Voyage en France 9/XX

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XX

LES QUATRE-MONTAGNES

Les dernières diligences. — Grenoble au matin. — Traversée de Sassenage. — La cascade du Furon. — Les gorges d’Engins. — Lans et les Quatre-Montagnes. — Villard-de-Lans. — Les gorges de la Bourne. — Rencurel et le col de Romeyère. — Traversée du Pas-de-l’Échelle. — Vue sublime. — Descente en Graisivaudan.

Vinay, 4 avril 1896.

Les voitures publiques ont dû se plier aux horaires des chemins de fer et aux nécessités du service postal plus qu’aux convenances des voyageurs. Chaque matin, parfois avant le jour, les trains apportent le courrier de Paris et aussitôt les carrioles, les omnibus et les diligences s’en vont répartir lettres et journaux dans les bureaux de poste. Pour les voyageurs descendus du train c’est un avantage précieux, mais le citadin obligé de se lever avant le jour apprécie moins cette rapidité. Comme ils geignaient ce matin, mes compagnons de route, levés avant le jour pour prendre la voiture de Villard-de-Lans ! Nous devions quitter Grenoble dès l’aube, il ventait froid, les cimes étaient couvertes de neige, on eût été si bien dans son lit ! d’autant mieux que l’hiver revenait après une radieuse mais fugitive apparition du printemps.

En attendant le chemin de fer à crémaillère qui doit gravir les flancs des Quatre-Montagnes, le Villard-de-Lans n’a de relations avec le Graisivaudan que par les voitures publiques, diligences classiques ayant leur bureau dans un café où l’on s’inscrit sur un registre et dont le conducteur appelle les voyageurs par leur nom au moment du départ. Pendant l’été, de grands breaks d’excursion, appelés le « train de plaisir », remplacent cet équipage archaïque.

On devait partir à 4 heures et demie, il en est cinq quand la lourde machine s’élance au galop de ses trois chevaux. Le jour se lève, pâle, glacial. Depuis mon dernier voyage, Grenoble s’est bien transformé encore ; de nouvelles et superbes maisons à quatre ou cinq étages bordent les avenues jadis vides. Les rues que nous suivons ont reçu les rails d’un tramway desservant Sassenage et Veurey. On franchit le Drac sur un pont de fer en treillis pour traverser la plaine de Fontaine. Dans les jardins, pêchers, cerisiers, amandiers sont en fleurs, contrastant avec l’atmosphère froide, avec les blancheurs neigeuses du Rachais, du Casque de Néron et des Trois-Pucelles. En quelques minutes nous atteignons Sassenage. La petite ville, que le tramway à vapeur vient de rapprocher du chef-lieu, se prépare à employer la lumière électrique. Un tuyau de fonte est placé aux flancs de la vertigineuse falaise qui domine la vallée, les eaux dérivées du Furon dans la vallée d’Engins descendront avec une force énorme et feront mouvoir les dynamos. Sassenage, à cette heure, est d’un calme exquis, on n’entend d’autre bruit que le murmure des fontaines coulant dans les vasques de pierre et les sonnettes de l’attelage. Trois chevaux de renfort ont été placés à la diligence.

À grand bruit de fouet et de grelots nous nous remettons en route ; le chemin est étroit, d’une déclivité extrême, taillé en corniche au flanc de la montagne. De l’impériale où je suis installé, on a une vue admirable sur le radieux paysage grenoblois, sur la plaine iserane verte et fleurie enfermée entre ses monts calcaires, aux gigantesques parois, taillés en coupures grandioses. À mesure que l’on monte, entre des éboulis formidables, à peine entremêlés de quelques broussailles, ou longeant de vastes usines à chaux hydraulique, la vue se fait plus belle encore sur le massif de Belledonne et la Grande Chartreuse, sur Grenoble étalé entre ses puissantes rivières.

L’équipage, péniblement, hisse la diligence par les lacets sans fin de la route, stimulé à coups de fouet et par des objurgations spéciales à chaque animal. Les six bêtes ont un nom, à tour de rôle elles sont appelées pour éveiller l’attention :

— Hue, la Cantinière !

— Veille donc, Maréchal !

La Cantinière et le Maréchal n’en vont pas plus vite pour cela, ils gravissent à leur aise les pentes maintenant couvertes de vignes en hautins, bien soignées ; ils laissent de côté les travaux d’une route nouvelle qui adoucira les pentes en allongeant le trajet de 1, 800 mètres et nous mènent jusqu’aux abords de la fissure profonde où le Furon se précipite. Près d’une petite chapelle construite sur un rocher et peinte à la façon italienne, Notre-Dame-des-Vignes, on domine de très haut le château de Sassenage si pittoresquement juché sur sa roche. Le grondement du torrent qui se brise remplit le paysage d’un puissant murmure. De la route même on ne distingue pas la cascade ; on voit arriver le torrent, furieux et limpide, pour se précipiter dans l’abîme. La gorge par laquelle il débouche est sévère, d’étroits chemins muletiers en gravissent les pentes ; sur la route, des chars portant des troncs de sapin sont conduits par des voituriers enfouis sous de grandes limousines et dont le sauvage aspect s’harmonise bien à celui du paysage. Le torrent et la roule remplissent le fond de la gorge, la route gravissant des pentes régulières, le Furon descendant de chute en chute. À mesure que la route s’élève, le lit du Furon est plus profondément creusé, bientôt c’est une simple fissure où l’œil pénètre rarement jusqu’aux eaux écumeuses.

Le pays est désert ; aux Brets on trouve enfin quelques maisons. C’est demain Pâques, on festinera dans les chalets de la montagne, aussi la diligence distribue-t-elle sur le chemin la viande commandée la veille à Grenoble. Au-dessus des Brets, on commence à trouver la neige ; dans les endroits peu exposés au soleil elle forme des couches épaisses. Nous passons en vue du dangereux défilé du Pas-du-Curé qui conduit à Saint-Nizier. La route est ici creusée en encorbellement, les eaux qui suintent sans cesse du rocher ont formé de longues stalactites de glace, nous passons sous une véritable voûte de cristal. Les rochers se font immenses jusqu’au hameau des Jaux, sous l’église d’Engins, où a lieu le relais.

Le village est sons la neige. L’air est très froid, je descends de l’impériale tout transi. L’auberge est accueillante ; sur le poêle, tout rouge, bout une odorante soupe aux choux et au lard, les soupières sont aussitôt remplies, tous les voyageurs sont attablés. On arrose la soupe et le petit salé d’un verre de vin de la Tronche, on prend un café bien chaud. Nous voilà prêts maintenant à affronter les gorges d’Engins et les neiges du haut plateau de Lans.

Le Furon est ici un ruisseau fort sage, il coule au pied de grandes parois calcaires, entre de jolies prairies et des bois de sapins. Les murailles de rochers s’entr’ouvrent parfois, présentant de superbes cirques comme celui où descend le ru des Merciers et un autre, plus grandiose encore, terminé par les plus hauts sommets du Moucherolle, (1,906 mètres) falaises calcaires dressées d’un jet.

Voici l’entrée des gorges d’Engins d’une sauvagerie charmante ; les rochers à pic, aux teintes blanches, sont couronnés de sapins. Plus loin, les parois se resserrent, se creusent de fissures et de grottes profondes, des fontaines jaillissent à leur pied ; un rocher est à jour, formant un large tunnel. Pendant deux kilomètres la route court ainsi dans la coupure majestueuse, où des sources, d’étroites prairies, des sapins sur les sommets, enlèvent l’âpreté ordinaire des gorges rocheuses. À l’Olette (ou Lolettes) près d’une scierie, les murailles s’écartent et l’on voit s’ouvrir le grand bassin de Lans. À droite, une haute croupe couverte de taillis, semée à sa base des jolies maisons de l’Olette. À gauche, sur une colline isolée, autour d’une église à flèche trapue, se groupent les maisons de Lans, très humble village qui n’en a pas moins imposé son nom au pays parcouru par le Furon et la Bourne. Il doit sans doute cet honneur à ce que les deux cours d’eau principaux du massif naissent au pied du mamelon sur lequel Lans est bâti. De là on ne voit pas entièrement le massif des Quatre-Montagnes ou Montagnes de Lans ; mais on découvre en entier, jusqu’à la Grande-Moucherolle, l’immense chaîne calcaire qui, de ce côté, domine la vallée à 800 ou 1,000 mètres d’altitude et, du côté opposé, commande à près de 1,800 mètres le cours du Drac. Les Quatre-Montagnes, dans le langage local, semblent d’ailleurs indiquer plutôt le territoire de quatre communes : Lans, Villard-de-Lans, Autrans et Méaudre, ces deux dernières dans une vallée très fermée formant deux bassins distincts.

La route ne dessert pas Lans, elle passe à près d’un kilomètre du bourg, au hameau de Jaume. De là, on distingue nettement l’église, dont la façade neuve se détache au milieu des toits rouges ou gris. La vallée, dans laquelle on a pénétré par le seuil insensible où divergent les eaux du Furon allant au nord et celles de la Bourne descendant vers le sud, est d’un aspect très alpestre et fort riant malgré la neige couvrant encore les pentes. Les hameaux sont nombreux et bien disposés, les cultures assez étendues, mais les prairies dominent ; elles sont un peu marécageuses ; là se forme la Bourne, sinueuse et limpide, sans cesse accrue par des sources et déjà utilisée pour l’irrigation. À gauche, entre deux superbes crêtes rocheuses, s’arrondit le col de l’Arc, ouvert à 1,743 mètres ; il doit son nom à sa forme régulière. Rempli de neige, il est impraticable en ce moment.

Près de chaque hameau, des troncs écorcés de sapin attendent l’expédition à Grenoble, ils y seront formés en train sur l’Isère ou expédiés par le chemin de fer.

On traverse la Bourne au pont des Aniers, en vue du mamelon sur lequel apparaît le Villard-de-Lans, au pied de crêtes, noires de sapin ; quelques minutes après on atteint la place du bourg.

C’est le seul nom qui convienne à ce chef-lieu de canton appelé à un grand avenir comme station d’été. Dans ce Dauphiné si riche en beaux sites, le Villard-de-Lans répond le mieux par son altitude, ses prés, ses vallées, ses bois à l’idéal du séjour estival. Bâti à 1,100 mètres, bien au-dessus des torrents où se forment les brumes, entouré de superbes forêts, ayant dans son voisinage les majestueuses montagnes de la Grande-Moucherolle et les gorges superbes de la Bourne, il se transformera rapidement quand le chemin de fer projeté le reliera à Grenoble. Dès maintenant il reçoit d’assez nombreux touristes, Lyonnais et Grenoblois surtout. Sa situation au cœur des Quatre-Montagnes en fait le centre naturel de quatre vallées. Le commerce des bois, celui des beurres et des fromages dits de Sassenage, produits en abondance à Autrans et à Corrençon surtout, lui donnent une animation assez grande[1]. Mais ce n’est qu’un bourg aux rues montueuses dont le principal monument est un élégant hôtel de ville orné d’un campanile visible de fort loin.

La neige qui couvre les hauts vallons m’a empêché de les visiter. Cependant je n’ai pas voulu rejoindre le bas pays par la route déjà suivie. On m’a assuré que la vallée de Romeyère était libre et que je pourrais descendre par là à Saint-Marcellin. L’heure était déjà avancée, j’ai frété une voiture légère et, après déjeuner, nous nous sommes mis en route. En quelques instants on atteint le fond de la vallée de la Bourne, encore blanche de neige, mais bien belle cependant avec ses grands sapins saupoudrés de blanc. Des hêtres couvrent les premières pentes, ici la Bourne, si calme là-haut, gronde, bondit, écume et, bientôt, pénètre dans une gorge qu’elle suffît à remplir. La route a dû être frayée au pic et à la mine, elle est sans cesse en encorbellement. Dans cette fissure, le jour pénètre à peine, aussi le froid a-t-il été vif. D’immenses stalactites de glace pendent à la voûte, la paroi est revêtue de cristal, d’autres girandoles apparaissent dans les roches sur la rive opposée ; le torrent jette parfois d’étourdissantes rumeurs, il fait d’incessantes cascades. Tout cela : glace, neige, chutes, roches aux assises cyclopéennes, tunnels dans lesquels on pénètre brusquement, forme un spectacle inoubliable. Ah ! je ne regrette plus maintenant d’avoir rencontré l’hiver !

Plus on descend, plus les roches sont hautes, plus les fissures sont étroites et profondes. Cependant l’industrie a trouvé de la place. Une scierie a profité de l’abri offert par un gigantesque rocher en surplomb pour installer ses ateliers. Plus bas, près d’une autre scierie, abandonnée, une maison grise et sordide est collée à la roche qui la recouvre en partie. Elle est habitée par une veuve subsistant misérablement de vin ou du café vendu aux charretiers et du lait des chèvres qui vivent en hiver avec des feuilles de hêtre, appelé fayard en ce pays. C’est la nourriture du bétail dorant la mauvaise saison. Jadis la feuille de fayard fournissait la literie dans la montagne, mais les sommiers élastiques la remplacent peu à peu.

La gorge est encore grandiose au pont de la Goule noire où, d’une cavité profonde, sort une source puissante ; elle semble close par un éperon de la montagne dans lequel on pénètre par un tunnel et, soudain, on voit s’ouvrir un bassin asses ample au fond duquel sont les maisons cossues du grand et beau hameau des Balmes-de-Rencurel. Le fond du bassin est très vert, les prairies sont superbes ; tout autour se dressent, d’un jet, de formidables escarpements. Au sud c’est le Vercors vers lequel monte une belle route, au nord c’est une longue crête couverte jusqu’à la cime de noires forêts de sapins. Sur les pentes les hameaux sont nombreux, les maisons sont vastes, car elles abritent des troupeaux de chèvres ayant parfois jusqu’à 20 ou 26 têtes, et d’autre bétail. Les chèvres produisent du fromage dit de Saint-Marcellin, que viennent chercher des marchands de cette ville et de Vinay.

Le chemin du Pas-de-l’Échelle monte à Rencurel par de grands lacets. Hélas, la neige se fait plus abondante ; quand nous atteignons Rencurel, village que son église neuve et de belles maisons révèlent prospère, il devient évident que jamais la voiture ne pourra atteindre le col. Mon conducteur est heureusement un brave et honnête homme, il s’est engagé à me conduire au col, il le fera ; il emprunte un traîneau, y attelle son cheval et nous nous remettons aussitôt en route.


Le chemin, à peine frayé, remonte la vallée en desservant de grosses fermes très propres. Le paysage est singulier, partout sont des hêtres noueux, tordus, étêtés et difformes. Chaque année, on coupe les branches et l’on en fait des fagots ; ces rameaux desséchés sont donnés aux chèvres pendant l’hiver, elles broutent les feuilles et les plus petites ramilles. En dehors de ces arbres rien ne révèle le caractère agricole du pays enfoui sous la neige. Cependant il n’est pas uniquement pastoral, on cultive beaucoup d’avoine. Cette année on n’est pas sans inquiétude, la neige du printemps ayant jusqu’ici empêché les semailles.

Le tapis de neige s’épaissit de plus en plus, en me retournant je n’aperçois que des nappes blanches, jusqu’à la lointaine vallée du Vercors où l’on distingue le village de Saint-Julien. À notre droite l’immense chaîne rocheuse qui nous sépare de la vallée de Méaudre est comme plaquée de neige, la bourrasque venue de l’ouest s’est exercée contre ces murailles gigantesques. Sur la route elle est profonde, très molle, par instant le vaillant petit cheval enfonce jusqu’au poitrail. Le pays semblerait mort, sans les filets de fumée s’échappant au sommet des maisons. Même à ces hauteurs les habitations sont bien construites, il y a dans un des hameaux une belle maison d’école. On devine les prairies aux petits acqueducs faits de sapins creusés qui portent les eaux d’irrigation fils sont particulièrement nombreux au pied du col de Romeyère où l’on monte par des pentes douces.

La neige s’est encore épaissie, quand, enfin, nous atteignons le col ouvert à 1,074 mètres. Sous nos pieds se creuse un ravin profond, rempli de sapins, dans le lointain il finit en précipice. La route est tracée sur le flanc de l’abîme, la neige y paraît assez ferme, le conducteur offre de me conduire jusqu’au Pas-de-l’Échelle. Maintenant le traîneau, aidé par la pente, file rapidement au sein d’un paysage tourmenté et superbe, la forêt de sapins est coupée d’une infinité de vallons et de ravins. La neige relève les lignes et donne plus de grandeur aux perspectives vaporeuses. Au fond, une montagne, le Bec-de-l’Orient, dresse un front de roches puissantes, en ce moment dorées par le soleil.

La neige, tout à l’heure ferme, se ramollit. Le cheval enfonce et trébuche à chaque pas, il faut avoir pitié de lui et renvoyer le traîneau à Rencurel. Me voici à pied sur le chemin blanc, où peu de traces de pas sont marquées. En quelques minutes j’atteins un pont jeté sur la Drévenne et portant une route forestière. On est au fond d’une coupure profonde pratiquée par le torrent dans la haute chaîne du Bas-Graisivaudan. Le chemin y pénètre en se frayant passage par des encorbellements creusés au flanc d’un abîme grandiose d’où monte le bruit d’une cascade. La Drévenne tombe ici d’une hauteur de 150 mètres. Du parapet de la route on domine le gigantesque abîme. Ce défilé est le Pas-de-l’Échelle, jadis terrible, aujourd’hui facile.

La route, étroite, est continuellement creusée au flanc de ce rocher à pic, haut de plus de 200 mètres. Pendant un kilomètre ce ne sont que galeries, tunnels, encorbellements. Le vent a chassé la neige et l’a amassée ; ce n’est pas sans un certain frisson, en me tenant contre le rocher, que je passe là, il semble que la neige va se former en avalanche et m’entraîner.

À l’issue d’un des tunnels on a une éblouissante vision. À plus de 500 mètres de profondeur apparaît tout à coup la vallée de l’Isère, verte, fleurie, remplie de noyers et de mûriers ; au delà se dressent, vertes aussi ; les hantes collines de la Côte Saint-André. Dans les arbres, par les champs, par les prés, des hameaux, des villages, des bourgs, de petites villes aux toits rouges semblent semés. C’est une vue sublime, une de celles dont le regard ne peut se détacher.


Oui l’homme est trop petit, ce spectacle l’écrase !


L’apparition est d’autant plus belle que je suis ici dans la neige, sur un chemin solitaire où l’on ne rencontre ni un animal, ni un être humain. Ébloui par ce tableau prestigieux, je descends sous les strates inclinées faisant comme un toit à la route. En face un rocher, gris, formidable, pareil à un éperon de navire paraît barrer le chemin. Celui-ci se replie et dévale rapidement par des lacets jusqu’à des maisons abandonnées. Je suis maintenant bien au-dessous du Pas-de-l’Échelle, j’en vois toute la paroi lisse dominant la cascade écumante. Aux flancs, creusée dans la roche vive, apparaît la route où je suis descendu. Certes, le paysage est d’une inexprimable grandeur, mais bien grand aussi que le génie humain qui a osé forer un passage dans l’inabordable falaise !

La route franchit la Drévenne sur un pont, au-dessous de la cascade. À partir de là on voit peu à peu disparaître la neige, enfin je retrouve sous mes pieds un sol ferme et résistant, voici le soleil chaud, voici des fleurs. Les pentes de la montagne sont couvertes de hêtres et de buis aux senteurs âpres. Ces broussailles sont exploitées, elles servent de litière.

Peu d’habitations ici, des petits prés émaillés de primevères et des taillis se succèdent jusqu’en vue de la tour ruinée de Saint-Gervais. Un sentier bordant un ruisseau me conduit au village, parmi les châtaigniers, les noyers, les cerisiers et les poiriers en fleurs. Rapidement je traverse le bourg petit, mais coquet, et passe de nouveau devant la fonderie de canons abandonnée. Voici l’Isère rapide et grise, puis la forêt de noyers. Un sentier tracé sous les beaux arbres me conduit à Vinay, petite ville prospère, d’aspect italien par ses toits plats, ses greniers en galerie et la pureté du ciel.


La nuit vient à l’heure où j’atteins la ville, le soleil couchant dore de ses rayons la ligne régulière des montagnes, il éclaire vigoureusement rentrée de la belle combe de Malleval, dont Cognin semble garder l’entrée. Ah ! l’admirable paysage que celui-là, alpestre par ses cimes neigeuses, déjà méridional par la transparence de l’atmosphère et la douceur vivifiante du vent qui remonte la vallée !

  1. La race de bétail de Villard-de-Lans a mérité par ses qualités laitières de former une catégorie spéciale dans les concours.