Voyage en Italie/Patria, ou Literne

La bibliothèque libre.

Patria ou Literne

6 janvier 1804.

Sorti de Naples par la grotte du Pausilippe, j’ai roulé une heure en calèche dans la campagne ; après avoir traversé de petits chemins ombragés, je suis descendu de voiture pour chercher à pied Patria l’ancienne Literne. Un bocage de peupliers s’est d’abord présenté à moi, ensuite des vignes et une plaine semée de blé. La nature était belle, mais triste. À Naples, comme dans l’État romain, les cultivateurs ne sont guère aux champs qu’au temps des semailles et des moissons, après quoi ils se retirent dans les faubourgs des villes ou dans de grands villages. Les campagnes manquent ainsi de hameaux, de troupeaux, d’habitants, et n’ont point le mouvement rustique de la Toscane, du Milanois et des contrées transalpines. J’ai pourtant rencontré aux environs de Patria, quelques fermes agréablement bâties : elles avaient dans leur cour un puits orné de fleurs et accompagné de deux pilastres, que couronnaient des aloès dans des paniers. Il y a dans ce pays un goût naturel d’architecture, qui annonce l’ancienne patrie de la civilisation et des arts.

Des terrains humides semés de fougères, attenant à des fonds boisés, m’ont rappelé les aspects de la Bretagne. Qu’il y a déjà longtemps que j’ai quitté mes bruyères natales ! On vient d’abattre un vieux bois de chênes et d’ormes parmi lesquels j’ai été élevé : je serais tenté de pousser des plaintes, comme ces êtres dont la vie était attachée aux arbres de la magique forêt du Tasse.

J’ai aperçu de loin, au bord de la mer, la tour que l’on appelle Tour de Scipion. À l’extrémité d’un corps de logis que forment une chapelle et une espèce d’auberge, je suis entré dans un camp de pêcheurs : ils étaient occupés à raccommoder leurs filets au bord d’une pièce d’eau. Deux d’entre eux m’ont amené un bateau et m’ont débarqué près d’un pont, sur le terrain de la tour. J’ai passé des dunes, où croissent des lauriers, des myrtes et des oliviers nains. Monté, non sans peine, au haut de la tour, qui sert de point de reconnaissance aux vaisseaux, mes regards ont erré sur cette mer que Scipion avait contemplée tant de fois. Quelques débris des voûtes appelées Grottes de scipion se sont offerts à mes recherches religieuses ; je foulais, saisi de respect, la terre qui couvrait les os de celui dont la gloire cherchait la solitude. Je n’aurai de commun avec ce grand citoyen que ce dernier exil dont aucun homme n’est rappelé.