Voyage en Orient (Lamartine)/Nouveau fragment du poëme d’Antar

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Chez l’auteur (p. 367-402).



NOUVEAU FRAGMENT

DU POËME D’ANTAR

Nous complétons ces fragments d’Antar par un épisode emprunté à la collection de la Revue française. Notre recueil a été, pour ainsi dire, un butin de femmes et de troupeaux, de sabres et de flèches, ramassés et choisis à leur beauté ou à leur éclat dans ce poëme, vaste comme le désert, confus comme un champ de bataille. Le cheval manquait à ce trophée de la chevalerie nomade. Le voici chanté tel qu’il est dans la vie, dans l’imagination et dans le sentiment de l’Arabe ; sacré comme une idole, aimé comme une maîtresse, fraternel comme un compagnon d’armes. Cet épisode est, après les strophes de Job, le poëme par excellence du cheval et de l’équitation orientale.




NOUVEAU FRAGMENT

DU POËME D’ANTAR




Le roi Cais, se défiant des mauvais desseins d’Hadifah, avait envoyé de tous côtés des esclaves à la recherche d’Antar. Il arriva que l’un de ces esclaves, de retour auprès du roi, lui dit : « Pour Antar, je n’ai pas même entendu parler de lui ; mais comme je passais près de la tribu de Témim, je dormis sous les tentes de celle de Ryah. Là, je vis le plus remarquable des poulains pour sa beauté. Il appartient à un homme nommé Jabir, fils d’Awef. Jamais je n’ai vu un poulain si beau, ni si rapide à la course. » Ce récit fit une vive impression sur le cœur de Cais.

En effet, ce jeune animal était le miracle de ce temps, et jamais, parmi les Arabes, on n’en avait élevé de plus beau. Il était d’ailleurs généreux et illustre par sa naissance et par sa race ; car son père était Ocab et sa mère Helweh, deux animaux qui passaient chez les Arabes pour être aussi prompts que l’éclair. Toutes les tribus les admiraient pour leurs formes, et celle de Ryah était devenue célèbre parmi toutes les autres, à cause de la jument et de l’étalon qu’elle possédait.

Mais pour en revenir au beau poulain, un jour que son père Ocab était ramené aux demeures, conduit par la fille de Jabir (c’était le long d’un lac, et il était midi), il vit la jument Helweh qui se tenait près de la tente de son maître. Il se mit à hennir, et se débarrassa de sa longe. La jeune fille, tout interdite, laissa aller le cheval, et se hâta, par modestie, de chercher refuge dans l’une des tentes. L’étalon resta là jusqu’à ce que la demoiselle revînt. Elle reprit sa longe, et le ramena à l’écurie.

Mais le père s’aperçut du trouble que sa fille ne pouvait cacher. Il la questionna, et elle dit ce qui s’était passé. À ce récit, le père devint furieux de colère, car il était naturellement violent ; il courut aussitôt au milieu des tentes, et, levant son turban : « Tribu de Ryah ! tribu de Ryah ! » cria-t-il de toute sa force ; et aussitôt les Arabes coururent autour de lui. « Parents, leur dit-il après avoir raconté ce qui avait eu lieu, je ne laisserai pas le sang de mon cheval dans les flancs d’Helweh ; je ne suis nullement disposé à le vendre, même au prix des moutons et des chameaux les plus précieux ; et si l’on ne me permet pas d’enlever l’embryon du corps d’Helweh, je chargerai quelqu’un de tuer cette jument. — Allons, dirent tous les Arabes, faites comme il vous plaira, car nous ne pouvons nous y opposer. » (Tel était l’usage alors en Arabie.) On amena la jument, et on la lia à terre devant le plaignant, qui, après avoir relevé ses manches jusqu’aux épaules, mouilla ses mains dans un vase d’eau en y mêlant de l’argile, puis se mit à frapper les flancs de la jument, dans l’intention de détruire ce dont Dieu avait ordonné l’existence. Cela fait, il retourna plus calme chez lui.

Malgré cela, la jument Helweh conçut heureusement, et, au bout d’un an moins quelques jours, elle mit au monde un poulain parfait. En le voyant, le maître de la jument ressentit une grande joie, et lui donna le nom de Dahis (qui est frappé), pour faire allusion à ce que Jabir avait fait.

Le poulain, en grandissant, devint encore plus beau que son père Ocab. Il avait la poitrine large, le cou long, les sabots durs, les narines bien ouvertes ; sa queue balayait la terre, et son caractère était doux ; enfin, c’était l’animal le plus parfait que l’on eût jamais vu. On l’éleva avec grand soin, et sa taille fut telle, qu’il devint comme l’arc d’un palais. Enfin, un jour que la jument Helweh, suivie de son poulain, allait du côté du lac, Jabir, le possesseur d’Ocab, les aperçut par hasard. Il s’empara du jeune cheval et l’emmena, laissant sa mère regretter sa perte. Pour Jabir, il disait : « Ce poulain m’appartient, et j’ai sur lui un droit mieux établi que celui de qui que ce soit. »

La nouvelle de cet enlèvement parvint bientôt au maître du jeune cheval. Il convoqua les chefs de la tribu, leur dit ce qui était arrivé. On alla trouver Jabir, auquel on fit des reproches. « Jabir, lui dit-on, vous avez fait à la jument de votre allié tout ce qu’il vous a convenu de faire ; c’est un point que nous vous avons accordé : et maintenant vous voulez vous emparer de ce qui appartient à cet homme, et lui faire une injustice. — N’en dites pas plus long, interrompit Jabir, et ne m’injuriez pas, car, par la foi d’un Arabe, je ne rendrai pas ce poulain, à moins que vous ne me le preniez de force ; mais alors je vous ferai la guerre. » En ce moment la tribu n’était pas disposée à se laisser aller aux dissensions. Aussi plusieurs dirent-ils à Jabir : « Nous vous aimons trop pour pousser les choses si loin ; nous sommes alliés et parents, nous ne combattrons pas pour ce différend, quand même il s’agirait d’une idole d’or. » Alors Kerim, fils de Wahhab (c’était le nom du maître de la jument et du poulain, homme renommé par sa générosité parmi les Arabes), Kerim voyant l’obstination de Jabir, lui dit : « Ô mon cousin ! pour le poulain, il est à vous, il vous appartient. Quant à la jument que voilà, acceptez-la en présent de ma main, afin que le poulain et sa mère ne soient pas séparés ; et ne laissez croire à personne que je puisse être capable de faire tort à mon parent. »

La tribu applaudit hautement à ce procédé ; et Jabir fut si humilié de la générosité qui lui était faite, qu’il rendit le poulain et la jument à Kerim, en y joignant encore une paire de chameaux et de chamelles.

Dahis devint bientôt un cheval parfait à tous égards ; et lorsque son maître Kerim voulait lui faire disputer la course avec un autre, il le montait lui-même, et avait coutume de dire à son antagoniste : « Quand vous partiriez devant moi comme un trait de flèche, je vous rattraperais, je vous dépasserais ; » ce qui arrivait effectivement.

Dès que le roi Cais eut entendu parler de ce cheval, il devint comme hors de lui-même, et le sommeil l’abandonna. Il envoya quelqu’un à Kerim pour l’engager à lui vendre ce poulain pour autant d’or et d’argent qu’il en désirerait, ajoutant que ces richesses lui seraient envoyées sans délai. Ce message enflamma Kerim de colère. « Cais n’est-il donc qu’un sot et un homme mal élevé ? s’écria-t-il. Pense-t-il que je suis un marchand qui vend ses chevaux, et supposerait-il que je suis incapable de les monter moi-même ? Oui, j’en jure par la foi d’un Arabe, s’il m’eût demandé Dahis en présent, je le lui aurais envoyé tout aussitôt, avec un assortiment de chameaux et de chamelles ; mais si c’est par la voie du trafic qu’il compte l’avoir, cela ne sera jamais, dussé-je boire dans la coupe de la mort ! »

Le messager retourna vers Cais, et lui rapporta la réponse de Kerim, ce qui fâcha beaucoup le roi. « Suis-je le roi des tribus d’Abs, d’Adnan, de Fazarah et de Dibyan, s’écria-t-il, et un vil Arabe sera-t-il assez hardi pour me contredire ? » Il fit avertir aussitôt son monde et ses guerriers. À l’instant les armures, les cottes de mailles, les épées et les casques brillèrent ; les héros montèrent leurs coursiers, agitèrent leurs lances, et l’on se mit en marche vers la tribu de Ryah. À peine y furent-ils arrivés dès le matin, qu’ils se jetèrent à travers les pâturages, où ils firent un immense butin en troupeaux, que Cais abandonna à tous ses alliés. De là ils se portèrent vers les tentes et y surprirent les habitants, qui n’étaient nullement préparés à cette attaque, Kerim étant absent, et engagé avec tous ses guerriers dans quelque expédition du même genre. Cais, à la tête des Absiens, pénétra donc dans les habitations, où l’on s’empara des épouses et des filles.

Pour Dahis, il était attaché entre les cordes qui maintiennent les tentes ; car Kerim ne s’en servait jamais pour combattre, dans la crainte qu’il ne lui arrivât quelque accident, ou qu’il ne fût tué. Un des esclaves resté dans les demeures, et qui s’était aperçu des premiers de l’invasion des Absiens, alla vers Dahis avec l’intention de rompre la corde qui lui liait les pieds ; mais il ne put jamais y parvenir. Toutefois il monta dessus, le poussa de ses talons, et le cheval, bien que ses pieds fussent liés, se mit à fuir en sautant et en cabriolant comme un faon, jusqu’à ce qu’il eût atteint le désert. Ce fut en vain que les cavaliers absiens coururent après lui ; ils ne purent même atteindre la trace de poussière qu’il laissait derrière lui.

Aussitôt que Cais eut aperçu Dahis, il le reconnut, et le désir de le posséder s’augmenta encore. Il s’avança du côté de celui qui le montait, jusqu’à ce que son regret devînt extrêmement vif, parce qu’il s’aperçut qu’il avait beau le suivre, il ne pourrait jamais l’atteindre. Enfin, lorsque l’esclave se vit à une grande distance des Absiens, il mit pied à terre, délia le pied de Dahis, remonta, et partit. Cais, qui le suivait toujours, avait gagné du terrain pendant la halte ; lorsqu’il fut assez près de l’esclave pour se faire entendre : « Arrête, ô Arabe ! cria-t-il ; ne crains rien, je te donne ma protection, par la foi d’un noble Arabe ! » À ces paroles, l’esclave s’arrêta. « As-tu l’intention de vendre ce cheval ? dit le roi Cais ; dans ce cas, tu as rencontré le plus curieux des acheteurs de tous les guerriers arabes. — Je ne veux point le vendre, monseigneur, répondit l’Arabe, à moins que son prix ne soit la restitution de tout le butin. — Je vous l’achète, » dit aussitôt Cais ; et il tendit la main à l’Arabe pour confirmer le marché. L’esclave consentit ; et étant descendu de dessus le jeune cheval, il le livra au roi Cais, qui, plein de joie de voir ses souhaits accomplis, sauta dessus, et alla retrouver les Absiens, auxquels il ordonna de restituer tout le butin qu’ils avaient fait : ce qui fut exécuté strictement.

Le roi Cais, enchanté du succès de son entreprise et d’être devenu possesseur de Dahis, retourna chez lui. La passion qu’il avait pour ce cheval était telle, qu’il le pansait et lui donnait la nourriture de ses propres mains.

Sitôt que Hadifah, chef de la tribu de Fazarah, sut que Cais possédait Dahis, la jalousie entra dans son cœur. De concert avec d’autres chefs, il médita la mort de ce beau cheval…

Il arriva dans ce temps que Hadifah donna une grande fête. Carwash, parent du roi Cais, y assistait. À la fin du repas, et quand le vin circulait abondamment autour de la table, la conversation tomba sur les plus fameux chefs de ce temps. Ce sujet épuisé, les convives commencèrent à parler de ceux de leurs chevaux qui avaient le plus de célébrité, puis des courses qui se font dans le désert : « Parents, dit Carwash, on n’a jamais vu un cheval comme Dahis, celui de mon allié Cais. On chercherait en vain son égal ; il effraye par sa rapidité ceux qui le voient courir. Il chasse le chagrin de l’esprit de celui qui le regarde, et il protége comme une tour celui qui le monte. » Carwash ne s’en tint pas là, et il continua à louer le cheval Dahis, en employant des termes si pompeux et si brillants, que tous ceux de la tribu de Fazarah et de la famille de Zyad sentirent leur cœur se gonfler de colère. « L’entendez-vous, mon frère ? dit Haml à Hadifah. Allons, en voilà bien assez, ajouta-t-il en se tournant du côté de Carwash. Tout ce que vous venez de dire là au sujet de Dahis n’a pas le sens commun ; car en ce moment il n’y a ni de meilleurs ni de plus beaux chevaux que les miens ou ceux de mon frère. » Après ces mots, il ordonna à ses esclaves de faire passer ses chevaux devant Carwash ; ce qui fut fait : « Allons, Carwash, regarde ici ce cheval. — Il ne vaut pas les herbes sèches qu’on lui donne, » dit l’autre. Alors on fit passer ceux de Hadifah, parmi lesquels étaient une jument nommée Ghabra et un étalon appelé Marik. « Eh bien ! reprit alors Hadifah, regarde donc ceux-ci. — Ils ne valent pas les herbes sèches dont on les nourrit, » répéta Carwash. Hadifah, outré de dépit en entendant ces paroles, s’écria : « Quoi ! pas même Ghabra ? — Pas même Ghabra ni tous les chevaux de la terre, répéta Carwash. — Voulez-vous faire un pari pour le roi Cais ? — Oui, dit Carwash : que Dahis battra tous les chevaux de la tribu de Fazarah, quand on lui mettrait même un quintal de pierres sur le dos. » Ils se disputèrent longtemps à ce sujet, l’un disant oui, l’autre non, jusqu’à ce que Hadifah mit fin à cette altercation en disant : « Eh bien, soit ; que le vainqueur prenne du vaincu autant de chameaux et de chamelles qu’il lui plaira. — Vous me jouerez un mauvais tour, dit Carwash, et moi je ne veux pas vous tromper. Je ne gagerai pas avec vous plus de vingt chameaux : ce sera le prix que donnera celui dont le cheval sera vaincu ; » et l’affaire fut ainsi réglée. Ils achevèrent la journée à table jusqu’à la nuit, pendant laquelle ils se reposèrent.

Le lendemain, Carwash sortit de ses tentes de bon matin, se rendit à la tribu d’Abs, alla trouver Cais, et lui fit part de tout ce qui avait eu lieu à l’occasion du pari. « Vous avez eu tort, dit Cais ; vous auriez pu faire ce pari avec qui que ce soit, excepté Hadifah, qui est l’homme aux prétextes et aux ruses ; et si vous avez arrêté cette gageure, il faut la rompre. » Cais attendit que quelques personnes qui étaient auprès de lui se fussent retirées ; puis il monta aussitôt après à cheval, et se rendit à la tribu de Fazarah, où il trouva tout le monde prenant le repas dans leurs tentes.

Cais descendit de cheval, se débarrassa de ses armes, s’assit auprès d’eux, et se mit à manger comme un généreux Arabe. « Cousin, lui dit Hadifah désirant le plaisanter, quelles grosses bouchées vous prenez ! Que le ciel nous préserve d’avoir un appétit semblable au vôtre ! — Il est vrai que je meurs de faim, dit Cais ; mais, par Celui qui a toujours duré et qui durera toujours, je ne suis pas venu ici seulement pour manger votre repas. Mon intention est d’annuler la gageure qui a été faite hier entre vous et mon parent Carwash. Je vous prie de rompre cet engagement, car tout ce qui se fait et se dit au milieu des flacons ne compte pas et doit être oublié. — Sachez, Cais, que je ne renoncerai pas à ce défi, à moins que l’on ne me remette les chameaux et les chamelles. Lorsque cette condition sera remplie, le reste me sera parfaitement indifférent. Cependant, si vous le voulez, je m’en emparerai de force, ou, si cela vous fait plaisir, j’y renoncerai, mais à titre de grâce. » Malgré tout ce que Cais put dire et redire, Hadifah resta inébranlable dans sa proposition ; et comme le frère de celui-ci se mit à rire en regardant Cais, Cais devint furieux, et, le visage rouge de colère, il demanda à Hadifah : « Qu’avez-vous parié avec mon cousin ? — Vingt chamelles, dit Hadifah. — Pour cette première gageure, continua Cais, je l’annule, et je vous en proposerai une autre : je parie trente chamelles. — Quarante, reprit Hadifah. — Cinquante, dit Cais. — Soixante, dit Hadifah ; » et ils continuèrent ainsi, en élevant toujours le nombre des chamelles jusqu’à cent. Le contrat fut passé entre les mains d’un homme nommé Sabic, fils de Wahhab, et en présence d’une foule de vieillards et de jeunes gens rassemblés autour d’eux. « Quel sera l’espace à parcourir ? fit observer Hadifah à Cais. — Cent portées de trait, répondit Cais ; et nous avons un archer, Ayas, fils de Mansour, qui mesurera le terrain. » Ayas était en effet le plus vigoureux, le plus habile et le plus célèbre archer qu’il y eût alors parmi les Arabes. Le roi Cais, par le fait, désirait que la course fût longue, à cause de la force qu’il connaissait à son cheval ; car plus Dahis avait une longue distance à parcourir, plus il gagnait de vivacité dans ses mouvements par l’accroissement de son ardeur. — « Eh bien, déterminez maintenant, dit Cais à Hadifah, quand la course aura lieu. — Quarante jours sont nécessaires, répondit Hadifah, à ce que je pense, pour dresser les chevaux. — C’est bien, » dit Cais ; et tout deux convinrent que les chevaux seraient dressés pendant quarante jours, que la course aurait lieu près du lac de Zatalirsad, et que le cheval qui arriverait le premier au but gagnerait. Toutes les conditions étant réglées, Cais retourna à ses tentes.

Cependant un des cavaliers de la tribu de Fazarah dit à ses voisins : « Parents, soyez assurés que des dissensions s’élèveront entre la tribu d’Abs et celle de Fazarah, à propos de la course de Dahis et de Ghabra. Les deux tribus, soyez-en certains, seront désunies, car le roi Cais a été là en personne : or, il est prince et fils de prince. Il a fait tous ses efforts pour annuler le pari, ce à quoi Hadifah n’a pas voulu consentir. Tout cela est une affaire dont il suivra une guerre qui peut durer cinquante ans, et il y en aura plus d’un qui périra dans les combats. » Hadifah, ayant entendu ces prédictions, dit : « Je m’embarrasse fort peu de tout cela, et je méprise cet avis. — Ô Hadifah, s’écria Ayas, je vais vous apprendre quel sera le résultat de tout ceci et de votre obstination envers Cais. Il lui parla ainsi en vers :

« En toi, ô Hadifah, il n’y a pas de beauté ; et dans la pureté de Cais il n’y a point de tache. Combien son avis était sincère et honnête ! mais il a en partage l’à-propos et les convenances. Parie avec un homme qui n’ait pas même un âne en sa possession, et dont le père n’ait jamais acheté un cheval. Laisse là Cais ; il a des richesses, des terres, des chevaux, un caractère fier ; et ce Dahis enfin, qui est toujours le premier le jour de la course, soit qu’il s’élance ou qu’il soit en repos, ce Dahis, animal dont les pieds même, quand la nuit répand son obscurité, se font apercevoir comme des tisons ardents. »

« Ayas, répliqua Hadifah, penserais-tu que je ne tiendrai pas ma parole ? Je recevrai les chameaux de Cais, et je ne souffrirai pas que mon nom soit mis au nombre de ceux qui ont été vaincus. Laisse aller les choses selon leur cours. »

Aussitôt que le roi Cais eut rejoint ses tentes, il s’empressa d’ordonner à ses esclaves de dresser les chevaux, mais de donner particulièrement leurs soins à Dahis ; puis il raconta à ses parents tout ce qui avait eu lieu entre lui et Hadifah. Antar (le héros du roman) était présent à ce récit ; et comme il prenait un intérêt très-vif à tout ce qui touchait ce roi : « Cais, lui dit-il, calmez votre cœur, tenez vos yeux bien ouverts, faites la course, et n’ayez aucune crainte. Car, par la foi d’un Arabe, si Hadifah fait naître quelque trouble et quelque mésintelligence, je le tuerai, ainsi que toute la tribu de Fazarah. » La conversation dura sur ce sujet jusqu’à ce que l’on arriva près des tentes, dans lesquelles Antar ne voulut pas entrer avant d’avoir vu Dahis. Il tourna plusieurs fois autour de cet animal, et reconnut qu’en effet il rassemblait en lui des qualités faites pour étonner tous ceux qui le voyaient…

Hadifah ne tarda pas à apprendre le retour d’Antar, et sut que ce héros encourageait le roi Cais à faire la course. Haml, le frère d’Hadifah, était aussi au courant de ces nouvelles ; et dans le trouble qu’elles lui causaient : « Je crains, dit-il à Hadifah, qu’Antar ne tombe sur moi ou sur quelqu’un de la famille de Beder, qu’il ne nous tue, et que nous ne soyons déshonorés. Renoncez à la course, ou nous sommes perdus. Laissez-moi aller vers le roi Cais, et je ne le quitterai pas que je ne l’aie engagé à venir vers vous pour rompre le contrat. — Faites comme il vous plaira, » répondit Hadifah. D’après cela, Haml monta à cheval, et alla à l’instant même chez le roi Cais. Il le trouva avec son oncle Asyed, homme sage et prudent. Haml s’avança vers Cais, lui donna le salut en lui baisant la main ; et après lui avoir fait entendre qu’il lui portait un grand intérêt : « Ô mon parent, dit-il, sachez que mon frère Hadifah est un pauvre sujet dont l’esprit est plein d’intrigues. J’ai passé ces trois derniers jours à lui faire mille représentations pour l’engager à abandonner la gageure. Oui, c’est bien, m’a-t-il dit enfin : si Cais revient vers moi, s’il désire d’être débarrassé du contrat, je l’annulerai ; mais qu’aucun Arabe ne sache que j’ai abandonné le pari par crainte d’Antar. Maintenant, Cais, vous savez qu’entre parents la plus grande preuve d’attachement que l’on puisse se donner est de céder. Aussi me suis-je rendu ici pour vous prier de venir avec moi chez mon frère Hadifah, afin de lui demander de renoncer à la course avant qu’il s’élève aucun trouble et que la tribu soit exterminée de ses terres. » À ce discours de Haml, Cais devint rouge de honte, car il était confiant et généreux. Il se leva aussitôt, et, laissant à son oncle Asyed le soin de ses affaires domestiques, il accompagna Haml au pays de Fazarah. Lorsqu’ils furent à moitié chemin, Haml se mit devant Cais, auquel il prodigua des louanges, tout en blâmant la conduite de son frère, par ces mots :

« Ô Cais, ne vous laissez pas aller à la colère contre Hadifah, car ce n’est qu’un homme obstiné et injuste dans ses actions ! Ô Cais, si vous persistez dans le maintien de la gageure, de grands malheurs s’ensuivront ! Vous et lui vous êtes vifs et emportés tous deux, ce qui me donne de l’inquiétude sur vous, Cais. Mettez de côté, je vous prie, vos intérêts privés ; soyez bon et généreux, avant que l’oppresseur devienne l’opprimé. »

Haml continua d’injurier son frère, en flattant Cais par son admiration, jusque vers le soir, où ils arrivèrent à la tribu de Fazarah. Hadifah, qui en ce moment était entouré de plusieurs chefs puissants sur le secours desquels il comptait au besoin, avait changé d’avis depuis le départ de son frère Haml ; et, au lieu d’entrer en accommodement et de faire la paix avec Cais, il avait au contraire pris la résolution de ne céder en rien, et de maintenir rigoureusement toutes les conditions de la course. Il parlait même de cette affaire avec l’un des chefs, au moment où Cais et Haml se présentèrent devant lui.

Sitôt que Hadifah vit Cais, il résolut de l’accabler de honte. Se tournant donc vers son frère : « Qui t’a ordonné d’aller vers cet homme ? lui demanda-t-il. Par la foi d’un noble Arabe, quand tous les hommes qui couvrent la surface de la terre viendraient m’importuner et me dire : « Ô Hadifah, abandonne un poil de ces chameaux, » je ne l’abandonnerais pas, à moins que la lance n’eût percé ma poitrine et que l’épée n’eût fait sauter ma tête. » Cais devint rouge, et remonta aussitôt à cheval, en reprochant à Haml sa conduite. Il revint en toute hâte chez lui, où il trouva ses oncles et ses frères qui l’attendaient avec une anxiété extrême. « Ô mon fils, lui dit son oncle Asyed sitôt qu’il l’aperçut, tu viens de faire une triste démarche, car elle t’a déshonoré. — Si ce n’eût été quelques chefs qui entourent Hadifah et lui donnent de perfides conseils, j’aurais accommodé toute l’affaire, dit Cais ; mais maintenant il ne reste plus qu’à s’occuper du pari et de la course. »

Le roi Cais se reposa toute la nuit. Le lendemain, il ne pensa plus qu’à dresser son cheval pendant les quarante jours déterminés. Tous les Arabes du pays s’étaient promis entre eux de venir aux pâturages pour voir la course ; et lorsque les quarante jours furent expirés, les cavaliers des deux tribus vinrent en foule près du lac de Zatalirsad. Puis arriva l’archer Ayas, qui, tournant le dos au lac, point d’où les chevaux devaient partir, tira, en marchant vers le nord, cent coups de flèche jusqu’à l’endroit qui devint le but. Bientôt arrivèrent les cavaliers du Ghitfan et du Dibyan, car ils étaient du même pays ; et, à cause de leurs relations d’amitié et de parenté, on les comprenait sous le nom de tribu d’Adnan. Le roi Cais avait prié Antar de ne pas se montrer en cette occasion, dans la crainte que sa présence ne donnât lieu à quelque dissension. Antar écouta cet avis, mais ne put rester tranquille dans les tentes. L’intérêt qu’il prenait à Cais, et la défiance que lui inspirait la lâcheté des Fazaréens, toujours prêts à user de trahison, l’engagèrent à se montrer. Ayant donc ceint son épée Dhami[1], et étant monté sur son fameux cheval Abjer, il se fit accompagner de son frère Chaiboud, et se rendit à l’endroit désigné pour la course, afin de veiller à la sûreté des fils du roi Zohéir. En arrivant, il apparut à toute cette multitude comme un lion couvert d’une armure. Il tenait son épée nue à la main, et ses yeux lançaient des flammes comme des charbons ardents. Dès qu’il eut pénétré au milieu de la foule : « Holà ! nobles chefs arabes et hommes fameux rassemblés ici, cria-t-il d’une voix terrible, vous savez tous que je suis celui qui a été soutenu, favorisé par le roi Zohéir, père du roi Cais ; que je suis l’esclave de sa bonté et de sa munificence ; que c’est lui qui m’a fait reconnaître par mes parents, qui m’a donné un rang, et qui enfin m’a fait compter au nombre des chefs arabes. Bien qu’il ne vive plus, je veux lui témoigner ma reconnaissance, et faire que les rois de la terre, même après sa mort, lui soient soumis. Il a laissé un fils que ses autres frères ont reconnu et qu’ils ont placé sur le siége de son père, Cais, qu’ils ont distingué à cause de sa raison, de sa droiture et de ses sentiments élevés. Je suis l’esclave de Cais, je lui appartiens. Je serai l’appui de celui qui l’aime, l’ennemi de celui qui lui résiste. Il ne sera jamais dit, tant que je vivrai, que j’aie pu supporter qu’un ennemi lui fît un affront. Quant au contrat et à la gageure, il est de notre devoir d’en aider l’exécution. Ainsi, il n’y a rien de mieux à faire que de laisser courir librement les chevaux, car la victoire vient du Créateur du jour et de la nuit. Je jure donc, par la maison sacrée, par le temple, par le Dieu éternel, qui n’oublie jamais ses serviteurs et qui ne dort jamais, que si Hadifah commet quelque acte de violence, je le ferai boire dans la coupe de la vengeance et de la mort, et que je rendrai toute la tribu de Fazarah la fable du monde entier. Et vous, ô chefs arabes, si vous désirez vraiment que la course se fasse, assistez-y avec justice et impartialité ; autrement, par les yeux de ma chère Ablla, je ferai marcher les chevaux dans le sang ! — Antar a raison ! » s’écrièrent de tous côtés les cavaliers.

Hadifah choisit alors, pour monter sa jument Ghabra, un écuyer de la tribu de Dibyan. Cet homme avait passé tous les jours et une partie des nuits de sa vie à élever et à soigner les chevaux. Mais Cais choisit, pour monter son cheval Dahis, un écuyer de la tribu d’Abs, bien plus instruit et bien plus exercé dans son art que le Dibyanien ; et quand les deux antagonistes furent montés chacun sur son cheval, le roi Cais donna cette instruction à son écuyer :

« Ne lâche pas trop les rênes à Dahis ! Si tu t’aperçois qu’il sue, tiens-toi sur l’étrier, et presse-lui doucement les flancs avec tes jambes ; mais si tu le pousses trop, tu lui ôteras tout son courage. »

Hadifah entendit ce que venait de dire Cais, et, voulant l’imiter, il répéta :

« Ne lâche pas trop les rênes à Ghabra ! Si tu t’aperçois qu’elle sue, tiens-toi sur l’étrier, et presse-lui doucement les flancs avec tes jambes ; mais si tu la pousses trop, tu lui ôteras tout son courage. »

Antar se mit à rire. « Par la foi d’un Arabe ! dit-il à Hadifah, vous serez vaincu. Eh ! les expressions sont-elles si rares, que vous soyez forcé d’employer précisément celles de Cais ? Mais, au fait, Cais est un roi et le fils d’un roi ; il doit toujours être imité ; et puisque vous l’avez suivi mot à mot dans ce qu’il a dit, c’est la preuve que votre cheval suivra le sien dans le désert. »

À ces mots, Hadifah, le cœur gonflé de colère et d’indignation, jura par serment qu’il ne laisserait pas courir son cheval en ce jour, et qu’il voulait que la course n’eût lieu que le lendemain, au lever du soleil. Au fait, ce délai lui paraissait indispensable pour préparer la perfidie qu’il méditait ; car il n’eut pas plus tôt aperçu Dahis, qu’il resta interdit de l’étonnement que lui causèrent la beauté et les perfections de ce cheval.

Les juges étaient donc déjà descendus de cheval, et les cavaliers des différentes tribus se préparaient à retourner chez eux, quand Chaiboud se mit à crier d’une voix retentissante : « Tribus d’Abs, d’Adnan, de Fazarah et de Dibyan, et vous tous qui êtes ici présents, attendez un instant pour moi, et écoutez des paroles qui seront répétées de génération en génération ! » Tous les guerriers s’arrêtèrent : « Parle, dirent-ils ; que veux-tu ? Peut-être y aura-t-il quelque chose de bon dans tes paroles. — Ô illustres Arabes, dit alors Chaiboud, vous savez ce qui s’est passé à propos du défi entre Dahis et Ghabra : en bien, je vous assure sur ma vie que je les vaincrai tous deux à la course, quand bien même ils seraient plus vites que le vent. Mais voici ma condition : Si je suis vainqueur, je prendrai les cent chameaux mis en gage ; que si, au contraire, je suis vaincu, je n’en donnerai que cinquante. » Sur cela un des scheiks de Fazarah se récria, en disant : « Qu’est-ce que tu dis là, vil esclave ? Pourquoi prendrais-tu cent chameaux si tu gagnes, et n’en donnerais-tu que cinquante si tu perds ? — Pourquoi, vieux bouc né sur le fumier ? pourquoi ? dit Chaiboud. Parce que je ne cours que sur deux jambes et qu’un cheval court sur quatre, sans compter qu’il a une queue. » Tous les Arabes se mirent à rire : cependant, comme ils furent très-étonnés des conditions que Chaiboud avait faites, et qu’ils étaient extrêmement curieux de le voir courir, ils consentirent à ce qu’il tentât cette chanceuse entreprise.

Mais quand on fut rentré dans les tentes, Antar dit à Chaiboud : « Eh bien, toi, fils d’une mère maudite, comment as-tu osé dire que tu vaincrais ces deux chevaux, pour lesquels tous les cavaliers des tribus se sont rassemblés, et qui, au dire de tout le monde, n’ont point d’égaux à la course, pas même les oiseaux ? — Par Celui qui produit les sources dans les rochers, et qui sait tout, répondit Chaiboud, je dépasserai les deux chevaux, fussent-ils aussi prompts que les vents. Oui, et il en résultera un grand avantage : car lorsque les Arabes auront entendu parler de cet événement, ils n’auront plus l’idée de me suivre quand je courrai à travers le désert. » Antar sourit, car il se douta du projet de Chaiboud. Pour celui-ci, il alla trouver le roi Cais, ses frères, et tous les spectateurs de la course, et devant eux tous jura, sur sa vie, qu’il dépasserait les deux chevaux. Tous ceux qui étaient présents se portèrent témoins de ce qu’il venait de dire, et se séparèrent fort étonnés d’une semblable proposition.

Pour le perfide Hadifah, dès le soir même il fit venir un de ses esclaves, nommé Valek, fanfaron s’il en fut. « Ô Valek, lui dit-il, tu te vantes souvent de ton adresse ; mais jusqu’à présent je n’ai pas eu l’occasion de la mettre à l’épreuve. — Mon seigneur, répondit l’esclave, dites-moi en quoi je pourrais vous être utile. — Je désire, dit Hadifah, que tu ailles te poster au grand défilé. Demeure en cet endroit, et va t’y cacher demain dès le matin. Observe bien les chevaux, et vois si Dahis est devant. Dans ce dernier cas, présente-toi subitement à lui, frappe-le à la tête, et fais en sorte qu’il s’arrête, afin que Ghabra passe devant, et que nous n’encourions pas la disgrâce d’être vaincus. Car, je l’avoue, dès que j’ai vu Dahis, sa conformation m’a fait naître des doutes sur l’excellence de Ghabra, et j’ai peur que ma jument ne soit vaincue, et que nous ne devenions un sujet de dérision parmi les Arabes. — Mais, seigneur, comment distinguerai-je Dahis de Ghabra, quand ils s’avanceront tous deux environnés d’un nuage de poussière ? » Hadifah répondit : « Je vais te donner un signe, et t’expliquer l’affaire de manière à ne te laisser aucune difficulté. » En disant ces mots, il ramassa quelques pierres à terre, et ajouta : « Prends ces pierres avec toi. Quand tu verras le soleil se lever, tu te mettras à les compter, et tu les jetteras à terre quatre à quatre. Tu répéteras cette opération cinq fois ; c’est à la dernière que doit arriver Ghabra. Tel est le calcul que j’ai fait. Que s’il se présentait à toi un nuage de poussière et qu’il te restât encore quelques pierres dans la main, par exemple, un tiers ou la moitié, ce serait la preuve que Dahis aurait gagné les devants et qu’il serait devant tes yeux. Alors jette-lui une pierre à la tête comme je t’ai dit, arrête-le dans sa course, afin que ma jument puisse le dépasser[2]. » L’esclave consentit à tout. S’étant muni de pierres, il alla se cacher au grand défilé, et Hadifah se regarda comme certain de gagner le pari.

Dès l’aube du jour, les Arabes, venus de tous côtés, étaient rassemblés au lieu de la course. Les juges donnèrent le signal pour le départ des chevaux, et les deux écuyers poussèrent un grand cri. Les coursiers partirent comme des éclairs qui éblouissent les yeux, et ils ressemblaient au vent lorsqu’à mesure qu’il court il devient plus furieux. Ghabra passa devant Dahis, et le laissa derrière. « Te voilà perdu, mon frère de la tribu d’Abs, cria l’écuyer fazaréen à l’Absien ; ainsi, arrange-toi pour te consoler de ton malheur. — Tu mens, répliqua l’Absien ; et dans quelques instants tu verras jusqu’à quel point tu fais mal ton compte. Attends seulement que nous ayons dépassé ce terrain inégal. Les juments vont toujours mieux dans les chemins difficiles qu’en rase campagne. » En effet, quand ils arrivèrent à la plaine, Dahis se lança comme un géant, laissant un sillon de poussière derrière lui. On eût dit qu’il n’avait plus de jambes, on n’apercevait que son corps, et en un clin d’œil il fut devant Ghabra. « Holà ! cria alors l’écuyer absien au Fazaréen, envoie un courrier de ma part à la famille de Beder, et toi, goûte un peu de l’amertume de la patience derrière moi. »

Cependant Chaiboud, rapide comme le vent du nord, gardait son avance sur Dahis, en sautant comme un faon et courant avec la persévérance d’une autruche mâle, jusqu’à ce qu’il arriva au grand défilé où Valek était caché. Celui-ci n’avait encore jeté qu’un peu moins du quart de ses cailloux, lorsqu’il regarda, et vit Dahis qui venait. Il attendit que le cheval passât près de lui, et, se présentant inopinément à lui en criant, il lui jeta avec force une pierre dans les yeux. Le cheval se cabra, s’arrêta un instant, et l’écuyer fut sur le point d’être démonté. Chaiboud fut témoin de tout, et ayant regardé l’esclave attentivement, il reconnut qu’il appartenait au lâche Hadifah. Dans l’excès de sa rage, il se jeta en passant sur Valek, le tua d’un coup d’épée, puis il alla à Dahis, dans l’intention de lui parler pour le flatter et le remettre en carrière, quand, hélas ! la jument Ghabra s’avança, rasant la terre comme le vent. Alors Chaiboud, craignant d’être vaincu, pensant aux chameaux qu’il aurait à donner, se mit à courir de toute sa force vers le lac, où il arriva en avance de deux portées de trait. Ghabra vint ensuite, puis enfin Dahis, portant sur son front la marque du coup qu’il avait reçu ; ses joues étaient couvertes de sang et de pleurs.

Tous les assistants furent stupéfaits à la vue de l’activité et de la force de Chaiboud ; mais sitôt que Ghabra eut atteint le but, les Fazaréens jetèrent tous de grands cris de joie. Dahis fut ramené tout sanglant, et son écuyer apprit à ceux de la tribu d’Abs ce que l’esclave avait fait. Cais regarda la blessure de son cheval, et se fit expliquer en détail comment l’accident avait eu lieu. Antar rugissait de colère, portait la main sur son invincible épée Dhami, impatient d’anéantir la tribu de Fazarah. Mais les scheiks le retinrent, bien qu’avec peine ; après quoi ils allèrent vers Hadifah, pour le couvrir de honte et lui reprocher l’infâme action qu’il avait faite. Hadifah nia, en faisant de faux serments, qu’il sût rien touchant le coup qu’avait reçu Dahis, puis ajouta : « Je demande les chameaux qui me sont dus, et je n’admettrai pas la lâche excuse que l’on allègue.

» — Ce coup ne peut être que d’un sinistre augure pour la tribu de Fazarah, dit Cais ; Dieu certainement nous rendra triomphants et victorieux, et les détruira tous. Car Hadifah n’a désiré faire cette course que dans l’idée de faire naître des troubles et des dissensions ; et la commotion que va donner cette guerre peut exciter les tribus les unes contre les autres, en sorte qu’il y aura beaucoup d’hommes tués et d’enfants orphelins. » Les conversations s’animèrent peu à peu, devinrent violentes, des cris confus se firent entendre de tous côtés, et enfin les épées nues brillèrent. On était sur le point de faire usage des armes, quand les scheiks et les sages descendirent de leurs chevaux, découvrirent leurs têtes, pénétrèrent au milieu de la foule, s’humilièrent, et parvinrent à arranger cette affaire aussi convenablement qu’il fut possible. Ils décidèrent que Chaiboud recevrait les cent chameaux de la tribu de Fazarah, montant du pari, et que Hadifah mettrait fin à toute prétention et à toute dispute.

Tels furent les efforts qu’ils firent pour éteindre les animosités et les désordres prêts à se déclarer au milieu des tribus. Alors les différentes familles se retirèrent dans leurs demeures, mais leurs cœurs étaient remplis d’une haine profonde. L’un de ceux dont le ressentiment parut le plus violent était Hadifah, surtout lorsqu’il reçut la nouvelle de la mort de son esclave Valek. Pour Cais, il était aussi rempli d’une colère sourde et d’une haine enracinée. Cependant Antar cherchait à le remettre : « Ô roi, lui disait-il, n’abandonnez pas votre cœur au chagrin ; car, j’en jure par la tombe du roi Zohéir votre père, je ferai tomber la disgrâce et l’infamie sur Hadifah, et ce n’est que par égard pour vous que je l’ai ménagé jusqu’à ce moment. » Bientôt chacun alla retrouver ses tentes.

Dès le matin suivant, Chaiboud tua vingt des chameaux qu’il avait gagnés la veille, et en fit la distribution aux veuves et aux blessés. Il en égorgea vingt autres avec lesquels il donna des festins à la tribu d’Abs, y compris les esclaves hommes et femmes. Enfin, le jour d’après il tua le reste des chameaux, et donna un grand repas près du lac de Zatalirsad, auquel il invita les fils du roi Zohéir et ses plus nobles chefs. À la fin de cette fête, et lorsque le vin circula parmi les assistants, tous louèrent la conduite de Chaiboud.

Mais la nouvelle des chameaux égorgés et de toutes ces fêtes fut bientôt sue de la tribu de Fazarah. Tous les insensés de cette tribu s’empressèrent d’aller trouver Hadifah. « Hé quoi ! dirent-ils, c’est nous qui avons été les premiers à la course, et les esclaves de ces traîtres d’Absiens ont mangé nos chameaux ! Envoyez quelqu’un vers Cais, et demandez ce qui vous est dû. S’il envoie les chameaux, c’est bien ; mais s’il les refuse, suscitons une guerre terrible aux Absiens. » Hadifah leva les yeux sur son fils Abou-Firacah : « Monte à cheval sur-le-champ, lui dit-il, et va dire à Cais : Mon père dit que vous devez lui payer à l’instant la gageure ; qu’autrement il viendra vous en arracher le prix de vive force, et vous précipitera dans l’affliction. » Il y avait alors là présent un chef d’entre les scheiks, qui, entendant l’ordre que Hadifah venait de donner à son fils, lui dit : « Ô Hadifah, n’es-tu pas honteux d’envoyer un tel message à la tribu des Absiens ? Ne sont-ils pas nos parents et nos alliés ? Ce projet s’accorde-t-il avec la raison et le désir d’apaiser les dissensions ? L’homme véritable se reconnaît à la générosité et à la bienfaisance. Je pense qu’il serait à propos que tu renonçasses à ton obstination, qui n’aboutira qu’à nous faire exterminer. Cais a montré de l’impartialité, il n’a fait d’outrager à personne ; ainsi, entretiens la paix avec les cavaliers de la tribu d’Abs. Fais attention à ce qui est arrivé à ton esclave Valek : il a frappé Dahis, le cheval du roi Cais, et Dieu l’en a puni sur-le-champ ; il est resté baigné dans son sang noir[3]. Je t’ai conseillé de ne prêter l’oreille qu’aux bons conseils : agis noblement, et renonce à toute vile pratique. Maintenant que te voilà prévenu sur ta situation, jette un regard prudent sur tes affaires. » Ce discours rendit Hadifah furieux : « Méprisable scheik, chien de traître ! s’écria-t-il. Hé quoi ! j’aurais peur de Cais et de toute la tribu des Absiens ? Par la foi d’un Arabe ! que tous les hommes d’honneur sachent que si Cais ne m’envoie pas les chameaux, je ne laisserai pas une de ses tentes debout. » Le scheik fut choqué, et, pour jeter encore plus de crainte dans l’âme de Hadifah, il lui parla ainsi en vers :

« L’outrage est une lâcheté, car il surprend celui qui ne s’y attend pas, comme la nuit enveloppe ceux qui errent dans le désert. Quand l’épée sera une fois tirée, prends garde à ses coups ! Sois juste, et ne te revêts pas de déshonneur. Interroge ceux qui connaissent le destin de Themoud et de sa tribu, lorsqu’ils commirent des actes de rébellion et de tyrannie : on te dira comment un ordre du Dieu d’en haut les a détruits en une nuit ; oui, en une nuit ! Et le lendemain ils étaient tous gisants sur la terre, les yeux tournés vers le ciel[4]. »

Hadifah non-seulement montra du mépris pour ces vers et le scheik qui les avait prononcés, mais ordonna aussitôt à son fils de retourner vers Cais au moment même. Abou-Firacah retourna donc à la tribu d’Abs, et sitôt qu’il fut arrivé, il se rendit à la demeure de Cais, qui était absent. L’envoyé demanda alors sa femme Modelilah, fille de Rebia. « Que voulez-vous de mon mari ? lui dit-elle. — Je demande ce qui nous est dû, le prix de la course. — Malheur sur toi et sur ce que tu demandes, répliqua-t-elle, fils de Hadifah ! Ne crains-tu pas les suites d’une telle perfidie ? Si Cais était ici, il t’enverrait à l’instant même dans la tombe ! » Abou-Firacah revint vers son père, auquel il rapporta ce que la femme de Cais lui avait dit. « Hé quoi ! lâche, s’écria Hadifah, tu reviens sans avoir fini cette affaire ! Est-ce que tu as peur de la fille de Rebia ? Retourne. »

Cependant Abou-Firacah ayant fait observer à son père qu’il était presque nuit déjà, le message fut remis au lendemain.

Pour Cais, lorsqu’il rentra chez lui, il apprit de sa femme qu’Abou-Firacah était venu pour lui demander les chameaux. « Par la foi d’un Arabe ! dit-il, si j’avais été là, je l’aurais tué. Mais c’est une affaire finie ; laissons passer cela ainsi. » Cependant le roi Cais passa la nuit dans le chagrin et la tristesse jusqu’au lever du soleil, heure à laquelle il se rendait à sa tente. Antar vint le voir ; Cais se leva, puis l’ayant fait asseoir auprès de lui, il lui parla de Hadifah. « Croiriez-vous, lui dit-il, qu’il a eu l’impudence d’envoyer son fils me demander les chameaux ? Ah ! si j’eusse été présent, j’aurais tué ce messager. » Il finissait à peine de prononcer ces mots, quand Abou-Firacah se présenta à cheval devant lui. Sans descendre, sans faire ni salut ni avertissement, il dit : « Cais, mon père désire que vous lui envoyiez ce qui lui est dû ; en agissant ainsi, votre conduite sera celle d’un homme généreux : mais, dans le cas contraire, mon père s’élèvera contre vous, reprendra son bien par la force, et vous plongera dans l’affliction. »

En entendant ces mots, Cais sentit la lumière se changer en obscurité dans ses yeux : « Ô toi, fils d’un vil cornard, cria-t-il, comment se fait-il que tu n’es pas plus respectueux en m’adressant la parole ? » Il saisit une javeline, et la lança dans la poitrine d’Abou-Firacah. Percé de part en part, le jeune messager se laissa aller sur son coursier, d’où Antar le prit et le jeta à terre. Puis ayant tourné la tête du cheval du côté de Fazarah, il lui donna un coup de houssine dans le flanc. Le cheval prit le chemin de ses pâturages, et rentra enfin dans son étable tout couvert de sang. Aussitôt les bergers le conduisirent aux tentes, criant : Malheur ! malheur !

Hadifah devint furieux. Il se frappait la poitrine en répétant : « Tribu de Fazarah ! aux armes ! aux armes ! aux armes ! » Et tous les insensés de s’approcher de nouveau de Hadifah, et de l’engager à déclarer la guerre aux Absiens et à se venger d’eux. « Ô mes parents, reprit bientôt Hadifah, qu’aucun de nous ne repose cette nuit que tout armé ! » Ce qui eut lieu.

À la pointe du jour Hadifah était à cheval ; les guerriers étaient prêts, et on ne laissa dans les tentes que les enfants et ceux qui n’étaient pas en état de combattre.

De son côté, Cais, après avoir tué Abou-Firacah, pensa bien que les Fazaréens viendraient l’attaquer, lui et ses guerriers ; il se prépara donc au combat. Ce fut Antar qui se chargea de toutes les précautions à prendre en ce cas. Il ne laissa donc dans les tentes que les femmes, les enfants et tous ceux qui ne pouvaient porter l’épée ; puis il se mit à la tête des héros de Carad. Rien n’était plus resplendissant que n’étaient les Absiens couverts de leurs cottes de mailles et de leurs armures luisantes. Ces apprêts furent un terrible moment pour les deux partis. Ils marchaient l’un contre l’autre ; et le soleil paraissait à peine, que les cimeterres étincelaient et que toute la contrée était en émoi.

Antar était impatient de se jeter en avant, et de soulager son cœur en combattant ; mais voilà que Hadifah, vêtu d’une robe noire, s’avance, le cœur brisé de la mort de son fils. « Fils de Zohéir, cria-t-il à Cais, c’est une vilaine action que d’avoir tué un enfant ; mais il est bien de se présenter au combat pour décider, par ses lances, qui mérite le commandement, de vous ou de moi. » Ces paroles blessèrent Cais. Entraîné par le ressentiment, il s’échappa de dessous ses étendards et se rua sur Hadifah. Ce fut alors que ces deux chefs, animés par une haine mutuelle, combattirent ensemble de dessus leurs nobles coursiers jusqu’à la nuit. Cais était monté sur Dahis, et Hadifah sur Ghabra. Dans le cours de ce combat il se passa des faits d’armes qui n’avaient jamais été vus auparavant. Chaque tribu désespérait de son chef, et elles voulaient faire une attaque générale, afin de suspendre leurs efforts et diminuer la fureur qu’ils mettaient à se combattre. Alors les cris commencèrent à se faire entendre dans les airs. Les cimeterres furent tirés, et les lances s’avançaient entre les oreilles des chevaux arabes. Antar s’approcha de quelques chefs absiens, et leur dit : « Attaquons ces lâches. » Ils allaient partir, quand les anciens des deux tribus s’avancèrent au milieu de la plaine, la tête découverte, les pieds nus, et les idoles[5] suspendues à leurs épaules. Placés entre les deux armées, ils parlèrent ainsi : « Parents et alliés, au nom de l’union qui a régné jusqu’ici entre nous, ne faisons rien qui nous rende la fable de nos esclaves. Ne fournissons pas à nos ennemis et à nos envieux une occasion de nous faire de justes reproches. Oublions tout sujet de dispute et de dissension. Des femmes ne faisons point des veuves, ni des enfants des orphelins. Satisfaites votre ardeur pour les combats en attaquant ceux d’entre les Arabes qui sont vraiment nos ennemis. Et vous, parents de Fazarah, montrez-vous plus humbles envers vos frères les Absiens. Surtout n’oubliez pas que l’outrage a souvent causé la perte de maintes tribus, qui se sont repenties de leur action impie ; qu’il a privé bien des hommes de leurs propriétés, et qu’il en a plongé un grand nombre dans le puits du désespoir et du regret. Attendez donc l’heure fatale de la mort, le jour de la dissolution ; car il est là. Alors vous serez déchirés par les aigles menaçantes de la destruction, et vous serez enfermés dans les réduits ténébreux du tombeau. Faites donc en sorte que quand vos corps seront inanimés, on ne conserve, en pensant à vous, que le souvenir de vos vertus. »

Les scheiks parlèrent longtemps, et jusqu’à ce que la flamme des passions qui s’était allumée dans l’âme des héros fût éteinte. Hadifah se retira du combat, et il fut convenu que Cais payerait le prix du sang d’Abou-Firacah avec une grande quantité de troupeaux et une file de chameaux. Les scheiks ne voulurent pas même quitter le champ de bataille avant que Cais et Hadifah se fussent embrassés, et eussent consenti à tous les arrangements.

Antar rugissait de fureur : « Ô roi Cais, que faites-vous là ? s’écria-t-il. Quoi ! nos épées nues brillent dans nos mains, et la tribu de Fazarah exigera de nous le prix du sang de son mort ! Et nos prisonniers, nous ne pourrons les racheter qu’avec la pointe de nos lances ! Le sang de notre mort aura été versé, et nous ne le vengerons pas ? » Hadifah était hors de lui en entendant ces paroles. « Et toi, vil bâtard, lui dit Antar en l’apostrophant, toi, fils d’une vile mère, est-ce qu’il y a quelque chose qui puisse t’honorer, et nous, nous flétrir ? Si ce n’était la présence de ces nobles scheiks, je t’anéantirais, toi et ton monde, sur-le-champ. » Alors l’indignation et la colère de Hadifah furent portées à leur comble. « Par la foi d’un Arabe ! dit-il aux scheiks, je ne veux plus entendre parler de paix, quand même l’ennemi devrait me percer de ses lances. — Ne parlez pas de la sorte, fils de ma mère, dit Haml à son frère. Ne vous élancez pas sur la route de l’imprudence ; abandonnez ces tristes résolutions. Restez en paix avec nos alliés les Absiens, car ils sont les étoiles brillantes, le soleil resplendissant qui conduit tous les Arabes qui aiment la gloire. Ce n’est que l’autre jour, lorsque vous les avez outragés en faisant frapper leur cheval Dahis, que vous avez commencé à vous éloigner de la voie de la justice. Quant à votre fils, il a été tué justement, car vous l’avez envoyé demander une chose qui ne vous était pas due. D’après tout cela, il n’y a rien de plus convenable que de faire la paix ; car celui qui cherche et provoque la guerre est un tyran, un oppresseur. Acceptez donc les compensations qui vous sont offertes, ou vous allez faire naître encore autour de nous une flamme qui nous brûlera des feux de l’enfer. » Haml continua en récitant ces vers :

« Par la vérité de Celui qui a fortement enraciné les montagnes sans fondation, si vous n’acceptez pas les compensations des Absiens, vous êtes dans l’erreur. Ils reconnaissent Hadifah pour un chef ; sois donc véritablement un chef, et contente-toi des troupeaux et des richesses qui te sont offertes. Descends de dessus le cheval de l’outrage et ne le monte plus, car il te conduirait à la mer des chagrins et de l’affliction. Hadifah, renonce en homme généreux à toute violence, mais particulièrement à l’idée de combattre les Absiens. Fais d’eux et de leur supériorité, au contraire, un puissant rempart pour nous contre les ennemis qui pourraient nous attaquer. Fais d’eux des amis qui nous restent fidèles, car ce sont des hommes qui ont les plus nobles intentions ; ce sont des Absiens enfin ; et si Cais a agi avec toi d’une manière injuste, c’est toi qui le premier lui as donné cet exemple, il y a quelques jours. »

Dès que Haml eut achevé de réciter ces vers, les chefs des différentes tribus lui adressèrent des remercîments ; et Hadifah ayant consenti à accepter la compensation offerte, tous les Arabes renoncèrent à la violence et à la guerre. Tous ceux qui portaient les armes rentrèrent chez eux. Cais envoya à Hadifah deux cents chamelles, dix esclaves mâles, dix femelles, et dix têtes de chevaux. Alors la paix fut rétablie, et tout le monde resta tranquille dans le pays.




  1. Chez les Arabes, comme en Europe, à l’époque retracée par les romans de la Table Ronde, les guerriers donnaient un nom à leur épée. Ils faisaient de même pour leurs chevaux, etc., ainsi qu’on l’a vu.
  2. Il y a des variantes dans les manuscrits d’Antar, à ce passage où Hadifah fait le calcul comparatif du nombre des pierres jetées à terre, avec la vitesse des deux chevaux. La version anglaise est obscure en cet endroit, et la traduction que nous en donnons ici nous a été communiquée obligeamment par M. Reinaud.
  3. Le texte arabe porte seulement que cet esclave était très-noir.
  4. Voyez sur cet événement l’ouvrage de M. Reinaud sur les monuments arabes, persans et turcs, du cabinet de M. le duc de Blacas, t. I, p. 142.
  5. Le texte arabe porte quelquefois leurs enfants en bas âge.