Voyage du Condottière, par André Suarès

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Voyage du Condottière, par André Suarès
La Nouvelle Revue FrançaiseTome XII (p. 319-320).

VOYAGE DU CONDOTTIÈRE, par André Suarès (Émile Paul).

Le Voyage du Condottière que les lettrés chérissaient depuis plusieurs années dans un volume de fortune, paraît enfin dans une édition convenable. Aucun Voyage en Italie n’est plus jeune, plus héroïque, plus sensuel. À la terre de la beauté M. Suarès n’a voulu apporter que de la beauté, il en a créé, versé, fait tournoyer à profusion, et, comme un prince de la Renaissance, il ne vit ici que dans les fêtes flamboyantes du style. Il y a des phrases où l’on mord comme dans des fruits, des phrases d’or, de parfums, de cristal… Mais ces phrases vives ne sont point vides, un cœur ardent les alimente. « Je n’ai pas mangé depuis trente heures. La lumière nourrit. » C’est cela, la phrase boit à torrents une nourriture qui lui verse la vie, et qui ne l’alourdit jamais. Mais précisément parce que cette lumière vibre sur des paysages vrais, sur des fonds substantiels, elle ne cesse jamais de donner l’impression de la réalité. Elle est contrainte, comme un fleuve, entre deux rives dures, celle du pays, celle du voyageur. « Un homme voyage pour sentir et pour vivre. À mesure qu’il voit du pays, c’est lui-même qui vaut mieux la peine d’être vu. Il se fait chaque jour plus riche de tout ce qu’il découvre. » Aussi, avant d’entrer dans le voyage, M. Suarès fait-il le portrait du voyageur. Ainsi procédait Taine, lui aussi, au début de son Voyage en Italie. Il est bon en effet que le lecteur connaisse la lunette humaine par laquelle il regardera. « C’est un homme qui a toujours été en passion, écrit Caërdal de lui-même. Et c’est par là qu’on l’a si peu compris. » C’est par là qu’il comprend l’Italie ardente du Nord, celle de la Renaissance, c’est par là qu’il comprend, qu’il revit, qu’il laisse couler dans son sang la passion de l’Italie, l’Italie de la passion. C'est par là qu’il comprend et qu’il aime Stendhal (l’admirable chapitre sur Stendhal en Lombardie !) qui a compris et aimé la passion, qui, voyant la passion sur tous les visages de l’Italie « a créé une Italie plus italienne cent fois que celle que nous avons sous les yeux. » (Éloge ? ironie ??) Et l’Italie du Condottière, toute faite d’essences, est plus italienne encore que celle de Stendhal, plus italienne des musiques, des couleurs, et des parfums qu’elle y ajoute.

A. T.