Voyage en Italie (Chateaubriand) — éd. Garnier, 1861/Notice sur les fouilles de Pompéi

La bibliothèque libre.
Garnier frères (Œuvres complètes, tome 6p. 353-358).

NOTICE
SUR
LES FOUILLES DE POMPÉI


Page 306 (Note). « Je donne, page 353 et suivantes, des notices curieuses sur Pompéi, et qui compléteront ma courte description. »

On découvrit d’abord les deux théâtres, ensuite le temple d’Isis et celui d’Esculape, la maison de campagne d’Arrius Diomédès, et plusieurs tombeaux. Durant le temps que Naples fut gouverné par un roi sorti des rangs de l’armée françoise, les murailles de la ville, la rue des tombeaux, plusieurs vues de l’intérieur de la ville, la basilique, l’amphithéâtre et le forum furent découverts. Le roi de Naples a fait continuer les travaux ; et comme les fouilles sont conduites avec beaucoup de régularité et se font dans le louable dessein de découvrir la ville plutôt que de chercher des trésors enfouis, chaque jour ajoute aux connoissances déjà acquises sur cet objet, si intéressant et presque inépuisable.

La ville de Pompéi, située à peu près à quatorze milles au sud-est de Naples, étoit bâtie en partie sur une éminence qui dominoit une plaine fertile, et qui s’est considérablement accrue par l’immense quantité de matières volcaniques dont le Vésuve l’a recouverte. Les murailles de la ville et les murs de ses édifices ont retenu dans leur enceinte toutes les matières que le volcan y vomissoit, et empêché les pluies de les emporter ; de sorte que l’étendue de ces constructions est très-distinctement marquée par le monticule qu’ont formé l’amas des pierres ponces et l’accumulation graduelle de terre végétale qui le couvrent.

L’éminence sur laquelle Pompéi fut bâtie doit avoir été formée à une époque très-reculée ; elle est composée de produits volcaniques vomis par le Vésuve.

On a conjecturé que la mer avoit autrefois baigné les murs de Pompéi, et qu’elle venoit jusqu’à l’endroit où passe aujourd’hui le chemin de Salerne. Strabon dit en effet que cette ville servoit d’arsenal maritime à plusieurs villes de la Campanie, ajoutant qu’elle est près du Sarno, fleuve sur lequel les marchandises peuvent descendre et remonter.

Plusieurs faits que l’on observe à Pompéi sembleroient incompréhensibles si l’on ne se rappeloit pas que la destruction de cette ville a été l’ouvrage de deux catastrophes distinctes : l’une en l’an 63 de J.-C., par un tremblement de terre ; l’autre, seize ans plus tard, par une éruption du Vésuve. Ses habitants commençoient à réparer les dommages causés par la première, lorsque les signes précurseurs de la seconde les forcèrent d’abandonner un lieu qui ne tarda pas à être enseveli sous un déluge de cendres et de matières volcaniques.

Cependant des débris d’ouvrages en briques indiquoient sa position. Il conserva, sans doute pendant longtemps, un reste de population dans son voisinage, puisque Pompéi est indiqué dans l’itinéraire d’Antonin et sur la carte de Peutinger. Au xiiie siècle, les comtes de Sarno firent creuser un canal dérivé du Sarno ; il passoit sous Pompéi, mais on ignoroit sa position ; enfin, en 1748, un laboureur ayant trouvé une statue en labourant son champ, cette circonstance engagea le gouvernement napolitain à ordonner des fouilles.

À l’époque des premiers travaux, on versoit dans la partie que l’on venoit de déblayer les décombres que l’on retiroit de celle que l’on s’occupoit de découvrir ; et, après qu’on en avoit enlevé les peintures à fresque, les mosaïques et autres objets curieux, on combloit de nouveau l’espace débarrassé : aujourd’hui l’on suit un système différent.

Quoique les fouilles n’aient pas offert de grandes difficultés par le peu d’efforts que le terrain exige pour être creusé, il n’y a pourtant qu’une septième partie de la ville de déterrée. Quelques rues sont de niveau avec le grand chemin qui passe le long des murs, dont le circuit est d’environ seize cents toises.

En arrivant par Herculanum, le premier objet qui frappe l’attention est la maison de campagne d’Arrius Diomédès, située dans le faubourg. Elle est d’une très-jolie construction, et si bien conservée, quoiqu’il y manque un étage, qu’elle peut donner une idée exacte de la manière dont les anciens distribuoient l’intérieur de leurs demeures. Il suffiroit d’y ajouter des portes et des fenêtres pour la rendre habitable ; plusieurs chambres sont très-petites, le propriétaire étoit cependant un homme opulent. Dans d’autres maisons de gens moins riches, les chambres sont encore plus petites. Le plancher de la maison d’Arrius Diomédès est en mosaïques ; tous les appartements n’ont pas de fenêtres, plusieurs ne reçoivent du jour que par la porte. On ignore quelle est la destination de beaucoup de petits passages et de recoins. Les amphores qui contenoient le vin sont encore dans la cave, le pied posé dans le sable, et appuyées contre le mur.

La rue des tombeaux offre, à droite et à gauche, les sépultures des principales familles de la ville ; la plupart sont de petite dimension, mais construites avec beaucoup de goût.

Les rues de Pompéi ne sont pas larges, n’ayant que quinze pieds d’un côté à l’autre, et les trottoirs les rendent encore plus étroites ; elles sont pavées en pierre de lave grise et de formes irrégulières, comme les anciennes voies romaines : on y voit encore distinctement la trace des roues. Il ne reste aux maisons qu’un rez-de-chaussée, mais les débris font voir que quelques-unes avoient plus d’un étage ; presque toutes ont une cour intérieure, au milieu de laquelle est un impluvium ou réservoir pour l’eau de pluie, qui alloit ensuite se rendre dans une citerne contiguë. La plupart des maisons étoient ornées de pavés mosaïques, et de parois généralement peintes en rouge, en bleu et en jaune. Sur ce fond, l’on avoit peint de jolies arabesques et des tableaux de diverses grandeurs. Les maisons ont généralement une chambre de bains, qui est très-commode ; souvent les murs sont doubles, et l’espace intermédiaire est vide : il servoit à préserver la chambre de l’humidité.

Les boutiques des marchands de denrées, liquides et solides, offrent des massifs de pierre souvent revêtus de marbre, et dans lesquels les vaisseaux qui contenoient les denrées étoient maçonnés.

On a pensé que le genre de commerce qui se faisoit dans quelques maisons étoit désigné par des figures qui sont sculptées sur le mur extérieur ; mais il paroît que ces emblèmes indiquoient plutôt le génie sous la protection duquel la famille étoit placée.

Les fours et les machines à moudre le grain font connoître les boutiques des boulangers. Ces machines consistent en une pierre à base ronde ; son extrémité supérieure est conique et s’adapte dans le creux d’une autre pierre qui est de même creusée en entonnoir dans sa partie supérieure : on faisoit tourner la pierre d’en haut par le moyen de deux anses latérales que traversoient des barres de bois. Le grain, versé dans l’entonnoir supérieur, tomboit par un trou entre l’entonnoir renversé et la pierre conique. Le mouvement de rotation le réduisoit en farine.

Les édifices publics, tels que les temples et les théâtres, sont en général les mieux conservés, et par conséquent ce qu’il y a jusqu’à présent de plus intéressant dans Pompéi.

Le petit théâtre, qui, d’après des inscriptions, servoit aux représentations comiques, est en bon état ; il peut contenir quinze cents spectateurs : il y a dans le grand de la place pour plus de six mille personnes.

De tous les amphithéâtres anciens, celui de Pompéi est un des moins dégradés. En enlevant les décombres, on y a trouvé, dans des corridors qui font le tour de l’arène, des peintures qui brilloient des couleurs les plus vives ; mais à peine frappées du contact de l’air extérieur, elles se sont altérées. On aperçoit encore des vestiges d’un lion, et un joueur de trompette vêtu d’un costume bizarre. Les inscriptions qui avoient rapport aux différents spectacles sont un monument très-curieux.

On peut suivre sur le plan les murailles de la ville ; c’est le meilleur moyen de se faire une idée de sa forme et de son étendue.

« Ces remparts, dit M. Mazois, étoient composés d’un terre-plein terrasse et d’un contre-mur ; ils avoient quatorze pieds de largeur, et l’on y montoit par des escaliers assez spacieux pour laisser passage à deux soldats de front. Ils sont soutenus, du côté de la ville, ainsi que du côté de la campagne, par un mur en pierre de taille. Le mur extérieur devoit avoir environ vingt-cinq pieds d’élévation ; celui de l’intérieur surpassoit le rempart en hauteur d’environ huit pieds. L’un et l’autre sont construits de l’espèce de lave qu’on appelle piperino, à l’exception de quatre ou cinq premières assises du mur extérieur, qui sont en pierre de roche ou travertin grossier. Toutes les pierres en sont parfaitement bien jointes : le mortier est en effet peu nécessaire dans les constructions faites avec des matériaux d’un grand échantillon. Ce mur extérieur est partout plus ou moins incliné vers le rempart ; les premières assises sont, au contraire, en retraite l’une sur l’autre.

« Quelques-unes des pierres, surtout celles de ces premières assises, sont entaillées et encastrées l’une dans l’autre de manière à se maintenir mutuellement. Comme cette façon de construire remonte à une haute antiquité, et qu’elle semble avoir suivi les constructions pélasgiques ou cyclopéennes, dont elle conserve quelques traces, on peut conjecturer que la partie des murs de Pompéi bâtie ainsi, est un ouvrage des Osques, ou du moins des premières colonies grecques qui vinrent s’établir dans la Campanie.

« Les deux murs étoient crénelés de manière que vus du côté de la campagne ils présentoient l’apparence d’une double enceinte de remparts.

« Ces murailles sont dans un grand désordre, que l’on ne peut pas attribuer uniquement aux tremblements de terre qui précédèrent l’éruption de 79. Je pense, ajoute M. Mazois, que Pompéi a dû être démantelé plusieurs fois, comme le prouvent les brèches et les réparations qu’on y remarque. Il paroît même que ces fortifications n’étoient plus regardées depuis longtemps comme nécessaires, puisque du côté où étoit le port les habitations sont bâties sur les murs, que l’on a en plusieurs endroits abattus à cet effet.

« Ces murs sont surmontés de tours, qui ne paroissent pas d’une si haute antiquité : leur construction indique qu’elles sont du môme temps que les réparations faites aux murailles ; elles sont de forme quadrangulaire, servent en même temps de poterne, et sont placées à des distances inégales les unes des autres.

« Il paroît que la ville n’avoit pas de fossés, au moins du côté où l’on a fouillé ; car les murs, en cet endroit, étoient assis sur un terrain escarpé. »

On voit que par leur genre de construction les remparts sont les monuments qui résisteront le mieux à l’action du temps. Malgré l’attention extrême avec laquelle on a cherché à conserver ceux qui ont été découverts, l’exposition â l’air, dont ils ont été préservés depuis si longtemps, les a endommagés. Les pluies d’hiver, extrêmement abondantes dans l’Europe méridionale, font pénétrer graduellement l’humidité entre les briques et leur revêtement. Il y croît des mousses, puis des plantes qui déjoignent les briques. Pour éviter la dégradation on a couvert les murs avec des tuiles, et placé des toits au-dessus des édifices.

Le plan indique cinq portes, désignées chacune par un nom qui n’a été donné que depuis la découverte de la ville, et qui n’est fondé sur aucun monument. La porte de Nola, la plus petite de toutes, est la seule dont l’arcade soit conservée. La porte la plus proche du forum, ou quartier des soldats, est celle par laquelle on entre : elle a été construite d’après l’antique.

Quelques personnes avoient pensé qu’au lieu d’enlever de Pompéi les divers objets que l’on y a trouvés, et d’en former un muséum à Portici, l’on auroit mieux fait de les laisser à leur place, ce qui auroit représenté une ville ancienne avec tout ce qu’elle contenoit. Cette idée est spécieuse, et ceux qui la proposoient n’ont pas réfléchi que beaucoup de choses se seroient gâtées par le contact de l’air, et qu’indépendamment de cet inconvénient on auroit couru le risque de voir plusieurs objets dérobés par des voyageurs peu délicats ; c’est ce qui n’arrive que trop souvent. Il faudroit, pour songer même à meubler quelques maisons, que l’enceinte de la ville fût entièrement déblayée, de manière à être bien isolée, et à ne pas offrir la facilité d’y descendre de dessus les terrains environnants ; alors on fermeroit les portes, et Pompéi ne seroit plus exposé à être pillé par des pirates terrestres.

L’on n’a eu dessein dans cette Notice que de donner une idée succincte de l’état des fouilles de Pompéi en 1817. Pour bien connoître ce lieu remarquable, il faut consulter le bel ouvrage de M. Mazois[1]. L’on trouve aussi des renseignements précieux dans un livre que M. le comte de Clarac, conservateur des antiques, publia étant à Naples. Ce livre, intitulé Pompéi, n’a été tiré qu’à un petit nombre d’exemplaires, et n’a pas été mis en vente. M. de Clarac y rend un compte très-instructif de plusieurs fouilles qu’il a dirigées.

Il est d’autant plus nécessaire de ne consulter sur cet objet intéressant que des ouvrages faits avec soin, que trop souvent des voyageurs, ou même des écrivains qui n’ont jamais vu Pompéi, répètent avec confiante les contes absurdes débités par les ciceroni. Quelques journaux quotidiens de Paris ont dernièrement transcrit un article du Courrier de Londres, dans lequel M. W… abusoit étrangement du privilège de raconter des choses extraordinaires. Il étoit question, dans son récit, d’argent trouvé dans le tiroir d’un comptoir, d’une lance encore appuyée contre un mur, d’épigrammes tracées sur les colonnes du quartier des soldats, de rues toutes bordées d’édifices publics.

Ces niaiseries ont engagé M. M…, qui a suivi pendant douze ans les fouilles de Pompéi, à communiquer au Journal des Débats, du 18 février 1821, des observations extrêmement sensées.

« Il est sans doute permis, dit M. M…, à ceux qui visitent Pompéi d’écouter tous les contes que font les ciceroni ignorants et intéressés, afin d’obtenir des étrangers qu’ils conduisent quelques pièces de monnoie ; il est même très-permis d’y ajouter foi, mais il y a plus que de la simplicité à les rapporter naïvement comme des vérités et à les insérer dans les journaux les plus répandus.

« La relation de M. W… me rappelle que le chevalier Coghell, ayant vu au Muséum de la reine de Naples des artoplas, ou tourtières pour faire cuire le pain, les prit pour des chapeaux, et écrivit à Londres qu’on avoit trouvé à Pompéi des chapeaux de bronze extrêmement légers.

« Les fouilles de Pompéi sont d’un intérêt trop général, les découvertes qu’elles procurent sont trop précieuses sous le rapport de l’histoire de l’art et de la vie privée des anciens, pour qu’on laisse publier des relations niaises et erronées, sans avertir le public du peu de foi qu’elles méritent. »

fin de la notice.
  1. Ruines de Pompéi, in-fol.