Voyage du président de la Grèce

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GRÈCE.Voyage du président. — Le comte Capo-d’Istria a fait, dans les derniers jours d’octobre 1830, une longue tournée dans les provinces maritimes du golfe de Corinthe, à laquelle on attribue divers motifs politiques. Nous donnerons ici son itinéraire, qui fait assez bien connaître l’état du pays qu’il a parcouru.

Le 20 octobre, le président passa la nuit à Argos, et le 21 à Ajonori, gros village, mais pauvre, situé sur le sommet le plus élevé des montagnes qui séparent le golfe d’Argos de celui de Corinthe.

Le 23, il visita Corinthe. Cette ville se relève peu à peu de l’état de misère auquel l’avaient réduite Dramali et ses soixante mille Turcs. Les maisons que les Corinthiens construisent, d’après les plans de l’ingénieur-géographe Peyter, sont de pierre et en général très-vastes. On remarque surtout parmi ces constructions un khan spacieux, espèce de caravansérail dont la distribution intérieure est parfaitement conforme aux habitudes du pays, mais dans lequel les voyageurs européens trouvent, dit-on, des chambres garnies d’un lit, d’une table et de quelques siéges.

Dans l’après-midi du même jour, le président, accompagné du gouverneur de la province, se rendit à pied à Loutraki. C’est un trajet de plus de trois heures, à travers une campagne généralement inculte ; car en ce pays, comme dans toute la Grèce, les campagnes, quoique fertiles, manquent de bras pour les défricher.

Le bateau à vapeur le Mercure transporta le président à Galaxidi. La marine des Galaxidiotes, dans laquelle consistait leur principale richesse, n’existe plus ; mais ils se sont rassemblés, et ont construit de petits navires avec lesquels ils naviguent aujourd’hui. Quelques centaines de maisons ont déjà été bâties parmi les ruines. Un beau môle entourera dans peu le port. Une école d’enseignement mutuel, pouvant contenir 300 enfans, se trouve déjà terminée.

Les Galaxidiotes s’uniront avec leurs voisins de Salone pour bâtir, à l’endroit où était l’ancienne Crissa, une nouvelle ville qui portera le même nom. Le gouvernement vient d’en approuver le plan.

Le président arriva à Naupacte le matin du 24. Il en repartit vers midi, après avoir visité la métropole, l’école, les casernes, les magasins, l’hôpital militaire, les fortifications, les demeures du commandant de la garnison et de celui des troupes régulières.

Naupacte se rétablit aussi, autant que le permettent les faibles moyens de la ville. Sous le gouvernement ottoman, elle n’était habitée que par les Turcs. Ainsi ses bâtimens ruinés sont tous propriétés nationales, et doivent être restaurés par le gouvernement.

Le 25, le Mercure transporta le président jusqu’aux bancs de Vassiliadi, où il faut aborder pour arriver à Missolonghi. Il fit son entrée dans cette ville très-tard dans la soirée ; la foule s’était portée à sa rencontre, et l’accompagna jusqu’à la demeure du commissaire extraordinaire, où il devait loger.

Le 26 au matin, le président visita les alentours de cette ville, si riche en souvenirs glorieux et récens. La muraille extérieure avec ses grandes ouvertures, et la chaussée, partout endommagée par les boulets et les bombes, rappellent à chaque pas les prodiges de valeur que l’amour sacré de la patrie et de la liberté ont inspirés à une poignée de braves.

Le président s’arrêta long-temps aux canons de Marco Botzaris, au terre-plein de Clissova, aux ruines de l’église, où reposent les cendres de tant d’Hellènes massacrés dans la sortie qu’ils firent, lorsque la faim et le désespoir les forcèrent à s’ouvrir un chemin à travers le camp ennemi.

Ces cendres, recueillies par ordre du gouvernement, seront conservées dans un monument pour la construction duquel le baron Schaumbourg, ingénieur en chef, a désigné un lieu convenable. Cet ingénieur a reçu également l’ordre de dresser le plan de la ville, et de régler, autant qu’il sera possible, l’alignement des rues. 200 élèves étudient dans l’école construite et organisée pendant l’année 1830.

Deux casernes, quoique petites, ont été construites, et la métropole a été restaurée. Missolonghi compte à présent 400 maisons et 4 à 5000 habitans, vivant en général du commerce et de la pêche.

Le 27, le président poussa par mer jusqu’à Anatolico. Les habitans de cette petite ville ayant l’intention d’unir, au moyen d’un pont, la petite île sur laquelle se trouve bâtie la ville, avec la partie de la terre ferme qui lui fait face, le gouvernement leur procurera, pour cet objet, le secours d’un ingénieur.

Avant de rentrer à bord, le président visita la fortification de Vassiliadi, et vers le milieu de la nuit, il arriva à Patras. Il y passa la journée du 8 pour assister à l’ouverture de l’école publique, et disposer, de concert avec l’autorité locale, ce qui concerne la reconstruction de cette ville sur les nouveaux plans.

Le 29, il passa par la forteresse du Péloponèse, à Vostitza. Le 30, il dîna chez un des principaux du village de Diocoto, et la nuit il coucha à Vallimy.

Le jour suivant, après avoir passé par les vallées habitées de la province de Calavrita, et s’être arrêté successivement dans les villages de Versora, Arfara, Svira, Caryès et Zacoula, il arriva le soir à Tricala.

Le 1er novembre, il arriva à Argos, et le jour suivant à Nauplie.

Ce voyage ne sera pas sans fruit. Partout où le président passait, les habitans des villes, bourgs et villages qu’il n’avait jamais visités, s’attroupaient autour de lui, empressés de le voir, de lui parler de leur situation, de leur dévoûment… C’est au milieu des montagnards, cette partie de la nation moralement plus saine, qu’il faut étudier le véritable esprit du peuple, et on se convaincra que là il est sincèrement attaché à la conservation de l’ordre et de la tranquillité, qu’il a ouvert les yeux sur les machinations coupables par lesquelles on espérait le jeter dans une route opposée ; enfin qu’il sent le besoin de se préserver, par l’instruction, contre ceux qui favorisaient son ignorance pour leur propre intérêt.