Voyage de La Pérouse autour du monde/Tome 1/Mémoire rédigé par l’Académie des Sciences

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MÉMOIRE

Rédigé par l’Académie des Sciences, pour servir aux Savans embarqués sous les ordres de M. de la Pérouse.


M. le maréchal de Castries ayant demandé à l’académie, de la part du roi, un mémoire où seraient indiquées les observations qu’elle jugerait les plus importantes à faire dans le voyage entrepris, pour le progrès des sciences, autour du monde, l’académie a chargé chacun des premiers pensionnaires de ses différentes classes, de rassembler les mémoires particuliers qui leur seraient fournis par les membres de leur classe respective ; elle a fait ensuite rédiger ces mémoires par quatre commissaires, et elle s’empresse aujourd’hui d’en mettre le résumé général sous les yeux du ministre, comme une preuve du désir qu’elle a de concourir, par son zèle et par ses soins, à l’exécution d’une entreprise dont le succès tournera en même temps à la gloire du monarque, à celle de la nation, et à l’avancement des sciences.

Pour mettre plus d’ordre et de clarté dans ce résumé, l’académie a cru devoir réunir d’abord, sous un même point de vue, les observations relatives à plusieurs genres de sciences, qui se rapprochent par la nature de leur objet, quoique cultivées par différentes classes. Telles sont les observations qui concernent les connaissances dont s’occupent les classes de géométrie, d’astronomie, et de mécanique. Ces observations trouveront d’autant plus naturellement leur place à la tête de ce mémoire, qu’elles tiennent à la cosmographie, et ont par-là même un rapport plus direct avec l’objet principal du voyage ordonné par sa majesté.

GÉOMÉTRIE, ASTRONOMIE, MÉCANIQUE.

Une des recherches les plus intéressantes que les navigateurs soient dans le cas de faire, est celle qui concerne la détermination de la longueur du pendule à secondes, à différentes latitudes. Les inductions que l’on a tirées jusqu’ici de cet instrument, pour déterminer les variations de la pesanteur, ont eu pour fondement des opérations faites en petit nombre par divers observateurs, et avec des instrumens différens ; et ce défaut d’uniformité dans les opérations, a dû influer sur la certitude des conséquences déduites de la comparaison des résultats. On sent de quel prix serait un ensemble d’opérations en ce genre, faites avec soin, par les mêmes personnes, avec les mêmes instrumens ; et l’académie ne saurait trop inviter les navigateurs à suivre ce travail avec toute l’exactitude possible, dans tous les endroits où ils relâcheront.

La détermination des longitudes sera nécessairement un des points principaux auxquels s’attacheront les voyageurs ; mais, pour qu’il résulte un plus grand avantage de leurs recherches, relativement à cet objet, l’académie leur recommande de conserver les calculs originaux des observations de longitude par la distance de la lune aux astres, afin que dans le cas où quelque astronome, par de nouvelles observations faites à terre, corrigerait ensuite les élémens qui auraient servi à déterminer les longitudes dont il s’agit, cette correction pût être employée, à son tour, pour rectifier l’estimation de ces mêmes longitudes.

Les navigateurs, munis des éphémérides, connaissent d’avance le moment des différentes éclipses qui arriveront pendant le cours de leur voyage, ainsi que les lieux où elles seront visibles. L’académie désire qu’ils ne se bornent pas à déterminer les instans du commencement ou de la fin de ces éclipses, mais qu’ils désignent la situation des cornes, et cela dans le plus grand détail possible.

Les phénomènes des marées tiennent de trop près à la navigation, pour ne pas fixer particulièrement l’attention des voyageurs. Il faudrait, sur-tout, qu’ils observassent avec soin la double marée de chaque jour. L’académie croit devoir encore leur faire remarquer que l’on n’a point d’observations exactes sur les marées de la côte occidentale d’Afrique, de celle d’Amérique, non plus que des îles Moluques et des Philippines.

À l’égard des observations qui concernent la géographie, elles seront dirigées d’après le plan qui a été tracé aux navigateurs par sa majesté.

L’académie joindra seulement ici la copie de quelques remarques qui lui ont été communiquées sur cet objet, par M. Buache, son associé géographe.

Physique

Dans le grand nombre d’effets qu’embrasse l’étude de la physique, il est important que les navigateurs s’attachent sur-tout à ceux qui sont soumis à l’action d’une cause réglée, mais dont l’intensité est sujette, suivant les lieux et les circonstances, à des variations qui ne peuvent être déterminées que par des observations suivies et multipliées.

De ce genre est la variation de la boussole.

L’observation de la déclinaison des aiguilles aimantées, faisant une partie essentielle des moyens de direction qui seront employés par les navigateurs ; l’académie se borne, sur cet objet, à leur recommander d’observer, à l’aide des instrumens précis qu’ils emportent avec eux, les variations diurnes de l’aiguille, lorsqu’ils feront quelque séjour à terre.

On a reconnu, par des observations faites d’abord à Brest, à Cadix, à Ténériffe et à Gorée sur la côte d’Afrique, et ensuite à Brest et à la Guadeloupe, que l’intensité de la force magnétique de l’aiguille, était sensiblement la même dans ces différens endroits. L’académie désirerait que les navigateurs répétassent ces observations sur une plus grande étendue de pays, en estimant la force magnétique par la durée des oscillations d’une bonne aiguille d’inclinaison. Les observations dont il s’agit, ne peuvent être d’une grande précision, qu’autant qu’on les fera à terre ou dans les rades. Cependant il serait bon de les essayer aussi à la mer, dans des temps très-calmes ; et peut-être donneraient-elles alors des résultats suffisamment exacts. Il serait sur-tout intéressant d’éprouver la force magnétique dans les points où l’inclinaison est la plus grande, et dans ceux où elle est la plus petite.

L’académie recommande aussi aux navigateurs d’observer avec beaucoup de soin l’inclinaison de l’aiguille, dans tous les lieux de relâche, et même à la mer, lorsque le temps le permettra. Dans ce dernier cas, il faudra tenir note de l’incertitude de l’observation, et en assigner à peu près le degré de précision.

L’académie invite encore les navigateurs à tenir un compte exact des hauteurs du baromètre, dans le voisinage de l’Équateur, à différentes heures du jour ; dans la vue de découvrir, s’il est possible, la quantité des variations de cet instrument qui est due à l’action du soleil et de la lune, cette quantité étant alors à son maximum, tandis que les variations dues aux causes ordinaires sont à leur minimum. Il est inutile de faire remarquer que ces observations délicates doivent être faites à terre, avec les plus grandes précautions. Les navigateurs pourront aussi s’assurer s’il est vrai, comme on a cru le remarquer, que le mercure était d’un pouce plus haut dans le baromètre, à la côte occidentale d’Amérique, qu’à la côte orientale.

L’état de l’atmosphère, et ses variations continuelles, dont l’observation est de première nécessité dans un voyage sur mer, offriront de plus aux navigateurs un objet de recherches météorologiques, intéressantes par les directions souvent opposées des vents supérieurs comparés à ceux qui soufflent près de la surface de la mer.

L’académie, instruite que les navigateurs emportent avec eux un certain nombre de petits ballons aérostatiques, les invite à en faire usage pour déterminer la hauteur à laquelle les vents qui soufflent dans la partie inférieure de l’atmosphère, changent de direction, et le sens de ces directions. Ces observations sont sur-tout importantes dans les lieux où règnent les vents alizés, dont il serait curieux d’examiner les rapports avec les vents de la région supérieure de l’air.

Le fluide sur lequel vogueront les navigateurs, attirera aussi leur attention, par les divers courans qu’ils y trouveront. L’académie désirerait qu’ils lui donnassent, à leur retour, un résumé du travail important qu’ils auront entrepris pour déterminer ces courans dans les différentes parties du globe, d’après la comparaison de la route déterminée par les moyens ordinaires, avec la route estimée par l’observation tant de la longitude que de la latitude.

Outre les effets qui sont dans le cours ordinaire de la nature, les voyageurs pourront se trouver à portée d’observer des phénomènes qui ne se présentent que par intervalles, tels que certains météores, et entre autres, les aurores, soit boréales, soit australes. L’académie souhaiterait qu’ils observassent la hauteur et l’amplitude de ces aurores.

On n’est point d’accord sur la cause qui produit les trombes ; quelques-uns les attribuent à l’électricité ; d’autres les regardent comme l’effet d’un mouvement de turbination, contracté par une masse d’air[1]. Les navigateurs voudront bien être attentifs à l’observation de toutes les circonstances qui pourraient conduire à l’explication de ce phénomène singulier.

Les navigateurs seront à portée de faire un grand nombre d’expériences intéressantes sur les différens degrés de température de la mer, et sur sa salure dans les différens parages et à différentes profondeurs, la pesanteur spécifique de ses eaux, ses divers degrés d’amertume, à mesure qu’on s’éloigne ou qu’on s’approche des côtes, etc.

L’académie les engage à ne point oublier la comparaison de la température à une certaine profondeur, avec celle du fluide pris à la surface.

Il serait bon encore que les navigateurs profitassent de toutes les fouilles ou excavations qu’ils pourront rencontrer, pour en observer également la température, ainsi que celle des fontaines et des puits profonds.

Les marins ont distingué les glaçons plats qui couvrent certaines parties de la mer, des glaçons épais, qui semblent isolés, et paraissent comme des montagnes flottantes. On désirerait qu’un examen suivi des circonstances relatives à ces deux espèces de glaçons, pût donner lieu à quelques conjectures sur leur formation.

On a attribué la lumière qui brille quelquefois sur la surface de la mer, à l’apparition d’une multitude de petits animaux luisans ; mais comme cette lumière paraît à tous les endroits où la mer est mise en mouvement, il serait curieux d’examiner ce phénomène dans un plus grand détail, s’il est possible, qu’on ne l’a fait jusqu’ici, pour tâcher de découvrir si l’éclat dont il s’agit ne pourrait point avoir quelque autre cause.

Chimie[modifier]

Une question, dont la solution serait propre à jeter du jour sur la théorie des gaz, consisterait à rechercher si l’air est plus pur, ou s’il contient plus d’air vital, à la surface des grandes étendues de mer, comme M. Ingen-Housz a cru le remarquer sur la mer qui baigne les côtes de l’Angleterre ; et au cas que l’expérience se vérifiât, on pourrait s’assurer si le résultat est le même en pleine mer, que sur les côtes, où l’on trouve souvent une grande quantité de varech et de plantes diverses qui en couvrent la surface.

Il paraît constant aujourd’hui, que le sel sédatif se trouve naturellement dans l’eau de quelques lacs, tels que celui de Monte-Rotondo, en Italie. Cette circonstance n’est peut-être pas particulière à ce lac ; et c’est encore un objet de recherches pour les navigateurs, dans le cas où ils visiteraient l’intérieur de quelques-uns des pays où ils aborderont.

Il pourrait arriver aussi qu’ils trouvassent de l’alcali minéral ; et alors l’examen des substances dont cet alcali serait mélangé, sa distance par rapport à la mer, et les autres circonstances de ce genre, leur fourniraient des conjectures sur le procédé que la nature emploie pour opérer l’alcalisation du sel marin.

Enfin, les navigateurs, attentifs à toutes les recherches capables d’éclairer la chimie sur les procédés qu’elle fournit aux arts, pourront observer dans les pays qu’ils parcourront, les couleurs qu’on y emploie pour teindre les étoffes, les substances dont on tire ces couleurs, et les moyens qu’on a imaginés pour les appliquer.

Anatomie[modifier]

L’attention et la curiosité de ceux qui ont entrepris de grands voyages, ont dû naturellement se porter vers les diverses variétés de l’espèce humaine. La plupart se sont attachés à observer et à décrire les caractères extérieurs qui se tirent de la couleur, de la stature, de la conformation, et les autres différences du même genre, susceptibles d’être saisies avec facilité, même par des yeux ordinaires.

Il serait à désirer que l’on étendît cette comparaison aux parties intérieures, par des recherches anatomiques : on se procurerait, dans cette vue, les ossemens de la tête et l’os hyoïde d’un cadavre de bonne taille, chez les nations qui paraîtraient différer sensiblement de celles des pays tempérés de l’Europe, par la forme du visage, ou par celle de la tête entière ; on pourrait ainsi acquérir des connaissances sur les variétés qui se trouvent dans l’homme par rapport à la forme des os de la tête.

Pour tirer encore un parti plus intéressant de cette connaissance, on pourrait comparer les proportions du corps des hommes de différentes nations, avec celles que suivent les dessinateurs, pour représenter la belle nature, en divisant la hauteur du corps en huit parties. Il faudrait aussi prendre la hauteur en ligne droite, depuis le bas des talons, jusqu’au sommet de la tête.

Les dimensions qu’il conviendra de mesurer avec le plus de soin, sont : la longueur de la grande brasse ; celle de la petite brasse, c’est-à-dire, la longueur d’un seul bras, depuis le dessous de l’aisselle jusqu’à l’extrémité du doigt du milieu ; la circonférence de la tête, à la hauteur du front ; celle de la poitrine, à la hauteur du sein ; celle du ventre, à la hauteur de l’ombilic.

Les anatomistes ont trouvé que le nombre des vertèbres lombaires variait quelquefois de cinq à six. Il faudrait examiner si les cadavres, dans les pays où les hommes sont d’une très-haute taille, ont six vertèbres lombaires.

On joindra, autant qu’il sera possible, à ces connaissances, celle de la durée de la vie, et de l’âge de puberté pour les deux sexes.

Zoologie[modifier]

La zoologie, dans l’état actuel où se trouve cette science, offre aux navigateurs un point de vue bien propre à les intéresser, par les avantages qu’elle peut tirer de leurs découvertes pour les progrès de l’anatomie comparée ; mais cet objet ne peut être rempli avec succès, qu’autant que leurs descriptions se rapporteront à une méthode commune. L’académie les invite à faire usage de la méthode qui a été suivie dans l’Histoire naturelle générale et particulière, comme étant celle qui présente le plus grand ensemble de descriptions, en ce genre, qui ayent encore été faites sur un même plan.

À l’égard de la description des nouvelles espèces d’oiseaux qui se rencontreront, on peut prendre pour modèle l’Ornithologie de M. Brisson.

Le goût des coquilles rares a rendu la plupart des voyageurs plus attentifs, dans leurs recherches en ce genre, à ce qui pouvait satisfaire la curiosité des amateurs, qu’à ce qui eût fourni de nouvelles lumières aux savans. Le point important serait de reconnaître toutes les coquilles d’une même côte, particulièrement l’espèce dominante, et de plus, la conformation des animaux qui y sont renfermés : ce serait encore, de comparer, autant qu’il se pourra, les coquillages pétrifiés des différens parages avec les coquillages vivans des mers voisines, et de voir si nos coquillages pétrifiés de l’Europe ont leurs analogues vivans dans les mers éloignées, ainsi qu’il paraît qu’on en a déjà trouvé quelques-uns.

Minéralogie[modifier]

La minéralogie ouvre un champ vaste et fécond aux observations des voyageurs. Ces observations auront sur-tout du prix, lorsqu’elles seront liées les unes aux autres, et que, par leur rapprochement, elles s’éclaireront mutuellement : ainsi l’examen des matières qui forment les deux côtes correspondantes d’un détroit, ou de celles dont est composé, d’une part, le sol d’une isle, et de l’autre, le continent qu’elle regarde, peut faire conjecturer si une plage est d’ancienne ou de nouvelle formation, si une isle est voisine de l’embouchure d’un fleuve, ou si elle a fait partie du continent.

Il serait utile encore de rechercher, dans chaque isle un peu considérable, ou dans les portions du continent que l’on pourra visiter en détail, à quelle hauteur au-dessus du niveau de la mer, se trouvent les dépôts marins en couches horizontales. On a soupçonné que les montagnes composées de couches horizontales et calcaires, diminuaient de hauteur, à mesure que l’on s’approchait de l’équateur, et que dans cette partie du monde, les montagnes qui avaient cette même structure par couches horizontales, ne s’élevaient presque point au-dessus du niveau de la mer. Ce serait un fait important à constater.

En général, l’aspect des montagnes, sur-tout vers les endroits où leur flanc, coupé à pic, offrirait des indices plus marqués de leur structure, la composition des rochers de granit qui pourraient former le noyau de plusieurs de ces montagnes, les produits des volcans, et sur-tout les basaltes, etc. Sont autant d’objets de recherches, qui ne peuvent échapper à l’attention éclairée des navigateurs.

Les cristallisations se présentent, aux yeux des naturalistes, sous un aspect trop attrayant, pour qu’il soit nécessaire d’avertir les voyageurs d’en recueillir le plus grand nombre qu’il leur sera possible. L’académie les invite seulement à donner une attention particulière à certaines variétés qui manquent dans la collection du cabinet du roi, ou qui ne s’y trouvent point sous des formes assez nettes ou assez prononcées. En voici la liste, faite d’après la nomenclature adoptée par M. Daubenton, dans la distribution méthodique des minéraux :

I°. Le crystal de roche à deux pyramides, sans aucun indice de prisme intermédiaire ; 2°. le feld-spath en prisme oblique, à quatre pans ; 3°. le spath pesant octaèdre cunéiforme, à sommets aigus ; 4° le spath fluor en octaèdres réguliers ; 5°. le spath calcaire en rhomboïdes aigus et bien saillans ; 6°. le spath calcaire à six pans rhomboïdaux et six faces en losange ; 7°. la pyrite ferrugineuse à vingt faces triangulaires ; 8°. la mine de cobalt sulphureuse.

Pour faciliter aux voyageurs la recherche de ces variétés, l’académie leur fera remettre des polyèdres exécutés en bois, qui en représentent exactement les formes.

Les voyageurs rapporteront nécessairement des échantillons des bois et des marbres qui leur paraîtront les plus intéressans. On leur fait observer que les échantillons de ce genre, qui sont au cabinet du roi, ont sept pouces de hauteur, sur cinq de largeur, parce qu’il faut qu’ils ayent au moins cette grandeur pour que l’on puisse bien reconnaître les caractères d’un bois ou d’un marbre. Il faut de plus, pour les bois, une coupe transversale : dans un tronçon de dix pouces de longueur, on peut aisément prendre une rouelle coupée transversalement, et une planchette de sept pouces de longueur, sciée longitudinalement sur la maille, c’est-à-dire par une coupe qui passe sur la moelle.

Les voyageurs pourront trouver, lorsqu’ils s’avanceront dans les terres, des tourmalines et d’autres cristaux qui s’électrisent par la seule chaleur. Comme la plupart de ces cristaux sont en canons adhérens à la gangue par une de leurs extrémités, et dirigés en différens sens, l’académie désirerait que les voyageurs fissent des expériences pour examiner si l’espèce d’électricité positive ou négative que les cristaux dont il s’agit manifestent constamment par un de leurs bouts, a quelque rapport avec la position de ces cristaux, soit sur leur gangue, soit relativement les uns aux autres.

Botanique[modifier]

Les différens voyages entrepris depuis un certain nombre d’années, ont enrichi la botanique par la découverte d’une multitude de plantes méconnues jusqu’alors ; et le règne de la nature est si fécond, que nous sommes fondés à espérer une nouvelle récolte des recherches de nos voyageurs : mais il serait à souhaiter que ces recherches fussent dirigées spécialement vers des objets d’utilité, tels que la connaissance des plantes dont les habitans des différens pays où séjourneront les voyageurs, font usage, soit pour la nourriture, soit en médecine, soit relativement aux arts. Ils pourraient aussi rapporter des échantillons et des graines des plantes dont on ne nous envoie que les parties usuelles, et nous en donner des descriptions complètes : dans cette classe sont presque tous les bois dont on se sert pour la teinture, ceux qu’emploient les ébénistes à des ouvrages d’utilité ou d’agrément, et certaines racines, écorces, feuilles, qui se débitent dans le commerce, et dont l’origine doit piquer davantage notre curiosité, à proportion que leur usage nous est plus familier. En général, les navigateurs ne sauraient trop s’attacher à faire une collection riche et variée de graines d’arbres ou d’herbes exotiques, prises à une température qui ne diffère pas trop sensiblement de celle de la France, et dont les productions, en se naturalisant dans notre climat, peuvent servir à orner un jour nos plantations, ou à multiplier nos prairies artificielles.

On cultive dans la nouvelle Zélande une plante de la famille des liliacées, connue sous le nom de lin de la nouvelle Zélande. Ce lin est employé dans le pays pour faire des toiles, des cordages, et différens tissus. Le capitaine Cook a rapporté en Angleterre une grande quantité de graines de cette plante, dont aucune n’a levé. Le transport de quelques pieds de la plante même serait peut-être l’occasion d’un des plus beaux présens que des voyageurs pussent faire à nos climats.

Nous n’avons en France que l’individu mâle du mûrier-papier (morus papyrifera Linnoei), dont on se sert à la Chine pour faire du papier, et dans l’isle d’O-Taïti, pour faire des étoffes. Nous ne connaissons que l’individu femelle du saule pleureur (salix babylonica linnoei) : l’individu mâle d’une espèce de fraisier dioïque nommé fragaria Chilensis, nous est également inconnu ; il croît naturellement au Chili, d’où il a été rapporté par M Frézier. Les fruits de cette plante, qui, dans leur sol natal, parviennent quelquefois à la grosseur d’un œuf de poule, sont beaucoup plus petits sur les pieds que l’on cultive en France ; et cette différence peut venir, en grande partie, du défaut de l’individu mâle auquel on ne supplée qu’imparfaitement, en employant, comme on fait, des pieds de caprons pour féconder les pieds femelles de ce fraisier. Si par quelque circonstance particulière, les navigateurs se trouvaient dans les pays qui produisent les diverses plantes dont il s’agit, ils pourraient s’occuper des moyens de nous rapporter dans chacune des espèces citées, le sexe qui nous manque.

L’académie a joint ici différentes notes qui lui ont été communiquées par plusieurs de ses membres, et dans lesquelles les navigateurs trouveront l’explication des procédés relatifs à quelques-unes des vues proposées dans ce mémoire.

Observations de M. Buache[modifier]

Le gouvernement s’étant occupé particulièrement à rassembler toutes les connaissances géographiques sur les mers que l’on se propose de parcourir dans ce nouveau voyage, il suffira d’indiquer ici quelles sont les parties de ces mers où l’on peut espérer de faire de nouvelles découvertes.

I°. Dans la partie méridionale de la mer du sud, il y a deux espaces qui sont encore peu connus, et où il y a tout lieu d’espérer qu’on trouvera de nouvelles terres.

Le premier est l’espace situé au sud des isles de Pâque et de Pitcairn, entre les 30e et 35e degrés de latitude. Les nouvelles cartes de Cook y marquent un groupe d’isles qu’on dit avoir été découvertes par les Espagnols, en 1773 ; et la plupart des navigateurs qui ont passé au nord de cet espace, y ont eu des indices de terre. On voit en outre, dans l’Histoire des Voyages de la mer du Sud, publiée par M. Dalrymple, que le pilote Juan Fernandès, faisant route de Lima au Chili, vers 1576, s’éloigna des côtes de l’Amérique, de près de 40°, pour ne pas être obligé de lutter continuellement contre les vents contraires ; et qu’après un mois de navigation, il aborda à une côte qu’il crut être un continent, à cause de son étendue. Le pays était très-fertile, et habité par un peuple blanc, de la taille des européens, et qui était vêtu d’une très-belle étoffe ; il reçut avec amitié les navigateurs, et leur fournit des productions du pays. Fernandès, se proposant de faire un armement, et de retourner dans ce pays avec ses compagnons, garda le secret sur sa découverte, et mourut avant l’exécution de son projet, que l’on perdit bientôt de vue. Cette terre de Fernandès, différente de l’isle à laquelle ce navigateur a donné son nom, pourrait être la même que le groupe d’isles qu’on dit avoir été découvertes par les Espagnols, en 1773.

Le second espace qui mérite d’être reconnu plus particulièrement, est ce qui est compris entre les nouvelles Hébrides et la nouvelle Guinée. M. de Bougainville et M. de Surville sont les seuls navigateurs qui y ayent passé ; et par la situation des parties de terres qu’ils y ont vues, on a tout lieu de croire que ces terres sont les anciennes isles découvertes par Mendana, en 1567, et connues ensuite sous le nom d’isles de Salomon. M. de Surville a eu la vue de ces terres pendant plus de cent vingt lieues, et toujours dans la latitude assignée aux isles de Salomon.

Puisqu’on a retrouvé une grande partie des anciennes découvertes de Mendana et de Quiros, il y a tout lieu de croire qu’on retrouvera le reste ; et leurs mémoires méritent d’être consultés. On retrouvera encore l’isle de Taumago de Quiros, avec les isles de Chicayana, Guaytopo, Pilen, Naupau, et autres, qui en sont voisines, puisque c’est en quittant cette isle, ou dix jours après, que Quiros aborda à la terre du Saint-Esprit, qui est connue aujourd’hui sous le nom de nouvelles Hébrides.

2°. La partie septentrionale de la mer du Sud, moins connue encore que la partie méridionale, peut donner lieu à un plus grand nombre de découvertes. Il y a d’abord au sud des isles Mariannes ou des Larrons, entre les 5 et 10 degrés de latitude nord, une chaîne d’isles, divisées en plusieurs groupes, et qui s’étendent à plus de 25 degrés en longitude : on ne connaît ces isles que par une description vague, et une carte dressée seulement sur le rapport des habitans de quelques-unes de ces isles, qui ont été jetés par une tempête sur les côtes de l’isle de Guaham, et que le père Cantova a interrogés sur la situation de ces isles ; elles ont échappé aux observations des navigateurs, parce que dans leur traversée, ils dirigent leur route vers l’isle de Guaham, qui est plus au nord.

La partie de cet océan, qui est au nord-est des isles Mariannes, ou à l’est du Japon, est également inconnue ; on a seulement des indices qu’il y a des isles en assez grand nombre et assez intéressantes : on a parlé entre autres, d’une isle assez considérable, située à environ trois cents lieues à l’est du Japon, où ses habitans venaient commercer.

La terre d’Yeso, au nord du Japon, ne paraît pas devoir être telle que les Russes et les Anglais l’ont représentée. Les connaissances que le dernier voyage de Cook nous donne de la côte orientale du Japon, nous portent à croire que la carte de la découverte du Yeso, faite par le vaisseau hollandais le Kastricum, est assez exacte ; mais les Hollandais n’ont vu qu’une partie de cette terre, qui peut être intéressante.

3°. Sur la côte occidentale de l’Amérique, au nord de la Californie, on retrouvera sûrement la rivière de Martin d’Aguilar, à 43° de latitude. Martin d’Aguilar était un des pilotes de Sébastien Viscaino, dont le voyage en cette partie est un des plus intéressans qui ayent été faits.

Il serait à désirer qu’on pût se procurer quelques connaissances des peuples de l’intérieur des terres qui sont au nord de la Californie ; et, sur ce point, on peut consulter le Voyage de Carwer, et même la Lettre de l’amiral de Fuente, quelque décriée qu’elle ait été. Il serait à désirer qu’au retour on recherchât les isles Denia et Marseveen, situées au sud du cap de Bonne-Espérance, et où les Hollandais envoient chercher du bois.

Si l’on voulait s’avancer vers le pôle méridional, relativement à quelques observations physiques, il serait à désirer qu’on le fît dans le sud-ouest du cap de Bonne-Espérance et du cap de Horn.

Dans le premier cas, on pourrait retrouver le cap de la Circoncision, en le cherchant à la longitude que M. le Monnier lui a assignée, ou entre 3 et 4 degrés de longitude à l’est du méridien de Paris ; c’est la position que lui donnent d’autres considérations, indépendamment de celles de M. le Monnier. De l’autre part, on retrouverait les isles et le port où Drake a abordé.

On désirerait que les navigateurs nous fissent connaître les noms que les habitans donnent aux isles qu’ils découvriront, et qu’ils pussent nous procurer un vocabulaire des différens noms que les insulaires donnent aux objets les plus remarquables et de première nécessité.

Examen de la nature de l’air[modifier]

L’examen de l’air de l’atmosphère, et de son degré de salubrité, à différentes latitudes, dans les différens parages, et à différentes élévations, est un objet d’autant plus intéressant, qu’il n’a encore été rien fait d’exact en ce genre, et qu’on ignore absolument si la nature et la composition de l’air sont les mêmes dans les différentes parties du monde, et à différentes élévations. L’épreuve de l’air nitreux paraît être la plus simple et la plus sûre. M. Lavoisier, dans un mémoire imprimé dans le recueil de 1782, a fait voir que, pourvu qu’on employât plus d’air nitreux qu’il n’en fallait pour la saturation, il était toujours facile de conclure, par un calcul simple, la quantité d’air vital contenue dans une quantité donnée d’air de l’atmosphère.

Une première attention, pour ce genre d’expériences, est de se procurer de l’air nitreux à peu près pur. Celui qu’on tire de la dissolution du mercure, par l’acide nitreux, est le plus pur de tous ; mais, à son défaut, on peut employer, sans inconvénient, celui obtenu par le fer. On commence par introduire deux cents parties d’air nitreux dans l’eudiomètre ; on y ajoute ensuite cent parties de l’air qu’on veut essayer, et on observe le nombre des parties restantes après l’absorption. En retranchant le résidu de la somme des deux airs, en multipliant ce résultat par quarante, et divisant ensuite par cent neuf, le nombre qu’on obtient exprime la quantité d’air vital contenue dans cent parties de l’air qu’on a essayé.

Il sera bon de tenir note de la hauteur du baromètre et du thermomètre.

Pesanteur spécifique de l’air[modifier]

Le projet des voyageurs étant d’embarquer à bord des frégates une machine pneumatique, on croit qu’il serait bon d’y joindre un globe de verre qui s’y adaptât, dans lequel on ferait le vide, et dans lequel on laisserait ensuite entrer l’air. En pesant ce globe ou matras vide et rempli d’air, on aurait la pesanteur spécifique de l’air dans les différens parages. Il faut avoir grand soin d’observer la hauteur du baromètre et du thermomètre, à chacune de ces opérations.

Ce genre d’expériences suppose que les voyageurs auront à leur disposition une balance très-exacte, qui puisse peser d’une manière commode, à la précision du demi-grain.

Examen des eaux[modifier]

M. l’abbé Chappe, dans son voyage en Californie, a déterminé la pesanteur spécifique de l’eau de la mer, dans un grand nombre de parages ; et il en résulte des conséquences intéressantes sur le degré de salure des eaux de la mer. M. de Cassini a publié le résultat de ces expériences, d’après les notes qu’il a trouvées dans les manuscrits de M. l’abbé Chappe. Il paraîtrait intéressant de suivre ces expériences, puisqu’on a l’occasion de déterminer, pour ainsi dire, en un seul voyage, le degré de salure de presque toutes les mers. Les voyageurs n’ont besoin, à cet effet, que d’un pèse-liqueur très-sensible, construit sur les principes de Farenheit, et semblable à celui que M. Lavoisier avait fait construire, dans le temps, pour M. l’abbé Chappe. On pourra employer le même instrument pour déterminer la pesanteur spécifique de l’eau des lacs, des rivières, des fontaines ; et en y joignant quelques expériences faites avec des réactifs, on aura une idée non-seulement de la qualité, mais encore de la quantité des sels contenus dans ces eaux.

Lorsque par les réactifs, et par la pesanteur spécifique, une eau paraîtra présenter quelque chose d’intéressant, on pourra en faire évaporer une portion, et on rapportera le résidu, bien étiqueté, pour être examiné avec soin au retour.


  1. Dans cette dernière hypothèse, la force centrifuge des molécules d'air éloignées de l'ase de rotation doit diminuer la pression de celles qui sont placées près de cet axe, les forcer à se dessaisir de l'eau qu'elles tenaient en dissolution, et occasionner un nuage dont la forme sera à peu près celle d'un solide de révolution, et dont les gouttelettes se disperseront bientôt par l'effet de la force centrifuge. La pression de l'air de l'atmosphère n'étant pas diminuée dans le sens de l'axe de rotation, l'air doit perpétuellement se renouveler en arrivant par les deux extrêmités de cet axe, et, par la diminution de pression, entretenir dans l'intérieur une précipitation d'eau continuelle, qui durera autant que le mouvement de turbination, et dont l'abondance dépendra de la vitesse de ce mouvement, et de la masse d'air qu'il affecte.