Voyage en Orient (Nerval)/Épilogue/I

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Calmann Lévy (Œuvres complètes de Gérard de Nerval, II. Voyage en Orient, Ip. 426-427).


I


Constantinople.

Mon ami, l’homme s’agite et Dieu le mène. Il était sans doute établi de toute éternité que je ne pourrais me marier ni en Égypte, ni en Syrie, pays où les unions sont pourtant d’une facilité qui touche à l’absurde. Au moment où je commençais à me rendre digne d’épouser la fille du cheik, je me suis trouvé pris tout à coup d’une de ces fièvres de Syrie qui, si elles ne vous enlèvent pas, durent des mois ou des années. Le seul remède est de quitter le pays. Je me suis hâté de fuir ces vallées du Hauran à la fois humides et poudreuses, où s’extravasent les rivières qui arrosent la plaine de Damas. J’espérais retrouver la santé à Beyrouth ; mais je n’ai pu y reprendre que la force nécessaire pour m’embarquer sur le paquebot autrichien venu de Trieste, et qui m’a transporté à Smyrne, puis à Constantinople. J’ai pris pied enfin sur la terre d’Europe. C’est à peu près ici le climat de nos villes du Midi.

La santé qui revient donne plus de force à mes regrets… Mais que résoudre ? Si je retourne en Syrie plus tard, je verrai renaître cette fièvre que j’ai eu le malheur d’y prendre ; c’est l’opinion des médecins. Quant à faire venir ici la femme que j’avais choisie, ne serait-ce pas l’exposer elle-même à ces terribles maladies qui emportent, dans les pays du Nord, les trois quarts des femmes d’Orient qu’on y transplante ?

Après avoir longtemps réfléchi sur tout cela avec la sérénité d’esprit que donne la convalescence, je me suis décidé à écrire au cheik druse pour dégager ma parole et lui rendre la sienne.