Voyage en Orient (Lamartine)/L’Épreuve

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Chez l’auteur (p. 101-103).


L’ÉPREUVE




Trente Zétinjaners buvaient du vin
Aux bords frais et tranquilles du fleuve Zétinja ;
Une seule jeune fille les sert.
Quand elle présente à chacun le breuvage,
Ils ne tendent point les mains vers la coupe ;
Chacun d’eux, enivré d’amour, veut l’embrasser.
Mais elle leur parle ainsi, la jeune Zétinjanérine :
« Pour Dieu, écoutez-moi, ô trente Zétinjaners !
Je suis, il est vrai, la servante de tous,
Mais je n’en suis pas la bien-aimée.


Je ne serai l’amie que du héros
Qui traversera la Zétinja à la nage,
Couvert de son accoutrement de guerre,
Et sur ses épaules le manteau de conseiller.
Celui qui de vous traversera ainsi la Zétinja
Et nagera jusqu’à l’autre bord,
De celui-là je serai la fidèle épouse. »

Tous les héros se regardèrent,
Et tous baissèrent les yeux vers la terre ;
Tous, hors le jeune Radoïza.
Sur ses pieds légers le jeune homme s’élance ;
Il attache autour de lui son arme brillante,
Revêt son attirail de guerre,
Jette par-dessus le vaste manteau,
Et se précipite dans les eaux de la Zétinja.

Il fend les flots, le jeune héros,
Il nage à travers, et atteint l’autre bord ;
Mais lorsqu’il s’apprête à revenir,
Il plongea un peu dans le fleuve.
Il ne plongeait pas parce qu’il s’affaiblissait ;
Il plongeait ainsi pour éprouver sa belle,
Et connaître si elle l’aimait sincèrement.
Quand elle vit ceci, la belle Zétinjanérine,
Elle courut au fleuve pour se précipiter dans les ondes.
Alors le jeune Radoïza
S’élança du fleuve au rivage ;

Il sortit sain et sauf des eaux de la Zétinja,
Et reçut dans ses bras la généreuse fille.
Il la prit par sa main blanche,
Et la conduisit dans sa riche demeure.