Voyage en Norvège

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VOYAGE EN NORVÉGE,
EN LAPONIE ET EN SUÈDE,
PAR M. EVEREST[1].

Les merveilles des arts, les plaisirs qu’offrent en foule de grandes villes, centres du luxe et de la civilisation, et les scènes d’une nature, tantôt terrible, tantôt riante, attirent incessamment en Italie et en Suisse les voyageurs de toutes les parties de l’Europe. Quelques-uns cependant, après avoir visité ces contrées d’un si grand intérêt, mais trop connues pour satisfaire la curiosité, pour produire des émotions nouvelles, portent leurs pas vers des sites d’un aspect plus sauvage et moins exploré. Ainsi, M. Everest, dans une excursion récente en Norvége et en Laponie, a parcouru des lieux, a observé des mœurs, que les récits d’aucun voyageur ne nous ont fait connaître encore, et qui, dans les tableaux qu’ils en font, ont tout le charme que peuvent offrir des objets entièrement nouveaux ou peu connus. La patrie des premiers bardes, les descendans des sectateurs d’Odin, les mers où l’on a cru long-temps que nageait le fabuleux et colossal kraken[2], méritent certainement d’être observés et décrits. Les Scandinaves, il est vrai, ne sont plus ce qu’ils furent jadis ; et ces géans des anciens temps ne font pas, pendant leurs journées de vingt-quatre heures, de plus grandes choses que les habitans du midi de l’Europe, dans leurs jours les plus courts. Mais leurs mœurs simples et hospitalières, les phénomènes de leur climat, offriront toujours un charme, dont on trouve de nombreuses traces dans l’ouvrage de M. Everest. Nous ne le suivrons pas dans ses différentes excursions, et nous nous bornerons à donner quelques citations prises au hasard dans son ouvrage, dont l’intérêt n’est pas un instant suspendu. Entre Frédérickstadt et Trondhjem, il visita la cataracte de Riukan, montagne à laquelle on suppose environ huit cents pieds de hauteur.

« Enfin, dit-il, nous découvrîmes sur le flanc de la montagne un nuage de vapeurs mobiles et coloriées des feux du jour. C’est le Riukan. Nous laissâmes nos chevaux sur une petite plate-forme couverte de verdure, et commençâmes à gravir le long d’un sentier étroit et escarpé, qui souvent ne semblait praticable que pour des chèvres. Nous nous élevâmes ainsi, presque perpendiculairement, pendant l’espace d’un mille de chemin, nous cramponnant aux buissons et aux saillies de rochers. Ce fut ainsi que nous parvînmes à la cascade ; moins fameuse sans doute que les phénomènes du même genre qui ont été décrits tant de fois, elle offre sans contredit les mêmes beautés que semblent accroître la profonde solitude que l’on vient de parcourir, et l’aspect âpre et sauvage des alentours. Le frémissement des eaux, qui fait presque croire au voyageur que la terre tremble sous ses pieds, les teintes mouvantes qui colorent l’écume jaillissant du fond de l’abyme, et la hauteur du précipice qu’on voit à ses pieds, pénètrent l’ame d’une impression profonde, que je ne me rappelle point avoir ressentie auprès des plus belles cascades des Alpes. »

Il monta ensuite le Snihattan, la plus haute montagne de la Norvége, et à laquelle on donne 7500 pieds d’élévation au-dessus du niveau de la mer.

« On est surpris, dit-il, de voir jusqu’à quelle hauteur dans la montagne se trouvent les terres cultivées. Des champs verdoyans et couverts de graminées touchent aux neiges, et l’on dirait que les paysans labourent dans les nuages. Au-dessous des champs se trouve une ceinture d’ifs et de rochers dominés par des neiges éternelles. Pendant notre ascension, le ciel assez obscur nous permit difficilement de distinguer le sommet du Snihattan, que nous nous proposions d’atteindre. Après avoir quitté la région cultivée, nous entrâmes dans une gorge étroite et solitaire, où nous n’entendîmes que le cri triste et plaintif du pluvier doré qui paraît en être le seul habitant. Les buissons devenaient, à chaque pas que nous faisions, plus chétifs et plus clair-semés ; ils disparurent enfin tout-à-fait, et nous ne vîmes plus autour de nous que des rochers nus, ou couverts d’une mousse d’un vert-pâle. Arrivés au pied du pic, qui ressemble à une immense forteresse accessible d’un seul côté, nous y trouvâmes un lac dont les eaux étaient glacées, et nous ne fûmes pas peu surpris d’entendre dans ces lieux, où aucune créature animée ne semble pouvoir exister, le chant d’un oiseau. C’était celui d’une très-petite alouette qui ne vit qu’au milieu de cet hiver perpétuel, et fait son nid parmi les neiges.

» Les difficultés que nous éprouvions s’accroissaient à chaque instant ; la neige croulait sous nos pieds ; souvent nous nous y enfoncions jusqu’à la ceinture. Parvenus au sommet, nous reconnûmes qu’il a la forme d’un grand cratère semi-circulaire. Quoique cette montagne soit sans contredit moins haute que le Mont-Blanc, quelques personnes en la gravissant ont éprouvé de la peine à respirer. Un des voyageurs de notre troupe tomba de fatigue et d’épuisement en arrivant sur le sommet. Nous eûmes quelque peine à lui faire rependre ses sens, et nous attribuâmes cet accident à l’eau de neige fondue qu’il avait eu l’imprudence de boire. »

Avec des mœurs simples et patriarcales, les habitans de ces contrées sauvages, sont enclins à quelques vices, parmi lesquels se montrent au premier rang la superstition et l’ivrognerie. M. Everest raconte qu’un paysan prétendit avoir vu, il y a quelques années, une montagne entièrement formée de minerai de cuivre, et offrit d’y conduire un capitaine de bâtiment marchand anglais. On se mit en route, on chercha long-temps, mais en vain, et le paysan prétendit que le diable avait emporté la montagne. On se tromperait si l’on croyait voir dans son fait la moindre trace de friponnerie ou de subtilité ; c’était tout simplement une grossière crédulité, une absurde et ridicule superstition. Un paysan du même pays offrit à M. Everest de lui vendre à un prix raisonnable le vent dont il avait besoin pour effectuer son départ.

La malpropreté semble être un défaut inhérent au caractère de ces peuples, défaut qui cependant n’est point aussi général qu’on pourrait le croire, et que le voyageur attribue à l’extrême dénûment où se trouvent la plupart des habitans des campagnes, ainsi qu’on peut le voir par le passage suivant :

« Nous couchâmes dans une maison plus propre que toutes celles que nous avions visitées. Il y avait un lit, des couteaux, des fourchettes, quelques grossiers ustensiles de cuisine, tous objets d’un luxe inconnu aux lieux que nous visitions depuis quelque temps. Mais du reste, que peut-on attendre de ces infortunés que leur extrême misère livre à la plus dégoûtante malpropreté ? La mousse dont ils composent leurs vêtemens, est un réceptacle qui favorise l’accroissement et la reproduction des insectes qui les dévorent. Ils y pullulent, et sont sans doute la cause des mouvemens continuels auxquels se livrent ces malheureux. La rigueur de leur climat les oblige à coucher dans la seule chambre où ils puissent faire du feu et dans laquelle est placé un immense lit rempli de paille et de mousse, et auquel des peaux crues et sales servent de couvertures. Toute la famille y repose, ou pêle-mêle ou tour à tour, sans observer des heures fixes de nuit ou de jour, mais à mesure que chaque individu se sent fatigué.

» Nous passâmes quelques jours à Dal, dans une maison de paysan. Si nous fûmes loin d’y rencontrer toutes les commodités dont un voyageur de nos contrées ne se prive pas sans peine, notre chien, en revanche, s’y trouva parfaitement à son aise, reposa d’un bon somme dans le lit commun, et le matin nous le trouvâmes endormi entre les enfans et leurs parens.

» Le sol continuellement couvert d’ordures où marchent ces malheureux, presque toujours pieds nus, ou n’ayant que des lambeaux de chaussures, qu’ils ne quittent pas même pour se coucher, est un autre moyen qui augmente et perpétue leur malpropreté. Mais leurs tables et les grossiers ustensiles dont ils se servent sont en général assez propres. Le dimanche que nous passâmes à Dal auprès de cette famille, on lava les enfans, on leur fit une espèce de toilette, et leurs joues rosées, leurs longs cheveux noirs tombant sur leurs épaules, leur donnaient un air de propreté inaccoutumée, et qui nous les fit paraître dignes d’un meilleur sort. J’en vis un lire la Bible, et j’avais déjà remarqué dans la plus misérable habitation quelque livre de religion. Ainsi partout des pensées d’un plus heureux avenir allègent et soulagent les peines de cette vallée de misère.


La…


  1. Londres, 1829
  2. Voyez aux Nouvelles, l’article Monstre marin d’Exeter.