambeaux de chair grillée qu’ils dévoroient en notre présence.

Une pirogue à deux voiles, qui nous avoit paru venir du large, arriva à bord de LA RECHERCHE, dans l’après-midi. Il y avoit sept hommes dans cette embarcation ; mais ils ne ressembloient pas à ceux de la Nouvelle-Calédonie. Ils étoient cependant comme eux absolument nus ; et ils avoient les parties naturelles relevées et attachées par une ceinture. Ces hommes dont la peau étoit plus noire que celle des habitans de Balade, 1793.
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paroissoient être plus robustes et d’une plus belle stature que ces derniers. Ils nous firent entendre qu’ils venoient d’une île nommée par eux Hohona ; et ils nous indiquèrent la direction dans laquelle cette île devoit être, en montrant l’Est-Nord-Est. On distingua dans leur langage plusieurs mots de la langue des îles des Amis ; et ils com­prirent très-bien les mots de cette langue, que nos gens prononcèrent en cherchant à se faire entendre par eux. On les trouva beaucoup plus intelligens que les insulaires de la Nouvelle-Calédonie, avec qui ils paroissoient avoir eu peu de relations. Des habitans de Balade vinrent à bord pendant qu’ils y étoient, et ils n’eurent aucune communication avec ces étrangers. On me dit que les nouveaux-venus, qui étoient arrivés assez tard, avoient témoigné quelque désir de passer la nuit à bord ; mais on les avoit renvoyés avant d’avoir pu se former une idée bien précise de l’objet de leur demande. Nous nous flattions qu’ils reviendroient le lendemain ; mais nous ne les revîmes plus. Leur départ me causa d’autant plus de regrets, que j’avois espéré en tirer des éclaircissemens que nous n’avions pas pu obtenir des habitans de la Nouvelle-Calédonie. Malgré la longueur du séjour que nous avions fait à Balade, nous n’avions pas pu acquérir une grande connoissance de la langue qu’on y parle ; au lieu que ces nouveaux insulaires, qui entendoient et parloient celle des îles des Amis, auroient pu nous donner des renseignemens sur les îles qu’ils habitent, et sur celles qui sont peut-être dans leur voisinage. II nous fut impossible 1793.
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d’apprendre à quelle distance de Balade est l’île Hohoua. Mais, comme la direction qui nous avoit été indiquée, étoit à-peu-près celle où restoient les petites îles entourées de ressifs sur lesquels nous faillîmes de nous perdre le jour même de notre arrérage à la Nouvelle-Calédonie, on peut supposer que les hommes qui sont venus nous visiter étoient partis de ces îles. Nous n’oserions cepen­dant pas l’assurer, parce que nous ignorons jusqu’où s’étend leur navigation : il paroît néanmoins difficile que leurs piro­gues, peu différentes de celles de Balade, puissent se hasarder bien loin au large. Ces dernières ne s’éloignent de terre que par un très-beau temps ; pendant toute la durée de notre séjour, elles ne sont jamais sorties en dehors des ressifs qui bordent la côte. En général, la manière dont les habitans de Balade manœuvrent leurs embarcations, annonce qu’ils sont très-ignorans dans la navigation ; aussi le nombre de leurs pirogues est-il peu considérable. Les habitans des îles des Amis sont, sur cet objet, ainsi que sur tous les autres, bien plus avancés que les habitans de la Nouvelle-Calédonie.

Le 5, 5. notre aiguade étoit presque tarie, et ne fournissoit plus que quelques barriques d’eau par jour : à notre arrivée dans ce havre, l’aiguade désignée par le capitaine COOK l’étoit entièrement. Chaque frégate put cependant faire, tous les jours, environ quatre tonneaux et demi d’eau, ce qui se monte à huit ou neuf tonneaux pour les deux fré­gates ; mais le réservoir dans lequel on la prenoit, étoit épuisé lorsqu’on en avoit tiré cette quantité, et il falloit attendre le lendemain pour remplir de nouveau les futailles.

Le 6 mai, à minuit et demi, nous perdîmes M. HUON commandant La frégate l’ESPERANCE, à la suite d’une maladie de deux mois, qui s’est terminée en fièvre étique.

Cet événement avoit été prévu depuis plusieurs jours ; et l’on n’avoit pas attendu l’instant de sa mort pour manifester une douleur bien sincère. Ce malheur, vivement ressenti par toutes les personnes employées dans l’expédition, l’a été bien plus encore par ceux qui avoient des relations particulières avec lui ; mais combien cette perte a-t-elle dû être sensible à ses amis, et sur-tout à celui qui l’avoit déterminé à entreprendre une campagne dont sa frêle santé, épuisée par de longs et pénibles services, auroit dû l’éloigner ! Notre amitié mutuelle nous aveugloit tous les deux ; je lui avois proposé ce que j’aurois dû prévoir être au-dessus de ses forces, et il avoit cédé aux instances trop pressantes d’un ami. Mais ce qui a dû mettre le comble à ma douleur, et ce qui doit donner à mes regrets une éternelle durée, c’est l’attention qu’il a eue, jusqu’aux derniers momens, de ménager la sensibilité de son ami, et de ne pas laisser échapper un mot qui pût faire entrevoir en lui le moindre chagrin d’avoir entrepris cette campagne. Loin que ses sentimens pour moi fussent affoibîis, il sembloit avoir redoublé d’affection à mon égard ; le dernier témoignage qu’il m’en a donné, ne s’effa­cera jamais de mon esprit ni de mon cœur.

Au reste, la tranquillité d'ame inaltérable qu’il a conservée jusqu’au jusqu’au dernier instant, 1793.
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est faite pour consoler ses vrais amis ; il a donné des marques d’une résignation et d’une patience auxquelles la philosophie du siècle ne pourra jamais atteindre. Ses dernières dispositions, faites dans un moment de trouble où il serait si excusable que quelque chose, même d’essentiel, pût être omis ; ses dispositions, dis-je, ont manifesté toute la bonté de son âme. Des marques de souvenir ont été données à toutes les personnes qui avoient droit à sa reconnoissance ou à son amitié, dans une proportion et avec une mesure qui ont répondu à tous les sentimens que l’on avoit conservés pour lui.

Il n’a pas perdu de vue les divers objets relatifs au succès de l’expédition, à laquelle il n’a pas cessé de prendre le plus vif intérêt jusqu’à sa mort. Quelques morceaux précieux d’histoire naturelle ont été destinés, dans son testament, pour le service public ; et quoiqu’il eût légué à une per­sonne pour qui il avoit un grand attachement, sa collection entière, il a jugé devoir en extraire une nautile vitrée, dont il a préféré priver un ami pour enrichir le cabinet d’histoire naturelle de Paris, ou seront déposés tous les objets curieux recueillis pendant le cours de notre voyage. Ses soins se sont étendus jusqu’à sa sépulture, à l’égard de laquelle il a prescrit toutes les précautions nécessaires pour mettre ses cendres à l’abri de la férocité des habitans de l’île. Il s’est entretenu de sa fin avec un sang-froid et une liberté d’esprit qui annonçoient que les idées les plus sublimes occupoient sa pensée. L’île 1793.
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de Bouguioué me parut plus propre que la grande terre à remplir ses dernières volontés : c’est là que son corps a été déposé à l’entrée de la nuit, afin de dérober la vue de cette triste cérémonie aux naturels. Les états-majors des deux frégates et une grande partie des deux équipages ont accompagné le convoi. Pendant que l’on rendoit à M. HUON les derniers devoirs religieux, les seuls de ce genre qui aient été rendus dans cette terre barbare, les sanglots de tous ceux qui étoient présens n’ont pu laisser aucun doute sur la sin­cérité des regrets que nous causoit sa perte.

Le 7,7. nous fîmes les derniers préparatifs pour notre départ. Le 8,8. M. DAURIBEAU alfa prendre possession du commandement de la frégate l’ESPERANCE ; et M. ROSSEL prit celui

de LA RECHERCHE, en qualité de capitaine de pavillon.
CHAPITRE XVI.

L’on n’a pas trouvé, à Balade, de traces du passage de M. DE LA PEROUSE. -Caractère des habitans. Leurs mœurs et leurs usages.


Nous prîmes 1793.
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des informations pour tâcher de savoir si les habitans de la Nouvelle-Calédonie avoient vu sur leurs côtes quelques bâtimens Européens. Nous crûmes entendre qü’ils se souvenoient du capitaine COOK ; mais je n’oserois pas l’assurer : au reste, nous ne vîmes aucun des objets qu’il dit avoir laissés dans leur île. Cependant l’avidité que ces insu­laires témoignoient pour les haches, auxquelles ils donnent le même nom que les habitans des îles des Amis, semble annoncer que la connoissance qu’ils en ont, leur avoit été donnée par COOK et que ce navigateur leur en avoit éga­lement appris le nom. En général ils faisoient très-grand cas du fer, et ils nous ont paru en sentir le prix.

Dans l’une des excursions que l’on avoit faites pour aller sur le sommet d'une des montagnes voisines de notre mouil­lage, on fut informé, par des naturels, que l’on avoit vu deux navires près de la côte occidentale. Quoique nous n’ayons pas de notion certaine sur l’époque à laquelle ces navires avoient été aperçus, il me paroît cependant qu’ils ont voulu parler de nos propres frégates ; mais c’est-là tout ce que nous pûmes apprendre 1793.
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par eux. Nous n'étions pas assez avancés dans la connoissance de leur langue pour pousser plus loin nos informations. Nous pûmes néanmoins en recueillir quelques mots pendant notre séjour ; mais nous n’en avons jamais connu un assez grand nombre pour parvenir à former des phrases. A la Nouvelle-Calédonie, plus même qu’aux îles des Amis, les insulaires ont l’habitude de répéter les mots qu’ils entendent prononcer, et de dire élo, c’est-à-dire, oui ; ce qui nous avoit d’abord fait penser que l’on s’étoit entendu de part et d’autre : mais une plus longue expérience nous a appris que l’on ne sauroit être trop en garde sur les premiers renseignemens que l’on croit tenir d’eux. Cette habitude qui est presque générale chez les peuples du grand Océan, doit avoir donné lieu aux méprises et aux contradictions que l’on trouve dans les récits de plusieurs voyageurs, qui, n’ayant fait qu’un très-court séjour dans une même île, n’ont pas eu le temps de rectifier les notions fausses qu’ils avoient d’abord reçues.

Plusieurs personnes qui firent des vocabulaires de la langue de Balade, parurent convaincues, contre le sentiment du capitaine COOK, que le nom de Balade est celui de l’île entière. Elles en jugeoient sur ce qu’étant au haut d’une des montagnes voisines de notre mouillage, plusieurs de leurs guides leur montrèrent Balade dans toutes les direc­tions, et leur apprirent en même temps le nom de diverses îles, telles que Balabéa, l’île de l’Observatoire de COOK, qu’ils appellent Bouguioué, &c. en faisant très-bien la dis­tinction de celles qui étoient habitées d’avec celles qui ne l'etoient pas. 1793.
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Mais, ainsi que nous l'avons dit plus haut, rien n’est si facile que de se méprendre sur les renseignemens que donnent ces gens, dont l’habitude est d’imiter les gestes qu’ils voient faire et de répéter les paroles qu’ils entendent. Les sons qu’ils articulent en parlant, ressemblent si peu aux sons de notre langage, qu’il est impossible de les saisir et de les représenter avec les lettres de notre alphabet. Aussi trouve-t-on une assez grande diversité entre les mêmes mots écrits dans les différens vocabulaires. Les différences ont été assez grandes pour avoir fait penser que cette langue avoit plusieurs mots pour exprimer les mêmes choses ; mais, en supposant toutefois que les mots qui nous ont paru avoir la même signification, soient réellement différens, il est plus probable qu’ils appartiennent à chacun des dialectes que parlent vraisemblablement les habitans des cantons voisins de Balade, qui, à notre arrivée, étoient rassemblés en assez grand nombre.

Nous ne remarquâmes aucune trace de police ni de subordination parmi les habitans de la Nouvelle-Calédonie : ils semblent vivre indépendans les uns des autres ; ou du moins l'autorité de ceux qui nous avoient été désignés comme chefs, étoit si foible qu'elle ne nous parut avoir que très-peu d’effet. Les égards qu’ils avoient pour ces chefs, approchoient plus de la déférence que de la soumission. L’une seroit sans doute préférable à l’autre ; mais, malheu­reusement, l’expérience a prouvé qu'elle ne pouvoit suffire au maintien du bon ordre. Le droit que 1793.
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les chefs des îles des Amis s’arrogeoient d’en­ lever à ceux qui étoient moins constitués en dignité, ce que nous leur avions donné, m’avoit paru être une des principales causes du penchant que les habitans de ces îles ont pour le vol. Comme nous avons retrouvé ce même pen­chant dans les naturels de la Nouvelle-Calédonie, j’ai dû juger que les chefs de cette île usoient du même droit à l’egard de leurs inférieurs, quoique leur influence m’ait, en général, paru moins marquée. Aussi ai-je reconnu que je ne m’etois pas trompé. Dans une promenade que nous fîmes accompagnés de plusieurs naturels, nous donnâmes quelques bagatelles à ceux que nous présumions être chefs, et à ceux qui nous avoient rendu quelques légers services ; et plusieurs des objets donnés à ces derniers, furent pris sans difficulté par les autres.

Nous avons visité plusieurs de leurs cases, et nous n’y avons pas trouvé de vestiges des effets qui leur avoient été donnés par le capitaine COOK. Il paroît qu’ils cachent, avec le plus grand soin, tout ce qu’ils reçoivent ; ce qui annonce la mé­fiance avec laquelle ils vivent entre eux. Il a été impossible d’imaginer où ils avoient enfoui ce que nous leur avions donné ou ce qu’ils nous avoient pris ; car on n’aperçut dans leurs cases aucun des objets d’échange. Une natte est le seul meuble que l’on ait vu dans quelques-unes de ces mi­sérables huttes, dont l’ouverture qui sert de porte est si petite qu’on n’y peut entrer qu’en se tenant extrêmement courbé. Ces cases sont enfumées au point d’être inhabitables ; c’est sans doute 1793.
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pour se garantir de la piqûre des moustiques, en plus grand nombre et plus incommodes ici qu’on ne peut l’exprimer, qu’ils y allument du feu. La petite entrée dont nous venons de parler, est fermée par des joncs qu’ils ne lient pas ensemble, mais qui sont en assez grande quantité pour ne pas paroître détachés, lorsqu’ils les ont étendus le long d’un morceau de bois placé intérieurement au-dessus de cette espèce de porte.

La taille commune des habitans de la Nouvelle-Calédonie est peut-être un peu au-dessus de la moyenne : cependant on n’a vu qu’un seul homme de six pieds ; et l’on en a remarqué un assez grand nombre qui n’avoient pas plus de cinq pieds un ou deux pouces. Ces hommes sont entièrement nus ; mais ils ont la verge enveloppée avec une espèce d’écorce d’arbre ou plus simplement encore avec des feuilles, et ils la relèvent avec un cordon qui leur sert de ceinture. Ils y attachent tous les morceaux d’étoffe qu’on leur donne : les parties naturelles, ainsi que la tête, sont les endroits qu’ils ont le plus de soin d’orner ; quelques-uns cependant ont des colliers et des bracelets. La manière dont ils enve­loppent les parties naturelles, ne me donne pas lieu de penser que ce soit par décence : il me paroît plus vraisemblable que c’est pour garantir cet organe, plus délicat que les autres, de la piqûre des mouches, et des accidens auxquels il seroit exposé par la nudité. Quelques-uns parmi eux ont le prépuce fendu. Les femmes de ce pays ont le regard féroce et les traits désagréables ; elles portent pour tout vêtement une 1793.
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ceinture, qui fait plusieurs fois le tour de leur corps, et dont les franges retombent sur les cuisses pour couvrir les parties naturelles. Nous avons remarqué que les femmes mariées portoient des ceintures noires, et que celles des filles étoient blanches.

On a cru apercevoir, chez ce peuple, des traces de maux vénériens ; mais, comme les femmes sont ici beaucoup plus chastes que celles des îles des Amis, et qu’elles n’ont jamais consenti à pousser la complaisance aussi loin, c’est un fait qui exige d’être éclairci, et qui me paroît peu vraisemblable, Cependant nous avons vu peu de gens parfaitement sains. Des ulcères dans les différentes parties du corps y sont très communs, ainsi que des gonflemens considérables dans les aines ; mais ce dernier accident provient, sans doute, de l’usage qu’ils ont adopté de se lier la verge assez fortement pour empêcher la circulation du sang dans cette partie.

Malgré l’épreuve que ces insulaires avoient faite de nos armes, à feu, leur férocité ne s’est jamais démentie. Ils ne se sont presque jamais rassemblés près de nos embarcations ou près de nos travailleurs, sans que quelques-uns d’entre eux n’aient jeté des pierres et fait mine de nous attaquer mais quelques coups de fusil tirés en l’air les ont toujours dispersés et nous en ont délivrés. Au reste, ces petites rixes particulières, quoiqu’elles aient été fréquentes, n’ont pas empêché la communication des pirogues avec les frégates ; et les insulaires ont continué, jusqu’au dernier moment, de venir à bord pour traiter avec nous. On a évalué 1793.
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à quatre ou cinq cents, le nombre d’hommes qui étoient auprès de l’aiguade ou sur le rivage, le 23 avril, jour où les habitans manifestèrent des vues hostiles. Depuis leur dispersion, à peine en a-t-on compté soixante ou quatre-vingts dans les divers lieux qu’on a parcourus. Si la population n’est pas plus grande dans les cantons voisins que dans celui de Balade, il a fallu que l’on vînt de très loin pour parvenir à former un rassemblement de cinq cents hommes. Quoi qu’il en soit, il me paroît douteux que la population de l’île entière soit aussi nombreuse que le sup­pose M. FORSTER.

La grande différence qui existe entre les habitans de la Nouvelle-Calédonie tels que les a dépeints le capitaine COOK, et tels que nous les avons vus, nous a fait un devoir de chercher à découvrir les causes de l’étrange contradiction qui se trouve entre le récit du navigateur Anglois et le nôtre. Il me paroît très-vraisemblable qu’à l’époque où le capitaine Cook a relâché à Balade, ces insulaires jouissoient de la paix, et que leur férocité naturelle, qui étoit alors comme suspendue et assoupie, ne s’est développée qu’à la suite de quelque longue guerre qu’ils auroient eue à soutenir depuis son départ. Il me paroît aussi qu’un état de guerre qui auroit duré sans interruption pendant plusieurs années, peut suffire pour expliquer le changement que nous avons trouvé dans le caractère et les mœurs de ce peuple ; sans qu’il soit néces­saire de supposer que, lors de notre relâche, le pays fût habité par une nouvelle race d’hommes. En effet, il n’est pas possible d’admettre 1793.
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que, dans l’espace de vingt ans, l’ancienne race eût été entièrement anéantie. Une pareille destruction auroit infailliblement entraîné une ruine totale ; et quoique le pays eût considérablement souffert, il ne nous a cependant pas paru avoir éprouvé une aussi grande dévastation, puisque la culture n’étoit pas entièrement négligée.

Nous jugeâmes que les habitans étoient en guerre pen­dant notre séjour à Balade, ou que les hostilités venoient de cesser, parce qu’on remarqua un très-grand nombre d’hommes dont les blessures étoient récentes. D’ailleurs la chair humaine dont on les vit se nourrir, et qui ne pouvoit être que celle de leurs ennemis, annonçoit que les hostilités n'étoient pas d’une date bien reculée ; car on ne peut pas supposer qu’ils eussent la cruauté de garder long-temps leurs victimes ; la faim qui les presse, ne leur permettroit pas ce raffinement de barbarie, dont l’idée seule fait frissonner.

Je suis disposé à croire que les effets laissés à Balade par le capitaine COOK, ont attiré la guerre aux habitans de ce canton ; et que cette guerre n’avoit pas été heureuse pour eux, puisqu’il ne leur restoit rien de ce qu’ils avoient reçu en présent ou en échange. Notre passage pourroit également leur être funeste. En effet, les divers objets que les Européens donnent aux peuples qu’ils visitent, doivent exciter la jalousie et la cupidité de ceux qui n’y ont eu aucune part, et susciter des guerres sanglantes. Le butin que l’on fait dans ces guerres, dont l’unique objet est d’enlever à une peuplade des effets auxquels les peuplades voisines n’ont aucun droit, ne pouvant être considéré 1793.
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que comme un vol public fait avec violence, doit inspirer le goût des vols privés : c’est peut-être une des causes de l’introduction de ce vice parmi les habitans de la Nouvelle-Calédonie, s’ils en étoient effectivement exempts lorsque COOK les a visités.

Un assez grand nombre de cases abandonnées nous fit encore mieux juger que ce pays avoit été affligé de quelque fléau ; les marques de dévastation qu’on rencontrait presque à chaque pas, m’ont porté à croire que ce fléau étoit celui de la guerre. L’excès de la misère se faisoit particuliè­rement remarquer dans l’intérieur des terres ; les femmes et les enfans qu’on y a rencontrés, étoient de vrais sque­lettes : c’étoit un spectacle qui faisoit compassion. Les na­turels qui vinrent à bord dans des pirogues, ne parurent pas avoir autant souffert ; la pêche, sans doute, fournit à leur subsistance. Probablement par une des suites iné­vitables de la guerre, plusieurs champs qui sembloient avoir été jadis cultivés, étoient en friche au moment où nous les vîmes : le sol, à la vérité, nous a paru être peu susceptible de culture. Les arbres y viennent mal ; les co­cotiers ne s’élèvent pas à la moitié de la hauteur de ceux des îles des Amis ; l’espèce des bananiers y est excessivement petite. On a remarqué cependant quelques mor­ceaux de terres en rapport ; ce qui donne lieu de penser que l’art de la culture ne leur est pas entièrement in­connu. Des canaux d’arrosage et des sillons pratiqués avec assez d'intelligence, annoncent que c’est plus par paresse que par 1793.
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ignorance que les autres terrains restent en friche. L’éloignement que les habitans de la Nouvelle-Calédonie paraissent avoir pour les travaux de l’agriculture, est peut-être la première des causes qui ont rendu ce peuple anthro­pophage. N’ayant pas pu se résoudre à pourvoir à leur sub­sistance par une vie laborieuse, ils ont mené une vie errante et agitée, qui les a réduits à manquer du nécessaire, et les a mis dans le cas de se livrer au plus révoltant de tous les excès. Tout semble lié dans l’ordre moral, ainsi que dans la nature, où les événemens les plus faits pour étonner ne pro­viennent souvent que d’un enchaînement dont la première cause est bien simple, et paraît n’avoir aucune proportion avec le dernier effet qu'elle produit. Quoi qu’il en soit, la paresse de ces insulaires ne peut être révoquée en doute ; ils ne sortent de leurs cases que pour aller en course, et ils en sortent bien tard. Ils se rendoient tous les jours à l’en­droit où nous faisions de l’eau et du bois, soit par curio­sité, soit plus vraisemblablement encore, dans l’espérance de nous piller ; mais ils n’y arrivoient que quand le soleil étoit déjà fort élevé. Leur logement très-resserré, et où ils allument sans cesse du feu pour se garantir de l’impor­tunité des moustiques, les rend si frileux qu’ils n’osent pas s’exposer à la fraîcheur de la nuit. Ils paroissoient transis de froid, quand ils venoient à bord, les jours où le vent étoit frais ; aussi recevoient-ils alors avec plaisir toutes les espèces d’habillemens qu’on leur donnoit, et s’en couvraient-ils très-volontiers. On a trouvé 1793.
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quelques arbres à pain, mais en petite quantité : MM. les naturalistes jugèrent qu’ils n'étoient pas de la bonne espèce. Comme ces arbres ne sont ni de l'espèce qu’on trouve aux îles des Amis, ni de celle qui croît à Amboine, nous en avons embarqué quelques plants ; ceux que nous avions pris aux îles des Amis, avoient assez bien réussi pour nous faire espérer qu’on pourroit conserver ceux-ci. Quoique l’on n’ait aperçu d'oranger dans aucune course, il paroît certain que cet arbre existe dans les environs de Balade ; le fruit en a été vu entre les mains d’un naturel, et il m’a été remis par lui : il est étonnant que l’île si fertile de Tongatabou n’en produise pas, et qu’on en trouve à la stérile Calédonie.

Le jardinier botaniste a semé à Balade une grande quan­tité de graines ; mais on ne doit pas se flatter qu'elles aient réussi. Tout ce que nous avons remarqué dans le caractère et dans les moeurs des habitans, ne permettait pas d’espérer que rien de ce qu’on auroit déposé dans cette contrée pût y prospérer ; aussi n’ai-je pas voulu y laisser un bouc et une chèvre que je m’étois proposé d’y mettre à terre. II est aisé de juger que nous n’avons pas retrouvé la race des cochons que COOK leur avoit apportés ; ces hommes féroces, qui n’épargnent pas leurs semblables, ne leur ont certainement pas donné le temps de se reproduire.

Nous eûmes beaucoup de peine à faire notre eau ; mais nous fîmes du bois avec une grande facilité. Il étoit important de se pourvoir à Balade de ces deux objets essentiels, parce qu’il 1793.
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auroit peut-être été moins aisé de se les pro­curer dans les divers lieux que nous avions à parcourir, où nous devions trouver des habitans non moins féroces, mais plus aguerris et plus nombreux que ceux de la Nouvelle-Calédonie.

Le peu de ressource qu’offre cette grande île, les écueils dont elle est environnée, la férocité des habitans, la difficulté même d’y faire de l’eau, quoiqu’elle y soit assez abondante, tout cela est fait pour en éloigner les navigateurs. Si ce n’eût été pour tâcher de découvrir des traces de M. DE LA PEROUSE, je me serois dispensé d’y venir une seconde fois ; mais la continuité du ressif qui prolonge la côte occiden­tale, nous ayant empêchés d’y aborder l’année dernière, il étoit devenu nécessaire d’y retourner, pour nous assurer si ce n’étoit pas sur ce même ressif que M. DE LA PEROUSE avoit fait naufrage. J’avois attribué à cette position vrai­ment singulière, qui semble isoler ces insulaires du reste du monde et doit les garantir de la visite toujours funeste des étrangers, les mœurs douces et simples que je croyois être leur partage, et la tranquillité dont je supposois qu’ils dévoient jouir, d’après les récits du capitaine COOK et de M. FORSTER. Mais dès que nous eûmes connu ces hommes barbares, je trouvai que la barrière qui les environne est faite pour les contenir dans leurs limites, et pour em­pêcher qu’on aille se faire dévorer par eux ; car c’est le sort auquel doivent s’attendre les infortunés navigateurs qui feroient naufrage sur des côtes aussi périlleuses, et seroient forcés 1793.
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de chercher un asile au milieu de ces féroces sauvages.

Les diverses escarmouches qui eurent lieu pendant notre séjour à Balade, n’ont, à ce que j’espère, causé la mort à aucun des habitans : trois ou quatre furent blessés ; et ce n’est qu’après des provocations réitérées, que nous en vînmes à cette extrémité. Les insulaires des îles des Amis, moins médians qu’eux, avoient été plus maltraités. Il y eut deux hommes tués à Tongatabou, et deux des nôtres y furent grièvement blessés. Dans l’un et dans l’autre lieu, les naturels ont toujours été agresseurs, et l’ont été à plusieurs reprises avant que l’on se soit décidé à les repousser par la force. Les chefs de ces deux îles sembloient applaudir à la justice que l’on exerçoit contre les malfaiteurs, qui cependant, je crois, étoient autorisés par eux-mêmes. Des sentimens exagérés d’humanité ont fait juger beaucoup trop légèrement, sans doute, que le capitaine COOK en avoit usé avec trop de rigueur, à l’égard des insulaires du grand Océan ; mais, d’après ce qui nous est arrivé, il me paroît certain qu’il faut renoncer à les visiter, ou qu’il est indispensable de leur en imposer par une très-grande sévérité. Nous avons trouvé le souvenir de ce célèbre navigateur, cher à plusieurs habitans de Tongatabou, et principalement à la famille de FATAFE avec laquelle il avoit eu des relations plus particulières qu’avec les autres familles. Cependant quelques habitans qui avoient été moins bien traités par lui, le taxoient de dureté. Au reste, il est certain qu’il y a eu plus de gens blessés par des armes à feu, qu’on ne le dit dans la relation de son dernier 1793.
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Voyage, où l’on ne fait mention que d’un seul homme blessé à la cuisse par une balle. J’ai vu un autre homme blessé également par une balle qui étoit entrée à la partie supérieure de l’épaule et qui étoit sortie derrière le dos ; les deux cicatrices étoient trop bien marquées pour laisser la moindre incertitude sur la nature de la blessure.

J’avois d’abord eu le projet de faire lever le plan du havre de Balade ; mais il est semé d’un nombre si considérable d’écueils et de ressifs, il y a si peu d’endroits où le fond soit d’une bonne qualité, que j’ai cru devoir y renoncer. Je me suis borné à faire déterminer avec exactitude les positions des bancs les plus voisins du seul endroit où l’on trouve un fond propre au mouillage. Cet endroit est à environ six encablures dans l’Ouest de l’île Bouguioué, et l’on peut y laisser tomber l’ancre sur un fond de sable fin et vaseux. On verra sur le plan la route qu’il faut suivre pour aller prendre ce mouil­lage. Les hauts-fonds sont si faciles à distinguer, qu’il suffit d’envoyer un homme attentif et intelligent au haut du mât de misaine, pour avertir de changer de route lorsqu’on court sur quelque danger.

La latitude de l'observatoire est de 20° 17' 11" australe, et la longitude, de 162° 4' 31" orientale. Cette longitude a été obtenue par des distances du soleil à la lune, dont les résultats ont été corrigés des erreurs des Tables : elle est moins orientale que celle qui a été déterminée par Cook, de 16' 8" ; mais nous avons des raisons de croire que la longitude longitude du navigateur 1793.
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Anglois est trop orientale de plusieurs minutes 2. La longitude de l’observatoire, obtenue par la montre n.° 14, en ayant égard au mouvement d’accélération qui a eu lieu pendant la traversée de Tongatabou à Balade, est de 162° 7’ 28". La montre n.° 14 avançoit sur le temps moyen, de 8" 56 en vingt-quatre heures ; et, le 7 mai, à 6h 37’ 3o" 8 du soir, son retard absolu sur le temps moyen étoit de 10h 33' 25" 37.

L’aiguille aimantée déclinoit vers l’Est de 10° 1'. La tente d’observation n’avoit pas été dressée sur le rivage ; et nous ne pûmes pas observer l’inclinaison de l’aiguille.

2 Voyez, volume II.° la note de la page 514.
CHAPITRE XVII.

Départ de Balade, le 9 Mai 1793. — Reconnaissance de la partie orientale des écueils qui se prolongent dans le Nord-Ouest de la Nouvelle-Calédonie. — Reconnoissance de l’île Santa-Cruz.

Nous mîmes 1793.
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à la voile le 9 mai, par une jolie brise du Sud-Sud-Est, pour sortir du havre de Balade. Le peu de ressources qu’offre le pays, 9. la férocité des habitans, et la perte que nous venions d’y faire, nous firent abandonner ce havre avec une très-grande satisfaction. Nous étions, à huit heures et demie du matin, en dehors de la passe. Je me proposois d’aller reconnoître les ressifs que COOK avoit découverts, à l’extrémité de la côte orientale de la Nouvelle6Calédonie, et de vérifier jusqu’où ils s’étendent de ce côté ; mais le calme qui survint, nous empêcha d’en approcher. Le peu de vent qui souflloit alors, venoit du Nord, et nous força de prendre les amures à bâbord.

Le lendemain 10. 10 mai, nous vîmes les ressifs de très-bonne heure. Comme, d’après la carte de COOK, ils forment, dans cette partie, un grand enfoncement où il aurait été inutile de s’engager, je fis gouverner au Nord-Ouest, pour en traverser l’ouverture, et aller directement prendre connoissance des brisans situés à la pointe septentrionale : mais le vent étant 1793.
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tombé dans la matinée, il nous fut impossible de les voir de tout le jour. Un peu avant midi, on aperçut dans l’Ouest quelques-unes des îles qui avoient été vues l’année précédente ; elles étoient dans un très-grand éloignement. Les routes de la nuit furent combinées de manière à nous trouver le lendemain dans le Sud et à une distance conve­nable des derniers brisans découverts par COOK.

Le 11, au jour, 11. nous ne devions nous trouver, d’après l’estime, qu'à deux lieues dans l’Est de ces brisans ; cependant on n’en eut aucune connoissance. Je fis gouverner à l’Ouest ; et, à dix heures, nous aperçûmes des ressifs du haut des mâts. La hauteur du soleil, observée à midi, fit connoître que nous étions par 18° 52’ 16" de latitude, c’est-à-dire, de 15' plus Nord que les derniers ressifs découverts par COOK, lesquels se trouvent, sur la carte de son second Voyage, par 19° 7’ de latitude : les courans nous avoient portés, dans les vingt-quatre heures, de 20’ au Nord, et nous les avions dépassés sans en avoir connoissance. Après avoir doublé les brisans que nous avions aperçus le matin, nous continuâmes de gouverner au Nord-Ouest ; et nous n’en vîmes plus du reste de la journée.

Le 12 mai, 12. à six heures trois quarts du matin, nous relevâmes, au Nord-Ouest, la petite île de la Surprise, en avant de laquelle on vit des brisans, à la distance d’environ deux lieues. Quelques instans après, nous découvrîmes les îles Huon, mais dans un très-grand éloignement. On n’apercevoit alors aucun ressif dans l’Ouest. Il paroît qu’il y a, de ce côté1793.
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, une interruption d’environ sept lieues, qui répond à celle que nous avions remarquée en 1792, après avoir parcouru la côte occidentale de la Nouvelle-Calé­donie. Je pense qu’il doit y avoir un passage à cet endroit, à en juger du moins par la violence des courans, qui, comme l’année précédente, nous avoient portés dans l’Ouest. Nous passâmes aussi, cette année, au milieu de lits de courans dont le bruit se fit entendre pendant toute la nuit et une grande partie de la matinée. Lorsque nous relevâmes l’île de la Surprise à l’Ouest, nous vîmes les ressifs se prolonger dans le Nord : mais, dans cette partie, ils ne conservent pas la même direction, ainsi que ceux de la côte occidentale ; et, par cette raison, ils doivent être beaucoup plus dangereux. A peine les voit-on briser, lorsque les vents sont aussi foibles que ceux qui avoient soufflé ce même jour : souvent nous croyions en voir la fin ; mais ils ne faisoient que se replier pour former de vastes enfoncemens, dans lesquels on auroit pu s’engager sans s’en apercevoir, et où l’on auroit pu même être entraîné malgré soi par la violence des courans. C’est ce qui avoit failli de nous arriver dans la nuit du 12 au 13 mai, que nous avions passée en panne, les amures à tribord : le peu de vent qui souffloit alors, venoit de la partie de l’Est-Sud-Est au Sud-Est ; la route avoit dû valoir à-peu-près le Nord-Nord-Est, et nous éloigner des ressifs, qui, au coucher du soleil, avoient paru prendre leur direction vers l’Ouest-Nord-Ouest pour aller se joindre à ceux que nous avions suivis l’année précédente, en passant à l’Ouest des îles Huon. Le 13, à la pointe 1793.
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du jour, et dans le moment même où l’on arrivoit pour faire route à l’Ouest, on vit des brisans dans le Nord, à une très-petite distance de la frégate : ils s’étendoient de 13. l’Ouest à l’Est ; et nous fûmes obligés de gouverner au plus près du vent, et de faire route à l’Est-Nord-Est 5° Nord pour les éviter. En les doublant au vent, nous passâmes sur un haut-fond, que l’on vit bien distinctement de chaque côté du vaisseau. Les ressifs que nous avions suivis dans la matinée, sont d’autant plus dangereux qu’ils se ter­minent par des pointes de roches dont quelques-unes décou­vrent, mais dont le plus grand nombre sont à différentes profondeurs au-dessous de l’eau. A environ dix heures l'horizon étant très-pur, nous vîmes les brisans se prolonger dans l’Ouest-Sud-Ouest pour aller se joindre à la plus septentrionale des îles Huon, et nous n’en aperçûmes aucun dans le Nord. D’après nos observations, les ressifs de la côte orientale se terminent à 18° 1’ de latitude australe, et à 160° 40' de longitude orientale ; c’est-à-dire, par une lati­tude de 4’ plus Sud que celle où finissent les brisans situés à l’Ouest des îles Huon , et par une longitude qui est de 19’ plus orientale. Ainsi la Nouvelle-Calédonie est ter­minée à ses deux extrémités, et cernée dans toute son étendue, par une chaîne de ressifs très-dangereuse. Nous nous sommes trouvés deux fois, et à la pointe du jour, à une telle proximité de ces mêmes ressifs, que nous n'avons eu que l’espace nécessaire pour achever l’évolution qui nous les a fait éviter : mais, cette année, le temps étoit aussi beau qu’on pouvoit 1793.
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le désirer ; et il étoit très-mauvais en 1792. À sept heures et demie, je fis signaler la route au Nord-Est 1/4 Nord, pour nous rendre à la côte méridionale de i’île Santa-Cruz de Mendana.

Du 14 au 17, Du 14 au 17. les vents varièrent du Sud-Est à l’Est-Nord-Est ; le temps fut couvert ; nous eûmes de l’orage pendant la nuit du 15 au 16 mai. Le 17, à une heure après minuit, étant sur le parallèle de 14o 12’ de latitude australe et sur le méridien de 162o 40’ de longitude orientale, et à environ trente lieues dans le Nord-Ouest du cap Cumberland, le plus septentrional de la terre del Espiritu-Santo, on crut voir la terre de l’avant et peu après, un haut-fond, ou du moins un espace ou la mer étoit blanchâtre. Je fis donner vent devant, à l’instant même ; mais en virant de bord, la terre disparut. Nous perdîmes aussi de vue ce haut-fond apparent ; et il est vraisemblable que c’étoit une illusion optique, pro­duite par un lit de marée, ou bien peut-être l’effet d’une lueur phosphorique, car la mer étoit scintillante. Je ne voulois cependant pas m’éloigner du lieu ou on avoit cru voir un danger ; mais les vents varièrent à tel point qu’il nous fut impossible d’exécuter ce projet. Au reste, ces sortes de phénomènes sont si communs dans les parages de courans ou la mer est très clapoteuse, que je suis convaincu qu’il n’y avoit aucun écueil dans notre voisinage, lorsque nous virâmes de bord.

Le 19, 19. à six heures du matin, on vit une terre qui sembloit divisée et former deux îles ; le milieu restoit à l’Est 1° Nord. 1793.
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On découvrit en même temps, mais moins distinctement, une autre terre plus étendue, qu'on releva du Nord 7° Est au Nord 20° Ouest. Nous jugeâmes que celle-ci étoit l'île de Santa-Cruz de Mendana, et les deux autres îles, celles que CARTERET désigne sous les noms d’îles du lord Edgcombe et d’Ourry. Une autre île fut vue, peu de temps après, dans l’Est 32° Sud. Toutes ces îles font partie du groupe appelé, par CARTERET, îles de la reine Char­lotte. La pointe septentrionale de l’île du lord Edgcombe est par 11° 15" de latitude australe, et par 164° 8’ de longitude orientale. L’île que nous avions relevée à l’Est 32° Sud, n’avoit pas été aperçue par CARTERET ; nous l’appelâmes île de la Recherche : nous la vîmes dans un si grand éloignement, que nous ne pûmes la placer sur nos cartes avec précision ; on a cependant déterminé sa latitude et sa longitude, et elle doit être, à quelques minutes près, par 11° 40' de latitude, et par 164° 25' de longitude. Les positions que nous avons données aux îles du lord Edgcombe et d’Ourry, par rapport à Santa-Cruz, sont bien différentes de celles que l’on trouve sur la carte du capitaine CARTERET * ; mais ce navigateur avoit passé à une si grande distance de ces îles, que l’on ne doit pas être surpris du peu de conformité que l’on trouvera, à cet égard, entre sa carte et la nôtre. Le vent fut si foible et la mer si houleuse,


* On a cru devoir faire graver la carte du capitaine Carteret au bas de celle qui a été levée par M. BEAUTEMPS-BEAUPRÉ, afin que l’on puisse faire la comparaison de ces deux cartes. [N. D. R.] que nous 1793.
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ne pûmes nous approcher de l'île Santa-Cruz de toute la journée.

Le 20, à la pointe du jour, nous étions encore à quatre ou cinq lieues de cette île. Je fis gouverner sur une pointe qui nous paroissoit former l’entrée d’un golfe où l’on aurait pu se mettre à l’abri des vents d’Est, lesquels sont les vents dominans de ces parages. Je me proposois d’aller mouiller dans ce golfe pour y prendre des renseignemens sur M. DE LA PEROUSE ; mais le vent nous empêcha de le reconnoître avant la nuit. Nous vîmes, dans l’après-midi, une pirogue qui étoit à plus de trois lieues de terre : je n’aurois jamais sup­posé qu’une embarcation si frêle se fût hasardée à une aussi grande distance au large. Sur les cinq heures du soir, étant à environ un mille du rivage, nous aperçûmes cinq ou six pirogues qui venoient vers nous ; mais elles n’accostèrent pas les frégates, et retournèrent à terre aussitôt que nous mîmes au plus près pour nous éloigner de la côte. On sonda à un tiers de mille au large, et l’on fila cent brasses sans trouver fond.

Le 21,21. à cinq heures et demie du matin, je fis gouverner sur la pointe avancée, près de laquelle j’avois espéré de trouver un mouillage. L’ESPERANCE me demanda, par un signal, d’envoyer un canot pour sonder. J’y consentis ; et je fis en même temps mettre à la mer le grand canot de LA RECHERCHE. Dès sept heures, les pirogues revinrent près des frégates : elles étoient au nombre de seize ; il y avoit dans chacune d’elles deux ou trois hommes au plus. Le nombre de ces pirogues augmenta dans le courant de la matinée, matinée. 1793.
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A huit heures, étant à une très-petite distance de la pointe vers laquelle nous nous étions dirigés, je fis le signal de mettre en panne les amures à bâbord. Le canot de l’ESPERANCE arriva à huit heures et demie : il se réunit à celui de LA RECHERCHE ; et ces deux embarcations partirent ensemble, sous les ordres de M. WILLAUMEZ, pour aller visiter la côte. Dès qu’ils se furent mis en route, nous vîmes toutes les pirogues prendre la route de terre ; elles revinrent cependant bientôt après, et les échanges com­mencèrent à avoir lieu. La physionomie des habitans de l’île Santa-Cruz est en général désagréable et sinistre ; ils sont encore plus enclins au vol que les habitans de la Nouvelle-Calédonie. Des arcs, des flèches et des sagayes, nous pa­rurent être les armes dont ils font usage : ils avoient dans leurs pirogues du fruit à pain de deux espèces, des ignames, des cocos, des patates sucrées ; mais nous n’y vîmes aucun animal. On fit crier un cochon pour s’assurer s’ils connoissoient ce quadrupède ; et on jugea qu’il ne leur étoit pas étranger, parce qu’ils nous montrèrent leur île, comme pour nous indiquer qu’il y en avoit à terre.

Dès que les canots eurent doublé la pointe près de laquelle nous avions mis en panne, ils signalèrent qu’il n’y avoit pas de fond à quarante brasses ; bientôt après, ils entrèrent dans l’enfoncement dont ils alloient faire la reconnoissance, et nous les perdîmes de vue. Ils furent plus d’une heure sans reparoître, ce qui nous fit espérer qu’ils s’étoient avancés dans une baie profonde : enfin on les aperçut à dix heures ; mais ils nous firent connoître par un signal, qu’ils n’avoient pas trouvé de mouillage. 1793.
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Nous avions commercé pendant toute la matinée avec les pirogues dont nous étions environnés ; nous nous flattions qu’il n’y auroit à se garantir que de la filouterie des insulaires, et nous étions loin de prévoir qu’il faudroit employer contre eux des voies de rigueur : mais l'événement dont M. WILLAUMEZ me rendit compte à son retour, nous prouva que l’on ne peut pas se tenir trop sur ses gardes, toutes les fois que l’on a des communications avec eux. Nos canots avoient été entourés de vingt ou trente pirogues. Nos gens faisoient des échanges avec les naturels, et étoient sans méfiance à leur égard, quand tout-à-coup ils aperçurent dans une de ces pirogues un homme se lever, tendre un arc et le diriger sur eux. Au même moment on coucha en joue l’agresseur ; cette menace ne le retint pas, et il décocha sa flèche, qui blessa un matelot du canot de l’ESPERANCE. On tira des deux canots sur la pirogue d’où la flèche étoit partie : l’homme qui avoit commis l’acte d’hostilité, fut atteint d’une balle ; et on le vit tomber. Ses compagnons se jetèrent à la mer, ainsi que plusieurs hommes des autres pirogues qui au même instant prirent toutes la fuite. On ne fit feu sur aucune d’elles. La pirogue qui avoit été abandonnée, fut amenée et embarquée à bord de LA RECHERCHE. On y trouva trois arcs et trois paquets de flèches. Nous avions remarqué à bord, que ces insulaires avoient eu grand soin de casser la pointe de toutes les flèches, qu’ils avoient échangées contre d’autres objets ; et nous avions conjecturé, 1793.
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d’après cela, qu’elles étoient empoisonnées. Mais les expé­riences que nous fûmes à portée de faire sur les flèches qui avoient été trouvées entières dans la pirogue abandonnée, nous firent connoître notre erreur. Ainsi, il est probable que la pointe des autres n’avoit été rompue que dans la vue de les rendre moins dangereuses, si l’on avoit voulu en faire usage contre eux ; ou, plus vraisemblablement encore, pour conserver cette pointe et 1'adapter à de nouvelles flèches. La pirogue que nous avions embarquée, avoit été creusée dans un tronc d’arbre, comme presque toutes les pirogues des habitans du grand Océan ; mais elle étoit d’un bois beaucoup plus léger, et si spongieux qu’il étoit imbibé d’eau.

Lorsque M. WILLAUMEZ m’eut rendu compte de l’acte d’hostilité que les insulaires de Santa-Cruz avoient com­mis, il entra dans les détails nautiques. Il me dit que l’ouverture qui avoit été prise pour l’entrée d’un grand golfe, étoit celle du canal qui sépare les terres de l’île Howe d’avec l’île principale. À la première vue, on avoit effectivement jugé que ces terres faisoient partie de l’île Howe ; mais comme, en approchant de la côte, nous n’avions pas distingué l’entrée orientale du canal qui est indiqué sur la carte de Carteret, nous avions cru qu’elles tenoient à l’île Santa-Cruz. M. WILLAUMEZ jugea que le canal avoit une lieue de longueur et un mille de largeur ; il ne trouva pas de fond au milieu, ni même près des côtes qui le bordent. Dès que le canot fut embarqué, nous fîmes route, toutes 1793. Mai. voiles dehors, par un bon vent dEst, pour longer la côte ; il étoit alors près de midi. Nous étions trop près de terre pour pouvoir observer la hauteur méridienne du côté du Nord ; il fallut prendre son supplément, du côté de l’horizon opposé à la terre : comme le résultat des observations de MM. ROSSEL et DE BONVOULOIR provient de dix hauteurs voisines du méridien, il ne doit pas être susceptible d’une grande erreur. Dans l’après-midi, nous continuâmes à prolonger la partie méridionale de Santa-Cruz : quoique 1'aspect en soit uni­forme, il est néanmoins très-riant. La côte présente une masse de verdure assez élevée , qui paroît impénétrable aux rayons du soleil : on apercevoir, près du bord de la mer, des cases peu distantes les unes des autres., dont plusieurs paroissoient environnées de murs d’appui faits en pierres sèches ; un très-grand nombre de pirogues étoicnt à sec sur le rivage. Cette côte est bordée de rochers sur lesquels la lame est assez forte pour empêcher des embarcations tellesque les nôtres d'en approcher. Les naturels mettent leurs pirogues en mer avec une grande agilité : nous en vîmes lancer à l’eau plusieurs, qui tentèrent, mais vainement, de nous joindre ; nous faisions alors un sillage trop considérable pour quelles pussent nous atteindre. Je fis diriger la route au Sud-Ouest jusqu’au cap Mendana ; ensuite nous gouver­nâmes à l’Ouest, pour doubler le cap Boscawen. Depuis ce cap, la route prit, ainsi que la côte, très-rapidement du Nord. Mais quel fut notre étonnement de voir, à trois heures et demie, dans le Nord 3° Ouest une île qui avoir la même 1793. Mai. configuration que l’île du Volcan ! La position que cette dernière île devoit avoir, d’après nos relèvemens et notre route, étoit si différente de celle qu'elle occupe sur la carte de CARTERET, que nous restâmes quelque temps sans croire que ce fût réellement 1'île du Volcan ; notre incertitude étoit encore accrue par l’extrême petitesse que cette vue inopinée nous obligeoit de donner à l’île de Santa-Cruz : mais la baie Trévanion que nous ne tardâmes pas à apercevoir, dissipa tous nos doutes, et nous fit connoître que nous étions déjà parvenus à l'extrémité occidentale de cette île. Il faut que le capitaine CARTERET ait éprouvé des courans bien vio­lens portant à l’Est, pour avoir donné à Santa-Cruz une étendue d’environ dix-huit lieues de l’Est à l’Ouest, tandis qu'elle n'en a réellement que sept à huit, ainsi qu’on peut le vérifier sur la carte de M. BEAUTEMPS-BEAUPRE. Nous ne devions pas espérer d’arriver avant la nuit à l’extrémité occidentale de Santa-Cruz ; et c’est à la pointe Nord-Ouest de cette île, que nous nous trouvions à six heures du soir. L’on compta soixante-dix pirogues entre l’île Tréva­nion et la pointe occidentale de la baie du même nom. Le désir que j’avois de communiquer avec les habitans de Santa-Cruz pour tâcher de découvrir des traces de M. DE LA PEROUSE, me détermina à aller mouiller dans cette baie.

Nous passâmes la nuit à courir de petits bords. L’ESPERANCE tira quelques fusées : la crainte d’effrayer les insu­laires m’avoit empêché de leur donner ce spectacle ; mais quand j’eus remarqué que loin d’en être épouvantés ils 1793. Mai. sembloient y applaudir, j’en fis lancer aussi quelques-unes. Nous fûmes contrariés par les courans qui nous portèrent dans le 22. Nord-Ouest, et me firent craindre d’avoir de la peine à gagner la baie Trévanion. Le 22, au jour, nous continuâmes de louvoyer ; mais au lieu de nous élever au vent, nous dérivions considérablement dans l’Ouest. Les côtes près des­ quelles nous virâmes de bord, et sur-tout la pointe Nord de l’île Trévanion, étoient couvertes d’hommes qui nous parurent agiter des bâtons et des lances.

La partie septentrionale de l'île Santa-Cruz est plus peuplée que la partie méridionale que nous venions de parcourir : les habitants se hasardent fort loin au large dans leurs frêles pirogues, soit pour communiquer avec les îles qui sont dans le voisinage, soit pour aller pêcher sur des ressifs assez éloignés, que nous n’avons cependant pas aperçus ; nous en vîmes qui revenoient de très-loin ; le temps étoit, à la vérité, parfaitement beau.

J’avois annoncé, dans la matinée, au capitaine de l’ESPERANCE, que mon projet étoit d’aller mouiller dans la baie Trévanion, si les courans ne s’y opposoient pas ; mais vers deux heures, la bordée ne nous portant qu’à l’extrémité occidentale de l'île de ce nom, je renonçai à entrer dans cette vaste baie. Je fis hisser le signal de virer de bord, et de prendre les amures à tribord. Les vents de Sud-Est nous permirent de mettre le cap à l’Est-Nord-Est, et de prolonger la côte sans trop nous en éloigner. Bientôt ils passèrent au Sud-Sud-Est, et nous pûmes la suivre parallèlement. Je 1793. Mai. profitai de cette variété de vent pour prolonger la bordée pendant la nuit, et pour aller jusqu’au cap Byron, le plus oriental de Santa-Cruz. Le temps étoit serein ; et la lune éclairoit assez pour permettre de voir la terre et de faire des relèvemens. A onze heures un quart, nous relevâmes au Sud l’extrémité orientale de l’île Santa-Cruz. Nous continuâmes à gouverner à l’Est-Nord-Est ; mais les vents ayant passé à l’Est, nous courûmes des bordées pour nous trouver au vent de l’île le lendemain à la pointe du jour.

Le 23, nous aperçûmes le cap Byron au Sud 20° Ouest : 23. mais nous ne pûmes découvrir l’île Swallow, dont nous ne devions cependant pas être bien éloignés. Nulle terre ne paroissoit dans l’Est ; et l’on voyoit la côte orientale de Santa-Cruz fuir au Sud 1/4 Sud-Ouest. Nous fîmes route pour prolonger d’assez près la côte septentrionale. Mon projet étoit de m’arrêter au premier endroit où je trou­verais un assez grand nombre d’habitans rassemblés, afin de communiquer avec eux. On en aperçut plusieurs sur le rivage, auprès d’un petit hameau dont la position étoit très-agréable ; je fis mettre en panne vis-à-vis de cet en­ droit. Les naturels paroissoient vouloir nous engager à aller à terre : ils lancèrent quelques pirogues à l’eau, et se dirigèrent vers nous ; mais on ne put les déterminer à s’approcher : je me décidai alors à envoyer des embarcations pour avoir une entrevue avec eux. Je demandai le canot de l’ESPERANCE, par un signal, et je fis mettre le canot de LA RECHERCHE à la mer. Je donnai ordre aux offi­ciers qui 1793. Mai. devoient les commander, d’aller auprès du petit village dont je viens de parler, et de ne mettre pied à terre que dans le cas où ils seroient assurés de pouvoir le faire sans courir de danger. Je leur recommandai d’examiner les habitans avec une extrême attention, afin de s’assurer s’ils avoient quelques marchandises Européennes, et sur­ tout de celles qui auroient pu provenir des bâtimens de M. DE LA PEROUSE. Dès que nos canots se furent mis en marche, les pirogues qui s'etoient avancées au large prirent la fuite, et les naturels se retirèrent sur le rivage : à la vue des étoffes rouges qu’on leur montra en s’approchant d’eux, ils ne tardèrent pas à venir près de nos canots. Les échanges se firent de part et d’autre avec tranquillité, mais avec une extrême méfiance de la part des naturels. Ils avoient des arcs et des flèches dont ils ne se dessaisissoient qu'avec beaucoup de peine : ceux d'entre eux qui, plus avides de nos marchandises qu’attachés à leurs armes, voulurent trafiquer de leurs arcs, furent fortement répri­mandés par leurs compagnons ; mais ceux là même eurent l’attention de ne donner les arcs qu’à un des deux canots et les flèches à 1'autre. Ils nous donnèrent quelques-uns de leurs ornemens, tels que des bracelets assez bien travaillés, des colliers, &c. &c. Dans le nombre des colliers il y en avoit plusieurs de grains de verre ; mais ces grains provenoient certainement de manufactures Angloises ; et c’étoit le seul effet Européen que nous eussions apeçu dans l’entrevue qui qui avoit eu lieu avec les habitans de la côte méridionale 1793. Mai. de l’île. On aperçut, dans les pirogues de ceux-ci, une hache dont le manche ressembloit aux manches des haches des îles des Amis, mais qui, au lieu de pierre, avoit pour tranchant un morceau de cercle de barrique. Ce fer ne pouvoit venir que d’un navire Européen ; mais comme, aux îles des Amis et à la Nouvelle-Calédonie, nos équipages avoient fait passer pour des haches plusieurs morceaux de fer ainsi disposés, j’ai pensé que celle-ci provenoit du Swallow, ainsi que les grains de verre que nous avions vus : d’ailleurs un objet d’aussi peu d’importance, et dont les navires les moins bien approvisionnés ne manquent jamais, ne pouvoit en aucune manière faire présumer le passage de M. DE LA PEROUSE. Il étoit si abondamment pourvu en tout genre, que ce n’est pas à quelque chose d’aussi mesquin que l’on pouvoit reconnoître ses traces ; tous les lieux où ses bâtimens et les nôtres auront passé, en offriront certainement de moins équivoques.

On vit quelques cochons, mais point de volailles : il faut sans doute que les premiers ne soient pas communs ; car les habitans ne voulurent point en échanger. Après une entrevue d’une heure ou deux, qui fut, sinon amicale, du moins tranquille, on vit ces hommes s’éloigner tout-à-coup avec précipitation, sans que rien ait pu donner lieu à une séparation aussi brusque : on pensa qu’ils avoient été appelés par un de leurs chefs. Ce départ précipité ne parut pas être d’un favorable augure ; MM. les officiers commandant 1793.
Mai
les canots jugèrent devoir revenir avant que quelque acte d’hostilité de la part de ces insulaires, les eût mis dans la nécessité d’user de représailles. D’ailleurs il n’y avoit plus dans les canots d’objets d’échange à leur donner, et nous n’avions plus d’éclaircissemens à en attendre.

On vit quelques femmes ; mais elles ne s’approchèrent pas du bord de la mer. Elles étoient beaucoup plus dé­cemment vêtues que toutes celles des lieux que nous avions visités jusqu’à présent : leur jupe descendoit jus­qu’aux genoux, et une pièce d’étoffe leur couvrait la tête et le reste du corps.

Les embarcations ne purent pas aller jusqu’au rivage ; on fut obligé de mouiller sur un mauvais fond, et très-près d’une chaîne de roches qui en défend l’approche : les cablots se trouvèrent tellement endommagés, qu’ils rompirent lorsqu’on voulut lever les grappins. On ne trouve pas de fond à quelques toises au large de ces rochers. Dès que nos canots furent de retour à leurs bords respectifs, je donnai ordre de les embarquer ; ensuite nous fîmes route à l'Ouest-Sud-Ouest, pour nous rendre à la terre des Arsacides.

Quoique la côte de Santa-Cruz ne présente aucun point de vue pittoresque, elle est cependant d’un aspect très-riant : mais la verdure fraîche, et de teinte variée, qui commence au rivage et s’élève jusqu’au sommet des montagnes, est plus agréable à la vue qu'elle n’est utile aux habitans ; car elle n’offre aucune trace, de culture. Les cocos ne paroissent pas mieux y réussir qu’à la Nouvelle-Calédonie : les bananes, les patates 1793.
Mai
les ignames et les fruits à pain ne doivent pas y être très-abondans ; du moins les naturels n’en ont-ils point offert comme objets d’échange. Il sembleroit qu’il n’y a d’habité que le bord de la mer, et que la commu­nication n’a lieu dans cette île qu’avec des pirogues : aussi le rivage est-il couvert de cases, que l’on a construites dans tous les points où le bois très-fourré laisse entrevoir quelques espaces libres ; ce qui en rend la position infiniment agréable. Ces cases sont plus élevées que celles des îles des Amis ; elles sont de forme oblongue, ont des portes et des fenêtres : elles semblent beaucoup plus commodes et plus vastes. Autant l’aspect du paysage est riant, autant la physionomie des na­turels est-elle repoussante : ce n’est pas précisément un caractère de férocité qui y est empreint ; mais à une extrême laideur se trouve joint un air sombre, qui inspire la méfiance et le dégoût. Je ne doute pas que nous eussions été forcés d’avoir recours aux voies de force, si nous avions fait un long séjour parmi eux : cette considération m’a entièrement détourné du projet que j’avois eu d’aller mouiller dans la baie Trévanion, où tout annonce qu’avoit été formé l’éta­blissement de Mendana.

On a eu un morceau d’étoffe de cette île, qui ne donne pas une opinion bien avantageuse de l’industrie des habitans. Quatre ou cinq feuilles de papier très-grossier, collées en­semble, en donnent une idée exacte.

La pointe Nord-Est de l’île Santa-Cruz, appelée par

CARTERET, cap Byron, est située par 10° 41′ de latitude australe, 1793.
Mai
et par 163° 44' 30" de longitude orientale, d'après la montre n.° 14. La pointe Sud-Ouest de la même île, ou le cap Boscawen, est par 10° 51' 15" de latitude, et par 163°23' 30" de longitude.
CHAPITRE XVIII.

Reconnoissance de la partie méridionale de l'Archipel des îles Salomon, du 25 Mai au 8 Juin 1793.

Le 24 mai, 1793.
Mai
les vents soufflèrent de l’Est-Sud-Est au Sud-Est ; la mer fut houleuse : à neuf heures du soir, la barre de notre gouvernail cassa à deux pieds de la mortaise, 24. et à un point où elle ne pouvoit manquer d’être affoiblie par l’introduction d’une cheville qui se terminoit, des deux côtés de cette barre, par des anneaux auxquels étoient frappés les palans de drosse. Nous mîmes une autre barre en fer à la place de celle-ci ; mais comme elle avoit le même défaut de construction, je fis travailler sur-le-champ à préparer une barre en bois pour remplacer cette seconde barre, dans le cas où elle viendroit à rompre ainsi que la première.

Le 25 mai au jour, 25. je fis gouverner à l’Ouest pour aller reconnoître la partie méridionale des îles Salomon de Mendana. Le temps étoit assez clair ; cependant nous n’aperçûmes le cap Surville et les deux îles de la Délivrance qu’à dix heures. La hauteur du soleil, observée à midi, nous plaça par -10° 48’ 11" de latitude australe, et nous fit connoître que du 24 au 25 nous avions été portés, par les courans de 28’ dans le Nord. Nous passâmes dans l’après-midi au Sud des îles de la Délivrance, que je crois être les îles Santa-Catalina et Santa-Anna de Mendana. L’Île Santa-Catalina se trouve, 1793.
Mai
d’après nos observations, par 10° 53’ 50" de latitude australe, et par 160° 6' 30" de longitude orientale. Après avoir doublé ces deux îles, on diminua de voiles pour attendre l’ESPERANCE, qui étoit assez éloignée. A six heures le cap Surville nous restoit au Nord 32° Est ; le temps étoit couvert et le baromètre assez bas : je fis prendre les amures à bâbord pour nous éloigner de terre.

Nous passâmes la nuit à louvoyer pour nous soutenir contre les courans ; mais ils furent sans doute peu forts, car nous 26. nous élevâmes beaucoup au vent. Au jour on voyoit la côte s’étendre dans l’Ouest ; je fis gouverner pour la pro­longer à environ deux milles de distance. A dix heures, on aperçut un haut-fond qui s’étendoit à près de deux milles au large. Nous fûmes obligés de gouverner successivement à l’Ouest-Sud-Ouest, au Sud-Ouest 1/4 Ouest et au Sud-Ouest, pour le doubler. A onze heures, il étoit par notre travers et à environ un mille. Nous gouvernâmes alors sur la pointe la plus éloignée dans l’Ouest. A onze heures cin­quante-deux minutes, 0n crut voir encore un haut-fond, et nous mîmes une seconde fois le cap au Sud-Ouest : mais le changement que nous avions remarqué dans la couleur de l’eau, avoit sans doute été produit par l’ombre d’un nuage ; car cette apparence de danger cessa dès que nous eûmes changé de route. Incertain si l’horizon étoit borné par la terre, du côté où le soleil passoit au méridien, on observa la hauteur méridienne et son supplément : les résultats de ces deux espèces d'observation ont peu différé entre eux. La partie de côte 1793.
Mai
que nous avions parcourue pendant la journée, court à-peu-près directement à l’Ouest dans l’espace d’environ quatre lieues ; ensuite elle prend sa direction à l’Ouest-Nord-Ouest et Nord-Ouest 1|4 Ouest. Elle offre à la vue un grand nombre de golfes assez profonds ; mais ils sont tous ouverts aux vents du Sud. Nous avions cependant aperçu à l’Ouest du cap Sydney une baie ouverte à l’Ouest-Nord-Ouest, dont le rivage étoit formé par une belle plage de sable : il y a lieu de croire que l’on pourroit s’y mettre à l’abri des vents dominans de ces parages. Quelques îles très rapprochées de la côte pourraient offrir aussi des mouillages, si l’on pouvoit trouver fond dans les environs ; mais je ne le présume pas, car toutes ces terres sont coupées à pic et fort élevées. Presque tous les caps sont terminés par un rocher conique, au sommet duquel il y a une touffe d’arbres qui se présente comme une corbeille de verdure ; l’on voyoit de dis­tance en distance plusieurs rochers semblables à ceux-ci.

Cette côte très-hachée et très-verdoyante est d’un aspect pittoresque et agréable ; mais elle n’est guère habitée, et ne paraît pas susceptible de l’être, d’après l’épaisseur des bois qui s’étendent depuis le sommet des montagnes jusqu’au rivage. Aussi ne vit-on que peu de villages dans l’étendue assez consi­dérable que nous avions reconnue : tous ces villages sont situés dans les lieux où le bois s’éclaircit un peu. Nous n’aperçûmes qu’une seule pirogue dans la journée ; elle ressembloit aux pirogues de l’île Bouka, mais elle étoit beaucoup plus gon­dolée : on crut apercevoir de l’avant et de l’arrière de celle-ci, comme une espèce 1793.
Mai
de pavillon qui sembloit être detoffe ; je me déterminai à mettre en panne pour m’en assurer. Cette pirogue approcha ; mais elle ne vint pas jusqu’à portée de la voix : néanmoins on distingua clairement que ce que l’on avoit pris pour de l’étoffe, n’étoit qu’une branche d’arbre assez garnie de feuilles pour ne laisser entrevoir aucun jour. Pendant que nous étions occupés à la considérer, il s’éleva un grain de pluie et de vent, assez fort : elle retourna à terre, et nous continuâmes notre route.

Nous passâmes 27. la nuit à louvoyer avec des vents de l’Est à l’Est-Sud-Est assez frais et une très-grosse mer. Plusieurs grains assez violens, qui nous avoient forcés d’amener les huniers, me firent craindre de nous trouver le lendemain sous le vent du cap qui avoit été relevé au Nord la veille à sept heures du soir. Mais, à notre grand étonnement, quand le jour parut, nous nous aperçûmes que les courans nous avoient portés de cinq à six lieues dans l’Est-Sud-Est. Ce ne fut qu’à environ dix heures que nous nous trouvâmes vis-à-vis du cap près duquel nous avions commencé la veille à tenir le vent. Nous continuâmes à suivre la côte, qui pré­sentoit toujours le même aspect. Les extrémités de tous les caps étoient assez avancées et assez élevées pour faire croire que celui qui paroissoit le plus éloigné étoit une île ; mais en l’approchant on apercevoit qu’il tenoit à la terre ainsi que les autres.

A dix heures, on vit quelques pirogues qui venoient vers nous : l’ESPERANCE diminua de voiles pour les attendre.

Afin Afin de ne pas 1793.
Mai
la détourner du projet quelle avoit formé de communiquer avec ces pirogues, je rendis ma manœuvre indépendante ; et je fis forcer de voiles, pour dépasser avant midi le cap Phillip, qui bornoit l’horizon dans le Nord, et qui nous auroit empêchés d’observer la hauteur méridienne. Lorsque nous fûmes parvenus à l’Ouest de ce cap, nous nous trouvâmes vis-à-vis d’une baie d’environ quatre ou cinq lieues d’ouverture, et dont la profondeur est de près de deux lieues. La pointe occidentale de cette baie, que nous appelâmes pointe Achard, est encore plus escarpée que toutes les terres qui avoient été vues jusqu’à ce moment : la mer y brise avec violence ; et nous découvrîmes à la partie orientale une plage de sable, sur laquelle les lames formoient une barre très-forte. Il y avoit un grand nombre de naturels rassemblés sur cette plage. Après avoir doublé la pointe, on aperçut sur sa partie occidentale une grande quantité de cases, non-seulement près du rivage, mais encore sur le sommet de la plus haute montagne. La côte continuoit à offrir un aspect agréable par sa verdure : mais les points de vue étoient peu variés ; et nous aurions fini par nous en lasser, si la triste mo­notonie de la mer ne nous avoit fait tourner les regards vers cette côte verdoyante sur laquelle nos yeux aimoient à se reposer. Nous fûmes obligés de contourner la pointe Achard, pour éviter des hauts-fonds qui s’étendent à une ou deux encablures au large. Depuis cette pointe, la côte court direc­tement au Nord ; et je fis gouverner de manière à la pro­longer : mais bientôt après, le calme étant survenu, nous fumes obligés 1793.
Mai
de nous éloigner de terre. Plusieurs pirogues s’approchèrent alors des frégates, et l’on communiqua avec les naturels qui s’étoient embarqués. Cette communication consista, de leur part, à recevoir tout ce qui leur étoit pro­posé, sans rien donner en échange. On ne vit rien dans leurs pirogues, pas même des armes ; mais je crois quelles avoient été échangées à bord de l’Espérance, près de laquelle ces insulaires étoient restés quelque temps. A la nuit, toutes les pirogues retournèrent à terre.

Le vent 28. fut très-foibie pendant la nuit ; le courant nous fît dépasser le cap de la Recherche, après lequel nous vîmes la terre fuir dans l’Est-Nord-Est. Je fis gouverner au Nord-Est pour la côtoyer, en nous tenant cependant à une certaine distance du rivage. A trois heures et demie, une pirogue qui n’étoit pas mieux pourvue que celles qui s'etoient ap­prochées la veille, vint près de LA RECHERCHE. Les insu­laires qui la montoient, nous firent signe d’aller à terre, et ils ne paroissoient point disposés à nous quitter : mais, à quatre heures, on sonna la cloche pour annoncer que les gens de quart dévoient être relevés, et ils se sauvèrent avec une grande précipitation. J’ai remarqué en général que tout bruit un peu fort et auquel leurs oreilles ne sont pas accoutumées, leur cause une très-grande frayeur.

Au jour, on voyoit la mer ouverte à l’Est, et, dans cette direction, plusieurs petites îles qui s’étendoient du Nord 54° Est à l’Est 28° Sud. On découvroit aussi des terres au Nord, dans un assez grand éloignement ; et l’on en voyoit d’autres 1793.
Mai
plus élevées à travers les nuages et dans l’Ouest. Le cap de la Recherche restoit au Sud 46° Ouest, à plus de deux lieues de distance. La description abrégée de la partie méridionale des îles Salomon, qu’on trouve dans l’ouvrage de M. de FLEURIEU, intitulé Découvertes des François au Sud-Est de la Nouvelle-Guinée, nous fit reconnoître que nous avions côtoyé l’île la plus méridionale des îles Salomon, appelée San-Christoval par MENDANA, et que les îles qui étoient à l’Est dévoient être les îles du Golfe, les Trois-Sœurs et l'ile des Contrariétés de SURVILLE. Les terres que l’on aper­cevoit dans le Nord, me parurent devoir être les îles Sésarga et Buenavista de MENDANA. Les hautes montagnes enve­loppées de nuages, que l’on voyoit dans l’Ouest, étoient vrai­ semblablement celles de l’île Guadalcanâr. Je fis diriger la route pour aller reconnoître les îles que l'on relevoit au Nord ; à midi nous étions presque sur le même parallèle que la partie Sud de l'île des Contrariétés, qui, d’après nos obser­ vations, se trouve placée par 9° 53’ de latitude australe, et par 159° 48° 7" de longitude orientale.

Les vents qui souffloient à l’Ouest, et les courans qui nous portoient à l’Est avec assez de force, ne nous permettant pas de passer au vent de la pointe méridionale des terres qui étoient dans le Nord, je fis prendre la bordée du Sud pour aller reconnoître les îles du Golfe : cette bordée nous rapprocha considérablement des îles des Trois-Sœurs ; et à six heures, on les vit très-distinctement de dessus le pont.

Le récit de ce qui s'étoit passé la nuit précédente à bord de L’ESPERANCE, 1793.
Mai
me parut confirmer l’opinion que les voyageurs anciens et modernes ont donnée de la perfidie des habitans de cet archipel. Cette frégate avoit été entourée de plus de soixante pirogues ; deux hommes, malgré l’obs­curité, étoient montés à bord, et y étoient restés quelque temps : la bonne intelligence paroissoit établie. Ils avoient invité les équipages à venir à terre ; et quand ils se reti­rèrent, rien de leur part ne pouvoit faire naître le moindre soupçon. Aussi étoit-on sans méfiance ; et une grande partie des gens de quart se tenoient sur la dunette et sur les passavans pour parler aux hommes des pirogues dont on étoit environné. Vers quatre heures du matin, il partit d’une de ces pirogues plusieurs flèches, dont une blessa le patron de la chaloupe ; une seconde passa entre les jambes du maître d’équipage, et d’autres tombèrent à bord sans toucher per­sonne. On tira un coup de fusil sur la pirogue d’où les flèches avoient été lancées ; mais la balle ne l’atteignit pas. Il y avoit quelques fusées préparées pour faire des signaux ; on en lança une sur cette pirogue, et il paroît qu’elle tomba à bord : elle ne pouvoit pas faire grand mal ; cependant elle causa une grande frayeur aux naturels qui la montoient, ainsi qu’à ceux des autres pirogues, et ils prirent tous la fuite. Leur effroi ne fut pas de longue durée, et ne les empêcha pas de revenir l’instant d’après : tant étoit grande leur avidité pour les objets que nous leur donnions. Ils continuèrent à nous inviter à nous rendre à terre. Ce fut peut-être pour nous y attirer qu’ils avoient constamment refusé de faire des échanges à bord des 1793.
Mai
frégates ; et leurs dispositions nous étant connues d’après l’acte d’hostilité qu’ils avoient commis, cette conduite nous les fit juger capables d’un genre de perfidie beaucoup plus dangereux que celui qui les avoit portés à en venir aux voies de fait sans y avoir été provoqués.

Dans la matinée du 29. 29, les vents soufflèrent de l’Ouest et de l’Ouest-Sud-Ouest très-foibles, et les courans continuèrent à nous porter dans l’Est avec violence. Nous nous trouvions à un peu plus d’une lieue dans l’Ouest de la pointe Sud de l’île des Contrariétés ; et nous étions à portée de remarquer que la vue de cette île, qui a été donnée par SURVILLE, est très-exacte. Plusieurs pirogues se détachèrent de la côte, et vinrent près de LA RECHERCHE. Elles étoient de la forme la plus élégante, et d’une légèreté dont il est difficile de se former une idée : c'etoient sans contredit les mieux faites et les plus agréablement ornées que nous eussions vues jusqu’à présent. Les nageurs s’asseyent sur des bancs très-bas, placés au fond de la pirogue pour lui donner de la stabilité. On communiqua avec sept de ces pirogues ; mais il fut impos­sible de rien obtenir des naturels, quelques cadeaux qu’on leur ait faits pour les engager à trafiquer avec nous.

Les habitans de l’île des Contrariétés sont nus, comme presque tous les insulaires du grand Océan ; mais nous n’en avions pas encore vu qui fussent parés d’autant d’ornemens. Ils avoient de fort beaux colliers de nacre de perle, ou plutôt de morceaux de coquilles artistement travaillées ; ils avoient aussi un grand nombre de bracelets, des plumes dans leurs cheveux, &c. &c. 1793.
Mai
Ils se refusèrent, comme nous venons de le dire, à faire toute espèce d'échange ; mais ils nous invitèrent, ainsi que les habitans de San-Christoval, à venir sur leur île, où ils nous firent entendre qu’ils nous donneroient tout ce que nous pouvions desirer. Leur visite ne fut pas longue ; ils partirent tous à-la-fois, sans que nous ayons pu pénétrer la cause d’un départ aussi précipité. Le temps, à la vérité, avoit une apparence très-menaçante ; et nous com­mencions à nous éloigner de terre : car les vents ayant passé Nord pendant cette entrevue, j’avois fait diriger la rout à l’Ouest 1|4 Sud-Ouest, pour nous rendre à la pointe méridionale de l’île Guadalcanar.

Nous continuâmes, 30. pendant la nuit et dans la matinée du 30, à nous rapprocher de Guadalcanar. A midi nous étions par 9° 59' de latitude, et par 159° 2’ de longitude ; nous nous trouvions à-peu-près à égale distance de toutes les terres dont nous avions eu connoissance après avoir doublé la pointe septentrionale de San-Christoval. Les posi­tions respectives de ces terres, que nous avons fixées d'après nos observations, nous parurent s’accorder de la manière la plus surprenante avec celles quelles occupent sur la carte systématique publiée dans 1'ouvrage de M. DE FLEURIEU. J’aurois désiré pouvoir visiter les îles que nous apercevions dans le Nord ; et je ne doute pas que tout ce que nous aurions vu dans cette partie, n’eût servi à confirmer plusieurs autres points du système ingénieux, contenu dans l’ouvrage dont nous venons de parler. Mais quelque intéressant qu’il pût être, pour la reconnoissance 1793.
Mai
parfaite de cet archipel, de passer dans le canal qui sépare les îles Sésarga et Buenavista de i’île Guadalcanar, il me paroissoit plus important encore de ne pas m’écarter de la route de M. DE LA PEROUSE, qui, d’après ses instructions, devoit suivre la partie méridionale des îles Salomon ; et je ne voulus pas perdre à des reconnoissances étrangères au but principal de ma mission, le temps qui me restoit pour remplir les objets qui m’avoient été prescrits. Au reste, la séparation de l’île San-Christoval et de l’île Guadal­canar se trouve constatée ; 1'existence d’un canal qui sépare les îles Buenavista et Sésarga de Guadalcanar, a un degré de probabilité qui approche de la certitude, puisque nous avons vu un espace entièrement libre, entre les terres qui, à midi, avoient été relevées au Nord, et les hautes montagnes de Guadalcanar, qui au même instant restoient à l’Ouest. Ainsi, un des principaux points du système de l’auteur des Décou­vertes des François &c. se trouve vérifié ; et l’identité de cet archipel avec celui des îles Salomon découvertes par Mendana, a acquis le même degré de certitude que si toutes les îles qui le composent avoient été visitées dans le plus grand détail.

N’étant plus très-éloigné, à neuf heures et demie, de l’île Guadalcanar, je fis tenir le vent bâbord amures, et nous louvoyâmes toute la nuit pour nous maintenir à-peu-près à la même place.

Le 31, 31. à la pointe du jour, je fis diriger la route au Nord-Ouest pour nous rapprocher du cap le plus oriental de Guadalcanar. 1793.
Mai
II est d’une élévation médiocre ; mais les terres situées dans l’Ouest sont très-hautes. On vit près de ce cap, une île couverte d’arbres, qui n’en est séparée que par un canal fort étroit, et plusieurs petits îlots également très-boisés, dont quelques-uns sont liés par des brisans. Nous prolongeâmes la côte à environ deux milles et demi de distance. Le rivage de la partie que nous avions vue dans la matinée, n’est point aussi accore que celui de la côte mé­ridionale de San-Christoval ; on apercevoit, à quelque dis­tance de terre, un changement de couleur sur la surface de la mer, qui indiquoit que l’on devoit y trouver peu d'eau. Nous distinguâmes, assez près de la frégate, un haut-fond dont nous ressentîmes la houle ; mais il fut trop promptement dépassé pour qu’il eût été possible de le sonder.

L’extrémité Est de l’île située près du cap le plus oriental de Guadalcanar, a été placée par 11° 39’ 15" de latitude australe, et par 158° 35’ 30" de longitude orientale, Le cap de la Recherche, qui est à l’extrémité occidentale de San-Christoval, se trouve par 10° 12’ 35" de latitude, et par 159° 2' 3" de longitude : ainsi le canal qui sépare l’île de San-Christoval de Guadalcanar, doit avoir dix lieues de largeur.

Les vents furent très-foibles dans l’après-midi, et nous ne fîmes que très-peu de chemin. La terre étoit couverte de brume, et l’on pouvoit à peine l’apercevoir ; mais on distinguoit très-bien les hauts-fonds qui bordent la côte.

Le temps avoit été pluvieux et très-sombre pendant la nuit : nuit : 1793.
Juin
au jour on ne voyoit pas la terre ; je fis gouverner au Nord, pour en prendre connoissance : bientôt après, nous vîmes le cap Henslow, qui parut de l’avant au travers des nuages. Il résultoit de notre position par rapport à ce cap, que les courans nous avoient portés, depuis la veille à midi, de plus de 21’ dans l’Est ; et que nous étions moins avancés à l’instant où nous aperçûmes le cap Henslow, que nous ne l’étions le 31 à midi. La route fut dirigée successivement au Nord-Ouest Nord et à l’Ouest 1|4 Nord-Ouest ; et dès que l’on put apercevoir le cap le plus occidental qui eût été vu la veille, on gouverna à l’Ouest pour suivre la côte, qui alors étoit couverte d’une brume assez épaisse. Nous vîmes une grande pirogue, dans laquelle il y avoit de seize à vingt hommes : elle se dirigea vers nous, et s’approcha de l’ESPERANCE ; mais elle ne communiqua pas avec cette frégate. Dans la soirée, le vent fut très-foible, le temps sombre, et l’horizon très-chargé dans la partie du Sud. A huit heures du soir, nous mîmes à la cape.

Les vents passèrent à l’Ouest-Sud-Ouest pendant la nuit ; et le 2, 2. au jour, nous forçâmes de voiles, bâbord amures, pour nous rapprocher de la côte : bientôt après, ils revinrent au Sud et Sud-Sud-Est, et on mit le cap à l’Ouest pour fa prolonger. Le temps étoit si couvert, que nous n’apercevions la terre que par intervalles et très - passagèrement, quoique nous ne dussions pas en être à .plus de deux lieues ou deux lieues et demie. Ce même jour, nous ne pûmes pas observer la hauteur méridienne du soleil. Nous devions, 1793.
Juin
d’après notre estime, être à midi dans l’Ouest du cap Hunter ; mais la rapidité des courans qui nous avoient constamment portés dans l’Est, me donnoit la certitude que nous ne l’avions pas encore dépassé : pour être sûr néanmoins de ne pas le doubler sans en avoir eu connoissance, je fis gouverner de deux rumbs plus au Nord. Après avoir fait route pendant une heure et demie à l’Ouest-Nord-Ouest, on entrevit, comme au travers d’un voile, une terre presque effacée ; et encore étoient-ce les brisans de la côte qui furent vus les premiers : nous n’en étions pas à plus d’un mille de distance. On ne tarda pas à voir le cap Hunter. Les terres qui restoient alors par notre travers, commençoient à s’abaisser ; aussi étoient-elles moins char­gées de nuages. Le temps parut s’éclaircir, à mesure que nous approchions de l’extrémité de la chaîne des hautes mon­ tagnes, qui s’étend depuis le cap Henslow jusqu’au cap Hunter : je crois qu’il est rare de voir leurs sommets entiè­rement dépouillés, et je ne suis pas surpris que le lieutenant Shortland n’ait aperçu distinctement de cette chaîne que la montagne qu’il appelle le mont Lammas. Cette partie de l’île Guadalcanar, ainsi que la partie orientale de la Nouvelle-Irlande, est si élevée qu'elle arrête les nuages ; et le temps doit y être constamment pluvieux. Pendant les trois jours que nous fûmes retenus près de ces hautes montagnes, nous éprouvâmes des grains et des orages ; nous n’aperçûmes que les parties du rivage que nous amenions successivement par notre travers, et nous ne vîmes presque jamais 1793.
Juin
le sommet des montagnes. A neuf heures du soir, le cap Hunter ayant été relevé au Nord, je fis mettre en panne, bâbord amures.

Le 3 au jour, 3. nous nous trouvâmes à environ deux lieues dans le Sud 6° Est du cap Hunter. Un grain très-violent nous empêcha de faire route pendant quelque temps ; mais dès qu’il fut passé, je fis gouverner au Nord-Ouest 1|4 Nord pour suivre la côte qui, à l’Ouest du cap Hunter, prend cette direction. Les terres sont moins élevées dans cette partie que dans celle dont nous venions de nous éloigner ; aussi le temps étoit plus serein : il nous permit de faire des observations astronomiques. La côte est, ainsi que celles dont nous avions eu connoissance, couverte d’arbres, depuis le sommet des montagnes jusqu’au rivage : quelques petits rochers terminent les caps les plus avancés. On doit trouver fond le long de la plage dont elle est bordée ; du moins le changement de couleur qui se fait apercevoir sur la surface de la mer à quelque distance au large, semble l’annoncer. A environ huit lieues et demie dans l’Ouest du cap Hunter et à l’endroit où la côte forme un coude pour se diriger au Nord, on aperçut très-près de terre une petite île, qui n'a pas plus de cent toises de circonférence, et qui semble tenir à la côte par des ressifs. La grande quantité d’arbres dont elle est couverte, et la variété de ces arbres, rendent cette île remarquable ; on y a vu un très-grand nombre de cocotiers et de bananiers, ainsi que d’autres arbres dont l’espèce ne nous est pas connue : plusieurs naturels ëtoient assis sur le rivage. 1793.
Juin
Cette petite île se trouve par 9° 31’ 33" de latitude australe, et par 157° 21’ 15" de longitude orientale. Dans le Nord-Nord-Ouest de la petite île, on a découvert un ressif assez étendu, et situé à un peu plus d'une lieue de terre.

Nous continuions à prolonger la côte, en faisant route au Nord 1|4 Nord-Est : à midi et demi, nous aperçûmes un haut-fond de l'avant ; et nous mîmes le cap au Nord-Nord-Ouest, et peu après au Nord-Nord-Ouest, pour l'éviter. Le soleil, qui étoit alors dans la direction de cet écueil, ne nous permit pas de distinguer une partie avancée, sur laquelle nous passames à une heure et demie ; on sonda, et l'on trouva sept brasses et demie d’eau. Au même instant je fis carguer toutes les voiles excepté les huniers ; et l’on fit à l'ESPERANCE qui étoit dans nos eaux, le signal de route dangereuse à tenir. Nous revînmes sur bâbord pour nous éloigner de ce danger ; et lorsque nous en fûmes à deux ou trois encablures, nous mîmes en panne, et nous trouvâmes cinquante brasses d’eau sur un fond de sable fin mêlé de corail. Ce haut-fond nous empêcha de nous approcher de l’extrémité occidentale de l’île Guadalcanar, que nous pouvions néanmoins parfaitement distinguer. Cette extrémité, qui fut appelée cap de l'ESPERANCE, est par 9° 16’ 30" de latitude, et par 159° 25' 36" de longitude. A cinq heures et demie, on voyoit une île très-élevée, et plusieurs îles basses, qui s'etendoient de l’Est 11° Nord à l’Est 24° Nord : toutes ces îles doivent être situées au Nord de Guadalcanar. On apercevoit, dans un grand éloignement, 1793.
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des terres élevées et des îles qui s’étendoient du Nord 24° Ouest au Nord 75° Ouest ; on supposa que celles-ci appartenoient au cap Marsh de SHORTLAND. La mer paroissoit entièrement libre dans la partie du Sud. Peu de temps après que nous eûmes mis en panne, les vents tombèrent ; et nous nous aperçûmes que les courans nous entraînoient avec assez de force dans le Nord, et entre les îles qui avoient été vues dans cette di­rection. Nous profitâmes d’un léger souffle venant du Sud-Est, pour faire route au Sud-Ouest et nous éloigner de ces îles. La même bordée fut continuée pendant toute la nuit.

Le vent avoit été très-foible, et j’espérois qu’au jour nous ne serions pas éloignés du point où nous étions la veille au coucher du soleil. Le 4, 4. à cinq heures et demie du matin, je fis gouverner au Nord ; et à cinq heures trois quarts, nous vîmes la terre de l’avant : en l’approchant, nous reconnûmes avec surprise qu’elle appartenoit aux côtes voisines du cap Marsh, qui, la veille au coucher du soleil, avoient été relevées au Nord 75° Ouest. Les courans avoient changé de direction ; et, au lieu de nous avoir portés au Nord-Est, comme nous l’avions supposé, ils nous avoient réellement entraînés dans le Nord-Ouest. Lorsque nous fûmes parvenus à la partie la plus Sud des terres du cap Marsh, on gouverna de manière à les prolonger ; bientôt après, on les vit se diviser en plusieurs petites îles. A environ huit heures et demie, nous aperçûmes sous le vent un ressif qui brisoit à peine ; et nous fûmes obligés de venir jusqu’à l’Ouest 1|4 Nord-Ouest, pour passer au large 1793.
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de cet écueil, qui sembloit annoncer qu’il y avoit d’autres ressifs plus près du rivage. Dès qu’il fut doublé, on se rapprocha de terre ; et l'on continua à suivre la côte qui, dans cette partie, étoit très-hachée et paroissoit offrir de bons mouillages. Lorsque nous fûmes parvenus à l’extré­mité septentrionale, nous n’aperçûmes aucune terre dans l’Est, et nous reconnûmes que le cap Marsh appartient à un groupe d'îles assez éloignées des autres îles du même ar­chipel. Je fis diriger la route sur une île très-élevée que l’on voyoit dans l’Ouest ; et à midi nous nous trouvâmes presque Nord et Sud avec cette dernière île, qui est à environ six lieues dans l’Ouest des terres du cap Marsh.

Dans l’après-midi, nous continuâmes de gouverner à l’Ouest, et nous fûmes long-temps sans apercevoir de terres dans cette direction ; enfin vers trois heures nous découvrîmes de l’avant le cap Pitt. Une nouvelle terre fut aperçue à quatre heures et demie ; et je jugeai que ce devoit être le cap le plus occidental de la grande baie appelée par SHORTLAND Hummock-bay. Lorsque le cap Pitt fut doublé, je fis prendre les amures à bâbord pour nous porter au large. Le cap Pitt est par 8° 53’ de latitude australe, et par 154° 54’ 30" de longitude orientale.

Le 5, 5. à la pointe du jour, par un temps couvert et très orageux, je fis prendre les amures à tribord pour rallier la côte ; de petites îles furent entrevues au Nord-Nord-Ouest dans les instans d’éclaircie ; ensuite on vit successivement et par intervalle, la terre, qui s’étendoit depuis le Nord-Est 1|4 Est jusqu’au 1793.
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Nord-Ouest. Cependant, lorsque la brume se fut un peu dissipée, nous aperçûmes le cap Pitt, qui étoit alors de l’arrière. Nous dirigeâmes la route à l’Ouest-Nord-Ouest, pour reconnoître l’intérieur de Hummock-bay, dont nous pouvions découvrir de temps en temps quelques parties. Les terres se dépouillèrent enfin à dix heures, et nous vîmes au fond de la baie un grand nombre de petites îles basses et couvertes d’arbres, qui étoient entourées de brisans ; mais il nous fut impossible de distinguer si la mer brisoit au large de ces îles ou sur le rivage.

Dans ce même moment on vint me rendre compte que la barre du gouvernail qui avoit été mise en place depuis peu de jours, étoit fêlée, au même endroit où l’autre s’étoit rompue. Je fis prendre sur-le-champ les amures à bâbord ; et je demandai par un signal le maître charpentier de l’ESPERANCE, qui avoit montré beaucoup d’intelligence dans les diverses réparations qu’il avoit déjà faites à cette frégate. La mortaise qui avoit été pratiquée dans la tête du gouvernail pour la barre en fer, n’étoît pas assez grande pour recevoir une barre en bois ; et il étoit impossible, à la mer, de l’ouvrir davantage. On remédia à cet inconvénient par un moyen fort simple, que nous croyons devoir rapporter ici. Deux bordages dont chacun étoit d’une épaisseur plus grande que la moitié de l’épaisseur d’une barre en bois, et qui étoient tous les deux plus longs d’environ trois pieds, furent cloués de chaque côté de la tête du gouvernail, de manière à saillir en arrière d’un pied et demi ou deux pieds ; les 1793.
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parties les plus longues qui étoient en dedans du navire, devoient servir de barre, et se trouvoient de la longueur d’une barre en bois : ces bordages furent ensuite contenus par des coussins en bois et par des roustures faites en arrière et en avant du gouvernail. La nouvelle barre fut achevée d’assez bonne heure. La mer étoit grosse ; nous éprouvâmes avec satisfaction que les mouvemens du gouvernail étoient beaucoup plus doux que lorsqu’on se servoit d’une barre en fer.

Pendant le temps que nous restâmes à la cape, la dérive nous fit doubler le cap Nepean. D’après nos observations, ce cap est par 8° 51′ 30″ de latitude australe, et par 154° 28′ 45″ de longitude orientale.

6.Le 6, un peu avant le lever du soleil, on vit la terre qui s’étendoit du Nord au Nord-Est Est ; mais elle fut presque aussitôt couverte par les nuages. Je fis gouverner sur une pointe, que nous reconnûmes, en approchant, pour être la pointe la plus occidentale de celle des iles Hammond qui est la plus proche du cap Pleasant de Shortland. Nous distinguâmes très-bien le canal qui existe entre la pointe orientale de cette île et le cap Pleasant. J’avois eu le projet de passer dans ce canal : mais comme les courans nous avoient portés à l’Ouest pendant toute la nuit, il nous auroit été impossible d’y entrer en louvoyant ; et je fus obligé d’y renoncer. Je fis forcer de voiles, afin de pouvoir doubler avant midi la pointe la plus méridionale des îles Hammond, dont alors nous étions très-près ; mais le vent ayant calmé, je fis gouverner au Sud pour nous éloigner de terre, et en être, aux environs de midi, à une distance qui nous permît d’observer la latitude du côté du Nord. Je fus trompé dans mes espérances ; car l’atmosphère étoit si chargée de vapeurs, que le disque du soleil ne parut pas terminé lorsqu’on mesura sa hauteur méridienne. Cependant les résultats des six hauteurs observées près du méridien, ne différoient entre eux que d’une minute et demie ; et il est à présumer que le milieu pris entre ces résultats doit être exact, au moins à une minute près. La latitude de la pointe Ouest de celle des îles Hammond qui est la plus voisine du cap Pleasant, est, d’après cette observation, de 8° 41′ 30″ ; et sa longitude, d’après la montre n.o 14, de 154° 59′ 30″ à l’orient de Paris. La longitude de cette pointe avoit été déterminée en 1792 ; et elle nous a servi à lier les opérations de cette année à celles de l’année précédente[11].

La partie des côtes méridionales de l’archipel des îles Salomon qui est à l’Ouest des îles Hammond, ayant été vue l’année précédente, je crus devoir m’éloigner de cet archipel, pour aller reconnoître les côtes septentrionales de la Louisiade, découvertes par M. de Bougainville, et où M. de la Pérouse avoit annoncé qu’il devoir se rendre après avoir visité les îles Salomon. Le 7, 1793.
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on vit de très-bonne heure des terres dans le Nord ; mais bientôt après elles furent enveloppées de nuages. A huit heures, elles reparurent et se présentèrent sous l’aspect de 7. deux îles, dont l’une s’étendoit, à midi, du Nord 11° Est au Nord 19° Est ; la seconde restoit au Nord 45° Est. Ces terres étoient les mêmes que celles dont nous nous étions éloignés le 6 au coucher du soleil ; elles se trouvoient alors à une très-grande distance, et nous n'aurions pas soup­çonné qu’il fût possible de les apercevoir par un temps aussi peu serein.

L’archipel des îles Salomon est coupé dans tous les sens par un si grand nombre de canaux, que l’on ne doit pas être étonné des variations qui ont lieu dans la vitesse et dans la direction des courans. Les routes estimées près de ces îles ont été très-défectueuses : nous n’avons tracé sur les cartes que les routes corrigées d’après les observations astronomiques, ou d’après des relèvemens pris sur des points dont la position avoit été fixée par des opérations précédentes. Les routes de nuit, qui ont été corrigées par cette mé­thode, se sont trouvées avoir quelquefois des directions opposées à celles qui résultoient de l’estime. Ce n’est qu’avec le secours des montres marines que l’on peut parvenir à faire de bonnes cartes de ces côtes, dont on est forcé de se tenir assez près en restant exposé à la plus grande influence du courant, qui est toujours plus rapide près de terre qu’à

quelques lieues au large.
CHAPITRE XIX.

Reconnaissance de la partie septentrionale de l’Archipel de la Louisiade, et de la partie Sud-Est de la Nouvelle-Guinée, du 11 au 29 Juin 1793. — Passage par le Détroit de Dampier. — Reconnoissance de la partie septentrionale de la Nouvelle - Bretagne, du 29 Juin au 8 Juillet 1793.

Le 8 juin, 1793.
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je fis gouverner au Sud, pour aller nous placer sur le parallèle du cap de la Délivrance. Les courans qui 8 et 9. nous avoient portés constamment dans le Nord, lorsque nous étions près des côtes méridionales des îles Salomon, changèrent de direction, et nous entraînèrent dans le Sud aussitôt après que nous les eûmes quittées. Le 9 à midi, nous nous trouvions, d’après nos observations, de 27’ plus au Sud que par notre estime. Ce même jour, notre latitude étoit de 11° 28' 19" australe, et nous plaçoit sur un parallèle de 19’ plus Sud que le cap de la Délivrance de M. DE BOUGAINVILLE. Notre longitude, d’après la montre n.° 14, nous fit connoître que nous étions à environ trente lieues dans l’Est de ce cap ; et je fis diriger la route pour aller en prendre connoissance.

Nous apprîmes, dans la soirée, la mort du matelot de l’ESPERANCE, nommé MAHOT, qui avoit été blessé par une 1793.
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des flèches que les habitans de Santa-Cruz avoient lancées sur nos canots. Cette flèche avoit frappé l’os du front, et paroissoit n’avoir occasionné qu’une blessure très-légère : la plaie étoit fermée ; et on croyoit le blessé entièrement guéri, lorsque le tétanos qui l’a fait périr, s’est déclaré.

Le 10 à midi10., nous étions par 11° 4' 43" de latitude australe, d’après l’observation de la hauteur méridienne, et par 153 26’ 55" de longitude orientale, d’après la montre n.° 1 4. Les courans qui, la veille, nous avoient portés de 18’ au Sud, changèrent tout-à-coup de direction, et nous entraînèrent de 20 minutes et demie dans le Nord, sans qu’il fût possible d’en démêler la cause. Des différences aussi grandes, et en sens contraire, entre l’estime et les observations, me firent desirer de vérifier s’il ne s’étoit pas glissé quelques erreurs dans notre estime ; mais lorsque j’appris que l’ESPERANCE avoit trouvé les mêmes différences entre le résultat de sa route estimée et celui de ses observations, il ne me resta plus aucun doute sur l’existence de ces courans.

Les pluies presque continuelles que nous avions éprouvées depuis l’époque de notre attérage sur les îles Salomon, avoient occasionné quelques maladies à bord de l’Espérance ; nous n’avions, à bord de LA RECHERCHE, le 10 mai, que deux personnes légèrement indisposées : mais il étoit à craindre que des temps aussi humides ne dévelop­passent, ainsi qu’il nous étoit arrivé l’année dernière, les prin­cipes cachés du scorbut, dont en général le sang des marins doit être plus ou moins vicié. Nous espérions cependant pouvoir nous 1793.
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en préserver, en parfumant les entre-ponts deux fois par jour, et en faisant distribuer des boissons antiscorbutiques aux équipages.

Le 11 juin 11. à dix heures et demie, nous vîmes la terre : à notre grande surprise, elle fut relevée du Sud au Sud-Sud-Ouest ; mais la latitude observée à midi, qui étoit de 10° 59′ 20″, nous apprit que les courans nous avoient portés de 44′ 41″ au Nord, et que la partie orientale de la Louisiade devoit effectivement se trouver dans cette direction. Comme la hauteur du soleil avoit été observée plus de douze minutes avant son passage au méridien et plus de douze minutes après, j’avois été disposé, dans le premier instant, à rejeter cette latitude ; mais l’accord trouvé entre les résultats des différens observateurs, de LA RECHERCHE et de l’ESPERANCE put me laisser aucun doute sur l’exactitude de leurs observations.

À midi, le cap de la Délivrance de la Louisiade restoit au Sud 5° Ouest. Il est par 11° 20′ 37″ de latitude australe, et par 152° 6′ 15″ de longitude orientale. Je fis gouverner au plus près du vent, bâbord amures, pour nous approcher de terre ; et, à près de quatre heures, nous prolongeâmes la côte Nord de l’île la plus orientale des terres de la Loui­siade. Les parties les plus élevées de cette île étoient alors cachées dans les nuages ; mais on apercevoit, près du bord de la mer, des bois épais, séparés par des espaces revêtus d’une verdure très-agréable. Nous vîmes une petite île, au Sud de laquelle la côte formoit une belle baie où il y avoit 1793.
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lieu de présumer qu’on pourrait trouver un excellent abri : malheureusement l’abord en étoit défendu par une chaîne non interrompue de brisans, qui se prolongeoient dans l’Ouest aussi loin que la vue pouvoit s’étendre. Au cou­cher du soleil, nous relevâmes à l’Ouest 39° Nord une nouvelle terre qui étoit dans un grand éloignement.

Nous 12. passâmes la nuit à louvoyer ; et nous reprîmes, au jour, notre reconnoissance, à-peu-près au point où nous l’avions suspendue la veille. On vit les terres et les brisans dont nous avions eu connoissance : à huit heures et demie, le temps se couvrit ; il tomba de la pluie, et nous fûmes enve­loppés d’un brouillard qui les dérobèrent à notre vue. Je jugeai devoir reprendre les amures à tribord, pour nous éloigner de ces dangers ; mais, à onze heures et demie, le temps s’étant éclairci, nous pûmes nous en rapprocher une seconde fois.

Vers une heure après midi, l’on aperçut, dans le Sud-Sud-Ouest, l’extrémité Ouest de l’île dont la veille nous avions parcouru la côte septentrionale : l’on découvrit en même temps le prolongement des brisans dont nous avions été forcés de nous éloigner dans la matinée. On voyoit dans le Sud de ceux-ci une seconde chaîne de brisans, laquelle nous parut être le bord méridional d’un banc de sable, par­semé de roches, qui s’étend à une grande distance dans l’Ouest de l’île dont nous venons de parler. Nous suivîmes, à un mille de distance, les brisans de la partie septentrionale du banc, et nous le vîmes se terminer à environ treize lieues de la pointe 1793.
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occidentale de la même île. Nous distinguâmes alors, en avant d’une terre très-haute qui avoit été aperçue quelque temps auparavant, une île peu élevée, couverte de cocotiers, et dont le rivage étoit bordé de ressifs qui s'étendoient dans la direction de l’Est-Sud-Est et de l’Ouest-Nord-Ouest. Nous prolongeâmes cette chaîne de brisans à environ un mille et demi de distance ; et lorsque nous eûmes doublé l’extrémité occidentale de l’île, qui fut appelée île Piron, nous prîmes les amures à tribord. On voyoit alors la terre que nous avions aperçue derrière l’île Piron, se prolonger à l’Ouest, et l’on découvrait plusieurs petites îles qui en étoient détachées.

Le 13 à 13. la pointe du jour, nous aperçûmes des îles qui s'étendoient du Nord 7° Est au Nord 23° Ouest : ces îles, qui n’avoient pas été vues le jour précédent, nous firent soupçonner que nous avions été entraînés pendant la nuit par des courans violens. Dès que le jour nous permit de distinguer les objets, elles nous parurent liées par des ressifs. Aucune des autres terres dont nous étions environnés n’avoit de ressemblance avec celles qui avoient été vues la veille : elles étoient toutes entourées de ressifs et de rochers dont quelques-uns paroissoient au-dessus de la surface de la mer. Nous vînmes au plus près du vent, pour tâcher de sortir, en louvoyant, de la position dangereuse dans laquelle nous nous étions engagés sans nous en douter : après avoir couru plusieurs bordées, nous reconnûmes qu’il nous serait impossible de gagner au vent. A midi, les résultats des observations nous apprirent que les courans nous avoient portés, 1793.
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en vingt-quatre heures, de douze lieues dans le Nord-Ouest 1/4 Ouest.

A mesure que nous dérivions dans le Nord-Ouest, l’es­pace qui nous restoit pour louvoyer se rétrécissoit davantage, et nous perdions de plus en plus l’espoir de nous élever assez au vent pour nous dégager de ces dangers. Le jour commençoit à être sur son déclin, et notre position devenoit critique. Nous avions tenté de passer entre deux des îles Renard qui avoient paru n'être pas liées par des brisans ; mais en les approchant, on avoit reconnu que le passage étoit fermé par des hauts-fonds. La nécessité dans laquelle nous nous trouvions de gagner la pleine mer avant la nuit, me fit penser qu’il ne restoit d’autre ressource que de passer à l’Ouest des îles Renard. Les vigies n’avoient point vu de brisans dans cette partie ; mais nous en étions encore trop éloignés pour distinguer ceux qui auroient pu s’y trouver. Comme, pour aller chercher un passage, il falloit arriver vent arrière et tomber considérablement sous le vent, ce qui nous aurait laissé sans ressource si nous n’en eussions pas trouvé, je crus qu’il ne falloit pas négliger même les plus légères précautions. Je demandai au capitaine de l’ESPERANCE, si les vigies de cette frégate avoient aperçu des ressifs à l’Ouest des îles Renard ; il me ré­pondit que l'on n'en avoit vu aucun : alors je me décidai à laisser arriver, et je lui communiquai l'intention où j'étois de passer à l'Ouest de ces îles. J'ajoutai qu’ignorant absolument où nous allions nous engager, je me proposois de mouiller par-tout où l’on pourroit trouver fond. Je ne désespérais cependant pas de trouver trouver 1793.
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un passage ; car les courans violens qui nous avoient obligés de prendre ce parti, sembloient indiquer qu’il devoit y avoir dans l’Ouest une issue ou quelques interstices dans lesquels nous aurions pu passer à l’aide de nos canots.

Il n’y avoit pas un seul instant à perdre pour chercher un mouillage à la partie occidentale des îles Renard, ou pour s’engager dans une passe, s’il en existoit une en effet. Un des canots de l’ESPERANCE fut expédié pour aller sonder près de l'île la plus occidentale ; et nous fîmes route vers le milieu. Plusieurs officiers et des hommes de l'équipage étoient en vigie à bord des deux bâtimens. On fut long-temps dans l’incertitude sur l’existence d’un passage ; car en appro­chant on crut voir un banc s’étendre au large de la pointe la plus Ouest de l’île : mais M. WILLAUMEZ nous assura qu’il y avoit de l’eau très-près de terre. En conséquence, dès que le canot de l’ESPERANCE nous eut fait connoître par un signal qu’il n’y avoit à la côte de la plus occidentale des îles Renard aucun endroit propre au mouillage, je n’hésitai pas à faire route pour passer à l’Ouest de cette île, quoique le jour fût sur son déclin. On reconnut, en approchant de l’extrémité de l’île, que ce qui avoit été pris pour un haut-fond, n’étoit qu’un remous occasionné vraisemblablement par un lit de marée. Nous sondâmes très-près de cette île, qui est termi­née par une pointe de sable ; et nous ne trouvâmes pas de fond à vingt-cinq brasses. Nous vîmes dans le Nord des îles Renard plusieurs îlots liés entre eux par des ressifs, dont le plus Nord restoit à l’Est 31° Nord. On découvrit aussi une terre 1793.
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assez élevée, qui s'étendoit de l’Ouest 7° Nord à l’Ouest 69° Nord. L’espace de mer compris entre cette terre et les îlots paroissoit entièrement libre. En effet, quoique nous fussions en calme, on commençoit à ressentir une houle du Nord-Est, qui nous fit présumer qu’il n’y avoit aucun banc dans cette partie. La pointe la plus Ouest des îles Renard est par 10° 52’ 40" de latitude australe, et par 150° 48’ 12" de longitude orientale.

Nous louvoyâmes pendant la nuit avec des vents très foibles ; et le 14. lendemain 14 juin, nous nous aperçûmes que les courans avoient eu peu d’action. Les vents étant à l’Est-Sud-Est, nous fîmes route au Nord-Nord-Est, et ensuite au Nord, pour doubler le cap Henry. On vit au Sud de ce cap plusieurs petits îlots liés à la terre par des ressifs. Dès que nous eûmes doublé le cap Henry, nous revînmes au Nord-Ouest, et enfin à l’Ouest, pour prolonger à deux ou trois milles de distance la côte septentrionale de l’île Saint-Aignan, qui court dans cette dernière direction. A une heure et demie, étant près de la pointe occidentale de cette île, on découvrit les îles de Boynes. Le cap Henry, qui forme l’extrémité orientale de l’île Saint-Aignan, se trouve par 10° 41’ 15" de latitude australe, et par 150° 36’ 30" de longitude orientale. La pointe Nord de la plus septentrio­nale des îles de Boynes est par 10° 39' 5" de latitude, et par 150° 4’ 48" de longitude.

L’île Saint-Aignan est bordée par des rochers très-escar­ pés, derrière lesquels commencent à s’élever, presqu’à pic, de très-hautes 1793.
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montagnes couvertes de bois. On remarqua, dans les intervalles où le bois étoit moins épais, plusieurs cases, près desquelles on aperçut les premiers habitans que nous ayons vus depuis notre arrivée sur les côtes de la Louisiade. Les gens du canot de l'ESPERANCE qui étoient allés pour sonder près des îles Renard, n’y avoient remarqué aucune trace d’habitans ; et nous n’aurions pas hésité à prononcer qu'elles étoient désertes, si nous n’avions pas vu de la fumée sur la côte septentrionale de la plus grande de ces îles.

Une nouvelle île assez élevée, quoique d’une petite étendue, fut aperçue à quatre heures dans l’Ouest 1/4 Nord-Ouest. Comme nous venions de dépasser les îles de Boynes et que l’on n’apercevoit aucune terre dans le Sud, je fis diriger la route vers cette nouvelle île, afin de pouvoir fixer sa position. A six heures nous tînmes le vent.

La partie des terres de la Louisiade que nous avons reconnue, n’est qu’un amas d’îles dont les plus grandes n’ont pas beaucoup plus de dix lieues de longueur. Les courans qui ont lieu dans cet archipel, en rendent la navigation d’autant plus dangereuse, que la plupart des îles dont il est composé, sont environnées ou liées par des ressifs près des­quels on ne trouve pas de fond.

Il est essentiel de prévenir qu’il peut y avoir plusieurs îles qui n’ont pas été placées sur nos cartes : depuis notre attérage sur le cap de la Délivrance, l’atmosphère a été cons­tamment chargée d’une vapeur qui, sans être très-épaisse, l'étoit 1793.
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cependant assez pour dérober à la vue les objets un peu éloignés. Mais si d’autres navigateurs découvrent quelques îles qui n’auroient pas été comprises dans les cartes levées par M. BEAUTEMPS-BEAUPRE, je pense qu’ils n'auront pas de grands changemens à faire éprouver aux positions de celles qui s’y trouvent.

Les relèvemens 15. que nous prîmes le 15 au jour, sur la pointe occidentale de l’île Saint-Aignan, et sur la plus orientale des îles Bonvouloir, nous apprirent que les courans nous avoient portés dans le Nord-Ouest. Nous n’aperçumes, dans la matinée, aucune terre au Sud-Ouest ; je jugeai alors que nous devions être à-peu-près sur le méridien de la partie méridionale de la Louisiade, située à l’Est de l’île d’Ouesssant, où M. DE BOUGAINVILLE indique qu’il doit y avoir une interruption : la force et la direction des courans que nous avions éprouvés la nuit précédente, sembloient confirmer cette opinion. Après avoir doublé la plus occi­dentale des îles Bonvouloir, je voulus faire route au Sud et pénétrer au milieu des îles de la Louisiade ; mais un très petit banc de sable, à peine visible, et un haut-fond qui n'en étoit pas éloigné, nous obligèrent de changer de route. Voyant qu’il seroit imprudent de s’engager au milieu de ces îles, je me décidai à passer à l’Est de celles que l’on relevoit alors au Nord-Ouest. L embarcation qui étoit allée sonder sur les bancs dont nous venons de parler, y trouva depuis vingt-sept brasses d’eau jusqu’à sept brasses, sur un fond de corail mêlé de gros gravier et de roche. A six heures du soir, l’île la plus Nord 1793.
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des îles Bonvouloir étant relevée à l’Ouest 23° Nord, nous tînmes le vent.

Le 16, un 16. peu avant le crépuscule, nous aperçûmes du feu sur une des îles Bonvouloir ; nous passâmes dans le Nord de la plus septentrionale de ces îles, en la rangeant de fort près. On vit plusieurs naturels sur le rivage, et l’on entendit leurs cris. Deux petites pirogues où il n’y avoit que deux ou trois hommes, se détachèrent de la côte pour venir à nous : mais comme notre sillage étoit alors assez considérable, elles renoncèrent promptement à nous poursuivre. Peu de temps après, une plus grande pirogue mit à la voile, et se dirigea vers les frégates ; je fis diminuer de voiles pour l’at­tendre. Afin d’attirer les naturels, je fis mettre des clous et des couteaux sur une planche surmontée d’un petit pavillon d’étoffe rouge, et nous laissâmes cette planche aller en dé­rive ; mais comme l’ESPERANCE étoit plus près que nous de la pirogue, les naturels nous abandonnèrent pour s’ap­procher de cette frégate.

A neuf heures et demie, on releva, au Sud-Ouest 1/4 Ouest, une des îles la Seinie. Les vents étoient alors au Sud ; nous fîmes route au plus près, bâbord amures, pour nous en ap­procher. On découvrit, dans l’après-midi, plusieurs autres îles dans l’Ouest-Sud-Ouest ; et peu après on vit de l’avant une terre continue et très-élevée, qui paroissoit se prolonger dans le Nord. A six heures, nous prîmes les amures à tribord. Dans la soirée, l’ESPERANCE nous apprit les détails de l’entrevue qu’elle avoit eue avec les habitans des îles Bonvouloir. 1793.
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Ces hommes parurent timides et méfians ; et il fut impossible de déterminer aucun d’eux à monter à bord de la frégate. M. LE GRAND, officier de l’ESPERANCE, qui étoit allé à la nage à bord d’une de leurs pirogues, ne put jamais les y décider. Il parut même que sa présence leur avoit causé de l’inquiétude, quoiqu’il fût seul et nu au milieu d’eux. On leur fit quelques présens ; mais ils n’avoient rien à donner en retour. Ils jetèrent cependant à bord de la fré­gate quelques ignames, des patates et des bananes ; mais on ne trouva pas de vestiges d’armes dans leurs pirogues. On n’y vit qu’une seule hache, dont ils ne voulurent pas se défaire. La pierre qui en formoit le tranchant, n’étoit pas disposée comme le fer de nos herminettes, ainsi que le tran­chant des haches des îles des Amis ; mais elle étoit dans le sens du manche, ainsi que le fer des nôtres.

Les habitans des îles Bonvouloir sont d’une stature mé­diocre et d’une complexion foible : ils avoient peu d’ornemens ; le visage de quelques-uns étoit barbouillé de noir, et tous avoient les cheveux laineux. Leurs pirogues, qui sont assez bien sculptées et peintes de plusieurs couleurs, différaient de toutes celles que nous avions vues ; elles ont deux mâts, et un balancier sur lequel est une espèce de treillage qui empêche de faire mouvoir les pagayes du côté où il est placé. Ces pagayes sont établies sur des tolets ainsi que nos avirons ; et les pirogues ont un gouvernail de l’avant, et un autre de l’arrière. Il est vraisemblable que ces hommes voyoient pour la première fois des Européens : le peu de cas qu’ils firent du fer, 1793.
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annonce qu’ils n’avoient jamais eu de communication avec eux, ni même avec aucun des insulaires du grand Océan qui commissent l’usage de ce métal utile.

Le 17 à six 17. heures du matin, nous fîmes route sur le cap Pierson ; nous prolongeâmes la côte élevée qui avoit été découverte la veille, et dont la direction est à-peu-près le Nord-Nord-Est. Cette côte est formée par de hautes mon­tagnes couvertes d’arbres, qui commencent à s élever très rapidement au bord du rivage, sur lequel on voyoit des coco­tiers de distance en distance. Après avoir doublé le cap Pierson, nous vîmes la côte fuir dans le Sud pour former un grand enfoncement ; elle nous offrit alors un aspect extrêmement agréable. C’étoit un des paysages les plus rians que nous eussions encore rencontrés : la verdure en est fraîche et variée ; les montagnes sont coupées d’une manière moins uniforme que celles de la côte qui est à l’Est du cap Pierson : les cocotiers que l’on apercevoit même sur les parties les plus élevées, sembloient annoncer que cette terre étoit fertile et pouvoit alimenter une nombreuse population. On vit plusieurs petits hameaux, dont les habitans se rassemblèrent sur le rivage pour jouir du spectacle que leur offroit la vue de nos bâtimens. Les cases de ces hameaux étoient de formes variées, et meubloient le paysage d’une maniére très - pittoresque.

Nous vîmes près du cap Pierson deux grandes pirogues qui s’arrêtèrent à une distance considérable des frégates, et qui reprirent, bientôt après, la route de terre ; il en vint de moins grandes 1793.
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dans la journée. Les hommes de ces dernières pirogues s’approchèrent assez pour nous permettre de faire quelques échanges. Nous ne remarquâmes pas qu’ils eussent aucune espèce d’armes : en général ils nous parurent d’une constitution aussi foible que les habitans des îles Bonvouloir.

Le capitaine de l’ESPERANCE me fit connoître, par un signal, que l’on pourroit trouver un mouillage dans l’enfon­cement qui étoit au Sud. Je lui donnai l’ordre d’envoyer une de ses embarcations pour sonder le long de la côte. Au même instant nous vîmes tirer des coups de fusil sur deux pirogues qui étoient le long de son bord. Cet événement imprévu me fit juger qu’il seroit imprudent de n’expédier qu’une seule embarcation, et je fis mettre un des canots de LA RECHERCHE à la mer. L’officier qui commandoit l’em­barcation de l’ESPERANCE, vint peu de temps après me rendre compte qu’une des deux pirogues sur lesquelles on fut forcé de faire feu, s’étant approchée de cette frégate, avoit lancé à bord une nuée de pierres, sans qu’il eût été commis aucun acte de provocation : heureusement personne de l’équipage n’avoit été blessé ; aussi les coups de fusil furent-ils tirés de manière à épouvanter les agresseurs, qui prirent très-promptement la fuite.

Nos deux canots débordèrent à trois heures et demie, et suivirent la côte de fort près : ils trouvèrent dans un seul endroit quarante-deux brasses d’eau, à une demi-encablure du rivage ; et à une petite distance de ce même endroit, ils filèrent soixante-dix brasses sans atteindre le fond. Le calme 1793.
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dura toute la nuit, et continua dans la matinée. Le 18, au jour, nous remarquâmes que les courans 18. nous avoîent portés dans le Nord. Le temps étoit parfaitement serein ; et l’on voyoit distinctement les montagnes élevées qui bordent le golfe à l'ouvert duquel nous nous trouvions. La côte occidentale de ce golfe se prolongeoit dans le Nord-Nord-Est, et étoit terminée par des terres basses. On relevoit à-peu-près à l’Est une coupure qui nous parut devoir être l’entrée d’une vaste baie, et à travers de laquelle on voyoit dans l’éloignement des montagnes très-hautes. En approchant, on découvrit au milieu de cette ouverture une île basse : les deux caps qui formoient l’entrée de la passe, étoient ter­minés par des terres plus basses encore, qui dévoient faire craindre que le passage ne fût barré par des ressifs. A onze heures, il s’éleva une brise légère de l’Est, et j'eus le dessein d’aller reconnoître ce passage ; mais réfléchissant que nous pourrions être retenus très-long-temps dans cette baie, si elle existoit, et qu’il ne seroit pas possible d’en sortir autrement qu’en louvoyant, je ne voulus pas m’engager plus avant : d’ailleurs, je craignois que notre position ne devînt très-critique pendant la nuit, si nous eussions été surpris par le calme, au milieu d’écueils tels que ceux qui avoient été déjà rencontrés, et près desquels on n’avoit pas encore trouvé de fond.

La latitude, observée à midi, nous fit connoître que nous avions été portés de quinze minutes dans le Nord, et que les courans suivoient la direction de la côte. Un peu après midi, je fis diriger la route pour passer à une petite distance dans 1793.
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l’Est des îles de Well et Laignel, et laisser à tribord un îlot que nous relevions au Nord-Nord-Est. Bientôt après, on aperçut des brisans de l’avant, et nous tînmes le vent pour nous élever dans l’Est ; mais des hauts-fonds qui s’étendoient jusqu’à l’Est-Nord-Est, nous obligèrent de virer de bord. Après avoir couru une heure et demie les amures à bâbord, nous nous trouvâmes près des brisans qui sont au large de la pointe Sud-Est de l’île de Well, et nous ne pûmes pas les doubler. Nous reprîmes les amures à tribord ; et lorsque nous eûmes fait, à cette nouvelle bordée, autant de chemin que nous en avions parcouru bâbord amures, nous rencontrâmes, pour la seconde fois, le banc qui nous avoit forcés de changer de route. On reconnut qu’il y avoit, sur ce banc, assez d’eau pour notre frégate ; et comme on n’apercevoit pas de dangers au-delà, je me décidai à le traverser, dans l’espérance que nous trouverions ensuite une mer libre. M. RAOUL, sur l’intelligence de qui je comptois, faisoit gouverner du haut des mâts, et nous dirigeoit vers l’endroit où il y avoit le plus d’eau. Il nous prévint de l’instant où l’on devoit sonder, et nous trouvâmes onze brasses d’eau sur un fond de roche. Un second coup de sonde rapporta le même fond et le même brassiage ; et au troisième, on ne trouva pas le fond à vingt brasses. Je fis prévenir l’ESPERANCE, qui étoit au vent, que la route étoit dangereuse à tenir, et elle vira de bord. Une demi-heure après que nous eûmes dépassé le banc que nous venions de franchir, les vigies annoncèrent qu’elles voyoient de l'avant de nouveaux bancs 1793.
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dont on ne pouvoir pas distinguer les extrémités. Il étoit alors près de six heures ; la nuit approchoit, et il eût été dangereux de la passer au milieu de ces écueils : il fallut se décider à revenir sur ses pas, et repasser sur le banc que nous avions déjà franchi. Nous ignorions, cette fois, si l’on trouveroit assez d’eau au point où nous irions aboutir. Il n’y avoit cependant pas un moment à perdre ; car la brise qui se soutenoit encore, pouvoit manquer à chaque instant. M. RAOUL, à l’aide de la clarté du crépuscule, diri­gea de nouveau notre route du haut des mâts : il nous an­nonça, en approchant du banc, que nous trouverions moins d’eau que la première fois ; en effet, lorsqu’il nous avertit de jeter la sonde, on ne trouva que sept brasses d’eau d’un bord, et six de l’autre. Le fond, cette seconde fois ainsi que la première, fut vu distinctement des deux côtés du bâti­ment. Nous prîmes les amures à tribord, avant de nous être approchés des brisans qui sont au large de l’île de Well : bientôt après, les vents, qui n’avoient pas perdu de leur force, passèrent à l’Est-Nord-Est ; nous courûmes la bordée du Sud, et nous passâmes au vent et à environ deux milles de distance de la pointe Sud-Est de cette île, qui, à minuit, nous restoit directement à l’Ouest.

À peine étions-nous sortis du milieu des écueils, que le vent tomba. Le courant nous entraîna sur la côte dont nous n’étions, au jour, qu’à une très-petite 19. distance. L’ESPERANCE, qui s’en trouvoit encore plus près que nous, fut obligée de se faire remorquer par ses embarcations pour s’éloigner de terre. 1793.
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Il paroit que la direction des courans qui nous avoient portés dans l'ouest, étoient déterminée par la coupure que nous avions jugée devoir être l'entrée d'une grande baie, mais qui, par cette raison, m'a semblé être celle d'un canal.

Il y eut, dans la journée, un grand nombre de pirogues autour de nous, et elles vinrent assez près des frégates : nous ne pûmes déterminer aucun des naturels à monter à bord : un vieillard en témoigna le désir ; mais ses compagnons l'en détournèrent. On ne vit dans ces pirogues que des sagayes et des frondes. Les naturels avoient peu d'objets d'échange ; mais, ainsi que les habitans des îles Salomon, ils nous invitoient à venir à terre, et je leur supposai les mêmes intentions. Ils ne s'étoient cependant portés à aucun acte d'hostilité envers nous ; mais celui qu'ils avaient commis contre l'ESPERANCE, n'étoit pas fait pour donner une idée avantageuse de leur caractère. D'ailleurs ils nous montrèrent des os humains, dont ils font des ornements, et qu'ils emploient à divers autres usages. Ils ont de la pudeur, et se couvrent les parties naturelles ; quand ils ôtoient la ceinture dont dont elles étoient enveloppées, ils avoient grand soin de la remplacer sans les laisser découvertes un seul instant. On remarqua que ces hommes témoignèrent pour le fer, la même indifférence que ceux qui avoient été vus les jours précédens ; ce qui semble confirmer qu'aucun bâtiment Européen n'avoient encore visité leur île. Les étoffes rouges sont les seuls objets qui parurent exciter leur cupidité. Le pays qu'ils habitent, doit produire un grand nombre d'arbres et de plantes aromatiques ; tout 1793.
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ce qui nous,est venu d’eux, en avoit conservé l’odeur.

Le calme continua pendant une grande partie de l'après-midi, et l’ESPERANCE fut obligée de se relever de la côte à plusieurs reprises ; je lui envoyai des canots de la RECHERCHE, pour soulager son équipage, qui devoit être excédé de fatigue. Enfin il s’éleva, à quatre heures et demie, une petite brise, à l’aide de laquelle cette frégate put nous rallier.

L’officier que j’avois envoyé à bord de l’ESPERANCE, me rendit compte, à son retour, que cette frégate avoit été très près de terre dans la matinée, et qu'elle avoit communiqué avec un grand nombre de pirogues. Les naturels qui étoient dans ces pirogues, avoient fait remarquer deux autres pi­rogues qui partoient de deux îles différentes, et qui alloient à la rencontre l’une de l’autre. Ils firent parfaitement bien entendre qu'elles alloient s’attaquer, et que les hommes de la pirogue qui remporteroit l’avantage, tueroient tous ceux qui seroient pris dans l’autre, et les mangeroient ensuite ; ce qu’ils exprimèrent de la manière la moins équivoque, et avec les signes de la plus grande joie, comme s’ils eussent dû prendre part au festin. En effet, ces deux pirogues en vinrent aux prises quelque temps après. Les combattans se tenoient debout sur le balancier de leur pirogue, armés de pierres d’une main, et ayant dans l’autre un bouclier pour se couvrir. Pendant l’espace d’un demi-quart d’heure, on se lança de part et d’autre des pierres avec beaucoup de force et une grande agilité ; mais, soit que le succès ait été indécis, ou 1793.
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qu’on ait employé les voies de la conciliation, les deux pirogues finirent par se séparer, et chacune reprit la route de l’île d’où elle étoit partie.

Les boucliers que nous vîmes entre les mains des habitans de la Louisiade, sont les premières armes défensives que nous ayons encore trouvées parmi les insulaires du grand Océan. Il paroît que ceux-ci, qui ont porté l’industrie assez loin pour avoir imaginé une arme propre à les garantir des coups de leurs ennemis, ont aussi acquis de la supériorité dans la navigation : ils construisent des pirogues plus grandes que celles de toutes les autres îles ; car une des pirogues qui étoient près de l’ESPERANCE, fut estimée avoir plus de cinquante pieds de longueur, et elle paroissoit très-bien taillée pour la marche.

L’officier qui étoit allé à bord de l’ESPERANCE me rendit aussi compte d’un fait que je ne dois pas omettre. Un des hommes embarqués dans les mêmes pirogues dont cette fré­gate avoit été environnée, se leva tout-à-coup, armé d’une sagaye, et la dirigea sur le second chirurgien qui étoit alors sur la préceinte en dehors du bâtiment. Les mouvemens de cet insulaire furent remarqués assez à temps pour qu’on ait pu le coucher en joue avant que sa sagaye ait été lancée. Cette menace produisit l'effet qu'on s'en étoit promis, et la pirogue ou étoit l'agresseur s'éloigna sur-le-champ. Voilà donc encore des hommes aussi féroces et aussi traîtres que les habitans de la Nouvelle-Calédonie, et reconnus pour être cannibales : ces découvertes affligeantes paroissent propres à donner une idée des 1793.
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excès auxquels l’espèce humaine peut se livrer, toutes les fois que les mœurs ne sont pas tempérées et adoucies par la civilisation.

Le cap Pierson est par 9° 55′ 10″ de latitude australe, et par 148° 54′ 48″ de longitude orientale, d’après la montre n.° 14.

Pendant la nuit nous dirigeâmes la route de manière à nous placer dans l’Est des hauts-fonds parmi lesquels nous avions été engagés la veille, et qu’il nous avoit été impos­sible de doubler. 20. Nous devions nous trouver, le 20 juin au jour, sur le parallèle de l’îlot situé dans le Nord-Est de l’île de Well : mais le courant nous avoit portés au Nord ; et lorsque la lumière nous eut permis de distinguer les objets, nous nous trouvâmes à trois lieues dans le Nord de cet îlot. On voyoit dans l’Ouest de petites îles très-basses, liées entre elles par des ressifs et des bancs de sable. La plus petite de ces îles étoit remarquable par un seul cocotier, qui sembloït croître au milieu des eaux ; sur d’autres un peu plus éten­dues, on voyoit, mais avec moins de surprise, de petits bou­quets de cette même espèce d’arbres. À quelque distance dans le Nord de ces petites îles, on découvrit de nouvelles îles basses, d’une beaucoup plus grande étendue : je fis gouverner de manière à en passer à l’Est. Quelque temps après, nous vîmes une île plus élevée que les autres, qui fut appelée l’île Jurien ; je me décidai à passer entre cette der­nière île et l’île Jouvency. Après avoir doublé l’île Jurien, nous fîmes route au Nord-Ouest pour visiter la partie Nord des îles 1793.
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nouvellement découvertes, que nous appelâmes îles Trobriand. A six heures et demie, le cap Denis restant à l’Ouest 27° Nord, je fis prendre les amures à tribord pour nous éloigner de terre. La latitude du cap Denis est de 8° 24' australe, et sa longitude de 148° 43’ 37" orientale.

Nous passâmes la nuit à courir des bords sous la misaine et les huniers. Le 21 au 21. jour, la partie Nord des îles Trobriand s'étendoit du Sud 5° Ouest au Sud 18° Ouest. II étoit clair, d’après ce relèvement, que les courans nous avoient portés considérablement dans le Nord-Nord-Ouest. Les vents étoient alors au Sud-Est et Sud-Sud-Est. Ne voyant aucune terre dans l’Ouest, nous tînmes le vent bâbord amures pour nous avancer dans le Sud. Bientôt après, nous aperçûmes, dans cette partie, de nouvelles îles très-basses, qui nous obli­gèrent d’arriver successivement au Sud-Ouest 1/4 Sud et à l’Ouest-Sud-Ouest. La plupart de ces îles, ou plutôt de celles dont nous avons passé le plus près, étoient liées par des ressifs, des bancs de sable ou des hauts-fonds ; ce qui me faisoit conjecturer que les intervalles qui sembloient être libres, ne paroissoient tels que parce que nous en étions éloignés. En effet, plusieurs canaux où nous n’avions d’abord aperçu aucun écueil, s’étoient trouvés barrés à mesure que nous nous en étions rapprochés. Néanmoins je suis persuadé que l'on pourroit trouver des passages parmi ces îles et ces écueils ; mais je pense qu’il seroit imprudent de s’y engager, parce qu’on n’auroit pas la ressource de pouvoir mouiller, lorsqu on se trouveroit entouré de bancs et et de 1793.
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hauts-fonds, de manière à ne pouvoir plus avancer ni reculer sans courir de risques.

A environ midi, nous relevâmes dans le Sud 27° Ouest des terres très-élevées, qui devoient être celles que nous avions vues dans le voisinage du cap la Billardière, et être les mêmes que M. DE BOUGAINVILLE avoit relevées le 10 juin 1769, étant dans le cul-de-sac de l’Orangerie. A mesure que nous nous avancions dans l’Ouest, nous conti­nuions à découvrir de petites îles basses, boisées, et liées par des brisans qui se prolongeoient dans cette direction aussi loin que la vue pouvoit s’étendre.

Le temps qui, depuis quelques jours, avoit été très-serein, s’obscurcit le 22, vers 22. quatre heures du matin ; il sembloit nous annoncer une journée peu favorable pour la reconnoissance de terres basses et de ressifs. Nous restâmes en panne jusqu’à dix heures : alors les nuages et la brume se dissipèrent ; et nous fîmes route au Sud-Ouest pour aller attaquer la terre. Nous aperçûmes les dernières îles qui avoient été dou­blées la veille ; et, peu de temps après, nous découvrîmes de nouvelles îles basses et environnées de brisans, que nous lais­sâmes à bâbord. Lorsque ces dernières furent dépassées, nous continuâmes à gouverner au Sud-Ouest : elles étoient déjà presque hors de vue, quand les vigies nous crièrent d’arriver vent arrière. Nous étions à moins de deux encablures d’un haut-fond, dont nous prolongeâmes le bord septentrional, en gouvernant à l’Ouest-Nord-Ouest, pendant près d’une demi-heure. La nuit survint avant que Ion ait pu voir l’extrémité de 1793.
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cet écueil, et il falloit s’en écarter ; nous prîmes les amures à tribord : mais à peine nos voiles étoient elles orientées, qu’un nouveau banc fut aperçu au vent, de sorte que nous avions passé, sans nous en douter, entre ces deux bancs, qui sont très-peu éloignés l’un de l’autre. Je fis continuer la bordée du Nord, à petites voiles, jusqu’à minuit ; ensuite nous mîmes en panne, le cap au Sud-Sud-Ouest.

Le 23 au 23. jour, nous n’apercevions ni terres ni brisans autour de nous : je fixai la route au Sud-Ouest ; mais, à huit heures un quart, des ressifs vus de l’avant nous obligèrent d’arriver à l’Ouest 1/4 Sud-Ouest. Dès qu’ils furent doublés, nous revînmes au Sud-Ouest : vingt minutes après, de nou­veaux ressifs nous forcèrent de remettre le cap à l’Ouest 1/4 Sud-Ouest. Nous suivîmes de très-près, et pendant plus de deux heures, ces nouveaux ressifs, qui couroient presque Est et Ouest : ce ne fut qu’aux environs d’une heure après midi, que nous en aperçûmes la fin. Les dangers qui nous avoient obligés de changer de route, dans les trois tentatives que nous avions faites pour nous avancer au Sud-Ouest, me firent juger que nous en aurions rencontré de nouveaux en suivant cette direction. En conséquence, je fis gouverner à l’Ouest 1/4 Sud-Ouest ; et aucun brisant ne reparut dans la soirée.

Les courans qui nous avoient portés de quinze à dix-huit milles au Nord-Ouest, sembloient annoncer qu’il existoit des ouvertures entre les bancs que nous avions prolongés pendant cette journée ; mais 1793.
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la mer qui étoit aussi tranquille que l'eau d’un bassin, paroissoit ne laisser aucun espoir de trouver un passage assez large pour risquer de s’y engager.

Le 24 juin au 24. jour, je fis mettre le cap au Sud-Sud-Ouest, et ensuite au Sud-Ouest ; mais à peine avions-nous fait deux lieues dans cette direction, que l’on aperçut des brisans de l’avant. Ils se prolongeoient d’abord directement de l’Est à l’Ouest, puis ils tournoient insensiblement vers le Nord ; de sorte que, dans l’espace de moins de six heures, nous gouvernâmes depuis l’Ouest jusqu’au Nord-Nord-Est. Lorsqu’on fut rendu à l’endroit où ces brisans formoient le coude, on releva à l’Ouest l’île Riche, qui est assez grande et de hauteur médiocre : à une heure et demie nous avions le cap au Nord 1/4 Nord-Ouest, et l’on ne voyoit plus de brisans dans le Nord. Le vent étoit foible, et à l’Est-Sud-Est ; la houle venoit directement de l’Est, et les courans portoient à l’Ouest avec assez de force. Je crus qu’il n’étoit pas prudent de revenir dans l’Ouest, dans la crainte de nous trouver engagés parmi des écueils, aux approches de la nuit. En conséquence nous tînmes le vent, dans l’intention de venir le lendemain visiter cette partie. Nous vîmes très-distinc­tement, dans la matinée, de très-hautes terres, que l’on avoit cru apercevoir la veille, au coucher du soleil. Elles s’étendoient depuis le Sud jusqu’au Nord-Ouest, où elles ne paroissoient même pas terminées ; ce qui me faisoit croire que c’étoient les terres de la Nouvelle-Guinée.

Nous ne pûmes obtenir la latitude que par la méthode des hauteurs prises 1793.
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hors du méridien : l’accord qui, s’est trouvé entre les résultats de quatre observations, me fait penser qu’elle ne doit pas être affectée d’une grande erreur. Nous avions déjà eu plusieurs occasions d’éprouver l’exactitude de cette méthode : elle est due, sans doute, à la régularité du mouvement de la montre marine qui servoit à mesurer les intervalles de temps écoulés entre les observations.

Nous prolongeâmes la bordée du Nord jusqu’à minuit, et nous reprîmes ensuite celle du Sud. À deux heures et demie, et au moment où l’on alloit virer de bord, on aperçut une tache blanche, à une très-petite distance, dans le Sud de la Recherche. Nous virâmes sur-le-champ pour nous en éloigner. Cette tache, regardée pendant quelque temps comme produite par l’effet d’un raz de marée, fut reconnue pour être un haut-fond isolé, de forme ronde, près duquel nous filâmes une ligne de cinquante brasses sans trouver fond. La position que ce banc occupe sur nos cartes, est très-incertaine, parce qu’elle a été fixée d’après l’estime des différentes routes que nous avions faites pendant la nuit.

Le 25 au 25. jour, les vents soufflant du Sud-Est joli frais, je fis gouverner à l’Ouest-Nord-Ouest pour nous rapprocher des terres de la Nouvelle-Guinée : on ne tarda pas à revoir l’île Riche, qui s’étendoit du Sud 47° Ouest au Sud 67° Ouest ; nous la perdîmes de vue un peu après midi. La pointe la plus Nord de l’île Riche est par 8° 2′ de latitude australe, et par 145° 37′ 20″ de longitude. Nous fîmes sans 1793.
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apercevoir aucune terre. Le temps paroissoit assez Beau ; cependant l’horizon étoit embrumé, et l'on ne pouvoit pas distinguer les objets à une grande distance. Au coucher du soleil, on crut apercevoir une terre élevée dans l’Ouest Sud-Ouest ; les courans continuèrent à nous porter dans le Nord-Ouest, mais avec moins de force que les jours précédens.

Le 26 juin 26. au jour, le temps étoit très-sombre, et l’on ne voyoit pas la terre ; je fis gouverner à l’Ouest 1/4 Sud-Ouest pour nous en rapprocher. Peu après on vit les montagnes de la Nouvelle-Guinée, qui s’étendoient du Nord 13° Est au Nord 23° Ouest : nous avions été entraînés dans le Nord pendant la nuit, et l’on ne voyoit aucun des points dont nous avions eu connoissance la veille au coucher du soleil. Nous fîmes route au Sud, pour nous rapprocher des terres qui sont dans le Nord-Ouest de l’île Riche. A onze heures et demie, le temps commença à s’éclaircir ; nous aperçûmes une terre basse au Nord 5° Est, et un cap assez élevé à l’Ouest 28° Sud. Au même instant, le vent passa au Nord-Ouest ; mais il étoit si foible, et la mer si houleuse, que nous ne pouvions pas gouverner avec le cap à l’Est-Nord-Est.

Le soleil parut un peu avant midi ; nous prîmes des hauteurs voisines du méridien : les latitudes qui en furent conclues, nous placèrent de 37’ au Nord de la latitude estimée. Les angles horaires que nous observâmes dans l’après-midi, nous procurèrent une longitude qui s’accordoit, à très-peu près, avec la longitude 1793.
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estimée ; et nous reconnûmes que les courans nous avoient portés directement au Nord. Cette nou­velle direction sembloit annoncer qu’il n’y avoit aucune ou­verture dans l’Ouest, et que les eaux, poussées par les vents de Sud-Est, s’accumulent sur les côtes de la Nouvelle-Guinée, et prennent leur écoulement le long du cap appelé par DAMPIERRE, cap du roi Guillaume [King William]. Notre conjecture fut confirmée par la vue des terres éle­vées que nous aperçûmes enfin dans l’après-midi, et dont nous étions environnés depuis le Nord 63° Est jusqu’à l’Ouest et depuis l’Ouest jusqu’au Sud 4° Est. Nous ne pûmes pas les voir toutes au même instant ; mais nous les découvrîmes suc­cessivement dans les intervalles où les nuages s'étoient dis­sipés. On distinguoit en avant de ces montagnes, les plus hautes que nous eussions encore vues, des terres de moyenne élévation, dont quelques-unes pouvoient appartenir à des îles situées près de la côte. Nous gouvernâmes pendant toute la soirée à l’Est-Sud-Est, avec des vents très-foibles du Nord-Ouest, pour tâcher de sortir du golfe dans lequel nous nous étions avancés.

Dans la matinée 27. du 27, le temps fut sombre et pluvieux ; nous restâmes en panne pour attendre que l’on pût distin­guer les objets. Aux approches de midi, le soleil se montra, et nous observâmes la hauteur méridienne. La différence entre la latitude qui résultoit des observations et la latitude estimée, se trouva presque nulle.

Après midi, l’horizon étant assez clair et les vents à l’Ouest-Nord-Ouest 1793.
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joli frais, nous prîmes la bordée du Sud. Le temps, quoiqu’assez beau, ne laissoit apercevoir que quelques parties du sommet des montagnes ; mais on voyoit distinctement, de l’avant, des terres moins élevées qui s’étendoient jusqu’au Sud-Sud-Est, à perte de vue. Nous vîmes en dedans de la pointe méridionale du golfe Huon, qui fut appelée cap Longuerue, un groupe d’îles peu élevées, près desquelles nous fûmes retenus par le calme. La latitude du cap Longuerue est de 7° 22’ australe, et sa longitude de 145° 3' 22". Les terres que nous voyions dans le Sud, doivent tenir à celles qui sont à l’Ouest de l’île Riche, et pa­raissent former la partie orientale de la Nouvelle-Guinée. Ainsi la Louisiade découverte par M. DE BOUGAINVILLE, est un archipel situé dans le Sud-Est de la Nouvelle-Guinée ; il peut avoir 6° d’étendue en longitude, et pas plus de 2° 1/2 en latitude dans les endroits de sa plus grande largeur, laquelle doit se trouver sur le méridien des îles Dentrecasteaux et Trobriand, et par conséquent un peu à l’Est du cul-de-sac de l’Orangerie de M. DE BOUGAINVILLE.

Dans la matinée 28. du 28, le temps étoit si sombre que nous ne vîmes pas la terre : la mer étoit très-houleuse ; et les vents d’Ouest étoient si foibles, que nous pouvions à peine gouverner ayant le cap au Nord-Est et Nord-Nord-Est. A onze heures et demie, le soleil parut ; mais la terre resta cachée dans les nuages. A midi, nous nous trouvions par 7° 8’ 20" de latitude, et 145° 32’ de longitude, c’est-à-dire, à huit lieues et demie dans le Sud-Sud-Est du cap Crétin. C’eût été sans 1793.
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doute un très-beau spectacle que de nous voir entourés de montagnes qui forment divers étages, et dont les plus hautes se perdent dans les nues ; mais je pense que l’on ne peut en jouir que très-rarement. Des montagnes si prodigieusement élevées doivent retenir les nuages, et en être presque toujours enveloppées : aussi avons-nous éprouvé dans ce golfe beaucoup de pluie, et de fréquens orages.

La différence entre l’estime et les observations fut très peu considérable ; d’où il résulte que les courans n’eurent que peu d’action dans les vingt-quatre heures. Il est à présumer qu’ils suivent les contours des terres, et qu’ils ne sont pas violens au large.

Vers les trois heures après midi, il s’éleva un vent léger de l’Est-Sud-Est à l’aide duquel nous pûmes nous rap­procher de trois petites îles basses, situées à une lieue deux tiers dans le Sud-Est du cap Crétin. La plus septen­trionale de ces îles est par 6° 47′ 45″ de latitude australe, et par 145° 29′ 40″ de longitude orientale.

Le 29 au 29. jour, on releva le cap du roi Guillaume à l’Ouest 18° Nord ; nous gouvernâmes au Nord-Ouest pour nous en approcher : on ne tarda pas à voir les terres de l’île ROOK ; ensuite on découvrit les îles basses qui sont au Sud de cette île. Je fis diriger la route au Nord 1/4 Nord-Est, pour laisser les îles basses à bâbord. Il ventoit alors grand frais ; et nous avions toutes voiles dehors, parce que nous ne présumions pas rencontrer de dangers sur notre route. Nous nous trou­vâmes tout-à-coup sur un banc que les reflets du soleil avoient avoient empêché 1793.
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d’apercevoir, et sur lequel on vit le fond des deux côtés du navire ; mais nous n'eûmes pas le temps de jeter la sonde, car il étoit dépassé quand je donnai l’ordre de sonder. Peu après on découvrit une petite île de sable et des hauts-fonds par le travers et à tribord ; ensuite on en vit de nouveaux à bâbord et de l’avant. Nous étions trop près des uns et des autres pour pouvoir virer vent devant ou vent arrière ; heureusement on distingua du haut des mâts un passage entre ces bancs, et nous nous y engageâmes, C’est en chenalant au milieu de ces écueils, par un vent assez frais, que nous parvînmes à nous en tirer. Lorsque nous nous trouvâmes dans le Nord de tous les dangers, je fis di­riger la route sur le cap Glocester de DAMPIER ; et nous accostâmes de fort près la côte de la Nouvelle-Bretagne, qui est d’un aspect très-agréable : sa population doit être très nombreuse ; car le rivage est couvert d’habitations, entourées d’un grand nombre de cocotiers.

Tandis que nous étions occupés à considérer cette côte fertile, nos yeux en furent détournés pour jouir du spectacle, non moins curieux, d’une irruption subite du volcan qui est sur l'île la plus proche de la côte de la Nouvelle-Bretagne. On ne pouvoit pas apercevoir les flammes, parce que nous étions en plein jour : mais on voyoit des masses d’une fumée très-épaisse sortir du sommet de la montagne ; et l’on apercevoit un torrent de laves qui se précipitoit à la mer en formant plusieurs cascades, d’où s’élevoient, à différentes hauteurs, et même sur le bord du rivage, des colonnes de fumée d’une 1793.
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teinte blanchâtre. L’île du Volcan est par 5° 32’ 20" de latitude australe, et par 145° 44’ de longitude orientale, d’après la montre n.° 1 4.

Le vent fut très-variable dans l’après-midi ; cependant, vers quatre heures, il se fixa au Sud-Est très-grand frais, et nous força de prendre des ris. Lorsque nous eûmes doublé le cap Glocester, une chaîne de ressifs aperçue de l’avant nous obligea de nous éloigner de la côte, que nous vîmes prendre sa direction vers l’Est, et qui paroissoit terminée par une pointe, au-delà de laquelle on ne découvrait aucune terre.

Le 30 30. juin, les vents ne nous permirent pas de pro­longer la côte septentrionale de la Nouvelle-Bretagne, que j’avois le dessein de visiter. Nous fûmes obligés de faire route au Nord, et d’aller reconnoître une île assez haute qui, dans la matinée, avoit été aperçue au Nord-Est.

Le 1.er juillet Juillet.
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au jour, nous nous trouvions à environ cinq ou six lieues dans l’Ouest de l’île qui avoit été découverte la veille. On voyoit au Nord de cette île que nous appelâmes île Mérite, plusieurs autres îles dont la plus orientale paroissoit être la plus grande. Le temps étoit sombre, et l’on apercevoit à peine les terres de la Nouvelle-Bretagne. Le vent ayant passé au Sud-Ouest, je fis diriger la route pour nous en rap­procher ; mais bientôt après il revint à l’Est, et nous gouver­nâmes pour aller reconnoître les petites îles qui étoient en vue. Nous passâmes au Nord de l’île Mérite ; et, au coucher du soleil, nous étions dans le Sud de l’île des Lacs, qui est la plus orientale 1793.
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de ce groupe, auquel nous avons donné le nom d'îles Françoises. Toutes ces îles sont assez élevées ; leurs côtes nous parurent très-saines : cependant on voyoit, à la pointe Sud-Ouest de l’île Forestier, plusieurs îlots, dont le plus éloigné de terre est à un peu plus d’une lieue au large. La partie la plus élevée de l’île Mérite a été placée par 4° 54' de latitude australe, et par 146° 44’ 40" de lon­gitude orientale. Les courans nous avoient portés de 24’ au Nord, dans les vingt-quatre heures, et de 3’ seulement à l’Ouest.

Le 2 au 2. lever du soleil, nous relevâmes au Nord la pointe orientale de l’île des Lacs : un nouveau groupe d’îles fut aperçu depuis l’Est 15° Sud jusqu’à l’Est 85° Sud. L’horizon étoit très-étendu ; et l'on apercevoit dans le Sud les terres élevées de la Nouvelle-Bretagne, dont nous devions être à douze ou treize lieues de distance. Le calme dura toute la journée ; aussi ne fîmes-nous que très-peu de chemin. La pointe la plus Nord des terres qui avoient été relevées dans la matinée, restoit encore, à la chute du jour, à-peu-près dans la même direction.

Le calme continua 3. pendant toute la nuit. Les relèvemens du 3 juillet à la pointe du jour, nous firent connoître que les courans nous avoient portés considérablement au Sud et à 1'Ouest. Quoique nous eussions gouverné constamment à 1'Est-Nord-Est et au Nord-Est, faisant, il est vrai, très-peu de chemin, nous nous trouvions de six lieues un tiers dans le Sud-Sud-Ouest du point où nous étions la veille. Cette nouvelle direction des 1793.
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courans me fit présumer que nous avions commencé à éprouver faction du courant rapide qui passe par le canal Saint-George, et doit se diriger au Sud-Ouest et Sud-Sud-Ouest, à quelque distance du cap Ste­phens. Les vents étant de la partie du Sud, nous fîmes route toute la journée pour nous rapprocher d'une île que nous appelâmes île Willaumez milieu en est assez élevé, mais les extrémités en sont très-basses. Les arbres dont elle est couverte depuis le rivage jusqu’aux plus hauts sommets, semblent annoncer que le sol doit être fertile. On n’a remar­qué aucune case sur le bord de la mer ; et nous aurions cru l'île inhabitée si nous n’avions pas aperçu plusieurs colonnes de fumée s’élever dans l’intérieur. On vit au milieu de la côte occidentale un assez grand enfoncement, qui paroissoit offrir un bon mouillage, ouvert cependant aux vents d’Ouest ; mais cette île, de peu d’étendue, et sur laquelle nous n'avions distingué aucun terrain cultivé, me parut offrir si peu de ressources, que je ne crus pas nécessaire de nous arrêter pour la visiter. Nous vîmes au Sud de l’île Willaumez deux autres îles beaucoup moins grandes et très-boisées : nous en appelâmes une île Raoul et l’autre île Gicquel. La pointe méridionale de l’île Willaumez est par 5° 15’ 3" de latitude australe, et par 147° 39’ 45" de longitude orientale.

A midi, nous étions à environ huit lieues des terres les plus proches de la Nouvelle-Bretagne, qui s'étendoient depuis les îles Raoul et Gicquel jusqu’au Sud 64° Ouest. Nous dirigeâmes la route de manière à passer au Nord de l’île Willaumez, 1793.
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dont la pointe septentrionale fut relevée, à six heures du soir, à l’Est 10° Sud. Le 4 juillet au jour, nous relevâmes la pointe 4. septentrionale de l’île Willaumez au Sud 28° Ouest, à environ deux lieues et demie de distance. La côte de la Nouvelle-Bretagne fut aperçue dans un grand éloignement ; elle se­ tendoit depuis le Sud 16° Ouest jusqu’au Sud 37° Est. Les vents étant au Sud-Sud-Est assez frais, nous fîmes route au plus près du vent, tribord amures ; et à cinq heures et demie du soir, on découvrit à l’Est 9° Sud une île dont nous devions être encore à plus de douze lieues. Nous la nom­mâmes île du Portail.

La nuit fut très-orageuse, et le temps resta très-obscur pendant toute la journée du 5 5. juillet. Nous éprouvâmes des calmes et des vents contraires, qui ne nous permirent pas de nous avancer de plus de six lieues dans l’Est. On vit, par intervalles, les terres de la Nouvelle-Bretagne dans le Sud, et l’île du Portail, qui restoit, ainsi que la veille, à l’Est 9° Sud.

Nous éprouvâmes un orage 6. assez fort pendant la nuit du 5 au 6 ; la pluie continua sans interruption jusqu'à huit heures du matin : alors le temps s’éclaircit, et à l’aide de vents variables et très-foibles, nous pûmes nous avancer de trois ou quatre lieues dans le Nord-Est. Un peu avant le coucher du soleil, on vit l’île du Portail dans le Sud-Est : elle étoit alors à sept ou huit lieues de distance ; et l’on apercevoit, au large de son extrémité occidentale, trois petits ilots, qui dévoient être 1793.
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très-élevés relativement à leur grandeur. Au même instant on découvrit de l'avant des terres très-hautes, dont l’extrémité septentrionale étoit vraisemblablement le cap Stephens.

Le 7 juillet, nous 7. fîmes route au Nord-Est avec des vents très-foibles du Sud-Est au Sud-Sud-Est, et nous nous ap­prochâmes du cap Stephens. Nous pûmes reconnoître ce cap avant la nuit, ainsi que les terres de la Nouvelle-Bretagne, qui paroissoient être très-élevées, et fuir dans le Sud-Est.

La vitesse des courans avoit diminué à mesure que nous nous étions rapprochés du cap Stephens. Dans les journées des 5, 6 et 7 juillet, c’est-à-dire, depuis que nous avions dépassé l'île Willaumez, les observations ne nous avoient jamais placés de plus de 3 ou 4' au Sud et à l’Est de l’estime. Il paraît que les courans du canal Saint-George ne s’étoient fait sentir qu’entre l'île Willaumez et les îles Françoises, et que les courans du détroit de Dampier ne s’étendent pas à l’Est des dernières : par cette raison, elles me paraissent être précisément à l’endroit où les eaux qui s'échappent du canal Saint-George viennent rencontrer celles qui s'écoulent par le détroit de Dampier.

Le 8 à six heures 8. et demie du matin, on releva le cap Stephens à l'Est 22° Sud, et l'on vit les terres de la Nouvelle-Bretagne s'étendre jusqu'à l'Est 81° Sud. La latitude du cap Stephens, d'après nos observations, est de 4° 11' 45" australe, et sa longitude de 149° 20' à l'orient du méridien de Paris. Nous croyons que la position en latitude de ce cap est susceptible d’une 1793.
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assez grande précision, parce quelle a été déterminée par des relèvemens observés lorsque nous étions à-peu-près sur le même parallèle. Quant à sa position en longitude, elle n’a pu être fixée avec autant d’exactitude, et il seroit possible qu'elle se trouvât en erreur d’un petit nombre de minutes.

Lorsque nous fûmes parvenus à l’extrémité septentrionale de la Nouvelle-Bretagne, je me décidai à faire route au Nord-Ouest pour me rendre à 1'île de Java, où il devenoit de jour en jour plus pressant d’arriver. Le vin qui nous restoit à bord, s’étoit aigri ; nos farines étoient échauffées, et nous commencions à être dépourvus de toute espèce de provisions. La santé de nos équipages épuisée par les fatigues d’une navigation longue et pénible, exigeoit que nous pus­sions relâcher dans un pays qui nous offrît d’assez grandes ressources pour réparer leurs forces et pour nous approvi­sionner de nouveau.

Nota. Le journal du contre-amiral DENTRECASTEAUX finit içi. La relation du voyage a été continuée par M. ROSSEL, qui commandoit, à cette époque, la frégate LA RECHERCHE, en

qualité de capitaine de pavillon.
CHAPITRE XX.

Navigation au Nord de la Nouvelle-Guinée. — Mort du Contre-Amiral DENTRECASTEAUX, le 20 Juillet 1793. — Relâche au havre de Boni. — Séjour dans ce havre, du 18 au 27 Août.


Le 9 juillet, à 1793.
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la pointe du jour, nous aperçûmes l'île Sandwich, dans le Nord 16° Est, à la distance de six ou sept lieues : on ne voyoit que les sommets des montagnes de 9. cette île ; et elle s’offroit à notre vue sous l’aspect de plusieurs terres détachées qui paroissoient former un groupe de petites îles. Un peu avant midi, on vit dans le Nord-Nord-Ouest les terres de la Nouvelle-Hanovre. La route fut dirigée sur l’extrémité orientale de cette côte, afin de passer à une petite distance des îles Portland.

Dans la matinée 10. du 10, nous vîmes les îles Portland : leur position conclue de la latitude observée à midi, et des nouveaux relèvemens faits cette année, s'est accordée de la manière la plus satisfaisante avec les résultats des observations et des relèvements de l'année précédente.

L'état d'affoiblissement des équipages, parmi lesquels le scorbut commençoit déjà à se manifester, engagea le contre-amiral BRUNI-DENTRECASTEAUX à se rendre le plus promptement possible aux Moluques : il se décida donc à à s'éloigner 1793.
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des terres élevées de la Nouvelle-Guinée, près desquelles nous avions éprouvé des calmes fort longs en 1792 ; en conséquence, nous fîmes route pour passer au Nord des îles de l’Admiralty, et des îles appelées les Anacho­rètes par M. DE BOUGAINVILLE. Les sentimens d’humanité dont il n’avoit cessé de donner des marques, en prodiguant à ses équipages les soins les plus assidus, lui avoient dicté ce parti ; et il le prit uniquement en leur faveur, quoiqu’il fût devenu plus nécessaire pour sa propre conservation que pour celle d’aucun autre individu. Le scorbut dont il fut attaqué après notre départ de Balade, avoit déjà fait chez lui de tels progrès, que le 7 juillet, jour où nous avions achevé la reconnoissance de la Nouvelle-Bretagne, il avoit les jambes très enflées : on y apercevoit déjà ces taches noires qui annoncent ordinairement l’approche des dernières périodes de cette ma­ladie. Son état n’avoit cependant pas encore pris ce caractère funeste qui s’est manifesté dans la suite ; et nous étions loin de prévoir la perte irréparable dont nous étions menacés. Il sembloit que le bonheur qui, depuis la mort de M. HUON, n’avoit pas cessé d’accompagner notre navigation, eût éloigné de nous tout pressentiment, toute idée funèbre.

Le 11 juillet, à 11 et 12. une heure et demie après midi, nous aper­çûmes la petite île de la Vendola, à l’Ouest-Nord-Ouest ; mais elle étoit dans un grand éloignement. Le calme nous empêcha de l’approcher de toute la journée, et nous ne la doublâmes que dans la matinée du 12 ; nous en passâmes à un peu plus d’une lieue dans l’Ouest. On vit un grand nombre de naturels 1793.
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rassemblés sur le rivage ; mais ils ne lancèrent aucune de leurs pirogues à la mer, et nous laissèrent passer sans témoigner la moindre envie de venir vers nous. Cette petite île isolée, dont la position avoit été déterminée avec exactitude en 1792, nous a servi à lier les opérations des deux années. Sa latitude conclue de l’observation du 12 juil­let 1793, et celle qui avoit été déduite des observations de 1792, ont eu entre elles un accord qui ne peut avoir lieu que lorsqu’on fait usage du cercle à réflexion de BORDA, et qu’on observe plusieurs hauteurs près du méridien. La longitude de la Vendola, obtenue cette année par la montre n.° 14, étroit de 32’ de degré plus à l’Est que celle de l’année précédente ; mais les époques des observations d’après lesquelles ces longitudes ont été calculées, étoient éloignées de plus de deux mois des époques auxquelles la montre avoit été réglée. La longitude de la Vendola a été fixée par les résultats de distances de la lune au soleil ; et il y a lieu de croire qu'elle doit être comprise dans les limites de précision dont cette espèce d’observation est susceptible : car la longitude déduite des distances observées en 1793, n’a différé que de 6’ 17" de degré, de celle qui avoit été conclue par les distances prises en 1792 a.

Après avoir doublé la Vendola, nous fîmes route au Nord pour passer à une certaine distance dans l’Est du plus oriental des trois îlots appelés los Rejes par le capitaine MAURELLE. Nous fûmes portés dans l’Ouest par un courant très-violent : les 1793.
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vents étoient au Sud-Est ; et, quoique nous fussions revenus au plus près, nous ne passâmes qu'à quelques encablures au large de cet îlot. Il fut doublé en un instant, plus par faction du courant, que par la force du vent, qui étoit très-foible. L’ESPERANCE se trouvoit alors dans les eaux de LA RECHERCHE, et elle ne put doubler l’îlot au vent : le courant l’entraîna avec une grande vitesse sur la terre, et la mit dans une position si critique, qu'elle fut obligée de passer sous le vent, et de donner dans un chenal de deux ou trois encablures de largeur, bordé à l’Ouest par un banc très-dangereux qui alloit se joindre à l’îlot du mi­ lieu. On a cru remarquer à bord de cette frégate, que le canal qui sépare l’îlot le plus occidental de celui du milieu, étoit aussi fermé par des ressifs et des hauts-fonds.

Du 13 au 16, les Du 13 au 16. vents furent très-variables, et le temps généralement couvert et pluvieux. Le 16, à la pointe du jour, nous découvrîmes les îles des Anachorètes, à une grande distance : elles s’étendoient du Sud 25° Ouest au Sud 35° Ouest. Dans la matinée du 17, on 17. vit la petite île basse que M. DE BOUGAINVILLE n’avoit aperçue que du haut des mâts de sa frégate. Nous en passâmes à environ trois lieues dans le Nord : d’après nos relèvemens, cette île doit être à cinq lieues dans l’Ouest | Nord-Ouest de l'île la plus septentrionale des Anachorètes ; sa latitude est de 0° 45’ australe, et sa longitude de 142° 55' orientale.

Les temps humides 19. que nous éprouvâmes après avoir perdu de vue les îles de l’Admiralty, avoient développé les principes 1793.
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de scorbut qui s’étoient manifestés à bord des deux frégates. L'état du contre-amiral DENTRECASTEAUX avoit sur-tout empiré de la manière la plus alarmante ; ses forces étoient entièrement abattues, et il éprouvoit un dégoût presque invincible pour toute espèce d’aliment. L’enflure des jambes avoit fait des progrès rapides ; et une colique violente, accompagnée d’une diarrhée qui sembloit annoncer la disso­lution du sang, ne cessoit de le tourmenter. M. d’AURIBEAU et les officiers de LA RECHERCHE, vivement affligés de son état, et craignant les suites qu’il pouvoit avoir, l'avoient en­gagé, depuis plusieurs jours, à se rendre, sous le plus court délai, à l’île Waigiou, et l’avoient vivement sollicité de se séparer de la frégate l’ESPERANCE, qui retardoit la marche de LA RECHERCHE. Nous espérions qu'un séjour à terre de quelque durée contribueroit plus que toute autre chose au rétablissement de sa santé. Il résista à nos instances, et ré­pondit constamment qu’il ne s'écarteroit jamais, pour son avantage personnel, des ordres qui lui avoient été donnés dans ses instructions. Nous l’entendîmes souvent, dans cette circonstance, dire que les objets d’une utilité générale, et prin­cipalement ceux qui avoient-rapport au service de l’Etat, ne dévoient point être sacrifiés à l’intérêt d’un particulier. Il ne céda à nos sollicitations que dans la soirée du 19 juillet, veille de sa mort. Alors il fut résolu que les deux frégates ne navigueroient plus de conserve, et que chacune d'elles se rendroit séparément à l’île Waigiou. A la chute du jour, nous forçâmes de voiles, et nous prîmes congé de l’ESPERANCE. Dans la nuit 1793.
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du 19 au 20 juillet, les douleurs de M. DENTRECASTEAUX devinrent si violentes, et lui 20. causèrent une telle agitation, que l’on s’aperçut d’un désordre dans les idées, qui annonçoit du délire. A la pointe du jour, nous vimes encore l’ESPERANCE à une grande distance de l’ar­rière. M. RENARD, chirurgien-major de LA RECHERCHE, qui avoit employé en vain toutes les ressources de l’art pour le soulager, me témoigna le désir de consulter M. JOANET, son collègue de l’autre frégate, avant de tenter le dernier moyen qui lui restât à mettre en usage. Nous vînmes sur­ le-champ en travers pour attendre l’ESPERANCE ; et dès que nous fûmes à portée, j’envoyai prévenir M. d’AURIBEAU du danger dans lequel se trouvoit notre malheureux chef, et je lui fis demander que M. JOANET vînt aider de ses lu­mières le chirurgien-major de LA RECHERCHE. On fut d’avis que le seul moyen de calmer les douleurs aiguës que le malade éprouvoit, étoit de lui faire prendre un bain ; mais à-peine fut-il plongé dans l’eau, que son état devint désespéré. Des convulsions terribles se déclarèrent, et il perdit entièrement connoissance ; les deux chirurgiens majors, aidés des conseils de M. LA BILLARDIERE, ne purent parvenir à les calmer. Le mal résista à tous les remèdes ; et pendant toute la matinée, les spasmes et les crispations de nerfs continuèrent avec la même violence. A midi, ces symptômes alarmans parurent s’affoiblir, et nous osâmes nous flatter de quelque espoir ; mais il ne fut pas de longue durée : l’homme respectable dont l’existence nous étoit à tous 1793.
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si précieuse, passa insensiblement de la grande agitation qu’il avoit éprouvée, à un affaissement absolu, et resta privé de toutes ses facultés. Il sembloit que la mort seule pût mettre un terme aux souffrances cruelles auxquelles il étoit en proie depuis le matin. À sept heures et demie du soir, il rendit le dernier soupir.

Lorsque je vins annoncer à l’équipage la perte irréparable que nous venions de faire, la consternation fut générale ; et le profond silence qui régna pendant le récit de ce funeste événement, ne fut interrompu que par des témoignages de la douleur la plus vive et la plus sincère. J’eus, dans cette occasion, la seule consolation que j’étois capable d’éprouver, en voyant que tous ceux dont j’étois environné partageoient ma douleur. J’envoyai un officier porter la nou­velle de ce malheur à bord de l’ESPERANCE, et prendre les ordres de M. d’AURIBEAU, qui, par son grade et son an­cienneté, étoit devenu le chef de l’expédition.

Le 21, on 21. rendit les derniers devoirs religieux et les honneurs militaires à M. DENTRECASTEAUX. Il fut facile de reconnoître, pendant cette triste cérémonie, que tout le monde sentoit la grandeur de la perte que nous venions de faire : chacun donna un libre cours à sa douleur, et rendit hommage aux vertus dont celui que nous pleurions n’avoit pas cessé de donner l’exemple. Ces vertus et les talens qu’il réunissoit, n’avoient pas été reconnus seulement de ceux qui avoient servi sous ses ordres, mais du Gouvernement, qui l’avoit toujours employé dans les places les plus importantes. La vaste étendue 1793.
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de ses connoissances, et la solidité d’un jugement mûri par l’habitude de la réflexion et par une étude presque continuelle, l’avoient fait choisir parmi un grand nombre d’officiers distingués, pour être directeur adjoint des ports et arsenaux de la marine, place où il a mérité les suf­frages universels, quoiqu’il ne l’ait remplie que pendant très-peu de temps. Des chagrins dont la cause n’est malheureusement que trop connue, l’engagèrent, par une délicatesse bien rare, à demander sa retraite : mais le maréchal DE CASTRIES, alors ministre de la marine, qui avoit apprécié son mérite, ne voulut pas que le fruit des services qu’il pouvoit rendre à sa patrie fût entièrement perdu. Afin de l’éloigner des lieux où la pensée de ses malheurs devoit lui être le plus sensible, on lui donna le commandement de nos forces navales dans l’Inde : le terme de la station étant expiré, on prolongea son séjour dans ces contrées ; et on lui donna en même temps un témoignage éclatant de satisfaction, en le nommant gouverneur de l’Ile-de-France. Par la sagesse de ses réglemens, il parvint à détruire les abus qui s’étoient glissés dans les différentes branches de l’administration de cette île. Il sut si bien concilier les intérêts les plus opposés, qu’il se fit aimer des hommes de toutes les classes. Mais ce fut pendant qu’il commandoit la station de l’Inde, qu’il développa ce genre de mérite qui le rendoit propre à conduire une campagne de découvertes. Il se fraya avec la Résolution, vaisseau de cinquante canons, une route nouvelle dans le grand Océan, pour aller en Chine à contre-mousson. Ce fut en naviguant 1793.
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dans cette mer parsemée d'écueils, qu’il étonna les marins les plus expérimentés, par sa hardiesse à braver les plus grands périls, hardiesse qui auroit pu passer pour témérité dans un autre, mais qu’il justifia toujours par les ressources de son esprit juste, fécond et lumineux : car le péril qui auroit pu surprendre un homme ordinaire, étoit toujours entré dans ses combinaisons ; et l’événement prouvoit qu’il n’avoit semblé le défier que parce qu’il étoit sur de le vaincre. Nous osons nous flatter qu’après la publication du journal où il rend compte des détails de ses opérations, les géographes et les hommes de l’art le placeront au nombre de ces navigateurs illustres qui ont acquis des droits à la reconnoissance de tous les peuples, et qu’aucun de nos lecteurs ne pourra se défendre d’accorder un sentiment d’intérêt à l’homme religieux et sensible qui mérita si bien de l’humanité.

Du 22 au 30 Du 22 au 30. juillet, nous eûmes des calmes, des vents foibles et très-variables, accompagnés de pluie et d’orages : nous ne nous étions avancés dans l’Ouest que de quatre-vingt-onze lieues en huit jours. Le 30 juillet, nous nous trouvions sur le parallèle de 0° 21’ de latitude australe, et sur le méridien de 137° 3' 1" de longitude orientale.

Dans la journée 31. du 31, les vents de l’Est au Sud-Est furent assez frais ; et à midi, l’observation de la hauteur méridienne nous plaçoit par 0° 10’ de latitude australe ; la longitude obtenue, d’après la montre n.° 14 , étoit de 135° 42' 9" orientale. Nous devions nous trouver depuis la veille dans le voisinage des îles Stephens ; mais nous nous n’en eûmes pas 1793.
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connoissance. Le capitaine CARTERET avoit découvert ces îles cinq jours après avoir perdu de vue l’île du Rour ; et il les avoit placées, d’après son estime, à 4° 12’ dans l’Ouest de cette île. Si l’on concluoit la longitude des îles Stephens de la position que nous avons donnée à l’île du Rour, d’après nos observations de 1792 2, en faisant usage de la différence en longitude de CARTERET, ces îles devroient être placées par 136° 10’ de longitude orientale ; et nous aurions dû les doubler pendant la nuit, et en passer à environ quatre lieues dans le Nord. La longitude trouvée par cette opération pourroit être en erreur de près de 45’ de degré : car tous les navigateurs qui ont fréquenté ces parages, ont éprouvé des courans violens ; et il seroit possible que la différence de méridiens qui résulte de la route estimée de CARTERET, au bout de cinq jours, fût affectée d’une erreur égale à cette quantité. En conséquence, nous avons déduit la longitude des îles Stephens de celle des îles Freewill, dont le capitaine MEARS a déterminé la position en 1788 par des distances de la lune au soleil ; et nous avons fait usage de la différence de méridiens qui provient de la route que CARTERET a faite en partant des îles Stephens pour se rendre aux îles Freewill. Ce trajet n’avoit duré que vingt-quatre heures ; et cette différence de méridiens, qui n’est que de 48’, doit être plus exacte que la précédente. Ainsi M. BEAUTEMPS-BEAUPRE a placé sur la carte générale de

2 Voyez tom I.er, pag. 146. notre voyage, 1793.
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les îles Freewill par 134° 40’, et les îles Stephens 135° 28’ de longitude à l’orient de Paris. On trouve sur quelques cartes Angloises, au Nord du havre de Dori et sur le parallèle des îles Freewill, un autre groupe d’îles appelé îles Saint-David : elles sont indiquées sur ces mêmes cartes, comme ayant été découvertes en 1761 par le vaisseau de la compagnie Angloise le Warwick, qui, dit-on, en eut connoissance lorsqu’il se trouvoit à quatre-vingt-quatre milles dans l’Est des dernières terres de la Nouvelle-Guinée, qu’il venoit de perdre de vue. Mais comme le capi­ taine MEARS, venant des îles d’Aiou et faisant route à l’Est,sans s’écarter de plus de deux lieues au Nord ou au Sud du parallèle de ces deux groupes d’îles, n’avoit rencontré qu’un seul groupe, il est très-vraisemblable que les îles Saint-David du vaisseau le Warwick sont les mêmes que les îles Freewill de CARTERET. Cette identité acquiert un nouveau degré de probabilité, d’après ce qui est dit dans le Voyage de CARTERET, que les naturels des îles Freewill, avec lesquels il communiqua en 1767, lui firent très-bien comprendre qu’un vaisseau avoit abordé leurs îles pour y prendre des rafraîchissemens : l’époque du passage de CARTERET n’ayant eu lieu que six ans après celle du passage du Warwick, il est à présumer que c’est de ce vaisseau que les naturels ont voulu parler.

Dans la matinée Août. du I.er août, on vit dans le Sud-Ouest les terres élevées de la partie occidentale de l’île Du I.er au 10. Schouten. Nous fûmes contrariés jusqu’au 4 par des vents de NordOuest variables au 1793.
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Sud-Ouest, et nous ne pûmes avoir connoissance de l'île de la Providence que le 3. Cette île ne fut dépassée que lorsque les vents nous eurent permis de faire route à l’Ouest. Le 5, nous parvînmes à l’ouverture de la baie du Geelwinck, où nous éprouvâmes, comme l’année précédente, des courans qui nous portèrent au Nord, de près de sept lieues en vingt-quatre heures. Leur action se fit encore sentir au large de la côte de la Nouvelle-Guinée, que nous prolongeâmes à huit ou neuf lieues de distance. Le 10 août un peu après midi, on releva les îles Mispalu, pour lier les opérations de cette année à celles de 1792.

Le 11 à midi, 11. on distingua les sommets des montagnes de l’île Waigiou, qui s’étendaient du Sud 4° Ouest au Sud 75° Ouest. La latitude observée nous plaçoit de 15’ au Nord de l’estime, et nous dirigeâmes la route au Sud-Ouest pour nous soutenir contre les courans ; mais les vents furent si foibles, que le 12, à 12. la pointe du jour, on releva à l’Ouest 18° Nord la plus méridionale des îles d’Aiou, appelée Aioubaba par le capitaine FOREST : les autres îles ne pouvoient être aperçues que du haut des mâts ; mais on voyoit distinc­tement les terres de Waigiou dans le Sud. Le temps fut couvert tout le jour ; il tomba de la pluie, et l’on ne put pas observer la hauteur méridienne du soleil.

La journée du 13 fut 13. employée à lutter contre les courans, avec des vents très-foibles, variables de l’Est-Sud-Est au Sud-Sud-Ouest ; nous tâchâmes de nous rapprocher de la côte septentrionale de Waigiou. Notre position devenoit tous les jours 1793.
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plus critique : les vents contraires avoient pro­longé notre traversée ; et nos provisions, altérées par les chaleurs excessives de la zone torride, ne pouvoient procurer qu’une très-mauvaise nourriture aux malades, dont le nombre s’étoit accru pendant les temps pluvieux que nous n’avions cessé d’éprouver depuis près d’un mois. On comptoit trente scorbutiques à bord de l’ESPERANCE : il y en avoit un peu moins à bord de LA RECHERCHE ; mais cette frégate venoit de perdre son boulanger : plusieurs de ceux qui étoient at­taqués du scorbut, se trouvoient très-mal, et leur état exigeoit que nous pussions les mettre à terre pour les sauver du danger. M. d’AURIBEAU, jugeant, d’après les renseignemens donnés par le capitaine FOREST, que nous ne trouverions pas au mouillage de l’île Rawak de grandes ressources, et prévoyant que nous n’y pourrions subvenir à nos besoins les plus pressans, envoya visiter la côte pour chercher un autre mouillage.

Nous étions encore à quatre ou cinq lieues de terre, lorsque M. LE GRAND partit dans un canot de l’ESPERANCE pour cette mission. Il trouva un mouillage à environ trois ou quatre lieues dans l’Est de l’île Rawak ; l’entrée en étoit formée par deux chaînes de ressifs, et pouvoit avoir un mille de largeur. Il n’y avoit pas moins de quarante brasses d’eau sur un fond de sable fin, depuis cette entree jusqu’à plusieurs encablures en dedans de la passe. De ce point, qui fut le terme des recherches de M. LE GRAND, on avoit aperçu à l’Est un espace de mer assez étendu, dans lequel on pouvoit espérer 1793.
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qu’il y auroit un bon mouillage. Les mon­tagnes de l’intérieur de l'île, qui dans cette partie de la côte sont assez élevées, donnèrent à présumer que nous trouve­rions facilement à y faire de l’eau. On aperçut quelques habi­tations parmi les cocotiers qui bordent le rivage, et l’on vit sur la plage un assez grand nombre de naturels ; ce qui confirma nos espérances de nous y procurer des rafraîchissemens.

Le 14 au 14. jour, nous étions à environ deux lieues de terre, et nous vîmes l’île Manouaran dans l’Ouest 9° Nord ; on dis­tinguoit la passe visitée la veille par M. LE GRAND, et l’on fut à portée de reconnoître que c’étoit l’extrémité orientale d’un canal formé par une île de peu d'étendue. Les vents furent si foibles pendant deux jours, qu’ils nous empêchèrent de donner dans ce canal ; nous parvînmes près de l’entrée à plu­sieurs reprises, mais nous fumes toujours repoussés par les vents contraires. Enfin voyant que nous perdions un temps précieux sans pouvoir gagner le mouillage, le 15, un 15. peu avant midi, on prit le parti de tourner la petite île par le Nord, et d’aller visiter l’entrée occidentale du canal qui la sépare de la grande terre.

A une heure après midi, faisant route à l’Ouest pour ranger l’île de très-près, nous aperçûmes des hauts-fonds de l’avant ; aussitôt on mit le cap au Nord, et la sonde rapporta plusieurs fois cinq brasses d’eau sur un fond de roche : on fut obligé de revenir jusqu’au Nord-Est pour s’écarter de ces fonds dange­reux. Quelque temps après, croyant que nous étions parvenus dans le Nord de tous les dangers, on gouverna de nouveau à l’Ouest ; mais 1793.
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les hauts-fonds ayant reparu, nous fûmes encore obligés de nous en éloigner. La sonde rapporta, comme la première fois, cinq brasses d’eau sur un fond de roche. Des canots furent mis à la mer, pour sonder en avant des frégates ; et nous tournâmes par le Nord ces hauts-fonds, qui nous parurent cerner l’île de toutes parts. Lorsque nous nous trouvâmes vis-à-vis de l’extrémité occidentale du canal, les vents vinrent du Sud au Sud-Sud-Ouest ; nous prolon­geâmes la bordée de l’Ouest. Enfin, à près de cinq heures, nous mouillâmes par vingt-huit brasses d’eau sur un fond de sable fin, à environ quatre milles et demi dans le Nord-Ouest 1|4 Ouest de la pointe de Waigiou qui forme l’entrée du canal.

Nous vîmes pendant la soirée plusieurs pirogues qui se di­rigèrent vers nous : elles se tinrent quelque temps à une assez grande distance des frégates ; cependant une d’entre elles accosta l’ESPERANCEe. Un vieillard, revêtu dune espèce de camisole d’indienne, et que son turban nous fit croire Mahométan, monta à bord de cette frégate. Il paroît, d’après ce qu’il nous dit, que ces insulaires redoutent l’approche des vaisseaux Hollandois, et qu’ils n’étoient venus dans leurs pi­rogues que pour nous reconnoître et savoir à quelle nation nous appartenions. En effet, rien ne put nous faire penser qu’ils eussent été attirés près de nous par des vues de commerce ; car ils n’avoient que des lances, des arcs et des flèches. Plusieurs personnes de l’équipage savoient un peu de malais, et nous pûmes prendre des renseignemens sur les divers mouillages de la côte de Waigiou. Le vieillard dont je viens 1793.
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de parler, nous apprit que des bâtimens Chinois et Anglois avoient mouillé près de l’île Rawak ; mais il ajouta que ce mouillage étoit mauvais. Il nous dit que nous serions bien à l’abri dans le canal de l’île que nous avions tournée par le Nord ce même jour, et qu’il appela l' île Boni. Il nous fit connoître qu’il étoit un des chefs du pays, et nous apprit que le chef supérieur faisoit sa résidence dans l’intérieur de l’île. Après nous avoir assuré que nous trouve­rions à ce mouillage des volailles, des cochons, des tortues, &c. il offrit un oiseau du paradis à M. d’AURIBEAU, qui l’accepta et lui fit des présens d’une plus grande valeur.

Le 18 août, aussitôt 18. après que les frégates eurent pris le mouillage dans le havre de Boni, on transporta les malades sur le rivage. Nous fûmes à portée de remarquer la révolution subite qui s’opère chez les scorbutiques dès qu’ils ont mis pied à terre. Ceux que nous y avions envoyés, n’y avoient pas été plus d’une demi-heure qu’ils éprouvèrent dans les parties inférieures un gonflement semblable à celui qui a lieu dans l’hydropisie : l’enflure se manifesta d’abord dans les parties naturelles et dans les cuisses ; ensuite elle descendit dans les jambes, qui devinrent monstrueuses. Cet accident les effraya ; mais le chirurgien-major parvint facilement à les rassurer. Ces hommes étoient dans un tel état de foiblesse en arrivant à terre, qu’ils demeurèrent assis sur le ri­vage tout le temps qu’on les y laissa ; mais, au bout de six heures, et en se levant pour se rembarquer, ils sentirent que leurs forces commençoient à revenir, et marchèrent avec beaucoup 1793.
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d’aisance pour se rendre au canot qui étoit venu les chercher. Vingt-quatre heures après, l’enflure étoit dissipée, et ils se trouvèrent entièrement soulagés.

Le 20 20. août, M. d’AURIBEAU, devenu chef de l’expédition par la mort de M. DENTRECASTEAUX, prit le com­mandement de LA RECHERCHE, et je quittai cette frégate pour commander l’ESPERANCE. Le temps que nous fûmes obligés de passer dans ce havre, fut employé à faire aux deux bâtimens les réparations les plus urgentes. Nous fîmes notre eau dans une rivière où nos canots pouvoient entrer ; mais elle étoit assez éloignée du mouillage : l’on ne pouvoit remplir les barriques que de basse mer, et les embarcations ne faisoient qu’un seul voyage par jour. Notre provision d’eau et de bois fut cependant complétée le 27 août, époque à laquelle nous nous trouvâmes prêts à mettre à la voile.

Malgré les pluies que nous essuyâmes dans cette relâche, et qui durèrent quelquefois plus de vingt-quatre heures, nos malades se sont assez promptement rétablis. Il paroît que quelques beaux jours et une nourriture saine ont suffi, sinon pour guérir entièrement nos scorbutiques, du moins pour les mettre en état de tenir la mer pendant un court espace de temps. Les équipages des canots qui alloient faire notre eau, ainsi que les détachemens que l’on envoyoit pour couper du bois, eurent souvent la pluie sur le corps pendant tout le temps que duroient ces diverses opérations ; mais ils n’ont pas paru avoir souffert de l’influence d’un climat qui sembloit devoir être aussi mal-sain : tant il est vrai que le plus court court séjour 1793.
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à terre, et quelques rafraîchissemens, sont les moyens les plus puissans pour rétablir, après les plus longues navigations, la santé des équipages. Il est cependant à remar­quer que, dans l’état de foiblesse physique où étoient les nôtres, toutes les maladies accidentelles annonçoient que les fibres et les nerfs avoient acquis un très-grand degré d’irritabilité. Avant notre arrivée à Boni, et pendant le séjour que nous y fîmes, plusieurs personnes des deux frégates avoient eu des coliques très-violentes, des crampes, ou des crispations de nerfs plus ou moins fortes.

La grande quantité de pirogues qui étoient venues pour nous reconnoître ou nous visiter avant que nous fussions entrés dans le havre, nous avoit fait espérer que le nombre en augmenterait lorsque nous aurions atteint le mouillage. Mais nous fûmes trompés dans notre attente ; et pendant les deux premiers jours de notre relâche, nous n’en vîmes pas plus de trois ou quatre par jour. Elles nous apportèrent une petite quantité de poissons, quelques tortues, et des ignames : nous donnâmes en échange des morceaux d’étoffes et des barres de fer. Après avoir prélevé sur ces provisions la quantité qui étoit nécessaire pour nos malades, l’on put faire des distributions à une partie des équipages. Les jours suivans, nous commerçâmes assez régulièrement avec une douzaine de pirogues, qui nous fournirent du poisson, des tortues et des ignames pour notre consommation journalière : nous emportâmes même assez de tortues pour en donner un repas aux deux équipages pendant sept jours. II est en 1793.
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général difficile de débarquer sur toutes les côtes qui bordent le havre de Boni ; les canots sont obligés de s’arrêter à une assez grande distance du rivage, et l’on doit marcher dans l’eau jusqu’à mi-jambe pour arriver à terre. La plage se prolonge sous l’eau encore plus loin du rivage occidental de l’île Boni, que de la côte de Waigiou. On a cependant mis pied à terre sur cette petite île, où l’on n’a trouvé que quelques pêcheurs, et de misérables huttes, près desquelles on n’a rencontré qu’un petit nombre de vieilles femmes. Cette île est assez boisée ; mais le sol en est sablonneux. Le terrain de la côte de Waigiou est plus élevé, et très inégal ; il est recouvert d’une immense forêt, qui s’étend jusqu’au rivage, et offre une promenade très-agréable, même pendant les plus grandes chaleurs du jour. On trouve presque par-tout des arbres touffus, qui croissent près les uns des autres et s’élèvent à une très-grande hauteur. MM. les natu­ ralistes s’enfoncèrent dans cette forêt, peu embarrassée de broussailles, et peuplée d’une multitude d’oiseaux : ils ont enrichi leur collection d’un grand nombre d’espèces curieuses. On y a tué un cacatoa noir, et un oiseau du paradis femelle : la queue de celui-ci, ainsi que celle de la femelle du paon, n’est pas d’un aussi beau plumage que la queue du mâle ; mais on a remarqué que les couleurs de la tête étoient beaucoup plus vives.

On ne rencontra, dans toutes ces excursions, qu’un très-petit nombre de naturels. Il paraît que les bords de la mer sont peu habités, quoique susceptibles, par leur fertilité, de 1793.
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nourrir une population nombreuse. On n’y vit que très-peu de cases, dont la plupart étoient désertes. Les plus voisines de l’endroit où l’on avoit fait les obser­vations astronomiques, paroissoient n’avoir été abandon­nées que depuis très-peu de temps ; car on trouva, à une petite distance, des tombeaux dont la terre avoit été remuée récemment, et qui étoient encore ornés de feuillage et de petites bandes de papier de différentes couleurs. Il semble que ce peuple se tient toujours sur ses gardes, et redoute toute communication avec les étrangers ; les habitans des bords de la mer se retirent dans l’intérieur du pays, à l’approche des vaisseaux qui paraissent sur la côte. Cette méfiance dont ils ont contracté l’habitude, explique pourquoi ils se tinrent éloignés de nous pendant les premiers jours de notre relâche. Le nombre des pirogues qui nous apportèrent ensuite des pro­visions, n’augmenta sans doute que lorsque nos intentions leur furent bien connues. Au reste, le caractère ombrageux des habitans de Waigiou peut être attribué à ce qu’ils sont continuellement en guerre avec leurs voisins. Tous les es­claves que les Hollandois emploient dans leurs différens établissemens, viennent des îles situées à l’Est de Sumatra et de Java ; et les peuples qui habitent ces îles, se font la guerre entre eux, et ont coutume de s’attaquer à l’improviste, pour faire des prisonniers qu’ils vendent ensuite aux Hollandois.

D’après le récit du capitaine FOREST, on peut conjec­turer qu’il n’a pas trouvé dans les autres parties de la côte septentrionale de Waigiou, plus d’habitans que nous n’en avons vu 1793.
Août
au havre de Boni : cependant je pense, ainsi que lui, qui ! doit y avoir par mer une communication non interrompue entre les diverses parties de l’île. Les habitans des côtes voisines de Boni, ont sans doute dû faire un grand nombre de voyages aux îles d’Aiou pour en rapporter la quantité de tortues qu’ils nous ont fournie. Cette opinion semble aussi confirmée par la visite que nous reçûmes du chef principal de Rawak, la veille de notre départ.

Ce chef, qui paroissoit se faire distinguer des autres habi­tans par des manières plus aisées, nous donna un exemple frappant de cette méfiance dont nous avons parlé. Il étoit allé à bord de LA RECHERCHE, ou il fut très-bien ac­cueilli, et comblé de présens, quoiqu’il n’eût apporté avec lui que des choses de peu de valeur. Il vint ensuite à bord de l’ESPERANCE ; je le traitai très-amicalement, et il y resta jusqu’au coucher du soleil sans témoigner la moindre crainte. Alors on commença à désaffourcher la frégate : dès qu’il s’aperçut que l’on viroit au cabestan, il fut saisi d’une si grande frayeur, qu’il se précipita dans la mer par un des sabords de la batterie, et ne se donna pas le temps de regagner les gens de sa pirogue ; ceux-ci avertis par les cris perçans qu’il poussoit, s’éloignèrent à l’instant de nous : il ne put les rejoindre qu’à quelque distance au large. Depuis, nous n’en avons plus entendu parler.

Le plan du canal de Boni, appelé Boni-Soïnè par les habitans du pays, et que nous nommons havre de Boni, a été levé par M. BEAUTEMPS-BEAUPRE. La partie de ce canal qui se 1793.
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dirige au Nord, et dans laquelle les frégates étoient restées à l’ancre, est mise à l’abri des vents du large par l’île Boni et par les ressifs qui s’étendent au Nord-Ouest de cette île ; mais les endroits où le fond est de bonne qualité, ont si peu d’étendue, qu’il est indispensable de sonder conti­nuellement en allant prendre le mouillage, et de se tenir prêt à laisser tomber l’ancre aussitôt que la sonde indique un fond sur lequel on peut mouiller. La nature du fond varie à tel point que la première ancre ayant été mouillée sur un fond de sable, nous fûmes forcés de porter l’ancre d’affourche sur du gros gravier, mêlé de coquillage : nous ne pûmes trouver dans les environs un fond de meilleure qualité ; et même à une très-petite distance on trouva des fonds de corail : aussi crûmes-nous devoir amarrer les frégates avec des chaînes, pour ménager nos câbles. Des bâtimens qui voudroient se mettre à l’abri du mauvais temps, devraient se retirer dans un bassin situé à la côte de Waigiou, et près de l’extrémité orientale du canal. Ce bassin est formé par le prolongement des ressifs de la côte, qui viennent entourer la petite île ap­pelée Bombé-Dari par les habitans du pays ; il peut avoir deux milles de longueur, et trois quarts de mille dans sa plus grande largeur. La passe qui y conduit, se trouve entre la côte et la petite île, et n’a pas plus de deux encablures de large. On trouve en dedans de cette passe, neuf, dix et onze brasses d’eau, sur un fond de vase et de sable fin ; mais il ne faut pas s’avancer à plus de trois quarts de mille, parce qu’on trouveroit des fonds de corail au-delà. Nous n’avons 1793.
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pu observer les marées que très-imparfaitement ; cependant on a remarqué que la mer étoit pleine à environ cinq heures les jours de la nouvelle et de la pleine lune : elle monte alors de cinq ou six pieds, et la vitesse du courant est à-peu-près d’un demi-mille à l’heure.

Nous n’eûmes que fort peu de jours favorables pour faire des observations astronomiques. Cependant on a observé des angles horaires, pour vérifier les variations diurnes de nos montres. La latitude du lieu où ces angles horaires ont été observés, est de o° 2’ 30" australe ; elle a été conclue de hauteurs prises près du méridien, à bord de LA RECHERCHE, par M. PIERSON. La longitude est de 128° 4' 44" orien­tale ; elle a été déduite de la longitude du port de Cajeli ou Cayeli 2 a de l'île Bourou, et de la différence de méridiens entre ce port et le havre de Boni, obtenue par la montre n.° 10, qui, depuis notre arrivée à l’île de Waigiou, a été employée à mesurer les différences en longitude qui ont servi de base aux cartes.

  • Les Hollandois écrivent Cajeli et prononce Caieli ;

les Anglois écrivent Cayeli et le prononcent comme les Hollandois. Le nom de l'île Bourou s'écrit aussi Bouro ; mais l'orthographe que nous avons adoptée dans ce volume est préférable, parce qu'elle est plus conforme à la prononciation. Départ du havre de Boni, île Waigiou, le 27 Août 1793. — Relâche à Cajeli, port de l’île Bourou, du 3 au 23 Septembre 1793. — Réflexions générales sur les mœurs des habitans de l’île Bourou.

LE 27, M. D’AURIBEAU 1793.
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me fît prier, dans la matinée, d’aller à bord de LA RECHERCHE, et je m’y rendis sur-le-champ. Il 27. me dit que sa santé, qui avoit été très-mauvaise depuis plusieurs jours, le mettoit dans l’impossibilité de diriger la navigation des deux frégates, et d’y apporter les soins et l’assiduité qu’exigeoit leur sûreté. Il me donna l’ordre de m’en charger, jusqu’à ce qu’il fût assez rétabli pour s’occuper par lui-même de tous les détails relatifs au service. Dès que je fus de retour à bord de l’ESPERANCE, les frégates mirent sous voile. Lorsque nous fûmes en dehors des brisans qui forment la passe, je fis mettre le cap au Nord-Ouest 1|4 Ouest, pour aller prendre connoissance d’un banc que nous avions aperçu en louvoyant pour entrer dans le havre de Boni, mais dont alors la position et les limites n’avoient pu être bien déterminées : nous eûmes connoissance de ce banc un peu avant midi, et nous le tournâmes par l’Est et le Nord. Il est à environ deux lieues un tiers dans le Nord-Ouest de la pointe du canal de Boni qu’on laisse à bâbord en 1793.
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sortant. Nous prolongeâmes ensuite la côte septentrionale de Waigiou, en faisant route à l’Ouest avec des vents de Sud et de Sud-Sud-Est. Nous continuâmes la même route pendant la nuit, par un beau clair de lune, jusqu'à ce que nous eûmes connoissance de l'île Pulo-Éen. Alors on prit les amures à tribord, et l'on courut de petites bordées.

Nous 28. étions, le 28 au jour, entre la côte occidentale de Waigiou et les petites îles qui sont dans le Nord-Ouest de cette côte. Il se présentoit alors deux passages pour entrer dans les Moluques, Fun au Nord de Pulo-Ruïb, et l’autre près de l’extrémité de Waigiou ; M. DE BOUGAINVILLE nommé celui-ci Passage des François. Le premier avoit l’inconvénient de nous obliger de faire route à l’Ouest et de nous porter trop sous le vent ; en conséquence nous préférâmes le second, quoiqu’il se présentât dans le lit du vent, qui souffloit du Sud-Sud-Est bon frais. L’expérience du navigateur François qui nous servoit de guide, nous avoit appris que dans ce canal les courans portent au Sud avec une grande vitesse ; et nous devions espérer d’en sortir avant la fin du jour. Nous n’eûmes pas lieu de nous repentir d’avoir pris ce dernier parti ; car, à midi, nous trouvant à l’endroit le plus étroit du canal, nous y éprouvâmes des courans si rapides, que nous pûmes doubler au vent les dernières îles avant le cou­cher du soleil. Nous traversâmes en louvoyant plusieurs raz de marée, au milieu desquels la mer étoit si agitée qu’on auroit pu craindre d’y rencontrer quelques dangers ; mais nous nous 1793.
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n’atteignîmes jamais le fond avec une ligné de trente Brasses.

Lorsque nous fûmes parvenus au vent de toutes les îles, nous continuâmes la bordée de l’Ouest : à cinq heures et demie, LA RECHERCHE nous avertit, par un signal, de changer de route ; on sonda aussitôt, et on trouva vingt-cinq brasses d’eau sur un fond de corail : cette frégate, qui étoit à deux encablures au vent, signala six brasses. Nous carguâmes aussitôt les basses voiles, et nous fîmes route sous les huniers en sondant continuellement. Le brassiage diminua peu-à-peu de vingt-cinq à dix-neuf brasses, sur des fonds de roche ; ensuite on fila une ligne de quarante-cinq brasses sans trouver fond. Nous continuâmes notre route avec peu de voiles ; et nous sondâmes de quart d’heure en quart d’heure, jusqu à huit heures du soir. Enfin, voyant que nous n’avions jamais trouvé le fond à soixante brasses, nous augmen­tâmes de voiles, pour nous trouver le lendemain à vue des îles Geby et Gagi.

Au moment où le jour avoit commencé de paroître et ou nous nous disposions à entrer dans le détroit, on avoit aperçu des pavillons au grand mât de LA RECHERCHE, Lorsqu’il fut possible de distinguer les objets, on reconnut que cette frégate demandoit le chirurgien-major de l’ESPERANCE. L’état dans lequel j’avois laissé M. d’AURIBEAU la veille, me fit craindre qu’il ne lui fût arrivé quelque ac­cident pendant la nuit. Je fis mettre sur-le-champ un canot à la mer ; et M, JOANET, chirurgien de l’ESPERANCE, officier, qui, à 1793.
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son retour, nous apprit que M. d’AURIBEAU avoit eu pendant toute la nuit des convulsions très-fortes, et que l’on avoit craint à chaque instant de le voir suc­comber aux secousses terribles qu’il avoit éprouvées. Ces mouvemens convulsifs commencèrent à se calmer dans la soirée ; mais il étoit resté sans connoissance : les gens de l’art nous firent prévoir que l’état périlleux dans lequel il se trouvoit, n’étoit que le commencement d’une ma­ladie très-grave, dont les suites devoient être encore plus dangereuses.

Pendant la journée, nous fixâmes les positions de cette mul­titude de petites îles et de rochers qui sont près de l’extrémité de Waigiou ; la carte de M. BEAUTEMPS-BEAUPRE les fera connoître en détail. Nous nous contentons de donner ici la position de la pointe la plus méridionale de l’île Ruib, qui, par son étendue et par son élévation, est la plus remarquable de toutes : elle se trouve par 0° 4' 35" de latitude australe, et par 127° 45’ de longitude orientale.

Nous passâmes, 29. dans la matinée du août, entre l’île Geby et l’île Gagi. La pointe la plus méridionale de l’île Geby a été placée par 0° 9’ 45" de latitude australe, et par 127° 3' 10" de longitude orientale. Ces deux îles sont à environ neuf lieues de distance l’une de l’autre.

Nous eûmes connoissance 30. des îles Boo le lendemain à la pointe du jour ; et nous les relevâmes du haut des mâts au Sud-Sud-Est. Les vents nous permirent de gouverner au Sud-Ouest ; et 1793.
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à dix heures on aperçut l'île Pisang, qui nous offroit l'aspcet d’un pic isolé d’une médiocre hau­teur ; mais à midi, les vents ayant passé au Sud, nous prîmes la bordée de l’Est, qui nous conduisit à environ deux lieues deux tiers dans le Nord-Ouest de la plus grande des îles Boo. La latitude de la pointe Nord-Ouest de cette île est de 1° 7’ 20" australe ; sa longitude est de 126° 46’ 50", d’après la montre n.° 10.

Le 31 août 31. vers midi, nous étions dans l'Est de l'île Pisang. La partie la plus élevée de cette île est par 1° 22’ 30" de latitude australe, et par 126° 24’ de longitude orien­tale. On vit les îles Lawn, peu de temps après avoir doublé l’île Pisang ; elles se présentèrent sous l'aspect de collines d’une médiocre élévation, qui s’abaissoient en pente douce depuis leurs sommets jusqu’au bord de la mer. L’île Kakek et i’île Gasses parurent ensuite ; on vit, à tribord de l’île Kakek, un îlot, qui étoit un peu plus loin de nous que cette île.

Nous nous trouvions, au coucher du soleil, à-peu-près sur le parallèle de la partie méridionale de l'île Oubi ; et nous pouvions courir grand largue, pour nous rendre à l’entrée du détroit de Boutoun : mais comme je ne croyois pas trouver de grandes ressources dans ce détroit, je pris le parti d’aller relâcher à Cajeli, port de l'île Bourou. La santé de nos équipages, qui, à la vérité, s'étoit beaucoup améliorée pendant notre relâche à Boni, n'étoit pas encore assez raffermie pour risquer de nous rendre directement à Sourabaya : d’ailleurs la maladie de M. d’Auribeau, qu’on avoit reconnue 1793.
Août
pour une fièvre maligne nerveuse, l'avoit mis dans un état auquel rien ne pouvoit être plus contraire que de rester encore long-temps en mer. Je me crus assez autorisé par ces raisons, à faire route pour la rade de Cajeli, dont nous n'étions pas à plus de vingt lieues, et où nous pouvions espérer de mouiller au bout de deux jours.

Les vents passèrent SEPTEMBRE.
I.er
à l’Est-Sud-Est dans la nuit du 31 août au I.er septembre : nous fîmes route au Sud ; et, dans la matinée, on eut connoissance des terres de la partie occidentale de l’île Céram. Le 2, à la 2. pointe du jour, on vit dans le Sud les îles Bonao, Kelang et Manipa. Nous eûmes, toute la journée, du calme, et des vents foibles de l’Ouest, à l’aide desquels nous avançâmes un peu dans le Sud-Sud-Est, afin de nous trouver au vent de la rade de Cajeli à l’instant où les vents de Sud-Est commenceroient à souffler.

Le 3, avant 3. le lever du soleil, on releva les îles Kelang et Manipa, dont nous avions déterminé la position en 1792. Ces relèvemens, comparés à ceux de la veille, nous firent connoître que nous avions été portés dans le Sud par des courans assez violens. Il paroît que le mouvement des eaux est presque aussi rapide au milieu du canal qu’à une petite distance de la côte de Céram ; car nous remarquâmes un aussi grand nombre de raz de marée au large des îles Ke­lang et Manipa, que dans les canaux étroits où nous avions passé l’année précédente.

A onze heures et demie, étant très-près de la pointe Routa, que nous 1793.
Août
allions doubler pour entrer dans la rade de Cajeli, les vigies crièrent que l'on voyoit un haut-fond de l’avant : je fis prendre les amures à tribord, quoique ce parage fût déjà connu ; et nous vînmes en travers, le cap au large, afin de mettre nos embarcations à la mer, et d’envoyer sonder dans la partie où l’on avoit cru apercevoir des dangers. Je profitai de cette circonstance pour charger M. DE TROBRIAND, lieutenant de vaisseau, d’aller dans le grand canot annoncer notre arrivée au chef de l’établissement de Bourou. Le petit canot, aux ordres de M. DE BOYNES, alla sonder près de terre, où, comme je m’y étois attendu, il ne rencontra aucun danger et ne trouva pas même de fond. Alors nous continuâmes notre route ; et M. DE BOYNES alla placer son canot à environ un mille du rivage, où il mouilla par six brasses d’eau sur les accores du banc dont parle M. DE BOUGAINVILLE­, et qui est le seul danger que l’on puisse rencontrer près de la côte qu’on laisse à bâbord en entrant dans la rade de Cajeli. Lorsque nous eûmes dépassé ce banc, nous fîmes route sur le mât de pavillon du fort.

Un peu avant que nous eussions atteint le mouillage, un sergent de la garnison de Bourou m’apporta une lettre du chef de cet établissement. Elle étoit écrite en hollandois ; et comme personne à bord ne parloit cette langue, il nous fut impossible d’en savoir le contenu. Cependant, à l’aide du peu de malais que nous avions appris pendant notre séjour à Amboine, le porteur de cette lettre parvint à nous faire comprendre que ce chef, auquel on donne dans le pays le nom de 1793.
Septembre
résident, prioit le commandant des frégates de tirer deux coups de canon si les batîmens appartenoient à la France. M. DE TROBRIAND arriva à terre presque à l’instant où nous fîmes ce signal ; et il fut à portée de donner en même temps au résident résident tous les autres renseignemens qu’il pouvoit desirer. Cet officier revint à bord avant que nous eussions laissé tomber l’ancre. Il me dit que le résident, à qui il avoit fait connoître notre position et nos besoins, l’avoit chargé de nous faire toute espèce d’offre de service.

Nous mouillâmes, à près de deux heures, par dix-neuf brasses d’eau sur un fond de vase, dans le Nord-Est du bâton de pavillon du fort, et à deux encablures du rivage. Des pirogues nous apportèrent, bientôt après, du poisson, des fruits et des ignames, de la part du résident ; dans la soirée, il nous envoya un bœuf, que nous avions vu tuer à coups de fusil, au milieu d’un troupeau assez nombreux qui passoit sur le rivage.

Autant nous avions eu de plaisir, au commencement de la campagne, à contempler dans des pays nouveaux les beautés de la nature sauvage, autant nous en eûmes à retrouver une terre cultivée et des hommes civilisés. Les mêmes beautés de la nature brute, qui nous avoient d’abord transportés, ne nous frappoient plus que par leur triste monotonie : nous n’éprouvions que du dégoût à rencontrer des déserts pareils à ceux de la Nouvelle-Hollande. Le sentiment de curiosité qui avoit excité en nous le désir de visiter les peuples sauvages et de connoître leurs mœurs, étoit entièrement 1793.
Septembre
éteint. Ces hommes si voisins de l’état de nature, et sur la simplicité desquels nous avions eu des idées exagérées, ne nous inspiroient que des sentimens pénibles : nous avions vu plusieurs d’entre eux se livrer aux excès de barbarie les plus révoltans ; et tous étoient encore plus corrompus que les peuples civilisés. Nos yeux, fatigués depuis long-temps du spectacle de côtes arides et dé­sertes, se reposoient avec une douce satisfaction sur un pays fertile qui nous rappeloit nos anciennes habitudes ; et notre ame, jadis accablée du poids de ses réflexions sur le sort de ces peuples féroces, s’épanouissoit à l’aspect du bourg de Cajeli, de ses mosquées, de ses maisons, assez nom­breuses pour former une espèce de cité. Nous ne faisions plus de vœux que pour nous rapprocher de notre patrie ; à cet éloignement de notre terre natale, tout Européen devenoit un compatriote : tout François eût été de notre famille.

Le 4, j’allai, 4. accompagné de tous les officiers, faire une visite au chef de l’établissement ; on nous conduisit dans une grande allée d’arbres plantés irrégulièrement, et qui aboutit à une maison assez grande, bâtie en bois, où il fait sa demeure. Cette habitation, meublée avec une grande simplicité, nous parut plus agréable que le plus beau palais. Le résident de Bourou, Henry COMMENS, nous y reçut avec cordialité ; ce qui ne contribua pas peu à nous faire goûter les agrémens de ce séjour : il s’occupa de fournir à tous nos besoins, avec un empressement qui établit entre nous une 1793.
Septembre
grande intimité. Il nous promit de faire tuer tous les jours un des bœufs du troupeau de la compagnie, et d’envoyer à bord des frégates tous les rafraîchissemens que le pays pourroit fournir. Il fit préparer un appartement dans sa maison pour M. D’AURIBEAU, et voulut bien donner logement à MM. les astronomes ; un pied-à-terre fut réservé pour MM. les naturalistes, afin qu’ils pussent faire des promenades dans l’île toutes les fois qu’ils le jugeroient à propos. On destina pour nos malades une des plus grandes maisons qui se trouvoient aux environs du fort.

Le lendemain, on 5. conduisit à terre M. D’AURIBEAU, qui étoit encore très-malade, mais cependant hors de danger ; il fut reçu par le résident et la garnison du fort, qui l’escorta jusqu’à son logement. Dans la même journée, nous eûmes le temps de former nos établissemens et d’y transporter nos malades.

Des nègres obligés de faire le service de la compagnie par corvée, nous apportèrent notre provision d’eau : ils avoient aussi reçu l’ordre de couper le bois dont nous avions besoin, et de le déposer sur le bord de la mer, où nos chaloupes allèrent le prendre.

L’île de Bourou seroit susceptible d’alimenter un commerce considérable d’épiceries, si la compagnie Hollandoise n’avoit pas jugé à propos de réserver la culture de ces aromates aux seuls établissemens d’Amboine et de Banda, et aux petites îles qui les avoisinent. Mais le sol de Bourou est si propre à la reproduction des arbres qui les portent, que la compagnie est est obligée 1793.
Septembre
de nommer, tous les deux ans, une commission pour arracher les jeunes plants de giroflier et de muscadier, qui croissent encore, malgré le soin que l’on prend de les détruire. Dans son état actuel, cette île n’est d’aucun rap­port ; et il semble que l’on n’y ait formé d’établissement que pour empêcher les autres nations de l’Europe de s’en em­parer, et de prendre part au riche commerce dont les Hollandois se sont attribué le monopole. En effet, la compagnie Hollandoise a senti, dans ces derniers temps, l’intérêt qu’elle avoit à conserver la possession de l’île Bourou, et y a fait construire un fort. M. DE BOUGAINVILLE, en 1768, n’avoit trouvé à Cajeli qu’un retranchement entouré de palissades. Nous y avons vu, en 1793, un carré fortifié, construit en pierres de taille et flanqué de quatre demi-bastions. Ce fort étoit armé de seize canons de petit calibre, et de deux pièces de vingt-quatre, battant sur la rade. La garnison étoit d’en­viron cent hommes, et en grande partie composée de nègres enrôlés au service de la compagnie. Il n’y avoit d’Européens à Bourou que le résident, un sergent qui commandoit la garnison, et quelques soldats.

Les habitans du bourg de Cajeli, connus sous le nom général de Maures, sont les descendans des peuples qui ont porté la religion mahométane dans les Indes ; et ils la professent encore. Les plus aisés font le commerce avec le peu de bâtimens Hollandois et Chinois qui viennent mouiller dans la rade. Ils en achètent du riz pour leur subsistance, des toiles et un petit nombre d’autres objets qui se consomment dans 1793.
Septembre
l’île. Le reste de ces Maures est très-pauvre et mène une vie peu laborieuse : ils se nourrissent de sagou qu’ils savent préparer de différentes manières, de poissons que la pêche leur fournit en abondance, et des fruits que la terre produit presque sans culture.

Le bourg de Cajeli est bâti sur le bord de la mer, dans une grande plaine marécageuse, bornée par de hautes montagnes que l’on voit s’élever en amphithéâtre. Il y a deux rangées de maisons entourées d’enclos de différentes gran­deurs, mais tous plantés de cocotiers et d’un grand nombre d’autres espèces d’arbres très-touffus, qui procurent un om­brage frais. L’allée qui sépare ces deux rangées de maisons, est coupée par des ruisseaux très-profonds, ou plutôt par des fossés que l’on a creusés pour faciliter l’écoulement des eaux du marais qui est derrière le bourg. L’on a construit sur ces fossés des ponts en bois, d’où la vue perce dans des bosquets d’une verdure très-agréable, qui produisent l’effet des plus beaux jardins anglois. La plaine marécageuse dont nous venons de parler, est traversée par une rivière dont l’embouchure est à environ quatre milles dans le Nord-Ouest du bourg. Cette plaine seroit très-propre à la culture du riz ; mais la com­pagnie, fidèle au système prohibitif qu’elle a établi dans toutes ses possessions, a défendu la culture de cette denrée à Bourou. Elle entretient un troupeau de bœufs assez nombreux, qui fournit une partie de la subsistance de la garnison ; mais elle ne souffre pas que les habitans du bourg possèdent aucun de ces animaux utiles. En examinant son administration de près, on voit 1793.
Septembre
que, même dans les plus petits détails, elle n’a jamais perdu de vue ses intérêts les plus éloignés ; tous les réglemens qu’elle a faits ont eu pour objet d’empêcher les habitans de ses possessions des Moluques d’acquérir une aisance qui pourroit réveiller leur industrie, donner du ressort à leurs âmes, et rendre le régime qu’elle a établi plus difficile à maintenir.

L’intérieur du pays est habité par les naturels de l’île, qu’on appelle en malais Alfourou : il est divisé, ainsi que le territoire d’Amboine, en districts ayant à leur tête des chefs ou Orangkaies, parmi lesquels la compagnie a soin d’entretenir une grande rivalité. Il en résulte qu’ils se surveillent entre eux avec beaucoup de jalousie ; ce qui dispense la compagnie du soin coûteux de les faire épier par d’autres agens. Du reste elle abandonne les habitans de l’intérieur de l’île à l’au­torité de ces chefs, et les laisse jouir d’une espèce de liberté. Elle se contente de les entretenir dans la crainte de sa puis­sance, pour s’assurer qu’ils travailleront de bonne foi à extirper les arbres à épiceries qui croissent dans leur territoire : elle desire même qu’ils n’aient pas à se plaindre de son gouverne-­ ment, afin qu’ils ne songent point à en changer.

Il paroît que la principale nourriture des naturels du pays est le sagou, et qu’ils s’occupent très-peu de cultiver la terre. Pendant tout le temps de notre séjour, ils ne nous ont apporté qu’une très-petite quantité de volailles. La plupart de celles que nous achetâmes, ainsi que les fruits, nous furent vendus par les habitans du bourg. Les légumes nous étoient fournis du jardin de la compagnie. Nous menâmes 1793.
Septembre
à Bourou une vie douce et frugale, et nous y jouîmes d’un repos qui depuis long-temps nous étoit inconnu. Les privations et les fatigues que nous avions en­durées, nous avoient rendus sensibles aux plus foibles jouis­sances, et contribuoient à nous faire goûter une manière de vivre qui, dans d’autres circonstances, nous auroit peut-être paru trop uniforme. Jamais les mets les plus recherchés ne nous avoient fait éprouver autant de plaisir que la nourriture simple que nous prenions. Les fruits de Bourou nous parurent être les meilleurs de l’Inde : nous trouvâmes, ainsi que M. DE BOUGAINVILLE, et je pense par les mêmes raisons, le bœuf plus savoureux que celui des autres pays chauds, et la chair des volailles incomparablement plus délicate.

Les gens aisés du bourg de Cajeli sont communicatifs ; ils aiment beaucoup à voir des étrangers, à en juger du moins par la manière dont ils nous ont accueillis dans les diverses promenades que nous fîmes autour de leurs habitations. La plupart vinrent nous visiter ; et nous eûmes toujours lieu d’être satisfaits de leur politesse, qui, comme chez tous les Orien­taux, consiste en de grandes formalités et en démonstrations d’un très-grand respect. Je dois, à cette occasion, citer la visite que nous reçûmes de deux vieillards qui avoient vu M. DE BOUGAINVILLE pendant le séjour qu’il fit dans cette île. Ils nous abordèrent avec la gravité que ce peuple met dans toutes ses actions : mais dès qu’ils eurent appris que nous étions ses compatriotes, le contentement éclata sur leurs visages, et 1793.
Septembre
ils versèrent des larmes de joie. Je comblai de présens ces deux intéressans vieillards, et leur donnai à chacun une des médailles que nous avions eu soin de distribuer dans le cours de notre voyage : lorsqu'ils se retirèrent, je ne pus m'empêcher de porter envie au navigateur bien-­ faisant et humain qui, le premier, leur avoit appris à chérir le nom François.

Durant notre rèlâche à Bourou, le temps fut généra­lement très-beau pendant le jour ; mais nous eûmes assez régulièrement de la pluie et de l'orage toutes les nuits. Nous ne remarquâmes pas cependant que l’humidité de l’atmosphère et le voisinage des marais rendissent le climat insalubre dans cette saison. Nous n’avons entendu dire à aucun des Européens qui habitent Cajeli, que ce pays fût sujet à de fréquentes épidémies ; et en effet ils paroissoient jouir eux-mêmes d’une assez bonne santé. Dans les douze jours de cette courte relâche, tous nos malades se rétablirent com­plètement ; et le 14 septembre, nous étions prêts à mettre à la voile. M. D'AURIBEAU fut le seul dont l’état ne s’amé­liora point par son séjour à terre. Les accidens graves de sa maladie cessèrent à la vérité ; mais il n’étoit pas encore remis de l’assaut qu’il avoit eu à soutenir : il étoit perclus de tous ses membres.

La rade de Cajeli fut sondée avec beaucoup de soin par M. LAIGNEL ; les sondes ont été portées sur le plan de M. BEAUTEMPS-BEAUPRE. Le brassiage augmente rapidement lorsqu’on s’éloigne de terre ; et l'on est obligé, par cette raison, de 1793.
Septembre
ne pas mouiller à plus de cinq encablures du rivage : on trouve par-tout un fond de vase d'une excellente qualité. Cependant, si l'on veut se trouver en appareillage, et être en même temps à une petite distance du lieu de débarquement, on fera bien de se placer de manière à relever le mât de pavillon du fort au Sud-Ouest, et de

laisser tomber l'ancre par vingt brasses d'eau
CHAPITRE XXII.

Départ de Cajeli, port de l'île Bourou, le 15 Septembre 1793. — Navigation dans le détroit de Boutoun, du 22 Septembre au 9 Octobre. Arrivée à Sourabaya le 27 Octobre.

Nous sortîmes, le 1793.
Septembre
15 septembre, de la rade de Cajeli, en rangeant de très-près la pointe des Bœufs. Lorsque nous fûmes au large, je 15. fis diriger la route de manière à prolonger la côte septentrionale de l’île Bourou, dont nous nous tînmes cependant à une assez grande distance, pour éviter les calmes que l'on éprouve ordinairement sous le vent des montagnes élevées. Malgré cette précaution, nous fûmes retardés pendant deux jours par des vents foibles et con­traires : nous ne pûmes doubler la pointe occidentale de Bourou et gagner les vents de la mousson de l’Est que dans la soirée du 17. Le 17. même jour à midi, nous étions à environ huit lieues deux tiers dans le Sud de l’île Xulla-Bessi : la latitude de cette île n’a pu être déterminée que très-impar­faitement ; mais comme elle nous restoit exactement au Nord, je crois que la longitude qui a été déduite de nos observa­tions, mérite quelque confiance. Le milieu de l’extrémité méridionale de Xulla-Bessi a été placé par 123° 38’ 30" de longitude orientale. Mon premier 1793.
Septembre
projet avoit été de passer à l'Est de l'île Boutoun pour aller chercher le détroit de Salayer ; mais les vents de Sud-Sud-Est, variables au DU 18 AU 21. Sud-Sud-Ouest, et des courans portant au Nord, nous ayant empêchés de nous élever dans le Sud, je fus obligé de renoncer à ce dessein, et de faire route à l'Ouest, pour rentrer dans le détroit de Boutoun. Le 21 21. à midi, on aperçut dans l'Ouest 1/4 Sud- Ouest, mais à un grand éloignement, les terres les plus Nord de l'île Boutoun ; la route fut dirigée à l'Ouest-Sud- Ouest, pour nous soutenir contre l'action des courans, qui nous portoient au Nord.

Le 22 à la 22. pointe du jour, nous étions encore à cinq ou six lieues de l'entrée du détroit ; mais les vents furent si foibles pendant toute la journée, que nous ne pûmes y donner qu'à cinq heures du soir. Nous rangeâmes le cap le plus septentrional de l'île Boutoun, à la distance d'un demi- mille, et nous suivîmes la côte sans nous en écarter. Ce cap est d'une médiocre hauteur : sa partie la plus élevée est couverte d'arbres ; mais il se termine par des rochers taillés à pic. On trouva de trente-quatre à quarante brasses d'eau, sur un fond de sable fin, vis-à-vis d'une très petite anse que nous aperçûmes immédiatement après avoir doublé le cap dont nous venons de parler. En suivant le rivage de très-près, nous eûmes occasion de remarquer que la marée avoit atteint sa plus grande hauteur ; ce qui nous fit juger que ce même jour, qui étoit le dix-neuvième de la lune, la mer avoit dû être pleine entre cinq et six heures à l'entrée du détroit. détroit. La nuit 1793.
Septembre
étant survenue, nous nous éloignâmes de la côte de Boutoun ; et nous continuâmes notre route de manière à ne pas perdre le fond, afin de pouvoir mouiller lorsque le courant de la marée deviendroit contraire.

A minuit, les 23. vents passèrent au Sud-Sud-Est, et nous fûmes obligés de louvoyer. A plus d’une lieue et demie de la côte de Boutoun, la sonde rapporta de cinquante-trois à cinquante-sept brasses, sur un fond de sable très-fin. La nuit étoit peu obscure ; et l’on s’aperçut, à l’aspect des terres dont nous étions environnés, que le courant avoit dû changer de direction entre deux et trois heures du matin : mais, comme il nous avoit fait rétrograder dans un lieu où l’on ne trouvoit pas de fond, nous fûmes obligés de rester abandonnés à son action. A huit heures, il s’éleva un vent léger du Sud, à l’aide duquel nous nous rapprochâmes de la côte de Boutoun, où nous mouillâmes avec une petite ancre, par vingt-six brasses d’eau, sur un fond de sable fin. Le détroit n’a guère plus d’une lieue de largeur dans cette partie ; il est resserré par une pointe basse de l’île de Célèbes, au Sud de laquelle on apercevoit plusieurs petites îles, et une partie de l’île Mounan. La côte de Boutoun, dont nous étions à environ une demi-lieue présentoit dans l’Est de notre mouillage un massif d’arbres assez élevé, et d’un aspect très-agréable, mais peu varié.

Nous mîmes sous voiles, à midi, avec le commencement du courant du flot. Des vents du Nord-Est à l’Est-Nord-Est nous firent prolonger la côte de Boutoun à la distance d’un mille : vers 1793.
Septembre
les quatre heures, nous fûmes obligés de nous en éloigner, pour éviter un banc qui s’étend à un peu plus d’un mille au large. On trouva près de terre vingt-une brasses d’eau sur du sable et de la vase, et à une demi-lieue au large, trente-quatre et trente-cinq brasses sur des fonds de même qualité. Le banc dont nous venons de parler restant par notre travers, la sonde rapporta trente-huit brasses sur un fond de roche ; mais, en peu d’instans, nous nous trouvâmes sur des fonds de vase.

Vers les six heures, le courant du jusant commença à se faire sentir ; et nous mouillâmes près de la côte, par trente-quatre brasses d’eau sur un fond de vase. La pointe septentrionale de l’île Mounan restoit à l’Ouest 2° Sud ; et l’on apercevoit un passage embarrassé d’îles, entre cette pointe et la côte de Célèbes.

Dès que les frégates furent à l’ancre, je me rendis à bord de LA RECHERCHE, où je trouvai M. d’AURIBEAU dans un tel état de convalescence, que j’eus lieu d’espérer de le voir entièrement rétabli sous peu de jours. Je lui communiquai le projet que j’avois formé de passer dans le détroit qui est entre l’île Mounan et la côte de Célèbes. Ce détroit étant beaucoup plus large que celui de Boutoun, il y avoit lieu de croire que nous y serions moins retardés par des calmes, et que nous pourrions continuer notre route sans être obligés de mouiller à toutes les marées. A l’inspection des cartes Hollandoises, il paroissoit que l'espace de mer compris entre l’île Mounan et la côte de Célèbes, étoit obstrué par un grand nombre 1793.
Septembre
de bancs et de ressifs ; mais comme, en consultant ces cartes, nous y avions souvent remarqué de grandes inexactitudes, nous nous flattions de trouver un chenal dans lequel il nous auroit été possible de passer. D’ailleurs le désir d’entreprendre une reconnoissance si utile à la navigation, devoit suffire pour nous déterminer à tenter ce passage. En conséquence nous envoyâmes un canot pour le visiter, avant de nous y engager avec les frégates.

Le 24 24. septembre, M. LEGRAND partit avant le jour, accompagné de M. BEAUTEMPS-BEAUPRE, dans le grand canot de l’ESPERANCE. Il reçut ordre de ne pas être absent plus de deux jours ; il lui fut recommandé de suivre, autant qu’il le pourroit, la côte occidentale de l’île Mounan, et de ne pas s’engager dans des passes qui ne seroient pas marquées par des îles, ou par des rochers faciles à reconnoître.

La partie de la côte de Boutoun près de laquelle nous nous trouvions, est aussi élevée que celle qui avoit été parcourue la veille ; elle est également couverte de bois depuis le sommet des montagnes jusqu’au rivage. On voyoit cependant, à mi-côte, des parties de roc vif qui formoient des taches blanchâtres, seuls points remarquables de cette côte, dont l’aspect d’ailleurs est assez uniforme. Pendant l’absence du canot, nous visitâmes avec soin le rivage de l’île Boutoun. On trouva par-tout le débarquement extrêmement difficile ; le bord de la mer est couvert de mangliers, dont 1793.
Septembre
le pied est encore baigné lorsque les eaux sont basses. A la fin du flot, la marée s'avance à plus de vingt toises dans cette espèce de taillis, au milieu duquel il est alors impossible de débarquer. Les naturalistes surmontèrent cependant ces difficultés, et pénétrèrent dans les bois de l’intérieur de l'île : ils y trouvèrent beaucoup de plantes curieuses ; mais ils ne virent que très-peu d’oiseaux. Cette côte paroît être déserte ; car on n’y rencontra ni cases ni habitans. On découvrit dans cette même reconnoissance, près d’un ruisseau, des traces d’un quadrupède, que M. LA BILLARDIERE a jugé devoir être un buffle. On tua un assez gros singe d’une espèce curieuse : il paroît que ces animaux sont en très-grand nombre dans l’île de Boutoun ; car on en a vu dans tous les endroits où l'on a débarqué On aperçut aussi des lézards d’une grosseur plus qu’ordinaire ; mais il fut impossible d’en tuer un seul.

Nous sondâmes le banc dont nous avions été obligés de nous éloigner en venant au mouillage. L’officier chargé de cette opération, reconnut que ce banc étoit placé à l’embouchure d’une petite rivière dont le cours étoit tellement embarrassé de mangliers, qu’il ne fut pas possible de la remonter en canot. En général, cette côte est bien arrosée ; car, en marchant le long du rivage, on vit un grand nombre de filets d’eau qui se jetoient dans la mer.

Les astronomes débarquèrent avec leurs instrumens sur une pointe moins garnie d’arbres que le reste de la côte ; ils y observèrent, dans la matinée, des angles horaires. Ils revinrent au 1793.
Septembre
même endroit pour observer la latitude ; mais à midi, la mer étant haute, ils ne purent mettre pied à terre, et furent obligés de rester dans le canot qui les avoit transportés, où ils prirent la hauteur méridienne du soleil avec un cercle à réflexion. La latitude conclue de cette hauteur a été rapportée au lieu où les angles horaires avoient été observés ; et il en résulte que le point indiqué sur la carte du détroit de Boutoun sous le nom d’Observatoire, est placé par 4° 36’ 26" de latitude australe. La longitude du même point a été trouvée de 120° 24’ 33" orientale.

D’après les observations que nous avons faites sur les marées pendant les deux jours que nous sommes restés à ce mouillage, il paroît qu'elles sont très-irrégulières. La mer monte de sept à huit pieds, les jours de la nouvelle et de la pleine lune. Le flot porte au Sud, et le jusant au Nord. Le courant acquiert un mille et demi de vitesse dans sa plus grande force ; et la mer est très-peu de temps étale.

Le grand canot de L'ESPERANCE 25. fut de retour le 25, à dix heures du matin. M. LEGRAND me dit que les petites îles situées au Nord de l'île Mounan étoient liées par des ressifs ; mais qu’il avoit trouvé entre ces ressifs et la côte une passe qui pouvoit avoir un mille et demi de largeur, dans laquelle il y avoit depuis dix jusqu'à vingt-neuf brasses d'eau sur des fonds de gros gravier ou de corail et quelquefois de sable fin. S’étant avancé d’une lieue deux tiers dans cette passe, il avoit vu la côte de l’île Mounan fuir dans le Sud-Ouest, et avoit découvert un banc, au Nord duquel il n'existoit 1793.
Septembre
point de passage, mais qui laissoit près de la côte dont il suivoit la direction, un canal d’environ un mille de large et d’une lieue et demie de long : il n’avoit pas trouvé dans ce canal moins de huit brasses d’eau sur un fond de vase. Cette course avoit été poussée jusqu’à une pointe avancée de l’île Mounan, au large de laquelle on avoit ren­contré deux îlots. A environ un mille dans le Nord-Ouest des îlots, on avoit trouvé un banc où il y avoit fort peu d’eau ; mais, entre ce banc et les îlots, la sonde avoit rap­porté depuis huit brasses d’eau jusqu'à quatorze brasses. Ce point fut le terme des recherches de M. LEGRAND, qui revint nous rejoindre en suivant la côte de l’île Mounan. On avoit pris dans ce trajet un assez grand nombre de sondes pour être assuré que les frégates pouvoient passer dans les endroits visités par le canot ; et M. BEAUTEMPS-BEAUPRE avoit fait assez de relèvemens pour rédiger le plan des côtes et des écueils qui avoient été aperçus.

M. LEGRAND, ainsi qu’il a été dit plus haut, avoit reçu l’ordre de revenir avant la fin du second jour, et n'avoit pas pu s'éloigner de nous, de plus de cinq lieues : il falloit s'avancer encore à huit ou dix lieues plus loin dans le Sud-Ouest, pour être assuré d'avoir trouvé un passage pour les frégates. On ne pouvoit pas envoyer des canots à une aussi grande distance sans compromettre leur sureté. En conséquence, il fut résolu que nous mettrions à la voile le plutôt possible, et que nous irions nous-mêmes à-peu-près jusqu'à la pointe ou notre canot s'étoit arrêté, afin de 1793.
Septembre
pouvoir envoyer visiter la partie Sud du détroit par une autre embarcation. Nous appareillâmes à une heure et demie après midi, et nous nous dirigeâmes sur la pointe septentrionale de l'île Mounan. A quatre heures et demie nous étions dans le Nord de cette île ; et M. LEGRAND nous pilota dans les passes qu’il avoit visitées, avec l’intelligence dont il nous avoit donné plusieurs fois des preuves pendant le cours de la cam­pagne. Nous laissâmes tomber l’ancre à six heures et demie, à moins d’un mille dans l’Est des deux derniers îlots que M. LEGRAND avoit reconnus.

Le grand 26. canot de LA RECHERCHE partit le lendemain 26 de très-grand matin, commandé par M. DE WELL, pour aller visiter la partie méridionale du détroit. M. Beautemps-Beaupré s’y embarqua, pour prendre des relèvemens et lever le plan de la partie qui devoit être reconnue. Les ordres que reçut M. DE WELL, furent, ainsi que ceux qui avoient été donnés à M. LEGRAND, de chercher un passage d’abord près de la côte occidentale de l'île Mounan, et de ne s’en-­ gager que dans les passes indiquées par des terres ou des rochers. Le grand canot de l’ESPERANCE fut aussi envoyé, sous les ordres de M. DUPORTAIL, à un endroit de la côte septentrionale de l'île Mounan où l’on avoit vu la veille des pirogues, qui avoient fait présumer que l’on pourroit y ren­contrer des habitans.

Ce dernier canot revint dans la soirée, et M. DUPORTAIL me rendit compte qu’il avoit suivi de très-près le rivage de l'île 1793.
Septembre
Mounan, et n'avoit aperçu d’abord aucune trace d’ha­bitation. Étant arrivé à la pointe Nord de cette île, il mit pied à terre près des pirogues dont nous venons de parler, et trouva dans le voisinage plusieurs habitans rassemblés, qui le reçurent très-bien : il leur fit quelques présens. Ces hommes conduisirent M. DUPORTAIL au lieu de leur demeure, où il ne vit qu’une demi-douzaine de cases assez mal construites au milieu d’un terrain inculte. On jugea que ceux qui les habitoient alors, ne devoient pas y faire un bien long séjour, et que ce n’étoient que de misérables pê­cheurs, sans demeure fixe, qui se transportoient, selon les saisons, dans les lieux où ils croyoient trouver une pêche abondante. M. DUPORTAIL ne reçut d’eux que du poisson sec ; et il paroît que c’étoit tout ce qu’ils avoient à lui donner. Avant de les quitter, on leur demanda où l’on pourrait trouver de l’eau, et ils indiquèrent la petite île longue qui est dans le Nord de l’île Mounan : ils eurent l’attention de conduire M. DUPORTAIL vers cette île ; mais on n’y trouva que trois ou quatre puits creusés dans le sable, dont l’eau saumâtre n’étoit sans doute qu’une infiltration de celle de la mer.

Nous eûmes encore plus de difficultés à surmonter pour débarquer sur l’île Mounan, que nous n’en avions eu pour mettre pied à terre sur la côte de Boutoun. Le rivage de Mounan est bordé de mangliers très-épais, ainsi que celui de Boutoun ; mais ces arbres, au lieu d’y croître sur un terrain ferme, ont leur pied dans une vase molle où l’on enfonce Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/553 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/554 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/555 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/556 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/557 force pour faire 1793.
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refouler le courant. Ils ne tardèrent pas à se faire sentir ; et ils nous conduisirent à I'entrée du goulet dont nous venons de parler. Dès que nous eûmes doublé la pointe avancée de I'île Boutoun qui forme cette entrée, nous aperçûmes plusieurs rochers à ia côte de i’île Mounan ; nous vîmes celle de Boutoun former une anse assez pro­fonde , au fond de laquelle étoient plusieurs îles. Nous serrâmes de près ces îles pour conserver l’avantage du vent : la sonde rapportoit vingt-une et vingt-six brasses d’eau. Le brassiage diminua, assez rapidement, de vingt-une brasses à dix-neuf et douze, puis à neuf brasses, et enfin à six brasses et demie sur un fond de sable. Alors je fis gouverner pour nous éloigner de terre. Au moment où nous commen­- cions à arriver, les vigies crièrent que l’on voyoit un banc de l’avant. Nous fûmes obligés de courir vent arrière, dans une direction perpendiculaire à la côte , pour éviter ce danger : mais, malgré la promptitude avec laquelle la frégate fit son évolution , le brassiage diminua jusqu’à trois brasses ; ensuite il augmenta aussi subitement qu’il avoit diminué. Lorsque nous eûmes trouvé vingt-cinq brasses d’eau, nous continuâmes notre route de manière à nous maintenir par le même brassiage et à éviter le voisinage des hauts-fonds qui pouvoient se trouver près de la côte de Boutoun. En effet il étoit à présumer que le banc qui s’étoit rencontré sur notre route, devoit s’étendre au large des petites îles que l’on voyoit à bâbord, et se prolonger le long de cette côte pour aller se joindre à la pointe qui étoit de l'avant. A sept heures et demie, nous mouillâmes 1793.
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dans le goulet par trente-huit brasses sur un fond de vase. La Recherche y entra le lendemain avec des vents d’Ouest ; mais, en serrant de près la côte de l’île Mounan, elle rencontra aussi des bancs qui l’obligèrent à changer de route. Il paroît que les deux côtes sont bordées de hauts-fonds, et qu’il est nécessaire, dans cet endroit, de se tenir au milieu du canal. Nous avons eu occasion de remarquer que l’on doit, en général, se maintenir sur vingt ou trente brasses d’eau, pour ne pas craindre de rencontrer de bancs sur sa route, et qu’il faut s’y méfier des fonds de sable, qui sont assez ordinairement dans le voisinage des dangers.

L’aspect des côtes de Boutoun avoit entièrement changé depuis que nous avions doublé la pointe la plus voisine de notre dernier mouillage. On voyoit, entre les hautes montagnes de l’intérieur de l’île et le bord de la mer, des collines de différente hauteur, sur lesquelles on apercevoir des habitations, entourées de terrains cultivés. Plusieurs pirogues se détachèrent du rivage, et vinrent à bord des frégates ; elles étoient chargées de volailles, d’ignames, de bananes et de .giraumons. Les habitans de Boutoun ne voulurent pas se défaire de ces divers objets pour des pièces de notre monnoie ; nous fûmes obligés de les échanger contre des haches, des couteaux, des limes et quelques outils de char­- pentier, dont ils parurent faire grand cas. Les provisions que nous avions prises à l’île de Bourou, commençoient à être épuisées : nous éprouvâmes une grande satisfaction, en voyant que nous pouvions espérer de retrouver une sorte Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/560 cote nous vîmes le canal 1793.
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s’élargir. La côte de Mounan se dirigeoit à l’Ouest dans l’espace d’environ une lieue, pour reprendre ensuite sa direction dans le Sud-Ouest ; celle de Boutoun se prolongeoit au Sud-Ouest dans l’espace d’environ une lieue et demie. A trois heures, les vigies aperçurent un changement dans la couleur de l’eau, et nous avertirent de changer de route. Quoique je fusse persuadé, d’après la carte de M. de Bougainville, qu’il n’y avoit aucun écueil aux environs, nous laissâmes tomber l’ancre, par vingt-huit brasses sur un fond de sable. J’hésitai d’autant moins à prendre ce parti, que la Recherche se trouvoit alors à une assez grande distance de l’arrière : je voulois lui donner le temps de se rapprocher de nous avant la nuit. Aussitôt que nous eûmes cargué nos voiles, des canots furent expédiés pour aller sonder dans les endroits où l’on avoit cru apercevoir des hauts-fonds ; mais on trouva par-tout vingt-huit et trente brasses d’eau. On vit, dans ces endroits, la mer couverte de frai de poisson, dont la couleur jaunâtre avoit occasionné notre méprise. Les vents furent si foibles le reste du jour, que la Recherche fut obligée de mouiller à deux lieues de l’arrière à nous.

Le 5 , nous mîmes sous voiles, à dix heures et demie du matin , pour suivre la côte de Boutoun. On trouva de qua­rante à trente brasses d’eau, à moins d’un mille du rivage. Il paroît que le courant qui sort du goulet, ne suit la direction de cette côte que fort près de terre ; car, à quelque distance du rivage, nous éprouvâmes un courant très-sensible portant au large, qui provient sans doute de ce que les eaux se

répandent dans1793.
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l’enfoncement qui est à la côte de Mounan. En approchant la pointe de Boutoun qui étoit de l’avant, le brassiage diminua, et nous eûmes dix-neuf brasses d’eau : lorsqu’elle fut par notre travers, on ne trouva que onze et dix brasses, sur un fond de sable. Je fis gouverner plus au large, pour nous tenir sur un plus grand brassiage ; mais la profondeur de l’eau n’ayant pas augmenté à cette nouvelle route, je jugeai que le fond plus élevé alloit rejoindre un banc que l’on voyoit à tribord par notre travers, et dont nous étions à la distance d’environ deux milles. Effectivement, après que nous eûmes mis le cap au Sud-Est, le brassiage augmenta peu à peu ; et nous trouvâmes bientôt vingt brasses d’eau, ensuite trente-cinq, et enfin quarante brasses. Nous avions alors perdu la Recherche de vue ; et nous nous trouvions dans un vaste bassin fermé de toutes parts, qui peut avoir cinq lieues de longueur, et dont la plus grande largeur est de quatre lieues.

Guidés par les renseignemens que donne M. de Bou­gainville, nous nous rapprochâmes de la côte de Boutoun. Après avoir doublé le banc qui avoit été laissé à tribord, nous perdîmes le fond à soixante brasses ; nous le retrouvâmes à cinquante-cinq, vis-à-vis d'une pointe de Boutoun qui savance au Nord de l’île Colipana ; ensuite nous le perdîmes de nouveau. On trouva trente-cinq brasses d’eau sur un fond de sable, dans l’Ouest de Pulo-Sapi : au-delà de cette île, le brassiage diminua, à mesure que nous nous rapprochâmes de la côte qui est à l’Est de la partie la plus étroite du détroit de 1793.
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Boutoun. Enfin nous mouillâmes un peu avant la chute du jour, à deux milles au large de cette côte, par neuf brasses d’eau, sur un fond de sable fin.

Si la carte de M. DE BOUGAINVILLE ne nous avoit pas indiqué où devoit être l’issue du vaste bassin dans lequel nous venions de faire route, il nous aurait été impossible de la distinguer de toute la soirée : au reste, cette carte nous a paru très-exacte, et les renseignemens que nous avons trouvés dans le Voyage de cet habile navigateur, nous ont été d’un grand secours.

Les terres dont nous étions environnés, offraient un as­pect des plus rians. Les hautes montagnes se trouvoient encore plus reculées dans l’intérieur de l’île que celles des côtes que nous avions vues les deux jours précédens ; les col­lines voisines du rivage étoient garnies d’arbres, et cou­vertes d’une verdure très-vive : nous présumâmes que ces côtes dévoient être encore plus fertiles que toutes les autres. Le grand nombre de pirogues qui vinrent nous visiter, annonçoit une population nombreuse ; mais les habitations sont ici, comme dans toute l’étendue du détroit, très-éloignées des bords de la mer : on ne vit que deux ou trois cases près du rivage. Nous eûmes toujours plusieurs pirogues le long du bord. Elles nous fournirent assez de volailles, de giraumons et d’ignames pour en faire des distributions à tout l’équipage. Un grand nombre de singes, de perroquets et de cacatoas qu’elles apportèrent, furent troqués par nos ma­telots contre de vieilles hardes, dont les habitans parurent très-avides. 1793.
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Vers le soir, nos gaillards étoient couverts de ces animaux ; chaque homme de l'équipage avoit acheté ou des perroquets ou un singe.

Nous 6. restâmes au mouillage toute la journée du 6, pour attendre LA RECHERCHE : elle parut à une heure et demie ; et nous la vîmes mouiller, dans la soirée, vis-à-vis de l’extrémité méridionale de Pulo-Sapi.

Un canot fut envoyé dans la matinée pour visiter la passe la plus resserrée du détroit de Boutoun. On mit pied à terre à la côte orientale, près d’un rocher miné par les eaux, dont parle M. DE BOUGAINVILLE. Le canal n’a pas, dans cette partie, plus de deux encablures de largeur ; le rivage est terminé par un plateau de roc, couvert de corail, au large duquel on ne trouve pas de fond. On avança dans l’intérieur des terres sans rencontrer d’habitations ; on aperçut cependant des collines assez éloignées, plusieurs cases réunies, qui formoient de petits hameaux. Ce pays est arrosé par une grande quantité de ruisseaux : le sol nous a paru devoir être très-fertile ; mais il n’est cultivé que près des endroits habités, et il pourroit nourrir une population beaucoup plus nombreuse que celle qui existe.

Je débarquai dans la soirée, avec les instrumens, sur une plage de sable située au Sud de notre mouillage. J’y ob­servai des angles horaires, pour avoir l’heure du lieu ; et je pris, à l’entrée de la nuit, des hauteurs d’étoiles près du méridien, pour déterminer la position en latitude de cette partie du détroit. J’envoyai aussi des canots pour sonder près de la côte 1793.
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qui s’étend depuis Pulo-Sapi jusqu’à l’entrée de la passe. Toute cette côte est saine : le brassiage diminue, à la vérité, à mesure qu’on s’en approche ; mais à une encablure de terre, on trouve encore cinq brasses d’eau sur un fond de sable. Il y a cependant, en quelques endroits, des fonds de corail. La pointe orientale de la passe est bordée par un haut-fond, qui s’avance à près de deux encablures au large.

Nous fîmes route le 7 7. octobre, à sept heures et demie du matin, avec des vents variables de l’Est-Sud-Est à l’Est-Nord-Est. Je m’étois flatté que le courant du jusant auroit encore assez de durée pour nous faire passer le goulet ; mais lorsque la roche qui est à la partie orientale de l’entrée, resta par notre travers, le courant changea de direction, et acquit en peu d’instans assez de vitesse pour suspendre notre marche , quoique la frégate fît alors deux milles et demi à l’heure. Bientôt après, il nous fit rétrograder, et nous fûmes entraînés en dehors du goulet, où nous trouvâmes le courant moins violent. Nous restâmes à la voile, et nous ne reculâmes pas de plus d’une demi-lieue pendant toute cette marée. On trouva , à l’entrée du détroit, trente-sept brasses d’eau, sur des fonds de sable et de gros gravier.

Enfin le jusant commença à se faire sentir à midi et demi. Nous donnâmes dans cette passe, resserrée entre des terres élevées et taillées à pic. En se présentant à l’entrée, on ne peut en apercevoir l’issue. Le canal, qui a environ une demi-lieue de long et au plus deux encablures de large, forme un coude rentrant du côté de Boutoun, et bien marqué par une 1793.
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pointe saillante et escarpée du côté de Mounan. Le courant nous porta vis-à-vis de cette pointe avec une rapidité extraordinaire, et nous l’eûmes doublée en un instant. Alors le vent nous ayant manqué, nous n’éprouvâmes plus des brises légères, très-variables, et nous fûmes obligés de mettre le cap sur la terre : nous approchâmes de très près quelques-unes des pointes les plus avancées ; mais le courant qui nous entraînoit toujours avec une grande vitesse, les fit dépasser très-promptement. Cependant les vents ne cessèrent de varier ; ils vinrent plusieurs fois directement de l’avant, et reprirent souvent leur première direction avant que faire du bâtiment fût amortie.

Sortis enfin de la partie la plus étroite du goulet, nous fîmes route avec un vent favorable dans un canal qui s’élar­gi à mesure que nous nous avancions au Sud. Parvenus à l’extrémité de ce canal, nous vîmes la côte de Mounan former une anse, dont la pointe méridionale est bordée de pêcheries, et se rapproche de la côte de Boutoun. Peu de temps après, nous nous trouvâmes à l’ouvert de la baie où la ville de Boutoun est située. Nous courûmes quelques bordées pour gagner le mouillage ; mais, à cinq heures trois quarts, le courant étant devenu contraire, nous fûmes forcés de mouiller dans le Nord de la ville, à un mille de terre, par vingt-sept brasses d’eau, sur un fond de sable et de corail.

On voyoit par notre travers la ville de Boutoun, bâtie en grande partie au pied d’une montagne peu élevée, mais très-escarpée, au sommet de laquelle on apercevoir de grands bâtimens, 1793.
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entourés de murailles qui ressembloient à des fortifications.

Nous restâmes 8. deux fois vingt-quatre heures à ce mouil­lage, afin d’y prendre une assez grande quantité de provisions pour nous rendre à Sourabaya, port situé près de l’extrémité orientale de l’île de Java.

Le souverain de l’île Boutoun prend le titre de sultan, comme presque tous les princes mahométans. Il étend sa domination sur l’île Mounan et sur plusieurs des îles voisines : son autorité paraît très-grande, et sa garde est nombreuse. Il habite dans l’enceinte que nous avons aperçue, où il doit être à l’abri des coups de main que ses ennemis pourroient tenter contre sa personne. Près de cette enceinte est une forteresse assez respectable, dans laquelle on nous dit qu’aucun Européen n’étoit entré : nous ne jouîmes pas non plus du privilège d’y être admis ; et tout ce que nous pouvons dire de cette forteresse, c’est qu’à en juger par son étendue, il faut une garnison nombreuse pour la défendre.

Les Hollandois entretenoient autrefois, à la ville de Boutoun, une garde de plus de cent hommes, commandée par un officier ; mais cette espèce de garnison ayant été massacrée par les habitans du pays, il y a un peu plus d’un siècle, la compagnie renonça à tout établissement dans cette île, qui, d’ailleurs, est de peu d’importance pour son commerce. Elle se contenta d’un traité d’alliance avec le sultan, qui consentit à ce que toutes les îles de sa domi­nation fussent visitées tous les ans par deux sergens, qu’on Y envoie 1793.
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de l'établissement de Macassar, et qui sont chargés de faire extirper tous les plants de géroflier et de muscadier. La compagnie Hollandoise s'est engagée, de son côté, à le protéger contre tous ses ennemis. Nous vîmes les deux sergens Hollandois qui étoient venus, cette année, à la ville de Boutoun, pour exécuter les ordres de la compagnie. Ces agents très-subalternes nous avouèrent eux-mêmes qu'ils n'osoient pas paroître devant le sultan de Boutoun, sans avoir été appelés, et qu'ils étoient obligés de conserver en sa présence l'attitude du plus grand respect.

Dès le lendemain de notre arrivée, deux chefs du pays, nommés, comme à Bourou, Orangkaies, vinrent de bonne heure à bord de LA RECHERCHE, pour nous demander, au nom du sultan, qui nous étions et ou nous allions. M. D'AURIBEAU les reçut amicalement ; mais, sans répondre à toutes leurs questions, il se contenta de leur dire que nous étions François, et par conséquent les amis des Hollandois et de leurs alliés. Ensuite il les pria de nous procurer des boeufs et les rafraichissements dont nous avions besoin. Ces chefs mirent une sorte d'affectation à ne vouloir pas nous promettre les choses les plus simples, avant d'avoir connu les volontés de leur souverain : ils nous firent entrevoir que ce prince étoit d'un accès très-difficile. Peut-être ne faisoient-ils naître tant de difficultés que pour nous forcer à leur faire des présens et à payer leurs services. Quoi qu'il en soit, leur influence ne nous a pas paru bien grande, et nous n'avons pas eu lieu de nous repentir de l'avoir négligée ; car si l'on en en excepte 1793.
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des bœufs, nous avons obtenu en abondance toutes les denrées que le pays pouvoit fournir.

Plusieurs officiers et les naturalistes allèrent, dans la matinée, à la ville de Boutoun, dont ils visitèrent les envi­rons. Le paysage leur parut très-agréable, et le terrain bien cultivé. On y trouva une grande quantité de cabris et de volailles, des œufs, du poisson, des fruits en abondance, et à un prix très-modique. Ces messieurs firent quelques ten­tatives pour être admis auprès du sultan ; mais 1 accès du palais leur fut interdit : cependant les sergens Hollandois , dont nous avons déjà eu occasion de parler, les conduisirent dans l’enceinte de murailles qui nous avoit paru devoir envi­ronner ce palais. Ils y trouvèrent une ville assez considérable, dont les rues sont fort étroites, quoique assez bien alignées. Les maisons n’ont qu’un étage, et sont bâties en bois comme presque toutes celles des Orientaux.

Les habitans de la ville de Boutoun ont poussé l’indus­trie beaucoup plus loin que les peuples des pays où nous avions relâché, depuis notre entrée dans les Moluques. Ils fabriquent une assez grande quantité de toiles de coton, dont la plupart sont d’un assez beau tissu : on en a même remarqué d’une finesse extraordinaire ; mais ils en voû­laient un prix excessif.

On vit, sous un grand hangar, un des bateaux appelés, dans le pays, Corocoro, qui étoit en construction ; je ne doute pas que l’on n’en eût rencontré plusieurs autres, si l’on avoit visité une plus grande étendue de côtes : il paroît cependant 1793.
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que les habitans de Boutoun n ont pas une marine assez forte pour se préserver des incursions des pirates dont ces parages sont infestés. Nous apprîmes d'eux que les Papous, les habitans de l’île Céram et des îles Mindanao, viennent tous les ans, dans cette saison, croiser sur leurs côtes, où ils font des descentes, pillent les habitations, massacrent les vieillards, et enlèvent les jeunes gens des deux sexes pour en faire des esclaves. Nous vîmes dans la campagne, et à une certaine distance de la ville, plusieurs retranchement en­tourés de palissades, où il est probable que les habitans des environs se retirent pour se défendre contre les ennemis qu’ils n’ont pu empêcher de débarquer. Nous n’avions vu aucun retranchement de cette nature sur les autres côtes du détroit de Boutoun : il est à présumer que ceux qui les habitent, n’étant point assez nombreux pour se défendre, ne peuvent se soustraire à l’esclavage ou à la mort que par la fuite. Les Papous sont de tous leurs ennemis ceux qui se sont rendus les plus redoutables. Nous avons eu occasion de remarquer, dans nos conversations avec plusieurs chefs de Boutoun, que les habitans n’entendent jamais prononcer le nom de ce peuple sans témoigner une sorte d’effroi. L’un de ces chefs nous ayant entendu dire que nous venions des îles Papous, ne voulut jamais consentir à descendre dans 1 entre­ pont : malgré les invitations les plus pressantes, il se retira avec précipitation.

La foiblesse présumée de la marine de Boutoun, dont nous avons déjà parlé, me porte à croire que les habitans ne font 1793.
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en général qu'une guerre défensive contre leurs nombreux ennemis : ils se contentent de les attendre dans les lieux où ces derniers ne peuvent venir les attaquer ; et ils ne vont jamais à leur rencontre sans avoir la certitude du succès. Nous apprîmes, pendant notre séjour, qu’un grand nombre de pirates croisoient aux environs des îles Boutoun et Mounan, ainsi que nous l’avions déjà soupçonné d’après les manœuvres suspectes de plusieurs bateaux que M. DE WELL avoit rencontrés près de la côte de cette dernière île. On nous dit qu’il ne se passoit pas de jour qu’il n’y eût quelque action très-chaude aux environs de la ville. Les habitans de Boutoun venoient de remporter une victoire sur leurs ennemis, à l’instant où nous mouillâmes dans la baie. Un des chefs de qui je tiens ces détails, nous proposa de nous vendre des esclaves, et demanda dix jours pour nous en procurer soixante. On pourroit juger par-là que, malgré l’impuissance où est ce peuple de repousser l’ennemi de ses rivages, il remporte souvent sur lui des avantages assez décisifs pour faire des prisonniers.

Le lendemain du jour où nous étions venus au mouillage, on envoya des canots pour reconnoître la partie méridionale du détroit de Boutoun : M. BEAUTEMPS-BEAUPRE y fit plusieurs stations. Je crois que la carte qu’il a dressée, paroîtra d’une exactitude à laquelle on ne devoit pas s’attendre, vu le peu de temps qui a été employé pour la lever, et l’éten­due de côtes qu'elle comprend. D’après les opérations trigonométriques et les observations astronomiques de M. PIERSON, la latitude 1793.
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de la partie la plus Nord de la ville de Boutoun est de 5° 27’ 53" australe, et sa longitude de 120° 9’ 22" orientale. La navigation de ce détroit n'offre ni difficultés ni grands dangers ; mais on y est exposé à être retardé par des calmes, des vents et des courans contraires. Toutes les fois que l'on ne sera pas forcé d’y venir prendre des rafraîchissemens, il vaudra mieux passer entre la côte orientale de l’île Boutoun et les îles Toukan-Bessi ; l'on éprouvera beaucoup moins de calmes dans cette partie, et l'on pourra, s’élever au Sud, en profitant des variations des vents du large, ainsi que des brises de terre qui soufflent ordinairement pendant une partie de la nuit et de la matinée. Les vaisseaux Hollandois ont adopté ce dernier passage ; et il n’entre guère à présent que les bâtimens des autres nations dans le détroit de Boutoun. Nous apprîmes, pendant notre séjour près de la ville de Boutoun, que deux bâtimens de guerre Anglois y avoient passé environ deux ans avant nous, en allant du Nord au Sud, c’est-à-dire, en faisant la route que nous avons suivie.

Pendant cette relâche, nous avons toujours été entourés de pirogues, et les échanges n’ont pas cessé un seul instant. Au moment où nous nous disposions à partir, les gaillards et les hunes étoient remplis de volailles, et nous avions une ample provision d’ignames, de giraumons et de fruits. Ces vivres frais nous étoient devenus d’autant plus nécessaires, que nos provisions de campagne étoient entièrement épui­sées ; le peu qui nous en restoit, se trouvoit avarié. Notre biscuit 1793.
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entièrement vermoulu, avoit contracté un goût d’a­mertume très-désagréable ; nos farines se trouvoient telle­ment échauffées, que, depuis notre relâche à Bourou, nous préférions les ignames et le riz, au pain que l’on faisoit à bord.

Malgré cette abondance apparente, il devenoit indispen­sable de nous rendre, sans délai, dans un port qui offrît plus de ressources que ceux où nous avions relâché depuis notre départ d’Amboine : en effet, l’espèce de provision dont nous venions de nous munir, n’étoit pas de nature à se garder long-temps ; de plus, pendant notre navigation dans le détroit, une dyssenterie épidémique avoit fait des progrès très-rapides à bord des deux frégates. On doit se rappeler que nous étions tous à-peu-près en bonne santé en quittant l’île Bourou ; nous nous flattions même, avec quelque raison, d'être entièrement rétablis, puisque les symptômes du scorbut avoient disparu. Deux ou trois jours après notre départ de Cajeli, quelques personnes furent attaquées de la dyssen­terie : cependant cette maladie ne nous donna d’abord aucune inquiétude ; elle fut attribuée à un changement subit de nourriture, qui avoit eu plus d’influence sur certains tempéramens que sur d’autres. Mais le nombre des malades ayant augmenté, nous commençâmes à craindre que le mal ne devînt général ; et nous reconnûmes que la nourriture végétale qui nous avoit guéris du scorbut comme par enchantentent, étoit en même temps trop relâchante pour nos organes affoiblis par de longues fatigues et de longues pri­vations. Les chaleurs étouffantes que nous éprouvâmes, firent prendre 1793.
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à cette maladie le caractère de la putridité ; alors elle devint très-grave et fort alarmante. L’Espérance avoit dans le détroit, plus de vingt malades à son bord, et LA RECHERCHE plus de trente. Le nombre en devenoit tous les jours plus considérable : à l’époque de notre mouillage vis-à-vis de la ville de Boutoun, nous avions perdu à bord des deux frégates cinq hommes de la dyssenterie ; et il n’y avoit guère la moitié des matelots et des soldats qui fut en état de faire le quart et de travailler à la manœuvre.

Avant de partir de Boutoun, M. D'AURIBEAU se chargea de diriger la route des frégates et donna l’ordre de se tenir prêt à mettre à la voile dans la soirée. Nous sortîmes de la baie de Boutoun le 9 octobre, 9. à quatre heures après midi, pour aller chercher le détroit de Salayer. Nous passâmes, dans la soirée, entre l'île Pulo-Boni-Boni et la partie méridionale de l’île Mounan, où nous aperçûmes une baie assez profonde, dont l’entrée peut avoir deux lieues de largeur. Nous dou­blâmes l’île Cambina pendant la nuit ; le lendemain 10, 10. au coucher du soleil, nous vîmes l’île Salayer, dont l’extrémité septentrionale fut relevée au Nord-Ouest, à sept ou huit lieues de distance. La nuit se passa à courir de petites bordées, pour nous trouver le lendemain à-peu-près au même point.

Le 11, 11. à la pointe du jour, nous étions à environ trois ou quatre lieues de terre ; on relevoit l’extrémité septen­trionale de l’île Salayer, dans la même direction que la veille. Nous nous approchâmes de la côte, pour la prolonger à la distance d’environ quatre ou cinq milles. Le rivage nous parut, dans cette partie, 1793.
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formé par des terres basses ; mais on voyoit au-delà une chaîne de montagnes arides, assez élevées et très-escarpées, qui parcouroit l'île dans sa lon­gueur, du Sud au Nord, et s’abaissoit en pente douce jusqu’à la pointe septentrionale, qui est aussi basse que les autres parties du rivage. Nous aperçûmes au large de cette pointe une petite île, séparée de la terre par un canal étroit et obstrué de hauts-fonds, mais dont la partie septentrionale peut être rangée de très-près. On voyoit alors, dans le Nord, les terres élevées de la grande île Célèbes, et, en avant de ces terres, deux petites îles dont les côtes nous parurent très saines. Nous passâmes à peu de distance, dans le Nord, de l'île Salayer ; et nous fûmes à portée de remarquer que cette chaîne de montagnes qui la divise en deux parties, est très-étroite, et également taillée à pic sur ses deux faces dans toute sa longueur. A midi, la petite île située à l’extrémité septentrionale de Salayer nous restoit à l’Est. Le milieu de cette île a été placé par 5° 45’ de latitude aus­trale, d’après l’observation de la hauteur méridienne ; la longitude de la même île a été trouvée de 118° 5’, d’après la montre n.° 10.

Dans l’après-midi, nous fîmes route à l’Ouest-Sud-Ouest, pour passer au Sud d’un banc qui, dans plusieurs cartes, est placé à l’Ouest du détroit de Salayer : ensuite nous gou­vernâmes à l’Ouest, pour aller prendre connoissance du banc appelé Brill, dont il étoit très-important de déterminer la position ; car les vaisseaux qui veulent entrer dans le détroit de Salayer 1793.
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en venant de l’Ouest, ou bien ceux qui en sortent en venant de l’Est, sont obligés de s’approcher de ce banc, pour en éviter d’autres plus dangereux encore. Les cartes que nous avions de cette partie de mer, étoient peu propres à nous éclairer sur les positions des écueils au milieu desquels nous devions passer ; nous fûmes en conséquence obligés de naviguer avec beaucoup de circonspection. On sonda d’heure en heure ; mais on fila de vingt-cinq à trente brasses de ligne sans trouver fond.

Le 12, 12. à deux heures après midi, nous découvrîmes de l’avant les brisans du banc appelé Brill ; nous remarquâmes sur les accores de ce banc plusieurs parties où la mer ne brise pas, et qui en rendent l’approche très-dangereuse. II peut avoir une lieue et demie d’étendue de l’Est à l’Ouest. Nous prolongeâmes sa partie Sud à un mille de distance, et nous trouvâmes le fond à trente brasses. Le milieu du banc Brill a été placé par 6° 5’ de latitude australe, et par 116° 31’ de longitude orientale.

Depuis notre départ de la baie de Boutoun, le soleil avoit toujours passé au méridien si près du zénith, qu’il nous avoit été impossible d’obtenir la latitude par des observations croisées. La latitude du banc Brill, ainsi que celle de la petite île située à la pointe septentrionale de l’île Salayer, ont été déduites de hauteurs simples du soleil, mesurées avec un cercle à réflexion. Dès-lors il ne seroit pas étonnant que les positions de ces deux points assez importans n’eussent pas le degré d’exactitude de celles qui résultent de l’observation de de plusieurs 1793.
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hauteurs prises près du méridien. Cependant l’accord qui a subsisté entre les résultats obtenus par différens observateurs de LA RECHERCHE, doit faire présumer que les erreurs dont elles peuvent être affectées, ne sont pas considérables.

Le 13 et le 1 4, nous fîmes 13, 14. route à l’Ouest, en sondant continuellement sans trouver fond : de six heures en six heures on filoit cent brasses de ligne ; et dans les intervalles on en filoit d’heure en heure vingt-six et trente. Le 14, à six heures du soir, étant par 5° 52’ 33" de latitude australe et par 113° 54’ de longitude orientale, on trouva le fond à cinquante-cinq brasses. Alors nous jugeâmes que nous approchions du méridien des îles Kalkoens, au large des­- quelles il y a des hauts-fonds qui s’étendent à une grande distance dans le Nord. CARTERET s’étoit trouvé à l’extré­mité septentrionale de ces dangers, et n'avoit eu aucune connoissance des îles. Comme notre latitude nous plaçoit de 11’ dans le Nord du point où se trouvoit alors le navigateur Anglois, nous continuâmes de gouverner à l’Ouest, sous peu de voiles ; l’on trouva, pendant toute la nuit, cinquante-cinq brasses d’eau, sur des fonds de vase molle.

Le 15, 15. à midi, par 5° 47’ 6" de latitude australe, et par 112° 56’ de longitude orientale, la sonde rapporta trente-neuf brasses d’eau, sur un fond de vase. Le brassiage diminua dans la soirée, jusqu’à trente brasses ; et nous vîmes un grand nombre d’oiseaux, ce qui nous confirma dans l'opinion que nous étions au Nord des îles Kalkoens. Le brassiage 1793.
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augmenta ensuite ; et nous trouvâmes, pendant toute la nuit que nous passâmes en panne, de trente-une à trente-cinq brasses d’eau. Nous ne pouvons rien assurer à l'égard de la position des îles Kaikoens, que nous n’avons pas : cependant, si les brassiages de trente brasses ont été vues trouvés sur la prolongation des hauts-fonds situés au Nord de ces îles, comme il y a lieu de le penser, nous croyons qu’on doit les placer plus à l’Ouest qu'elles ne le sont sur toutes les cartes.

Le 16, 16. à la pointe du jour, nous fîmes route au Sud-Sud-Ouest, avec des vents d’Est-Sud-Est, pour aller prendre connoissance de la côte septentrionale de l’île Madura. La sonde rapporta, dans cette nouvelle route, cinquante brasses d’eau sur des fonds de vase. A cinq heures et demie du soir, nous vîmes la terre dans un grand éloignement ; on ne pou­voit apercevoir que les sommets des montagnes. Alors, en filant quarante brasses, on n'atteignoit pas le fond. Nous cou­rûmes jusqu’à dix heures du soir, pour nous rapprocher de la côte ; mais la sonde ayant rapporté vingt-cinq brasses, nous mîmes en panne tribord amures.

Le 17, 17. au jour, nous nous trouvions à environ quatre lieues de la côte. Nous nous en rapprochâmes, pour la prolonger à trois ou quatre milles de distance, par douze brasses d'eau : nous la vîmes s’étendre de l’Est à l’Ouest, sans former le plus petit enfoncement. Elle est bordée par une plage, près de laquelle on voyoit de distance en distance des dunes de sable. L’intérieur de l’île Madura, dont les terres sont très-découpées, offrait à notre 1793.
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vue trois rangées de collines, de formes très variées, qui s’élevoient en amphithéâtre. Le paysage étoit des plus agréables. Le terrain de l’île, parsemé d’un grand nombre d’habitations, étoit cultivé presque par-tout, et présentoit l’image d'une contrée fertile et industrieuse. On vit une très-grande quantité de pirogues naviguer près de terre. Un changement aperçu dans la couleur de la mer, nous a fait juger que l’on trouverait très-peu d’eau à moins d’un mille du rivage.

A cinq heures du soir, nous étions par 6° 50’ de latitude australe, et par 110° 56' 51" de longitude orientale. Nous continuâmes à prolonger la côte ; mais comme nous n’y aperçûmes aucun objet remarquable qui pût nous faire connoître notre position, on laissa tomber l’ancre à huit heures, dans la crainte de dépasser la pointe occidentale de l’île pendant la nuit.

Le lendemain, 18. nous vîmes, en poursuivant notre route, la côte qui se prolongeoit encore directement de l’Est à l’Ouest. Elle nous présentoit un aspect aussi agréable que la veille ; mais elle nous parut plus peuplée. Nous aperçûmes un très-grand nombre de pirogues, dont la plus grande partie étoit occupée à la pêche. A neuf heures du soir, la pointe Nord-Ouest de Madura restoit par notre travers. Nous nous avançâmes à quelques lieues dans l’Ouest ; et à minuit, nous laissâmes tomber l’ancre de détroit, par treize brasses d’eau.

Le 19, à 19. dix heures du matin, M. DE TROBRIAND partit dans le grand canot de l’ESPERANCE, pour aller à la ville de Sourabaya : le peu de monde qui nous restoit en état de manœuvrer, nous obligea de compléter l’équipage de cette embarcation avec des gens de LA RECHERCHE. M. d’AURIBEAU avoit donné ordre à M. DE TROBRIAND de pré­venir le gouverneur de notre arrivée, de lui demander l’entrée du port, et de lui faire le détail de tous nos besoins. Le calme continua jusqu’à midi et demi ; alors il s'éleva une brise assez fraîche du Nord, à l'aide de laquelle nous vînmes mouiller à l’entrée de la passe, qui conduit à la rade de Sourabaya.

Le grand Du 19 au 24. canot devoit être de retour le lendemain du jour de son départ, ou le surlendemain au plus tard : la journée du 22 s’écoula cependant sans que nous en eussions entendu parler. Enfin, ne le voyant pas paroître le 23, nous commençâmes à avoir de grandes inquiétudes. Depuis notre arrivée au mouillage, aucune embarcation du pays ne s’étoit approchée des frégates ; nous avions même cru remarquer que tous les bateaux pêcheurs qui naviguoient le long de la côte, avoient pris soin de nous éviter. Cette méfiance, quoique très-marquée, ne nous avoit pas surpris d'abord, parce que nous savions que les Hollandois défendent à tous les peuples qui leur sont soumis, de communiquer avec les vaisseaux des autres nations. Mais, voyant que M. DE TROBRIAND ne revenoit pas et que nous n'en recevions aucune nouvelle, il nous fut impossible de ne pas croire que les embarcations du pays s’étoient tenues à l'écart, par quelque motif de crainte plus puissant encore sur ces peuples, 1793.
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que les ordres du gouvernement. En effet, il n’étoit pas vraisemblable qu’aucun d’eux n’eût été attiré vers nous par curiosité, ou dans l’espoir de recevoir quelques présens, ou bien pour nous apporter des marchandises de contre­ bande. Nous pensâmes alors que la France pouvoit être en guerre avec la Hollande. Néanmoins nous avions lieu d’espé­rer, d’après le contenu de la lettre des états généraux, dont M. de TROBRIAND étoit chargé, que le gouverneur de Sourabaya consentiroit à nous recevoir dans le port, comme des vaisseaux neutres qui, venant de faire une campagne pour l’accroissement des connoissances humaines, ne dévoient prendre aucune part aux querelles qui pouvoient agiter les deux nations. Cependant le retard qu’on avoit mis à nous répondre, augmenta nos craintes, et nous ne songeâmes plus qu’au parti qu’il faudroit prendre dans le cas où l’on nous interdiroit l’entrée du port. Notre position devenoit d’autant plus embarrassante, que manquant de vivres et d’eau, et avec des équipages dont plus des deux tiers étoient attaqués de la dyssenterie, il nous étoit impossible de reprendre la mer sans compromettre la santé du petit nombre de ceux qui étoient bien portans, et par conséquent sans mettre au hasard la sûreté des bâtimens et les fruits de l’expédition. M. D'AURIBEAU voulut vérifier l’état des choses, et s assurer des dispositions du gouvernement Hollandois, avant de prendre un parti qui pouvoit entraîner les suites les plus funestes. Il envoya M. MERITE en parlementaire dans un petit canot, avec cinq hommes d’équipage, et lui donna ordre de 1793.
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s’informer des causes qui avoient empêché le retour de M. de TROBRIAND : il lui enjoignit de le réclamer au nom du droit des gens, ainsi que l’équipage du canot, si on les avoit Faits prisonniers de guerre. Nous restâmes encore deux jours sans avoir de nouvelles de nos canots et sans communiquer avec les bateaux du pays.

Le 25, 25. à onze heures du matin, un chef des habitans de l’île de Java vint remettre à M. d’AURIBEAU une lettre de M. DE TROBRIAND. Cet officier lui rendoit compte qu’il avoit abordé à Sourabaya, le jour même de son départ, à quatre heures du soir. Il l’informoit des grands événemens qui étoient arrivés dans notre patrie, et ajoutoit que la guerre étant déclarée entre la France et la Hollande, le conseil de Sourabaya n’avoit pas voulu consentir à le laisser revenir à, bord des frégates, avant d’avoir reçu des ordres du gou­verneur général de l’Inde, résidant à Batavia. On lui avoit seulement permis de faire connoître au commandant de l’expédition, les conditions auxquelles on pouvoit consentir à nous recevoir avant que les intentions du gouverneur géné­ral fussent connues : mais elles étoient de nature à ne pouvoir être acceptées. Dans la crainte que les dispositions de la haute régence ne nous fussent pas plus favorables que celles du conseil de Sourabaya, M. d’AURIBEAU jugea qu’il n’y avoit pas un moment à perdre, et qu’il falloit s’occuper de mettre l’expédition en sûreté. Il assembla les officiers des deux états majors, leur représenta l’état des choses, et leur demanda leur avis sur le parti qu’il y avoit à prendre. Malgré la grande détresse où 1793.
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nous nous trouvions, on prit, d’un consentement unanime, la résolution de mettre à la voile le lendemain. Nous avions, ainsi qu’il vient d’être dit, les deux tiers de nos équipages malades de la dyssenterie ; l’autre tiers qui étoit encore diminué des hommes des deux canots, se trouvoit dans un tel état d’affoiblissement, que l’on devoit craindre de voir leur santé succomber aux fatigues d’une plus longue navi­gation. Il ne restoit au plus à bord de chaque frégate que pour trente jours de biscuit, encore étoit-il avarié, et pour un mois d’eau seulement, en réduisant la ration de chaque homme à trois quarts de pinte par jour. Mais les circons­tances étoient devenues impérieuses, et il n’y avoit plus à hésiter : il falloir nous rendre à l’Ile-de-France sous le plus court délai, et par la route la moins fréquentée. Nous employâmes le reste de la journée à faire à notre gréement les réparations les plus urgentes, dans l’intention de mettre à la voile le lendemain, à la pointe du jour.

À notre grand étonnement, M. DE TROBRIAND revint dans 26. le petit canot, au milieu de la nuit du 25 au 26. Il nous annonça que le conseil supérieur de Batavia avoit levé toutes les difficultés qui s’étoient opposées à notre entrée dans la rade de Sourabaya. Il étoit chargé d’une lettre par laquelle le gouverneur de cet établissement prévenoit M. d’AURIBEAU, qu’il avoit ordre de M. AALTING, gouverneur général de l’Inde, de nous recevoir dans le port, et de fournir à tous nos besoins. Il ajoutoit que nous y joui­rions des avantages et prérogatives que l’on est dans l’usage d'accorder 1793.
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aux vaisseaux des puissances amies ; et qu'il avoit donné ordre de nous envoyer des pilotes pour nous y faire entrer. M. D'AURIBEAU cru alors pouvoir profiter des offres que l'on venoit de nous faire. En conséquence, aussitôt que les pilotes furent arrivés, il fit le signal d'appareiller, et nous donnâmes dans la passe. Nous fûmes obligés de laisser tomber l'ancre le même jour devant le village de Gresset. Le lendemain, 27 octobre, 27. à sept heures du soir, nous mouillâmes à l'entrée de la rivière de Sourabaya, par dix brasses d'eau, fond de vase.

Arrivés à Sourabaya, nous y avons fait les observations astronomiques que l’on trouve à la fin du deuxième volume ; elles ont servi à déterminer avec précision la position géo­graphique de cette ville, et à corriger celle de tous les lieux dont nous avions eu connoissance entre la Nouvelle-Guinée et l’île de Java. La campagne des frégates LA RECHERCHE et l’ESPERANCE finit à l’époque où ces opérations ont été achevées. Les détails des événemens ultérieurs sont égale­ment étrangers au voyage du contre-amiral DENTRECASTEAUX et au but que le Gouvernement s’étoit proposé, tant sous le rapport de la science, que sous celui de la recherche de

M. DE LA PEROUSE.
TABLES
DE LA ROUTE DE LA RECHERCHE,
PENDANT LES ANNÉES
1791, 1792, 1793.

Nota. Ces Tables indiquent, pour chaque jour, la hauteur du baromètre et celle du thermomètre, les vents qui ont régné et l’état du ciel, la position du vaisseau à midi, et l’in­clinaison de l’aiguille aimantée, aux époques où elle a pu être observée.

Les latitudes et les longitudes qui sont dans cette Table de route, sont celles des points où la frégate LA RECHERCHE se trouvoit tous les jours à midi. On doit prévenir que les positions que l’on a données aux mêmes points sur les cartes de M. BEAUTEMPS-BEAUPRE, diffèrent quelquefois d’une ou de deux minutes d’avec celles-ci, parce qu’elles sont corrigées d’après des opérations trigonométriques. 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A 4h 0m de E à A 27° 45’
G 2. 30. A droite
D 25. 25.
F 55. 40.
47, vase molle.

Viré et porté vers le pavillon A ; 42; 37, sable; 37 ; 36, sable; 36; 36, sable; 34; 34, sable; 32.

A 4h 10m de E à A 33° 0’
D 27. 0.
F 73. 55.
31, roche.

33; 35, sable; 35; 35, sable; 35; 35, sable; 36; 37, sable; 41, vase; 41.

A 4h 20m de E à A 40° 30’
D 27. 29.
F 88. 50.
I, après 27. 0.
43, vase noire.

Viré et porté au S. E.; 41; 40, vase; 38; 36, sable; 34; 34 ; 33, sable; 31; 31, roche.

A 4h 24m de E à A 37° 20’
D 22. 45.
F 70. 5.
28, roche.

25; 25; 23, roche; 23; 21, roche; 19; 19; 26, roche; 26, roche; 27.

A 4h 29m de E à A 35° 15’
D 21. 0.
F 61. 40.
29, roche.
31; 34, sable; 33, sable; 35, sable; 35; 37, sable; 38.
A 4h 36m de E à A 32° 30’
D 18. 50.
F 52. 0.
41, vase.

Viré et porté au N. O; 38; 35, sable; 33, sable; 31, roche.

A 4h 41m de E à A 39° 19’
D 16. 30.
F 58. 10.
31, roche.

31, roche; 31, sable; 35, sable; 37, sable; 41, sable.

A 4h 50m de E à A 46° 25’
D 15. 15.
F 64.53.
47, vase.

Porté au S. O.; 44, vase; 44; 42, vase; 41; 41; 41; 41; 41; 39, sable; 39; 39, sable; 39; 38, sable; 37; 35, sable; 37; 40; 40; 40; 42, vase; 43; 45.

A 4h 56m de E à A 36° 56’
D 12. 0.
F 46. 55.
51, vase.

Viré et porté au N.O.; 47, vase; 43, sable; 40, sable; 38, sable.

A 5h 6m de F à D 40° 42’
E 50. 46.
A 93. 35.
35, sable.

40, sable; 46, vase; 55, vase.

A 5h 10m de E à F 53° 0’
A 49. 15.
D 7. 40.
60, vase molle.

Viré et porté au S. O.; 59, vase; 58; 57, vase; 52; 52, vase; 52; 52; 51, vase; 52; 52; 53, vase; 53; 54, vase; 54; 57, vase.

A 5h 19m, de A par I à E 36° 51’
F 76. 20.
59, vase.

Gouverné dans l'alignement des points A, I; 57; 57; 57, vase; 57; 57; 57, vase; 57; 57; 58; 58, vase. A 5h 32m, 59; D par E, 5h 32m; 59; 61, vase; 60; 66; 68, vase; 69; 69; 69, vase; 69; 69; 69, vase; 68; 67; 64, vase; 64; 64; 63, vase. A 5h 45m, H par G, 63; 58, vase; 49, vase; 39, sable; 34, sable; 24, sable; 16, sable; 13, roche; 11.

Arrivé sur le pavillon A, à 5h 32m, et terminé les sondes. Le vent a été d'une force modérée toute la journée, et la mer belle. Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/709 Lorsqu’on a sondé pendant plusieurs jours sur la même partie de côte, et qu’on a beaucoup de matériaux à employer, il est presque toujours indispensable, à cause de la grande quantité de lignes qu’il faut tracer pour placer les points de station, de faire usage d’un plan de construction semblable à celui qui est représenté fig. 21. Tous les objets terrestres dont les positions ont été déter­minées, et sur lesquels on a pris des angles pour fixer les points de station du canot, doivent être portés sur ce plan ; ensuite on tire des lignes de l’un à l’autre de ces objets, et on élève des perpen­diculaires au milieu de chacune de ces lignes : enfin, on trace tous les alignemens dans lesquels on a fait des observations en sondant.

Le plan de construction étant ainsi disposé, l’on peut juger avec quelle facilité les points de station s’y placent par l’une ou par l’autre des opérations graphiques dont il a été parlé ci-dessus. On peut se servir de ce plan pour diriger la route du canot quand on veut aller se placer sur un point qu’il est important de sonder, ou dont on veut vérifier le brassiage.

C’est ordinairement par le moyen des circonférences de cercle décrites sur les distances observées, que nous plaçons nos points de station, parce que cette construction est d’une exécution très-prompte ; nous faisons communément usage d’un bon rapporteur, dont l’alidade, assez longue pour atteindre les perpendiculaires élevées au milieu des plus grands côtés observés, donne sur-le-champ les centres des cercles à décrire, sans que l’on ait besoin de tracer une seule ligne.

Ainsi , ayant eu à fixer sur le plan la position du canot à 4h 50m, instant où

l'on trouva de E à
F 65° 0’
D 15. 20.
A 46. 15.

j’ai placé d’abord le diamètre du rapporteur sur le côté EF et le centre en F ; ensuite j’ai amené l’alidade sur 25°, complément de 65°, et cette alidade a coupé la perpendiculaire élevée au milieu de EF, au centre a du cercle qui devoit passer par E, par F et par le point de station K. J’ai trouvé de même le centre b du cercle qui devoit passer par A, par E et par le point de station, en plaçant le diamètre du rapporteur sur le côté AE, et le centre en A ; ensuite j’ai amené l’alidade sur 43° 45’, complément de 46° 15’. Comme on sait presque toujours dans quelle partie du plan doit se trouver le point de station, l’on ne décrit que de très-petites parties vx, yz des cercles passant par les points A, E, F et par le point de station. Nous avons vérifié la position K, au moyen de l’angle pris de E à D, de la manière suivante : du centre a on a décrit l’arc Ed, sur lequel on a pris l’arc Ee égal au double de la valeur de l’angle sous lequel avoit été observé le côté ED ; et par les points D, e, on a mené une ligne De, qui, étant prolongée, a passé par le point d’intersection des cercles décrits sur les côtés EF, EA ; ce qui a donné la preuve que le point K étoit effectivement le lieu où avoit été faite l’observation de 4h 50m.

On pouvoit encore vérifier la position du point K, en construisant un cercle, soit sur le côté AF, considéré comme corde d’une valeur double des deux angles observés AKE, EKF, soit sur l’un des côtés AD, DE et DF : mais la méthode que nous venons d’employer, mérite la préférence.

Nous faisons usage du calcul dans beaucoup de circonstances, pour trouver les rayons et les centres des cercles à décrire ; mais plus souvent nous nous contentons de trouver les centres a, b, au moyen de l’échelle des parties égales d’un bon compas de proportion, de la manière suivante :

Pour trouver le centre a du cercle à décrire sur le côté EF considéré comme corde de 65° x 2 = 130°, nous prenons la longueur de EF, c’est-à-dire la ligne Eg, avec un compas ordinaire, dont nous portons les pointes sur l’échelle des parties égales du compas de proportion, que nous ouvrons de manière à donner à cette ligne Eg, considérée comme rayon, une valeur de 100 parties ; ensuite, pour connoître la longueur de la ligne ga, qui dans cet exemple représente la cotangente de 65°, nous prenons dans les tables la valeur de cette cotangente, qui est de 46,63 parties. Si on avoit fait Eg de 200, 300, 400 ou 500 parties égales, ga eût valu 46,63 x par 2, par 3, par 4 ou par 5.

On trouve le centre b du second cercle à décrire, en faisant, dans l’exemple ci-dessus, AE, c’est-à-dire la ligne Ah, de 100, 200, 300, 400 ou 500 parties égales, et en portant du point h au point b la valeur de la cotangente de 46° 15’ exprimée en parties de AE.

Nous ne saurions trop recommander l’usage des tables des tan­gentes naturelles pour trouver les centres des cercles à décrire, parce que c’est un moyen très-exact, quand on ne connoît pas la valeur numérique des côtés observés, et quand on n’a pas le temps d’employer le calcul pour déterminer toutes les positions d’où l’on a pris des angles. Nous recommandons aussi l’usage des tables des sinus naturels, pour trouver, sans décrire les arcs, des points tels que le point e, qui doivent servir à des constructions et à des véri­fications importantes.

Nous aurions assigné la position du point e dans notre exemple, soit au moyen du rapporteur, en faisant du centre a, et avec le rayon Ea, un angle Eae égal au double de l’angle observé EKD, soit en faisant en E, et avec le côté EF, l’angle FEf = DKF = 49° 40’ ; puis en portant sur la ligne Ef la distance Ee égale au sinus de 15° 20’ x 2 = 26,443 X 2 = 52,886, nombre qui eût dû être

multiplié

multiplié par 2,3,4 ou 5, si l’on eût donné pour valeur au rayon, 200, 300, 400 ou 500 parties égales.

Quand l’angle EKD, sous lequel a été observé le côté D E est très-petit, c’est particulièrement alors qu’il faut se servir des sinus naturels pour trouver le point e ; il faut encore en faire usage pour construire les angles au moyen desquels on doit trouver les centres des cercles à décrire, quand on n’a pas d’assez bons rapporteurs pour pouvoir compter sur une grande exactitude.

Si les côtés observés étoient aussi petits que ceux qui sont tracés sur le plan de construction (fig. 21), on pourroit, dans bien des cas, trouver, sans le secours des perpendiculaires élevées au milieu de ces côtés, les rayons et conséquemment les centres des cercles à décrire, par l’échelle des cordes d’un compas de pro­portion ; mais, outre que ce moyen est rarement praticable à cause de la trop grande longueur des côtés observés, il a le désavantage de ne pas être exact quand l’angle observé approche de 90°, et quand il est très-aigu : aussi ne l’employons-nous presque jamais.

Enfin, on trouveroit encore, sans le secours des perpendiculaires, le centre d’un cercle à décrire sur un côté quelconque, en faisant à chaque extrémité de ce côté un angle égal au complément de celui sous lequel il a été observé ; mais cette méthode n’est exacte ni quand l’angle est très-petit, ni quand il approche de 90°, et l’on ne doit pas s’en servir.

Aussitôt que la route d’une journée, telle que celle du 12 octobre......, est placée, nous appliquons un papier blanc sous le plan de construction, et nous y rapportons cette route, en piquant tous les points qui ont été fixés par des observations, ainsi que quelques objets remarquables de la côte (voyez fig. 22) : ensuite nous procédons à la réduction des sondes qui s’écrivent sur la route isolée, et nous reportons, au moyen d’un calque, les sondes réduites sur le plan (fig. 23), qui doit présenter l’ensemble de toutes les opérations.

De la Réduction des Sondes.

Réduire des sondes, c’est ôter du brassiage trouvé sur tous les points d’une côte qui ont été sondés, à des jours différens et à toutes les heures de la marée, le nombre de pieds convenable, pour ne porter sur le plan que les profondeurs de l’eau que l’on trouveroit sur ces mêmes points à l’instant précis de la plus basse mer.

Pour faire la réduction des sondes avec exactitude, il faut avoir observé, sur une échelle placée au bord du rivage, l’élévation de la mer de 10 en 10 minutes, ou de 15 en 15 minutes, pendant toute la durée des opérations, et connoître à quel point de cette échelle la mer descend dans les plus grandes marées ; ce que l’on peut savoir par des observations faites à l’époque des équinoxes, ou en comparant l’échelle sur laquelle on fait des observations journa­lières, avec une autre échelle fixe et peu éloignée du lieu où l’on sonde.

Cette comparaison, qui doit être répétée plusieurs jours de suite, se fait en observant, en même temps, les marées sur les deux échelles ; et comme l’on sait, d’après l’échelle fixe, de com­bien la mer s’est tenue chaque jour au-dessus de son niveau le plus bas, il est aisé alors d’en conclure quel est le point où elle descend le plus à l’échelle d’après laquelle on doit faire les réduc­tions de sondes. Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/715 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/716 les opérations du 12 octobre....., parce que la division de 1 pied 1 pouce est, ainsi que nous l’avons déjà dit ci-dessus, celle où descendroit la mer les jours où elle arriveroit à son niveau le plus bas.

Si l’on avoit eu à faire un tableau de réduction pour des sondes prises près du port A, il eût fallu ôter 5 pieds de toutes les hauteurs qui auroient été observées sur l’échelle de ce port.

On verra que quand nous avons trouvé qu’il falloit retran­cher un certain nombre de pieds et une fraction plus forte que 5 pouces, alors nous avons toujours forcé les réductions. Ainsi, quand nous avons trouvé qu’à une heure quelconque il falloit ôter aux sondes 2 pieds 6 pouces, nous avons ôté 3 pieds ; mais quand la réduction s’est trouvée de 2 pieds, 1, 2, 3 ou 4 pouces, nous n’avons ôté que 2 pieds.

Quand on a travaillé entre deux des points où l’on a fait observer l’élévation de la mer de 10 en 10 minutes, on indique sur le tableau les corrections qui sont données par les deux échelles pour les mêmes instans ; et l’on réduit les sondes, en ayant égard à la position de chacune de ces sondes par rapport aux lieux où sont placées les échelles.

Ainsi, par exemple, si l’on avoit sondé le 12 octobre.. . . entre le port A et le pavillon C, on auroit dressé le tableau de réduction de cette manière : Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/718 ayant pris les sondes suivantes depuis 5h 10m jusqu’à 5h 19m, 59 ; 58 ; 57 ; 52 ; 52 ; 52 ; 52 ; 51 ; 52 ; 52 ; 52 ; 53 ; 53 ; 54 ; 54 ; 57 ; nous n’avons placé sur le plan que celles qui sont soulignées.

Il n’est pas nécessaire, je pense, de faire observer à ceux qui adopteront notre méthode pour lever et dresser des plans, qu’il faut fixer un grand nombre de points par des opérations trigonométriques quand on veut obtenir des résultats très-exacts. Nous ne saurions trop répéter que la moindre négligence à cet égard peut occasionner des erreurs extrêmement graves. A moins que l’on ne sonde dans l’alignement de deux signaux, on n’est jamais sûr de faire une route directe ; et des observations fréquentes peuvent seules faire connoître les changemens qui surviennent dans les directions des routes, soit par l’effet du courant, soit par l’effet de la négligence de la personne qui gouverne le canot. Nous avons appris par expérience qu’il falloit répéter souvent les observations, même quand le brassiage ne changeoit pas.

Après avoir fait connoître les moyens que nous employons pour fixer les positions des sondes, des roches, des bancs, &c., nous ne saurions trop recommander de mettre le plus grand soin dans les opérations trigonométriques que l’on fait à terre pour fixer les positions des signaux et des autres objets sur lesquels en sondant on doit prendre des angles : il faut aussi dresser le plan de cons­truction avec une grande exactitude. Dans certains cas, la moindre erreur sur la position d’un signal pourroit en occasionner de très-grandes sur les positions des points d’où il auroit été observé. Au reste, nous devons dire que, quand un signal avoit été mal placé sur le plan de construction, nous nous en apercevions toujours, soit en plaçant les points de station, soit en vérifiant leurs positions : c’est encore là un des grands avantages que notre manière de lever les plans a sur celle qui a été employée jusqu’à ce jour. Lorsque les opérations demandent une grande exactitude, nous déterminons les positions des signaux A,B,C,D,E,F (fig. 23), qui sont placés sur le rivage, et celles des objets remarquables G,H,I, qui se trouvent, tant sur la côte que dans l’intérieur des terres, par des observations faites avec un excellent cercle azimuthal, de la construction de M. Lenoir ; mais quand il faut opérer avec une très-grande célérité, nous employons le cercle à réflexion. C’est toujours d’après des observations faites avec ce dernier instrument, que nous fixons les points de station intermédiaires 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, &c., qui servent à tracer tous les contours de la côte et la topographie des terres environnantes.

Ces points de station intermédiaires se placent sur le plan de construction, de la même manière que les points de station des canots : nous avons l’attention de figurer sur des croquis les contours des parties de côte comprises entre deux de ces points intermédiaires ; et ces détails, joints aux vues que nous prenons ordinairement à chaque station principale, donnent les moyens de tracer la côte avec beaucoup d’exactitude.

Nous ne croyons pas devoir parler de tous les autres moyens que l’on peut employer pour lever le contour d’une côte : tout élève hydrographe en saura assez, à cet égard, après quelques mois de campagne. Nous terminerons, en disant que le cercle à réflexion peut suffire à un ingénieur hydrographe ; et nous engageons les élèves, pour qui nous avons particulièrement publié cet essai, à s’en rendre l’usage familier.

CHAPITRE III.

Analyse de la Construction de la Carte de l’Archipel de Santa-Cruz.

Après avoir fait l’exposé des moyens que nous avons employés pour recueillir les matériaux qui ont servi à dresser les cartes et plans qui composent l’Atlas du Voyage du contre-amiral Bruny-Dentrecasteaux, nous allons donner l’analyse de la construction de la carte de l’archipel de Santa-Cruz, pour faire connoître quel parti l’on peut tirer des opérations trigonométriques faites sous voiles, en les combinant avec les résultats des observations astronomiques.

Les données qui ont servi à dresser la carte de l’archipel de Santa-Cruz, se trouvent sur les vingt-trois dernières planches qui sont à la fin de ce volume ; nous les avons fait graver telles qu’elles étoient portées sur nos cahiers, afin de donner un modèle de notre manière particulière de tenir le journal des opérations trigonométriques qui se font sous voiles, lorsqu’il n’y a sur la côte aucune position connue et déterminée.

Les relèvemens qui ont été déduits d’observations astrono­miques, sont distingués sur nos vues et nos croquis de côtes par le mot azimuth.

Nous indiquons que la frégate s’est trouvée sur le méridien d’un objet terrestre quelconque, en écrivant N. et S. et l’heure du relèvement sous cet objet, soit qu’il se trouve figuré sur une de nos vues de côtes, ou sur un de nos croquis de plans. Nous indi­quons que la frégate s’est trouvée sur le parallèle d’un objet terrestre, en écrivant E. et O. et l’heure du relèvement. Ces deux espèces de relèvemens, ainsi que ceux qui ont été déduits d’observations astronomiques, sont les seuls qui soient corrigés de la déclinaison de l’aiguille aimantée ; ainsi, quand on voudra faire usage des autres relèvemens, il faudra les corriger de la décli­naison de l’aiguille, parce que nous les avons écrits sur les vues de côtes et sur les croquis de plans, tels qu’ils ont été observés avec la boussole. Lorsque deux objets remarquables ont été vus et relevés l’un par l’autre dans des directions opposées, nous avons eu l’attention d’indiquer les résultats des deux observations.

Nous allons joindre ici un tableau qui présente les résultats des observations astronomiques de MM. Rossel et Bonvouloir, pendant les cinq jours que nous sommes restés en vue des îles de l’archipel de Santa-Cruz [12]. Un second tableau présentera les résultats des différentes observations faites, pendant ce même espace de temps, pour avoir la déclinaison de l’aiguille aimantée ; et enfin cinq autres tableaux présenteront les routes de la frégate la Recherche[13] Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/723 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/724 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/725 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/726 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/727 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/728 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/729 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/730 Les dessins originaux des cartes qui accompagnent la relation du Voyage de Dentrecasteaux, ont tous été faits sur la même échelle que la carte trigonométrique de l’archipel de Santa-Cruz que nous avons fait graver (planche 19 de l’Atlas), c’est-à-dire, sur une échelle de trois lignes pour une minute de l’équateur. Toutes ces cartes ont été dressées pendant la durée même de nos opérations ; et c’est à l’attention constante que j’eus, pendant le voyage, de construire, jour par jour, la carte des parties de côtes que nous ne devions plus revoir, et même de tracer sur-le-champ une première esquisse des côtes sur lesquelles j’avois l’espoir d’obtenir de nouvelles observations, qu’est due en très-grande partie l’exactitude du travail qui est soumis au jugement du public.

Quand on construit une carte le soir même du jour où elle a été levée, on peut s’apercevoir s’il s’est glissé quelques grandes erreurs dans la suite des opérations. L’aspect sous lequel les objets se sont offerts à la vue, est encore dans la mémoire, et on reconnoît presque toujours quand un objet vu et relevé plusieurs fois se trouve désigné par une lettre différente de celle qui auroit été précédemment employée : on sait quelle a dû être la précision des observations astronomiques, en raison de l’état de l’atmosphère et de la mer ; on connoît avec quel degré d’exactitude il a été possible de mesurer les angles et de prendre les relèvemens des terres ; enfin on peut juger du degré de confiance qu’il faut accorder à l’estime de la route, &c.

Nous avons toujours pris pour premier méridien de nos cartes le méridien du dernier lieu où le mouvement journalier des montres marines avoit été vérifié ; c’est pour cela que les longitudes sont comptées du méridien de Balade sur la carte trigonométrique de l’archipel de Santa-Cruz : cette méthode est, je pense, celle qu’il convient d’adopter, quand on ne connoît pas exactement la longitude du lieu où l’on a vérifié le mouvement des montres. Nous ne croyons pas devoir parler des premières opérations que nous avons faites sur notre carte pour employer les matériaux recueillis à la merles 19, 20 et 21 mai ; nous nous contenterons de dire que, sans avoir égard aux corrections que pouvoient nécessiter les observations subséquentes, nous avons figuré au crayon, dans la nuit du 21 au 22 mai, les détails de la côte méridionale de l’île Santa-Cruz. Le 22 mai au soir, nous avons commencé à travailler à la construction de la côte septen­trionale de la même île. Enfin, le 23 après midi, la frégate fit route pour les îles Salomon ; nous perdîmes bientôt la terre de vue, et je commençai sur-le-champ la rédaction définitive de ma carte.

Les points de la route de la frégate La Recherche qui avoient été déterminés, soit en latitude, soit en longitude, par des obser­vations astronomiques, furent d’abord placés sur la carte , tels qu’ils nous avoient été donnés par M. Rossel, et tels qu’ils se trouvent dans le premier tableau annexé à ce chapitre ; ensuite, notre attention se porta sur ceux de ces points d’où l’on pouvoit conclure avec précision les latitudes et les longitudes des prin­cipaux caps de l’île Santa-Cruz, en ayant égard aux circonstances plus ou moins favorables qui avoient accompagné chacune des observations astronomiques. Cet examen nous fit voir que le point de station du 21 mai à midi étoit extrêmement favorable pour déterminer la latitude de la pointe méridionale de l'île Howe I ; et nous aurions certainement fait usage de la latitude que MM. Rossel et Bonvouloir avoient observé à ce point, si nous n'avions pas jugé qu'elle devoit être affectée de quelque erreur : car la frégate s'étant trouvée, le 21 mai à midi, trop près de la côte de Santa-Cruz, on avoit été obligé d'observer le supplément de la hauteur du soleil ; et l’on pouvoit craindre, sinon une grande erreur, du moins une erreur de 1 à 2 minutes sur les latitudes.

Ne pouvant compter sur l’observation du 21 mai à midi, je fus obligé de recourir aux observations du 20 pour fixer la latitude des principaux points de la côte méridionale de Santa-Cruz et la lon­gitude du cap Byron. Ce jour-là, le temps avoit été extrêmement favorable pour les observations de tout genre : le point où les angles horaires avoient été observés le matin à 8h 19m, étoit avan­tageusement situé pour en déduire la longitude de la pointe orien­tale de l’île Santa-Cruz ; et le point de midi ne l’étoit pas moins pour servir à fixer la latitude du cap Mendaña S.

Après avoir reconnu qu’il convenoit d’adopter pour base de notre construction les observations astronomiques du 20 mai, nous avons cherché à déterminer de la manière suivante la position du point H, qui est près du cap Byron, afin de nous servir ensuite de cette même position pour trouver la longitude du point de midi du même jour.

À partir du point de station de 8h 19m qui avoit été placé avec une latitude déduite de l’estime, nous avons tracé le relèvement pris sur le point H ; ensuite, ayant reconnu que ce même point H ne pouvoit être bien fixé en latitude qu’au moyen du relèvement pris le 22 à midi, nous avons provisoirement placé la position du 22 à midi, à 1° 25′ 30″ de longitude, d’après les observations de ce jour. Nous avons tracé, à partir du point de midi du 22, le relèvement qui, de cette station, avoit été pris sur le point H ; et l’intersection de la ligne de ce relèvement, avec celle du relèvement qui avoit été fait à la station du 20 à 8h 19m du matin, a placé le point H par 10° 40′ 40″ de latitude et 1° 39′ 10″ de longitude.

La position du point H, trouvée, ainsi que nous venons de l’expliquer, ne pouvoit guère s’éloigner de la véritable position, parce que le relèvement du 20 à 8h 19m étoit très-favorable pour en déduire la longitude, et que le relèvement du 22 à midi ne l’étoit pas moins pour en déduire la latitude. Cette première opération nous donna la possibilité d’assigner la longitude du point de station du 20 à midi, avec une exactitude bien supérieure à celle que nous aurions pu attendre de l’emploi de la route estimée.

On verra, en jetant les yeux sur la carte, que la longitude du point de station du 20 mai à midi, trouvée de 1° 42′ 30″ par le relèvement du point H, ne pouvoit varier d’une minute que dans le cas où la position provisoire du point H auroit subi un changement qui n’étoit pas présumable, puisqu’il eût fallu, pour l’opérer, une très-grande erreur commise, soit sur la latitude du point d’observation d’angles horaires du 20 à 8h 19m du matin, soit sur la longitude adoptée pour le 22 à midi.

La différence en longitude entre la position du point du 20 à midi et le point de 8h 19m du même jour, se trouva de 3′ 40″, au lieu de 4′ 45″ que donnoit la route estimée. La longitude du point de station du 20 à midi étant fixée provisoirement, nous nous sommes servis du relèvement pris à cette station sur le cap Mendaña S pour déterminer la latitude de ce cap : mais, avant de fixer sa latitude, il falloit trouver sa longitude ; et voici com­ment nous l’obtînmes. Le 21, à 3h 2m du soir, lorsque nous fûmes parvenus sur le méridien du point T ou cap Boscawen, M. Rossel observa des hauteurs du soleil, qui donnèrent pour longitude 1° 18′ 23″ ; mais depuis 1h 30m, instant où nous nous étions trouvés sur le méridien du cap S, jusqu’à 3h 2m, instant des obser­vations, la route avoit été dirigée presque directement à l’Ouest, et avoit été parcourue, par une très-belle mer, avec une vîtesse de plus de quatre nœuds par heure : en conséquence, nous jugeâmes qu’elle devoit être assez exacte pour donner, à très-peu de chose près, la différence en longitude entre les caps S et T. D’après cette route, la partie orientale du cap S a été placée à 6’ 30” dans l’Est du cap T c’est-à-dire, par 1° 24’ 53” de longitude orientale [14]

Le point où la ligne du relèvement fait sur le cap S le 20 à midi, rencontre le méridien de ce cap, nous a donné sa position en latitude d’une manière assez certaine : en effet, pour qu’elle eût varié d’une minute, il auroit fallu que la longitude adoptée eût été en erreur d’environ 7’  ; ou que la longitude du point de station du 20 à midi eût été affectée d’une erreur que nous étions fondés à regarder comme impossible. Nous nous sommes servis du relèvement fait sur le cap S au point de station du 20, à 8h 19m du matin, pour vérifier la latitude de ce point d’obser­vation, que nous n’avions pu déterminer que d’après la route estimée ; et nous avons trouvé qu’il avoit été porté de 30” trop au Nord. La latitude vraie du point de station de 8h 19m, est de 10° 59’ 30” : sa longitude, qui m’avoit été donnée par M. Rossel, de 1° 45’ 59” à l’Orient du méridien de Balade, est celle à laquelle nous comparerons toutes les longitudes qui ont été ob­servées les 19, 21, 22 et 23 mai.

Le point de station du 20, à 8h 19m, étant fixé définitivement en latitude et en longitude, nous avons tracé de nouveau le relè­vement du point H ; ce qui nous a donné la position de ce point avec plus d’exactitude que nous ne l’avions eue précédemment mais elle différoit si peu de la première, qu’elle n’occasionna pas plus de 20” de changement sur la longitude du point de station du 20 mai à midi. Le point de station du 20 à midi, au lieu d’être par 1° 42’ 30”, se trouva par 1° 42’ 10”. Une si petite différence sur la longitude de cette position importante n’en produisit aucune sur la latitude du cap S, et me prouva que je ne devois plus craindre de grandes erreurs sur la dernière longitude trouvée, puisqu’un changement de 2 à 3’ sur la longitude du point de station du 22 à midi pouvoit seul la faire varier, et encore d’une manière trop peu sensible pour influer sur la position en latitude du cap qu’il m’importoit de connoître avec une grande exactitude.

La différence de méridien entre les caps S et T ayant été fixée comme il a été dit ci-dessus, et la latitude du cap S ayant été considérée comme ne devant plus varier, nous nous sommes occupés à placer le cap T en latitude ; et nous avons tracé, à partir du cap S, le gisement des caps S et T conclus des gisemens observés le 21 à 1h 21m, dans la direction TS, à l’Est du cap S, et à 3h 19m dans la même direction, mais à l’Ouest du cap T.

Nous ne répéterons pas ici ce que nous avons dit dans le cha­pitre I.er, sur les différences considérables que l’on trouve dans les gisemens des mêmes points vus et relevés dans des directions oppo­sées, même quand on observe avec la plus scrupuleuse attention des objets dont les formes sont bien terminées : nous nous contenterons de dire qu’il faut employer ces gisemens avec circonspec­tion, quoiqu’on puisse en tirer de grands avantages dans beaucoup de circonstances. Dans cet exemple, les deux points qui ont été relevés se trouvant peu éloignés l’un de l’autre, et la différence entre les gisemens observés n’étant que de 2° 30’, nous avons pu employer le gisement moyen sans craindre d’erreur sensible.

La position du cap T ayant été déterminée ainsi qu’il a été dit ci-dessus, nous avons conclu la latitude du point de station du 21 à 4h 32m, de la latitude corrigée de la station de 3h 2m et

de

de la route estimée ; elle est de 10° 45’ 40”. Cette latitude ne peut être en erreur que de quelques secondes ; car la partie de route dont nous l’avons déduite, étoit presque directe, et avoit été parcourue sous le vent de l’île Santa-Cruz par un temps des plus favorables.

Les angles horaires observés à 4h 32m ont été calculés avec la latitude donnée ci-dessus ; et la longitude qui en a été conclue est de 1° 19’ 18", c’est-à-dire que cette observation nous plaçoit à 55” dans l’Est du méridien du cap T, ou, pour mieux dire, du point de station de 3h 2m. Il me fut aisé de reconnoître que l’une de ces deux observations de longitude étoit fautive ; car à 3h 2m j’avois relevé le cap U au Nord 34° 35’ Ouest, et à 4h 32m je l’avois relevé au Sud 25° Est. La route avoit donc pris de l’Ouest, au lieu d’avoir pris de l’Est, comme les observations astronomiques sembloient l’indiquer. Pour trouver, d’après les opérations trigonométriques, la différence en longitude entre les points de station de 3h 2m et de 4h 32m, je plaçai premièrement le cap U, au moyen du relèvement pris sur ce cap à 3h 26m, et au moyen de son gisement par rapport au cap T qui avoit été observé à 2h 49m.

Lorsque nous eûmes déterminé la position du cap U aussi bien qu’il étoit possible, nous en fîmes usage pour trouver les longitudes du point de station de 4h 32m et du cap V, qui avoit été relevé par U, à 5h 0m. La longitude du point d’observation de 4h 32m trouvée par les opérations trigonométriques, est de 1° 16’ 15" : l’observation avoit donné 1° 19’ 18" ; ainsi les résultats des angles horaires observés à 3h 2m et à 4h 32m diffèrent de 3’ 3”.

M. Rossel recommença plusieurs fois les calculs de ces obser­vations : mais il eut toujours les mêmes résultats ; et il nous fut démontré que la cause de la différence que nous avions trouvée, tenoit à la nature même de cette espèce d'observation, puisque les hauteurs du soleil avoient été prises avec soin et que le temps étoit très-favorable [15]

Il devenoit assez important de reconnoître, avant d’aller plus loin, à laquelle des deux longitudes observées on devoit donner la préférence ; et nous n’avions que les observations du 19 mai à midi qui pussent être employées pour cette vérification. En consé­quence, nous traçâmes sur la carte le parallèle sur lequel se trouvoit la frégate le 19 mai à midi ; ensuite nous assignâmes sa longitude à la même heure, d’après le relèvement pris sur le cap Byron, ou, pour mieux dire, sur le point H qui étoit alors en vue. A partir de ce point de midi, nous traçâmes le relèvement du cap T, lequel fut conclu d’un angle observé du haut des mâts ; et nous reconnûmes que ce cap, dont nous étions fondés à regarder la latitude comme certaine, devoit être placé par 1° 16’ 45” de longitude, c’est-à-dire environ 1’ 30” à l’Ouest de la longitude déduite de l’observation faite le 21 à 3h 2m.

Le relèvement pris sur le cap T le 19 à midi, ne me parut pas, à la vérité, une donnée suffisamment exacte pour m’obliger à aban­donner la longitude qui avoit été observée sur le méridien de ce cap : mais il servit au moins à me prouver que je devois aban­donner la longitude déduite des angles horaires observés le 21 à 4h 32m ; puisque si j’avois adopté cette longitude, il eût fallu porter le cap T à 1° 21’ 20” de longitude, c’est-à-dire à 4’ 35” dans l’Est de la longitude déduite du relèvement du 19 mai à midi, et à 2’ 57” dans l’Est de celle qui avoit été déduite des observations faites lorsque nous passâmes sur son méridien.

Après cet examen, nous regardâmes comme bien placés les caps S, T, U, V, ainsi que le point de station de 4h 32m, tel que nous l’avions obtenu par les relèvemens ; et dès-lors nous n’eûmes aucun égard au résultat des observations astronomiques qui avoient été faites par M. Rossel à cette station.

Du point .de station de 4h 32m corrigée, nous traçâmes les relèvemens pris sur l’île Z, ou du Volcan, dont il importoit de fixer la position, afin de rectifier la longitude de la station du 22 à midi et celle du point H. Ensuite, nous plaçâmes provisoirement la pointe basse K du cap Byron, qui est à environ 30” dans l’Est du point H ; puis, à partir de cette pointe, nous traçâmes le gisement de la pointe S. O. de l’île Z, qui avoit été observée le 22 mai à 8h 5m du soir, et nous eûmes la position de cette-pointe de l’île Z, avec un degré d’exactitude suffisant pour pouvoir en déduire la longitude du 22 à midi, à quelques secondes près. La pointe S. O. de l’île Z se trouva placée provisoirement par 10° 24’ de latitude et 1° 19’ 15” de longitude. Cette même pointe avoit été vue et relevée deux fois dans la soirée du 21 par le cap V, savoir à 3h 30m et à 5h 35m, et l’on auroit encore pu en conclure la position ; mais le cap V étoit si voisin du point de station de 4h 32m, qu’il eût été imprudent de compter sur le résultat obtenu par ces relèvemens.

La longitude du point de midi du 22, trouvée par le moyen du relèvement qui avoit été pris à cette heure sur la pointe S. O. de l’île Z, étoit de 1° 24’ 10”, au lieu de 1° 25’ 30” comme nous l’avions d’abord supposée, d’après les longitudes observées le même jour.

Le point de station du 22 à midi se trouvant fixé en longitude, à quelques secondes près, nous arrêtâmes aussi définitivement la position du point H, qui à peine varia en longitude, et qui fut porté d’environ 20” dans le Sud de la latitude que nous lui avions d’abord assignée. Par suite du petit déplacement du point H, la position du 20 à midi fut reportée de quelques secondes à l’Est ; la position de la pointe S. O. de l’île du Volcan varia aussi d’une manière peu sensible, tant en latitude qu’en longitude, et je la fixai définitivement à 10° 24’ 10” de latitude et à 1° 19’ 14” de longitude. Cette nouvelle position de la pointe S. 0. de l’île Z me donna le moyen de vérifier de nouveau la longitude du 22 à midi, et je la trouvai définitivement de 1° 24’ 6”.

N. B. Nous avons rapporté au point H le relèvement qui avoit été pris le 22 à midi sur la pointe orientale de l’île Santa-Cruz, parce que le cap Byron K, qui est extrêmement bas, ne pouvoit être aperçu à cette heure ; mais comme nous connoissions la position de ce cap d’après d’autres observations, nous l’avons placé à 30” dans l’Est du point H. C’est-là une de ces considérations auxquelles on ne peut avoir égard que quand on construit les cartes peu de temps après avoir perdu les objets de vue ; car, comment conserver, après un long espace de temps, le souvenir de détails de ce genre, quand on n’a vu pour ainsi dire qu’en passant les parties de côte sur lesquelles on a opéré !

Lorsque nous eûmes fixé d’une manière définitive les positions des pointes N. E. et S. O. de l’île de Santa-Cruz, ainsi que plu­sieurs des points de la route de la frégate où l’on avoit fait des relèvemens, nous dûmes placer le cap Q, qui est la pointe la plus septentrionale de cette île, parce que la position de ce cap devoit ensuite servir à trouver la latitude de la pointe Nord de l’île Trévanion, que nous avions relevée dans le même alignement presque Est et Ouest du monde. Le cap Q devoit servir aussi à fixer la position du point d’observation du 22, à 8h 5m du matin. Après avoir tracé, à partir de la pointe K, le gisement du cap Q par rapport à K, qui avoit été observé au point de station du 23, à 9h 5m du matin, je fixai ce point de station à 1° 32’ 30” de lon­gitude, d’après le relèvement pris à la même heure sur le milieu de l’île du Volcan Z.

Le point de station du 23, à 9h 5m, étant fixé, nous plaçâmes celui de 8h 33m, en nous servant du relèvement pris sur le cap K et du chemin fait en longitude, depuis 8h 33m jusqu’à 9h 5m. Ensuite, avec le relèvement pris sur le cap Q au point de station de 8h 33m, nous assignâmes la position de ce cap, lequel devoit nous aider, ainsi que nous l’avons déjà dit, à fixer celle de la pointe Nord de l’île Trévanion.

Nous considérons la latitude du cap Q, déduite des opérations dont nous venons de rendre compte, comme étant très-bonne : car, pour qu’elle variât de 10 à 12”, il faudroit qu’il y eût au moins une erreur d’un mille sur la position de la station de 8h 33m ; ce qui me paroît impossible, puisque le relèvement pris le 22 à midi sur le cap Q, donne la même position que le relèvement de 8h 33m.

A partir du cap Q, nous avons ensuite tracé le gisement de ce cap par rapport à la pointe septentrionale de l’île Trévanion ; et nous avons obtenu la latitude de cette pointe plus exactement que nous n’aurions pu le faire par les opérations du 21 au soir et du 22 à midi. La pointe Nord de l’île Trévanion se trouve par 10° 39’ 50” de latitude et 1° 20’ 25” de longitude.

Nous fixâmes ensuite le point de station du 22 à 8h 5m, au moyen des relèvemens pris sur le cap Q, sur le cap V et sur la pointe S. O. de l’île Z. Je vérifiai la position de la pointe Nord de l’île Trévanion avec les relevemens pris à 8h 5m, et j’eus la satisfaction de trouver le plus grand accord entre les opérations au moyen desquelles elle avoit été placée et celles qui servoient à en vérifier la posi­tion. Nous avons fait usage des relèvemens pris sur la pointe Sud-Ouest de l’île Z et sur le cap K pour placer la station du 22 à 4h 36m du soir : elle est par 10° 37’ 35” de latitude et 1° 26’ 22” de longitude. Du point de station de 4h 36m, nous avons vérifié une seconde fois la position de la pointe Nord de l’île Trévanion, et nous avons trouvé que cette pointe étoit placée avec toute l’exactitude qu’il étoit possible d’attendre des données dont nous faisions usage pour dresser notre carte. Le point de station du 21 à 8h 5’ du matin, déduit de nos opérations, se trouvant, ainsi que nous venons de le dire, par 1° 19’ 30” de longitude, tandis que les observations astronomiques donnoient 1° 21’ 48”, il en résulte que les opérations trigonométriques nous plaçoient, à 8h 5m, de 2’ 18” dans l’Ouest de la longitude obtenue par la montre ma­rine n.° 14. Les opérations trigonométriques qui ont servi à placer le point de station du même jour à 4h 36’ du soir, indiquoient aussi que le résultat des observations astronomiques faites à cette heure, étoit trop Est de 2’ 43” ; car cette station se trouvoit par 1° 26’ 22”, tandis que la montre donnoit 1° 29’ 6”.

Ces différences entre les résultats des observations astrono­miques du 22 mai et les résultats des opérations trigonométriques, qui étoient dans le même sens et à-peu-près de la même quantité que la différence trouvée entre la longitude donnée par la montre le 21 à 4h 32m et la longitude que nous avons adoptée pour ce point de station, nous firent craindre de nouveau qu’il n’y eût quelque erreur dans le résultat des observations du 21 à 3h 2m. En consé­quence M. Rossel recommença le calcul de ses angles horaires ; mais il trouva la même longitude. Je recommençai aussi la construction de ma carte ; et, après avoir fait subir au point de midi du 19, le petit changement en longitude qu’il devoit éprouver à cause du déplacement du point H, nous trouvâmes une seconde fois qu’il eût fallu supposer une erreur trop grande, soit sur les latitudes observées les 19 et 20 mai, soit dans la distance angulaire prise du haut des mâts le 19 à midi, entre le point H et le cap T, pour pouvoir se permettre de rejeter le résultat de l’observation de longitude du 21 mai à 3h 2m du soir. D’ailleurs l’observation faite par M. Rossel au point de station du 23 mai à 9h 5’ du matin, laquelle donnoit pour longitude 1° 33′ 3″, n’étoit que de 33” plus orientale que la longitude obtenue par les relèvemens, et confirmoit l’exactitude des observations astronomiques qui avoient servi à fixer la position de l’île Z. Il étoit donc indispensable de rejeter les longitudes conclues des observations faites le 21 mai à 4h 32m du soir, ainsi que de celles du 22 à 8h 5m du matin et 4h 36m du soir.

Au reste, si l’observation qui a été faite le 21 à 3h 2m en passant sur le méridien du cap T, n’est pas aussi exacte que nous l’avons supposée, les erreurs dont elle seroit affectée n’influeroient d’une manière sensible, quant à la latitude, que sur la position de l’île du Volcan Z, qui se trouveroit avoir été portée d’environ 1′ 30″ trop au Nord. Mais toutes les positions de la côte occidentale de Santa-Cruz et la position de l’île du Volcan seroient portées d’environ 2′ 30″ trop à l’Ouest.

Lorsque les vérifications dont nous venons de parler furent terminées, nous regardâmes les positions des caps Byron K, Boscawen T, et de l’île du Volcan Z, comme ne devant plus varier ; et nous plaçâmes les points de station intermédiaires des 22 et 23 mai, d’après les relèvemens qui avoient été pris sur ces trois points. Nous avons fait ensuite l’emploi des relèvemens des 19, 20 et 21 mai.

La pointe S. O. de l’île Howe I a été placée avec la plus grande exactitude, d’après un relèvement qui avoit été pris le 20 à midi, et d’après le gisement de cette pointe par rapport au cap S que l’on avoit observé le 21 à 1h 43m. La pointe I nous a servi ensuite, avec le cap S, à déterminer les points de station du 20 à 3h 28m et a 4h 45m, ainsi que la station du 21 à midi.

Le gisement des pointes I et L et le relèvement pris le 20 à 5h 4m du soir, sur la pointe L, ont servi à trouver la position de cette dernière pointe ; ensuite on a placé, d’après les relèvemens pris sur le cap S et sur la pointe L, la station du 21 à 6h 53m du matin, par 1° 34’ 15” de longitude. M. Rossel avoit ob­servé des angles horaires au même point, et avoit trouvé 1° 34’ 47” de longitude ; c’est-à-dire que la montre n.° 14 nous plaçoit de 32” plus Est que les relèvemens.

Cette différence de 32”, que l’on peut regarder comme nulle, fait connoître qu’il règne un grand accord entre les opérations trigonométriques et les observations astronomiques que nous avons adoptées pour fixer les positions des points les plus remarquables de l’île Santa-Cruz, et confirme l’exactitude de la longitude ob­servée le 21 à 3h 2m en passant sur le méridien du cap T.

La latitude du point du 21 à midi, déterminée par les opéra­tions trigonométriques, est de 10° 51’ 15”.

Si nous avions déduit la longitude du cap T de l’observation du 21 à 4h 32m du soir, nous aurions eu pour latitude du 21 à midi, 10° 52’ 10”. Mais ce dernier résultat s’éloigne trop des latitudes observées pour pouvoir être adopté ; et c’est une nouvelle preuve que nous avons eu raison de rejeter la longitude du 21 à 4h 32m.

M. Rossel avoit pour latitude, le 21 mai, 10° 48’ 52”, et M. de Bonvouloir 10° 49’ 42”. La différence que l’on trouve entre ces latitudes et la latitude conclue des opérations trigonomé­triques, ne paroîtra pas extraordinaire si l’on considère qu’on avoit observé le supplément de la hauteur du soleil [16] ; mais elle peut faire juger à quel degré d’exactitude il est possible de parvenir en employant la méthode que nous avons suivie pour lever les cartes hydrographiques. En effet, si nous n’avions eu, pour dresser la carte

de

de l'archipel de Santa-Cruz, que des relèvemens observés avec la boussole, il nous auroit été impossible Je reconnoître l’erreur des latitudes observées le 21 à midi ; et nous aurions été obligés d’employer le résultat moyen, puisque ces latitudes ne diffèrent entre elles que de 50”.

Avec les relèvemens faits les 19 mai à midi et 20 mai à 8h 19m du matin, nous avons placé d’une manière certaine le mondrain C de l’île du lord Edgcombe, et le mondrain D de l'île Ourry ; ensuite nous nous sommes servis des relèvemens pris sur ces mêmes mondrains et sur la pointe orientale de l’île Santa-Cruz, pour placer les stations du 19 mai à 7h 54m et 9h 20m du matin et celle de 3h 41m du soir.

Les relèvemens pris à 7h 54m ne servirent qu’à fixer la position de la frégate, et à nous faire reconnoître l’effet des courans ; mais ceux de 9h 20m nous fournirent une preuve de l’exactitude de la longitude du cap Mendaña S. On avoit pris du haut des mâts, à 9h 20m, un angle sur le cap Boscawen T, qui indiquoit que ce cap devoit être porté d’environ 2’ dans l’Ouest de la longitude que nous avons adoptée. Mais cet angle étoit marqué comme douteux sur mon cahier ; et l’on ne pouvoit d’ailleurs en conclure le relèvement du cap T qu’au moyen d’une observation faite avec la boussole : ainsi je pus me dispenser d’y avoir égard. Il n’en étoit pas de même du relèvement du cap T fait le 19 à midi ; cependant j’ai cru devoir le négliger, afin de conserver à ce cap une lon­gitude qui tînt à-peu-près le milieu entre celle que l’on déduiroit des opérations trigonométriques du 19 mai et la longitude que l’on concluroit des observations astronomiques du 21 à 4h 32m, et de celles du 22 mai.

Nous relevâmes pour la première fois, du point de station de 9h 20m, l'île F ou de la Recherche, dans un grand éloignement.

Du point de midi du 19, nous avons relevé pour la seconde fois la même ile ; puis nous l’avons perdue de vue. La petite distance qu’il y a entre les deux points de station d’où l’on a relevé l’île F, me fait craindre que cette île ne soit pas placée avec exactitude. La longitude du point de station du 19 à 3h 41m du soir, est, d’après nos relèvemens, à 2’ 50” dans l’Est de la longitude déduite des observations de M. Rossel ; ce qui sembleroit indiquer que nous aurions porté la pointe orientale de l’île Santa-Cruz de 2’ à 3’ trop à l’Est ; mais comme le point de station de 3h 41m avoit été fixé au moyen d’un relèvement observé avec la boussole, nous n’avons pas eu égard à cette différence, qui est en sens contraire des différences trouvées entre la longitude du 21 à 3h 2m et les longitudes observées le 22.

Il nous resteroit à parler de l’emploi que nous avons fait du grand nombre de matériaux qui avoient été recueillis pour tracer les configurations des côtes ; mais cette partie de nos travaux est trop simple pour qu’il soit nécessaire d’entrer dans des détails qui ne manqueroient pas de devenir fastidieux. On doit concevoir qu’il est extrêmement facile de tracer les contours d’une côte, quand on en a déterminé les points principaux, et les positions des stations où l’on a fait des relèvemens.

Nous avons indiqué, par des lignes fines, tous les relèvemens qui ont été adoptés dans la construction de la carte que nous avons prise pour exemple ; les gisemens des points remarquables qui ont été vus et relevés les uns par les autres, y sont distingués par des lignes formées avec des traits légers.

Après avoir fait connoître les procédés que nous avons employés pour fixer les latitudes et les longitudes des positions les plus remarquables de l’archipel de Santa-Cruz, et pour déterminer les points de station intermédiaires au moyen des relèvemens pris sur ces positions, nous devons ajouter que nous avons suivi la même méthode pour construire toutes les cartes qui ont été levées sous voiles pendant le cours de notre voyage.

Parmi les personnes qui s’occupent de la construction des cartes hydrographiques, celles qui n’ont jamais navigué et qui ne peuvent point connoître les incertitudes que des erreurs à la vérité très-légères dans les observations astronomiques et trigonométriques, apportent dans la construction de ces cartes, se croiront peut-être fondées à nous faire le reproche d’avoir préféré au calcul les opérations graphiques pour assigner les positions principales des côtes que nous avons visitées. Nous ne craignons pas que les marins instruits partagent cette opinion : nous espérons même qu’après avoir lu l’analyse qui précède, ils seront convaincus que nous avons fait usage de la méthode la plus sûre pour atteindre au degré d’exac­titude qu’il est possible d’obtenir en dressant des cartes avec des matériaux recueillis sous voiles. En effet, si l’on considère le grand nombre de suppositions plus ou moins inexactes que nous avons été obligés de faire pour placer quelques points de l’archipel de Santa-Cruz, on en conclura que, pour un semblable travail, il ne faut pas s’engager dans des calculs qui deviendroient en quelque sorte interminables, puisqu’ils seroient fondés sur des bases que l’on pourroit faire varier à l’infini, sans que jamais on fût assuré d avoir obtenu le degré d’exactitude auquel on se seroit proposé d’at­teindre. Au contraire, en dressant les cartes d’après la méthode que nous avons adoptée, on est guidé-dans les combinaisons que l’on doit faire par l’ensemble du travail que l’on a toujours sous les yeux ; on peut répéter pour ainsi dire en un instant mille combinaisons différentes, et saisir enfin celle qui, sans donner un résultat par­fait, réunit au moins le plus de probabilités en sa faveur. Nous devons à cette méthode l’avantage inappréciable d’avoir pu dresser, jour par jour, les cartes des parties de côtes que nous venions de lever, avantage auquel il eût fallu nécessairement renoncer, si nous avions employé le calcul au lieu des opérations graphiques. Nous n’hésitons pas à dire que nos procédés pour déterminer les latitudes et les longitudes des points remarquables des côtes, sont préférables à ceux des navigateurs qui nous ont précédés ; car personne n’ignore que, pour assujettir par le calcul les positions géographiques aux observations astronomiques qui se font en mer, on a fait usage jusqu’à présent de routes estimées ou d’élémens encore plus incertains, tels que des distances estimées à vue.

Nous convenons qu’après avoir, en quelque sorte, épuisé toutes les combinaisons pour placer graphiquement plusieurs points princi­paux de l’archipel de Santa-Cruz, on auroit pu prendre sur la carte trigonométrique les latitudes et les longitudes de ces mêmes points, et se servir de ces données pour calculer les latitudes et les longitudes des points que nous avions encore à placer. Mais, j’en appelle à tout homme instruit et impartial, les résultats de calculs dont les données ne peuvent s’obtenir que par des opérations graphiques, auroient-ils plus d’exactitude que ces opérations elles-mêmes !

C’est seulement lorsque nous avons eu à dresser des cartes d’après des observations astronomiques et trigonométriques faites à terre, que nous avons eu recours au calcul pour fixer les positions des points principaux. Ainsi, nous avons calculé les positions des objets remarquables qui se trouvent dans le canal Dentrecasteaux, dans le détroit de Boutoun, et généralement dans tous les lieux où nous avons relâché ; et on peut regarder ces positions comme fixées avec une grande exactitude.

Nous avons assujetti les longitudes des principaux points de l’archipel de Santa-Cruz au méridien de Paris, en les rapportant à la longitude corrigée du 19 mai, à 20h 19m 47’, temps astronomique, ou 20 mai, à 8h 19m 47’, temps civil. Cette longitude est de 163° 50’ 46” orientale. (Voyez tome II, pag. 570 et 571.)

Les longitudes des points de midi, telles qu’on les trouvera sur nos cartes, ont été corrigées d’après les relèvemens ; et elles s’ac­cordent rarement avec les longitudes données pour ces mêmes points dans les tables de routes, parce que les longitudes portées sur ces tables ont été conclues des résultats des observations astronomiques rapportés à midi par la route estimée.

Nous ne pouvons pas répondre de l’exactitude du contour des côtes dont nous avons passé à plus de deux lieues ; mais nous croyons pouvoir assurer que tous les points remarquables sont placés avec précision sur nos cartes. Cependant, lorsque quelques points ont été relevés de très-loin ou dans des circonstances peu favorables, nous avons eu l’attention d’indiquer, par les lettres P. D., que leurs positions étoient douteuses.


Fin de l'appendice

TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES

DANS LE PREMIER VOLUME.


A


Aalting, gouverneur général des établissemens Hollandois dans l’Inde, nous reçoit à Sourabaya, page 519.

Abel-Tasman, nom donné aux terres appelées par Furneaux et Cook îles Maria, 102. — Discussion sur la possibilité que ces terres soient séparées de la terre de Van-Diémen, 256.

Admiralty (Iles de l’). Dentrecasteaux se décide à se rendre à ces iles, dans l’espoir d’y trouver la Pérouse, 31. — Courans près de ces îles, 443.

Admiralty (Grande île de l’). La côte Nord de cette île est visitée, 138.- Sa description et celle des îles circonvoisines ; communication avec les habitans : on ne trouve pas de traces de la Pérouse, 138 et suiv. — Position géogr. de l’ile Négros, 142. — Ressifs de la partie occidentale, 142 et 143.

Adventure (Baie de P). Mouillage dans cette baie, 260. — Sa description, 261 et 262. — On y trouve des traces d’établissemens faits par les Anglois, 262 ; — et quelques arbres fruitiers qu’ils y ont plantés, 263. — Sa position géogr. 264. Déclinaison de l’aiguille aimantée, ibid. -Qualité du sol aux environs, 265. — Départ, 268.

Aiguille aimantée : variations extraordinaires dans les déclinaisons de l’aiguille, observées au mème lieu, 8 et 247.

Aïou (Iles d’), au Nord de Waigiou, 451. — Noms de ces îles, 5 89.

Aïou-Baba, une des fles d’Aïou, 45 1.

Amboine (Golfe d’). On entre dans ce golfe, 153.

Amboine (Ile d’). Sa description ; mœurs des habitans ; gouvernement, 155 et suiv. — Commerce interlope, 159. — On s’y souvenoit du passage de M. de Bougainville à Bourou, 161. — Population, 162. — Chinois établis à Amboine, 163. — Quantité d’épiceries que l’on exporte, 164. — Tremblemens de terre, 165. — Nourriture du peuple, ibid, — Position géogr. 165, 166. Déclinaison et inclinaison de l’aiguille aimantée, 166. — Départ, 167.

Amboine (Ville d’). On mouille devant cette ville, 154.

Amis (Iles des). Voyez Tongatabou.

Amsterdam (Ile d’), dans la mer des Indes. Description de la côte Sud, 41 et suiv. — Position géogr. de la pointe Ouest, 43.

Anachorètes (Les), iles situées au Nord de la Nouvelle-Guinée ; position géogr. de l’ile la plus Nord, 443.

Anderson, naturaliste, 57, 63.

Annatom, ile de l’archipel del Espiritu-Santo, 324.

Apèrs (D’). Justesse de quelques observations qu’il fait dans ses Instructions sur la navigation des mers de l’Inde, 12, 13, 37 et 45.

Arbres creusés par le feu, 61 et suiv.

Arsacides (Terres des), les mêmes que les îles Salomon, 387, 390, 391.

Astrolabe (L’). Voyez la Boussole.

Atata, île dans le havre de Tongatabou, 321.

Auribeau (D’), capitaine de vaisseau, aperçoit plusieurs anses dans la partie de l’Est du canal de Dentrecasteaux, 86. — Commande l’expédition après la mort de M. Dentrecasteaux, 446. — Tombe malade ; est suppléé par M. de Rossel, 465.

B

Balade (Havre de). Arrivée au havre de Balade, 328. — Les habitans d’une stature moindre que ne l’avance M. Forster, 330. — Ils sont voleurs, 331 ; anthropophages, 332, 333, 337. — Ils attaquèrent les travailleurs, et furent mis en fuite, 334. — On trouve par-tout chez eux des traces de dévastation, 340, 341. — Des habitans de l’ile Hohoua viennent à bord en pirogue, 341. — Mort de M. Huon ; regrets que cause sa perte ; son éloge, 344 et suiv. — On ne trouve pas de traces de M. de la Pérouse, 347. — Difficulté de saisir la prononciation des habitans de Balade, 349. — Incertitude sur la forme du gouvernement ; peu de police parmi eux, 349. — Cause de leur penchant pour le vol, 350. — Leur taille et leur physionomie, 351. — Les meurs de ces insulaires diffèrent de la peinture que Cook et Forster en ont faite ; causes de cette différence, 353. — Ils sont misérables, féroces et paresseux, 355. — Le sol est peu fertile, et presque inculte, 357. — Position géogr. 360. — Déclinaison de l’aiguille, 361. — Départ, 362.

Barre de gouvernail en bois, d’une construction particulière, faite pour remplacer une barre en fer, qui s’étoit rompue, 399. Bases. On peut, pour construire les plans, mesurer de grandes bases au moyen d’un micromètre, ou d’un cercle à réflexion, 261, 607 et 608.

Basses (Iles), au Sud de la Nouvelle-Guinée, nommées Mille-îles par Maurelle, 145. – Liées par des ressifs, 146. Position géogr. de l’ile la plus Sud, 146.

Batenta, une des îles Papous. Banc à la pointe Est, 1 49. — On a vu des pirogues à la côte Sud, 150.

Beaupré (Iles), découvertes par M. Dentrecasteaux ; les frégates courent risque de se perdre sur les ressifs qui les environnent, 326.

Beautemps-Beaupré, hydrographe en chef. Précision avec laquelle il lève les plans, 57, 79, 114. — Exposé des méthodes qu’il donne pour les cartes et plans, dans l’Appendice à ce volume, 593 et suiv. – Éloge donné par M. Dentrecasteaux à son zèle et à son exactitude, 108.

Berthoud, horloger de la marine, a construit les montres marines embarquées sur les frégates, 3.

Bertrand, astronome, débarque au Cap de Bonne-Espérance, par des raisons de santé, 33.

Billardière (La), naturaliste, 60.

Billardière (Cap la), terres les plus élevées de la Louisiade, 425.

Blavier, naturaliste, débarque au Cap par des raisons de santé, 33.

Blight (Capitaine). Motif pour arriver avant lui aux îles de l’Admiralty, 39. — Accord entre la longitude qu’il assigne à l’ile d’Amsterdam et la nôtre, 43. — Inscriptions qu’il a laissées à la baie de l’Adventure, 263. — Le meurtrier d’un des hommes de sa chaloupe est un chef d’Anamoka, 301.

Bombé-Dary, ile dans le havre de Boni. Mouillage près de cette ile, 461.

Bonao (Ile) ou Bonoa. On passé entre cette île et la côte de Céram, 152. — Sa position géogr. vérifiée, 468.

Boni (Havre de) ou Boni-Soïné. Découverte de ce havre, 452. — Mouillage à l’entrée occidentale, 454. — Guérison subite des scorbutiques, 455. — Climat ; son influence sur la santé des équipages, 456. — Description des côtes ; mœurs des habitans, 458 et suiv. — Lieu du meilleur mouillage, 461. — Marées, 462. — Position géogr., ibid. — Départ, 463. — Banc en-dehors de la passe, ibid.

Boni (Ile), au Nord de Waigiou. On découvre un mouillage dans le canal de cette île, 452. – La côte Nord bordée de hauts-fonds, 45 3.

Bonne-espérance. Voyez Cap, et Gœde-Hoop.

Bonvouloir (Achard de), élève de la marine, adjoint à M. de Rossel pour la partie astronomique ; son talent rare pour l’observation, 33.

Bonvouloir, îles de la Louisiade. On communique avec les habitans, 413 et 414.

Boo (Iles). Position géogr. de la pointe Nord-Ouest, 467.

Boscawen, cap de Santa-Cruz ; sa position géogr. 380.

Botany-Bay, baie de la Nouvelle-Hollande, 2.

Boudeuse (La), île découverte par M. de Bougainville, 145.

Bougainville (M. de). Les habitans de l’ile de son nom et ceux de l’île Bouka, tels qu’il les a dépeints, 124. — On a conservé à Amboine et à Bourou le souvenir de son passage, 161 et 476. — Exactitude des renseignemens qu’il donne sur la navigation du passage des François et du détroit de Boutoun, 464 et 499.

Bougainville (Ile). Bancs dangereux situés à la côte Ouest de cette île, 118 et 120. – Le passage qui la sépare de Bouka, n’a pu être distingué, 122.

Bouguioué (Ile), appelée par Cook Ile de l’Observatoire, dans le havre de Balade, 329. — C’est là que M. Huon a été inhumé, 346.

Bouka (Ile). Description de la côte occidentale, 122. – Les habitans approchent dans, des pirogues, 123. — Échanges faits avec eux, 123 et 124. — Ils sont tels que M. de Bougainville les a dépeints, 124. — Position géographique du cap le plus Nord, 126.

Bourou (Ile). On prolonge la côte Nord, 479. Voyez CAJELI.

Bousolle (La) et l’ASTROLABE, frégates de la Pérouse. — Époques de leur départ de Brest, 1, — et de leur relâche à Botany-Bay, 2.

Boutoun (Détroit de). Entrée et navigation dans ce détroit, 480 et suiv. — On essaie de passer à l’Ouest de l’ile Mounan, 487. — On est obligé de revenir sur sés pas, 492. — Marées, 480, 485, 501 et 502.

Boutoun (Ile). Description de la côte occidentale, 481, 483, 484, 493 et suiv. — Position géogr. du point de l’Observatoire, 485.

Boutoun (Ville de). Mouillage devant la ville, 502. — Sa description et ses fortifications ; mœurs des habitans ; leur industrie et leur navigation, 503 et suiv. — La dyssenterie se déclare à bord des frégates, 509.

BOYNES (De), officier de la marine, va sonder en avant des frégates, 469.

BOYNES (Iles de) à la Louisiade ; position géogr. de la pointe Nord de l’ile la plus septentrionale, 410.

BREST (Départ de), 3.

BRILL (Banc) ; sa position géogr. 512,

BUENAVISTA, île de la Louisiade, 387. BYRON (Cap) de Santa-Cruz ; sa position géographique, 379.

C

CAJELI pn CAÏELI (Rade de). Entrée dans la rade, 469. Aspect du bourg, 470. — Accueil qu’on y reçoit, 471. — Importance de l’établissement, 472. — Origine des habitans du bourg, 473. — Meurs des habitans de l’intérieur de l’île, 475. — Climat, 477. — Départ, 479

Canal de Dentrecasteaux. Voyez Dentrecasteaux.

Cap de Bonne-Espérance. Mouillage dans la baie de la Table, 18. — Déclinaison de l’aiguille aimantée, 35 — Départ, 36.

Carteret (Havre). Mouillage dans ce havre, 126 et 127. — La pluie y est continuelle, 127. — Départ, 128. — On n’a pas pu y faire d’observa­tions astronomiques, ibid.

Cartes et Plans. Voyez Méthodes.

Cava, boisson des habitans des îles des Amis, 285.

Célèbes (Ile). Une portion de l’île Célèbes forme la partie Nord du détroit de Boutoun, 481.

Céram (Ile). On a prolongé une partie de la côte Nord, 152. — Aspect de la côte occidentale, 153. — Raz de marées près de cette dernière côte, 153 et 468. Voyez Golfe de Saway et Mattalima.

Chaînes de fer (Les) dont on s’est servi au lieu de cables, se sont rom­pues, 57, 58, 181 et 182.

Charlotte (Iles de la Reine), nom­mées ainsi par Carteret, 367. Voyez Santa-Cruz.

Colipana (Ile), dans le détroit de Boutoun, 498.

Commens (Henry), gouverneur ou résident de Bourou, 471.

Contrariétés (Ile des). Entrevue avec les habitans, 389. — Position géogr. de la partie Sud, 387.

Cook (Capitaine) n’a pas pu visiter la baie des Tempêtes, 74. — A été accusé légèrement d’avoir traité les insulaires du grand Océan avec trop de rigueur, 359.

Cox (Capitaine) a déterminé la posi­tion géogr. de l’île Saint-Paul, 43. — A mouillé dans Oyster-Bay [la baie aux Huîtres], 74.

Crétin, lieutenant de vaisseau, visite le Port-du-Sud ; compte qu’il rend de sa mission, 64 — Découvre la partie Sud du canal Dentrecasteaux, 66.

Cretin (Cap), à la Nouvelle-Guinée, pointe Nord du golfe Huon ; sa posi­tion géographique, 431.

Curtis (Ile), une des îles Kermadec ; sa position géographique, 274.

Cygnes (Port des), au canal Dentre­casteaux ; sa description, 250.

D

Dampier (Détroit de). Les frégates entrent dans ce détroit, 432, Position dangereuse où elles se trouvent, 432 et 433

D’Après. Voyez Après (D’).

D’Auribeau. Voyez Auribeau (D’).

Délivrance (Cap de la), à la Louisiade ; sa position géogr. 405.

Denis (Cap), à la Louisiade, partie la plus Nord de l’île Trobriand, 424

Dentrecasteaux, contre-amiral, nommé pour commander les frégates envoyées à la recherche de la Pérouse, 1. — Réglemens qu’il fait pour maintenir les équipages en santé, 4. — Il prend le parti de se rendre aux îles de l’Admiralty, où la Pérouse pouvoit avoir fait naufrage, 31. — Ses soins constans pour en retrouver des traces, vii, 1 3 1 et suiv., 300 et suiv., 344 et suiv., 358 et 376. — Ses précautions pour l’approvisionnement et la sûreté des canots qu’il charge de faire des reconnoissances, 87, 190, 253, 254 et 416. — Détachemens qu’il en­voie pour aller chercher un naturaliste égaré, 188 et suiv. — Ses attentions à éviter tout ce qui pouvoit inspirer de la méfiance aux habitans, 141 et 144. — Dispositions qu’il fait pour prévenir les actes d’hostilité, 281 et 377. — Son humanité à l’égard d’un naturel des îles des Amis qui avoit blessé une sentinelle, 283. — Ordre qu’il est forcé de donner pour réprimer le vol et l’audace des habitans de diverses îles, 289, 297, 298 et 359. — Son opinion sur la modération que l’on doit mettre dans les châtimens, 308. — Sa maladie, 441, 444 et 445 — Sa mort, 444. — Son éloge, xi, 444, 447 et 448.

Dentrecasteaux (Canal). Découverte de ce canal, 69 et suiv. — Sa description, 80 et suiv. — L’issue a été reconnue par M. de Saint-Aignan, 88 et suiv. — Sortie du canal, 101. — On y entre une seconde fois, 249. — Les frégates y échouent, ibd. — Entrevue avec les habitans près de la baie de l’Adventure, 252.

Dirck-Hartoges (Baie de), nommée Shark-bay par Dampier ; on abandonne le projet d’y aller, 175.

Double-Baie (La), dans la baie des Tempêtes, 255.

Dupont, soldat qui reçoit un coup de massue à la tête, 280. — Demande la grâce du coupable, 284.

E

Eddystone (Rocher), situé près du cap Satisfaction ; sa position géogr. 116.

Edgcombe (Ile du lord) ; sa position géogr. 367.

Ély, dessinateur, débarqué au Cap de Bonne-Espérance par raison de santé, 33.

Éoa, l’une des îles des Amis, 275.

Ermitanos (Los), îles environnées de ressifs, 143 — Les habitans viennent en pirogue près des frégates, 143 — Position géogr. de i’îlot situé à. I’extrémité Nord-Est, 145.

Erronan, île de l’archipel del Espiritu-Santo ; sa position géogr. 325.

Espérance (L’), l’une des frégates de l’expédition, commandée par M. Huon de Kermadec, 1.

Espérance (Cap de l’), îles Salomon ; sa position géogr. 394.

Espérance (Port de l’), terre de Van-Diémen, visitée par M. de la Seinie ; sa description, 82.

Espérance (Port de l’), terre de Nuytz. Péril dans lequel se trouvent les frégates avant d’y entrer, 180. — On y mouille, 181. — On reconnoît les côtes environnantes, 183. — Leur description, 184 et suiv. — M. Riche, naturaliste, s’égare dans le pays ; soins que l’on prend pour le retrouver, 187 et suiv. — Compte rendu par l’officier qui étoit allé le chercher, 191. — Compte rendu par M. Riche de la manière dont il s’est égaré, et des événements qui lui sont arrivés, 196. — Position géogr. de l’île de l’Observatoire, 210 et 211.

Espérance (Rocher de l’), découvert par M. Dentrecasteaux parmi les îles Kermadec ; sa position géogr. 273.

un grand commerce avec les îles des Amis, 313. — Un des naturels de Fedgi desire s’embarquer sur les frégates, 313. — II y a des chèvres à Fedgi, et l’on croit qu’elles viennent de Tongatabou, 317.

Feinou, chef des îles des Amis, qui avoit vu Cook, rapporte des objets volés, 285.

Fleurieu (M. de). Vérification des principaux points de son système sur l’identité des îles Salomon et des terres vues par Surville et Shortland,

Fspiritu-Santo (Archipel del), le même que les Cyclades de Bougainville, et que les Nouvelles-Hébrides de Cook ; on passe à. vue des îles les plus Sud, 324.

Forster (M.) On n’adopte pas son opinion sur la manière dont les îles du grand Océan ont dû être peuplées, 3 11. —Les habitans de la NouvelleCalédonie diffèrent de la peinture qu’il en a faite ; causes de cette diffé-

Est (Groupe de l’), nom donné à des îles de l’archipel de la Recherche ; leur position géogr. 216. 391.

Fonspertuis, consul de France à Sainte — Croix ; zèle avec lequel il fournit aux besoins de l’expédition, 6.

rence, 353. François. Voye^ Passage-des-Fran-

FatAFÉ, fils de la reine Tinée et de Poulao, 303.—Héritier présomptif de la reine, 305. —Ne jouit dé cune autorité, mais on lui rend les plus grands honneurs, 306 et 307. —II a de grandes possessions, 316.

çois. Françoises (Iles), au Nord de la Nouvelle — Bretagne ; courans près de ces îles, 43 5* Fréderik-Hendrikx (Baie de), découverte par Tasman, 73. •—C’est la baie où M. Marion a mouillé, 257. •—Reconnue en 1793, 2, 68.

Fedgi ( Iles), voisines des îles des Amis ; leur position géogr. est inconnue, 3 11. — Les habitans sont industrieux

Fréewill (Iles), au Nord de la Nouvelle-Guinée ; leurlongitude, 45°— — Ce sont les mêmes que les îles SaintFurneaux (Capitaine) n’a pu visiter la baie des Tempêtes, 74, 258.

G

Gagi (Ile), à l’Ouest de Waigiou ; sa position géogr. 466.

Gallewo (Détroit de), à la Nouvelle-Guinée ; le vent empêche d’y entrer, 149.

Gasses (Iles), à PEst de Gilolo, 467. Geby (Ile), à POuest de Waigiou ; sa position géogr. 466.

Géelwink (Baie du). Courant extraordinaire à l’ouverture de cette baie, 147, 148 et 151.

Georges III (Rade du Roi), découverte par Vancouver ; position géogr. du cap méridional de Pentrée, 178.

Gicquel (Ile) de la Nouvelle-Bretagne, 436.

Goede-Hoop (Cap) ou Cap de Bonne-Espérance de la Nouvelle-Guinée ; sa position géogr. 148, 149.

Gordon, commandant les troupes au Cap de Bonne — Espérance, nie les faits contenus dans les dépositions de deux capitaines François relativement à des indices sur M. de la Pérouse, 30.

Goula-Batou (Ile), à la côte de Timor ; sa position géogr. 170.

Glocester (Cap) de la Nouvelle-Bretagne ; sa description, 433.

Grandière, (La), lieutenant de vaisseau accompagnoit M. de Crétin lorsque celui-ci reconnut la partie Sud du canal Dentrecasteaux, 66. — Il est chargé de diriger les échanges à Tongatabou, 277.

Guadalcanar, une des îles Salomon ; reconnoissance de cette île, 391 et suiv. — Position géogr. de son extrémité Est, 392. — Position géogr. d’une très-petite île située à la côte méridionale, 396.

H

Hammond (Iles), font partie des îles Salomon, 115. — Position géogr. de la pointe Ouest de l’île la plus voisine du cap Pléasant, 401.

Havre-trompeur, à la Nouvelle-Calédonie ; position géogr. 108.

Haye (La), jardinier botaniste, 63.

Henry (Cap) de laLouisiade, le plus Est de Pîle Saint-Aignan ; sa position géogr. 410.

Henslow (Cap) des îles Salomon, 393.

Hohoua (Ile de), voisine de la Nouvelie-Calédonie ; sa position géogr. est inconnue, 343. — Les habitans de cette île viennent en pirogue bord de la Recherche, 341. — Leur langage ressemble à celui des habitans des îles des Amis, 342.

Huîtres (Baie aux), ou Oyster-Bay, à l’île Maria, 257.

Hummock-Bay, aux îles Salomon ; sa description, 399.

Hunter (Cap), îles Salomon, 394.

Huon de Kermadec, capitaine de vaisseau, commandant l’Espérance dirige l’armement des frégates, 1. — Sa mort, son éloge, 344 et suiv.

Huon (Golfe), Nouvelle-Guinée. Entouré de hautes montagnes, 430 et 432. — Courans, 429 et 432. Voyez cap Crétin et cap Longuerue.

Huon (Ile), dans le canal Dentrecasteaux, 71.

Huon (Iles), à l’extrémité des ressifs de la Nouvelle-Calédonie, 363.

Huon (Rivière), canal Dentrecasteaux, reconnue par M. de Luzançay, 81. — Visitée pour la seconde fois par M. de Welle ; sa description, 249, 250. — On y trouve beaucoup de cygnes, 251.

I

Instrumens. Énumération des instrumens embarqués sur chaque frégate, 2.

Isthme (Baie de l’), visitée par M. de Saint-Aignan, 94, — et par M. de Welle, 249 — On y pêche beaucoup de poissons, 251 et 252.

J

Jésus-Maria, une des îles de l’Admiralty ; on n’y trouve aucune trace de la Pérouse, 132. — Position géogr. de la pointe Sud-Est, 133.

Jouvency, ingénieur géogr. 261.

Jouvency (Ile) de la Louisiade, 423.

Jurien (Ile) de la Louisiade, 423.

K

Kakek (Ile), 467.

Kalkoens (Iles) ; dangers près de ces îles, 513. — Leur position géogr. est incertaine, 514

Kanary (Grande île) ; sa position géogr. 152.

Kermadec (Iles) ; reconnoissance de ces îles, 273 et suiv.

Kisser (Ile) ; on aperçoit cette île, 67. — Sa position géogr. 169.

L

La Billardière. Voyez Billardière (La).

La Grandière. Voy. Grandière (La).

La Haye. Voyez Haye (La).

Lammas (Mont), montagne très-haute de file Guadalcanar, 394.

Langage. Voyez Vocabulaire.

La Pérouse. Voyez Pérouse (M. de la).

La Seinie. Voyez Seinie (La).

Lawn (Iles), à l’Est de Gilolo ; leur aspect, 467.

Leeuwin (Cap) ; on en aconnoissance. 76. — Sa position géogr. 177.

Leeuwin (Côte de) ; son aspect, 176.

Léfao, établissement Portugais à Timor ; sa position géogr. 170.

Le Noir. Voyez Noir (Le).

Ligné équinoxiale. Route qu’il convient de suivre pour aller au Sud de la Ligne ; vents qui soufflent dans ces parages, 10 et suiv.

Longuerue (Cap) de la Nouvelle-Guinée, pointe Sud du golfe Huon ; sa position géogr. 431.

Louisiade (Archipel de la) ; altérage sur l’île la plus Est, 405. — Reconnoissance de la partie Nord, 405 et suiv. — Position dangereuse des frégates, occasionnée par les courans, 407. — Les terres de la Louisiade sont un amas d’îles dont l’approche est dangereuse, 411 et 424. — On croit qu’il existe un passage pour traverser cet archipel, mais on ne peut y pénétrer, 412. — Communication avec les habitans, 413 et 414. — Position dangereuse de la Recherche, 418 et 419. — Seconde communication avec les habitans ; ils paroissent industrieux, mais traîtres, cruels et anthropophages, 420 et suiv. — Étendue de cet archipel, 431. — Courans, 407, 419, 423, 424 et 426.

Luzançay, lieutenant de vaisseau, visite la rivière Huon, 81.

M

Macaulay, l’une des îles Kermadec ; sa position géogr. 274.

Madura (Ile) ; description de la côte Nord, 5 14 et 515.

Maetsuiker ( Iles), à la côte méridio nale de la terre de Van-Diémen, 226.

Magon de l’Épinay (Pierre), capitaine du navire la Marie-Hélène ; dé position de ce capitaine relativement à certaines nouvelles de la Pérouse, qu’il dit tenir du capitaine Hunter et des officiers du Syrius, 23.

Mahot, matelot, mort de la blessure d’une flèche, 403.

Manouaran (Ile), au Nord de Waigiou, 453.

Maria (Ile), découverte par Tasman, est celle où est située la baie aux Huîtres, 257. — Vue en 1793, 268.

Maria (Iles), à la terre de Van-Diémen, nommées ainsi par Furneaux ; on n’a pas pu vérifier si elles sont séparées de la grande terre, 101 et 257. — Nous nommons ces terres Ile d’Abel-Tasman, 102.

Maria Van-Diémen (Cap) de la Nouvelle — Zélande, 270.

Marion, commandant le navire le Marquis de Castries, a mouillé visà-vis de la baie de Fréderik-FIendrickx, 74 et 75. Marion (Baie), où a mouillé M. Marion, 269.

Marsh (Cap), îles Salomon, 397.

Mattalima (Ile), à la côte Nord de Céram ; sa position géogr. 152.

Matty, île au Nord de la Nouvelle-Guinée ; sa position géogr. 146.

Médailles que M. de la Pérouse avoit ordre de distribuer aux chefs des pays qu’il devoit visiter, xxviii.

Mérite (M.), officier, est allé chercher M. Riche, 191.

Mérite, nom d’une des îles Françaises ; position géogr. de la partie la plus élevée, 435.

Mer lumineuse ; circonstances de ce phénomène, 14, 15, 46 et 47. Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/760 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/761 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/762 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/763 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/764 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/765 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/766 Page:Rossel - Voyage de Dentrecasteaux, envoyé à la recherche de La Pérouse.pdf/767 Volcan (Ile du) ; sa position à l’égard de Santa-Cruz, différente de celle que Carteret lui assigne, 373.

Volcan (Ile du), détroit de Dampier ; irruption du volcan, 433. Sa position géogr. 434.

W

Waigiou (Ile), au Nord de la Nouvelle-Guinée ; attérage sur cette île, 451. — Reconnoissance de la côte septentrionale, 463 et suiv. Voyez Havre et Ile de Boni, et Passage-des-François.

Welle (M. de), lieutenant de vaisseau, visite la rivière Huon, le port des Cygnes et la baie de l’Isthme, 249 et suiv. — Va chercher un passage à i’Ouest de File Mpunan, 487 et 490.

Welle (Ile de), archipel de la Louisiade, 423.

Willaumez (M.), officier de la marine, nommé pour seconder M. Rossel à l’observatoire, 33. — Visite la rivière du Nord et les côtes de la baie des Tempêtes ; il ne peut trouver un passage entre l’île d’Abel-Tasman et la terre de Van-Diémen, 255 et suiv.

Willaumez (Ile), au Nord de la Nouvelle-Bretagne ; sa description, et position géogr. de la pointe la plus Nord, 436.

X

Xulla-Bessi (Ile), au Nord de Bourou ; sa longitude, 479.

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES

DU PREMIER VOLUME.


IMPRIMÉ

Par les soins de J. J. Marcel, Directeur général de l’Imprimerie impériale, et Membre de la Légion d’honneur.
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  1. Voyez le Décret qui suit la Préface.
  2. M. de Fleurieu, alors ministre de la marine et des colonies, avoit donné les ordres relatifs au voyage, et préparé tous les moyens d’exécution.
  3. M. D’Après donne des instructions sur la manière dont on doit se diriger pour passer au Sud de la ligne équinoxiale. Il paroît que son principal but a été de rendre la route des vaisseaux qui vont d’Europe au cap de Bonne-Espérance, aussi directe que les vents peuvent le permettre : cependant il a senti que la route qu’il prescrit, ne pouvoit pas être suivie par les vaisseaux qui seroient contrariés par les vents ; car voici ce qu’il ajoute, dans ses Instructions pour le Neptune oriental : « Ce qui a été dit précédemment ne regarde que les vaisseaux qui seroient favorisés par les vents jusqu’à la Ligne : car lorsque les vents variables succèdent aux vents alizés, la meilleure manœuvre à faire pour couper promptement la ligne équinoxiale, c’est de profiter de la variété des premiers pour atteindre, le plutôt qu’on pourra, le parage des vents généraux, et, pour cet effet, de tenir la bordée qui mène le plus vers le Sud, sans s’attacher à couper la Ligne par aucun point déterminé, pour ne pas augmenter la longueur de la traversée. » Nous avons cru devoir ne nous attacher qu’à ce dernier précepte, parce qu’il est fort rare que l’on puisse parvenir jusqu’aux parages des vents généraux, sans avoir
  4. été contrarié par les vents variables, qui ont presque toujours lieu entre les vents alizés et les vents généraux. Nous avons cru superflu de nous occuper, comme M. D’Après, du parallèle sous lequel on ne doit plus trouver de vents de Nord-Est ou d’Est-Nord-Est : nous nous sommes contentés de faire mention du parallèle où les vents du Nord à l’Est cessent de souffler sans interruption, et sont remplacés, dans les intervalles, par des vents de Sud-Sud-Est et de Sud-Sud-Ouest, les plus contraires à la route que l’on doit faire ; et nous avons prescrit de le couper aux environs du 23e degré de longitude occidentale. En effet, ce parallèle est le seul que les vaisseaux soient libres de couper par une longitude déterminée : car du moment où le vent commence à varier et à devenir contraire , ils ne peuvent plus suivre de route directe, et ils sont obligés de prendre la bordée qui les mène le plus vers le Sud. La route que nous avons adoptée nous paroît très-avantageuse , dans le cas même où les vents du Nord à l’Est souffleroient jusqu’à ce qu’on eût atteint les vents généraux , puisqu’alors, en conti­nuant de gouverner au Sud, on traverseroit, par le chemin le plus court, le parage où l’on est exposé à éprouver des contrariétés. [Note du Rédacteur.]
  5. Le Voyage de la Pérouse n’avoit pas encore été publié à l’époque du départ du contre-amiral Dentrecasteaux ; ce fait est tiré des Mémoires qui avoient été remis au Ministre de la marine par M. de Lesseps. ,
  6. Le cap de Bonne-Espérance de la Nouvelle-Guinée a été placé en longitude par rapport à la position de la plus occidentale des îles Mispalu, dont la longitude a été conclue de celle de Sourabaya et des différences en longitude obtenues par la montre, en 1792 et 1793. ( Voyez tome II, page 375.) La plus occidentale des îles Mispalu se trouve par o° 19’ 15" de latitude australe, et par 129° 47' 3" de longitude à l'Orient de Paris.
  7. Aucune des longitudes obtenues par des distances de la lune au soleil, n’a pu être corrigée de l’erreur des Tables de la lune ; ainsi la longitude d’Amboine, telle qu’elle est donnée ci-dessus, peut être en erreur de plusieurs minutes. La longitude que nous avons adoptée place Amboine par 125° 47′ 5″ à l’Orient de Paris ; elle a été conclue du résultat de l’occultation de l’étoile χ du Lion, observée à Sourabaya, et de la différence de méridiens entre Sourabaya et Amboine, obtenue par la montre n.° 14. Voyez tom. II, pag. 376 et 410. (N. D. R.)
  8. La baie dont il est ici question, est une rade très-belle, où des vaisseaux de toutes les grandeurs peuvent mouiller. Le capitaine Vancouver, qui l’a découverte en septembre 1791, y a relâché avec les bâtimens qu’il commandoit. Il lui a donné le nom de King Georges the third Sound, ou rade du roi Georges III. Il est à regretter que le temps n’ait pas permis au contre-amiral Dentrecasteaux d’entrer dans cette rade ; il s’y seroit procuré l’eau et le bois nécessaires pour achever la reconnoissance de la côte Sud-Ouest de la Nouvelle-Hollande.(N. D. R.)
  9. L'on a donné (tom. II, pag. 46) la manière de faire cette espèce d'observation, et l'on a parlé du degré de précision dont elle est susceptible.
  10. La longitude du port du Nord et celle du port du Sud ont été conclues des distances observées en 1792, et de celles qui l’ont été en 1793. Nous n’avons pas eu égard, en faisant le calcul, à la petite différence de méridiens qui existe entre les deux observatoires. Nous croyons devoir faire remarquer ici que la longitude du port du Sud doit être de 21" plus à l’Est que celle du port du Nord : c’est pourquoi nous la fixons à 144° 36’ 54", au lieu de 144° 36’ 33", comme on lit dans le IIe vol. pag. 480. [N. D. R.].
  11. Les longitudes de 1792 et celles de 1793 ont été rapportées au rocher Éddistone, dont la position a été conclue de celle de Balade ( Nouvelle — Calédonie), et des deux différences en longitude entre Balade et le rocher Éddistone, obtenues par la montre n.o 14, en 1792 et 1793. Ces deux différences en longitude ne s’éloignent que de 1′ 6" de degré. Voyez tom. II, pag. 374. [N. D. R.]
  12. Les petites différences que l’on trouvera entre les longitudes de ce tableau et celles des jours correspondans qui sont dans le second volume, proviennent de ce que les différences en longitude ont été calculées de nouveau avec une variation diurne qui différoit de quelques dixièmes de seconde de celle que l’on avoit employée pendant la campagne.
  13. Les routes ont été réduites par le chef de timonnerie de la frégate La Recherche avec un quartier de réduction.
  14. La longitude du cap S, ainsi trouvée, longitude qui ne pouvoit guère être défectueuse à en juger du moins d’après la direction de la route et l’état de la mer, a été vérifiée, ainsi qu’on le verra bientôt, par un relèvement pris sur ce cap le 19 mai à 9h 20m du matin, et a été trouvée exacte.
  15. Voyez ce que dit M. de Rossel, à cet égard, pag. 35 du second volume.
  16. Voyez tome II, page 46.