Voyage pittoresque dans le Brésil/Fascicule III

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VOYAGE PITTORESQUE

DANS LE BRÉSIL.

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PAYSAGES.


Les cascades de Tijucca forment l’un des points de vue les plus pittoresques des environs de Rio-Janeiro. Le chemin qui y conduit traverse les faubourgs de Mata-Porcos, près du palais impérial de Saint-Christophe, et longe le torrent de Tijucca sur le revers septentrional du Corcovado : tantôt il passe entre de fertiles plantations d’orangers, de bananiers, de café, etc. ; tantôt au milieu de bosquets fleuris et de touffes de plantes grimpantes ; tantôt, enfin, sous des groupes isolés de magnifiques palmiers ou d’arbres à feuillage épais, restes de l’ancienne forêt vierge : à mesure qu’on s’éloigne de la ville et qu’on s’enfonce dans les vallées rocailleuses de ces montagnes, ces arbres deviennent plus fréquens, plus épais, plus vigoureux. À environ une lieue de Rio-Janeiro, un ruisseau se précipite des pointes les plus élevées du mont Tijucca, et jaillit d’une paroi de rocher de la hauteur d’environ 150 pieds : un second ruisseau coulant au sud forme aussi plusieurs cascades, qui ne le cèdent point aux premières en ce qu’elles ont de grand et d’imposant, mais qui lui sont inférieures, sous les rapports pittoresques, et par les objets qui les entourent. La coupe des rochers, le mouvement de l’onde écumante et bouillonnante, ne sont pas moins admirables que dans les chutes d’eau de l’ancien monde. La richesse de la végétation est immense, et la bienfaisante humidité, la fraîcheur de ce lieu, paraissent lui donner une vigueur nouvelle et rehausser encore la magnificence de ses couleurs, de telle sorte que l’éclat des fleurs que l’on voit aux buissons, aux arbres et aux plantes, ne peut être surpassé que par la multitude et la magnificence des papillons, des colibris et d’autres oiseaux au plumage varié, qui cherchent ici un abri contre la brûlante ardeur du soleil.

Un peintre français distingué, M. Thaunay, a construit sur une petite terrasse en face de la cascade son agréable habitation, où demeurent maintenant deux de ses fils, qui vivent dans une solitude et dans un repos dignes d’envie, et jouissent de l’abondance de beautés que la nature a répandues sur ces lieux.

Au pied du Tijucca, du côté du sud, s’étend un assez grand lac, appelé Jaquarepagua ; on y voit arriver les torrens des montagnes qui réfléchissent dans ses ondes leurs rochers et leurs forêts, tandis que pendant le flux il est rempli d’eau salée, par l’Océan, auquel il est lié par un étroit canal : au sud-est il est borné par le rocher colossal de Gaviao. Du pied de ce rocher part un chemin qu’en plusieurs endroits des sables profonds rendent difficile, mais qui compense cet inconvénient par des points de vue magnifiques, d’une part sur la mer, de l’autre sur le Corcovado et sur la montagne opposée, appelée Dois-Irmaos (les deux frères) ; il conduit en passant près du jardin botanique de la Lagoa das Freitas à Botafogo, où les beautés pittoresques de ce pays enchanteur se développent avec encore plus de variété. Aussi cette baie, que deux routes unissent à la Catete de Rio-Janeiro, et qui n’est éloignée de la ville même que d’une lieue, est-elle principalement habitée par des Européens, et entourée de jolies maisons de campagne et de jardins fort agréables. La côte opposée (celle de l’est) et celle du nord, qui s’étendent de San-Christovao vers l’Ilha-Grande, sont, sous le rapport pittoresque, inférieures au pays que nous venons de nommer et aux environs de Rio-Janeiro ; les formes des collines et des montagnes ne le redeviennent que lorsque l’on quitte la baie, et qu’en remontant les petites rivières on s’approche de cette chaîne qui compose au nord le fond du tableau que présente la baie de Rio-Janeiro, et que tout voyageur qui de ce point veut pénétrer dans l’intérieur du Brésil, doit traverser.

Dans le voisinage de Rio la première habitation de quelque importance est le petit bourg de Porto-de-Estrella, sur la rivière d’Inhomerim, qui se jette dans la baie de Rio. Les marchandises destinées aux provinces de l’intérieur, comme Minas-Geraes, Minas-Novas, Goyaz, etc., sont d’abord conduites, ainsi que les voyageurs, dans de petits bateaux de Rio-Janeiro à Porto-de-Estrella, qui en est éloigné de sept lieues ; là, elles sont confiées à des caravanes de mulets (tropas), qui, de leur côté, apportent la cargaison de retour des paquebots et des bâtimens qui s’en vont à Rio. Il y a, sous ce rapport, une analogie frappante entre le commerce qui se fait de Porto-de-Estrella avec Rio-Janeiro et celui de l’Aldea-Gallega avec Lisbonne : on sait que l’Aldea-Gallega est dans le fond de la baie de Lisbonne, et que toutes les marchandises et les voyageurs qui arrivent d’Alentejo et d’Espagne, y viennent aussi à dos de mulet, pour être chargés sur de petits bâtimens et conduits à Lisbonne en traversant la baie, et réciproquement. Cette analogie de situation entre l’ancienne capitale de la métropole et la nouvelle capitale des colonies, cette ressemblance qu’on pourrait établir encore sur beaucoup d’autres points, dut faire une grande impression sur les premiers Portugais qui s’établirent en ce lieu.

La route qui va de Porto-de-Estrella à Minas passe devant beaucoup de belles plantations, derrière lesquelles on aperçoit dans le lointain les pointes anguleuses de la Serra-dos-Orgaos, s’élevant au-dessus de la Serra-de-Estrella, dont l’escarpement est toujours encore l’effroi des tropeiros et le tourment des mulets, quoiqu’une large route, construite et pavée à grands frais, y ait été établie : en plusieurs endroits elle offre l’aspect d’une immense muraille, large de dix pieds.

D’après cette position, il n’y a pas lieu de s’étonner que Porto-de-Estrella soit à la fois très-animé et très-industriel. Tous les étrangers, et surtout les peintres, feront bien de le visiter, quand même leur chemin ou leurs affaires ne les y conduiraient pas. C’est un lieu de réunion pour les hommes de toutes les provinces de l’intérieur ; il y en vient de toutes les conditions : on y remarque leurs costumes originaux et leur bruyante activité. C’est ici que l’on organise les caravanes qui partent pour l’intérieur, et c’est ici seulement que commencent pour l’Européen les véritables mœurs du Brésil ; il faut souvent qu’il y prenne congé pour longtemps de toutes les aisances de la vie européenne et de tous ses préjugés. Nous ne trouverions dans cet ouvrage nul endroit plus favorable de communiquer à nos lecteurs quelques observations générales sur la manière dont on voyage au Brésil ; de la sorte nous ajouterons quelques traits et quelques nuances à l’image que nous nous efforçons de présenter pour faire connaître cette contrée.

Au Brésil, le seul moyen de transport pour les hommes, comme pour les marchandises, est dû aux chevaux et aux mulets : dans l’état actuel des communications et des chemins on ne peut songer à l’emploi des voitures ; c’est tout au plus si quelques dames de distinction se font porter dans des litières, néanmoins elles voyagent fort rarement. On doit donc conseiller très-sérieusement à quiconque veut visiter le Brésil ou toute autre partie de l’Amérique méridionale, d’apprendre à monter à cheval avant de quitter l’Europe. Quoique les Brésiliens ne soient pas des Centaures nés, comme les habitans des Pampas de Colombie et des Leanos de Buénos-Ayres, les savans les plus estimables et les naturalistes qui parcourent le Brésil, s’ils négligeaient de suivre cette règle de conduite, qui, au premier abord, a quelque chose de singulier, se trouveraient souvent en telle position qu’ils n’auraient que fort peu de choix entre le ridicule et le danger. Le voyageur isolé peut bien pour un petit trajet louer un ou plusieurs mulets, et se joindre à une tropa régulièrement organisée ; mais pour un voyage de long cours, surtout quand il y a nombreuse société et beaucoup de bagages, le meilleur parti est d’acheter sur-le-champ le nombre de mulets nécessaires. Dans cette affaire il est, comme on le pense bien, de la plus grande importance d’en choisir qui soient, à la fois, dressés et robustes, et de se garantir d’être dupé ; mais il est plus important encore de trouver, pour soigner et conduire ces animaux durant la route, un tropeiro ou muletier sur et expérimenté.

Toute économie en ce genre est fort mal appliquée ; elle entraîne pour tout le voyage les conséquences les plus désagréables, et rien n’est plus fou que de s’imaginer que tout esclave peut être indifféremment employé à cet usage. La plupart des voyageurs européens se tireraient fort mal d’affaire, même en Europe, s’ils avaient à s’occuper de leurs chevaux et de leurs bagages ; combien l’embarras serait-il plus grand dans une partie du monde à laquelle ils sont étrangers, dont le climat, les produits, etc., ne leur sont pas connus. Ici, bien plus qu’en Europe encore, les principaux personnages sont les quadrupèdes ; on dépend entièrement deux, et par conséquent de leur garde : il importe donc infiniment que, sous tous les rapports, il soit honnête, expérimenté et résolu.

Pour les transports ordinaires de marchandises, 50 ou 60 mulets composent ce qu’on appelle une tropa ; elle est subdivisée en lotos ou parties de 7 mulets chacune, et chacune aussi est confiée à un negro da tropa particulier, tandis que le tropeiro ou le propriétaire lui-même exerce la surveillance sur l’ensemble.

Ces dispositions et beaucoup d’autres choses dans les voyages du Brésil répondent entièrement à la manière dont en Espagne et en Portugal on se sert des arrieros et des almogrèves pour le transport des voyageurs et des marchandises. Les selles aussi (cangalhas) et le reste du harnachement diffèrent bien peu de celles que l’on emploie dans la péninsule. Les fonctions du tropeiro consistent à charger tous les matins avec le plus grand soin et à préparer à la route les mulets que l’on lui confie, puis de les tenir pendant la marche, autant que possible, en ligne avec le reste de la tropa ; enfin, en général, de veiller à ce que ni les bêtes ni les marchandises ne souffrent de dommage. Lorsqu’on a atteint le terme de la journée, on les décharge avec une grande vitesse et une grande précaution ; on relâche un peu la selle, et quelques minutes après, on l’ôte aux bêtes ; puis on leur enlève la sueur et la poussière avec un grand couteau que les tropeiros portent toujours à leur ceinture : toutefois on les laisse d’abord se rouler et s’étendre à leur gré, ce qui paraît être leur plus grande jouissance ; après cela, on leur donne un peu de sel, et on les lâche, afin qu’ils puissent paître dans le voisinage du lieu où l’on passe la nuit.

S’il arrive qu’une bête de somme ait été froissée par la selle ou blessée de toute autre manière, on l’examine et on la panse ; on raffermit les fers, on raccommode les selles, on rassemble du bois pour cuire le souper, etc. Les tropeiros sont occupés de tout cela jusqu’au soir, et le plus souvent le voyageur lui-même est obligé de mettre la main à l’œuvre. Avant la nuit on réunit les bestiaux et on les nourrit de maïs, puis on les laisse errer de nouveau dans les environs pour y chercher eux-mêmes la pâture qu’ils aiment le mieux, ou bien on les conduit dans des lieux plus éloignés, si les fourrages y sont meilleurs. Ce qu’il y a de plus avantageux aux mulets, ce sont les broussailles des Capoeras nouvelles, c’est-à-dire aux endroits où la forêt primitive a été incendiée depuis peu. Souvent on a beaucoup de peine le lendemain matin pour rassembler les mulets ; et quand il en manque un ou plusieurs, il arrive parfois que les voyages sont suspendus des journées entières. Comme on peut bien le penser, la perte d’un mulet est fort désagréable dans les contrées où on ne peut le remplacer, par exemple dans les forêts primitives.

Pour ce qui regarde la nourriture et le soin du voyageur lui-même, la règle en général la plus sûre, c’est qu’il emporte avec lui tout ce dont il a besoin ou croit avoir besoin : il dépend donc de lui, c’est-à-dire de son plus ou moins de préjugés ou de mollesse, d’augmenter jusqu’à un certain point, et selon son goût, ses aises et ses jouissances ; mais comme tout ce qui dépasse le strict nécessaire occasionne de lourdes dépenses, il faut bien que le voyageur ordinaire se restreigne beaucoup. Les édifices que l’on a construits sur les routes les plus fréquentées pour recevoir les voyageurs, sont de diverses espèces. Il y a bien dans les bourgs et les villages considérables des maisons où l’on trouve de la place et du fourrage pour les bêtes, et peut-être une couche et des alimens grossiers pour le voyageur ; mais ces maisons sont rares : plus souvent on trouve un asile pour les bêtes et les hommes, mais sans nourriture ni fourrage. Le plus ordinairement le terme de la journée est ce qu’on appelle un Rancho, espèce d’échoppe ou de hangar, où les hommes et le bagage sont à l’abri de la pluie et parfois aussi du vent. Presque toujours ces Ranchos sont dans le voisinage de plantations (fazendas), où l’on trouve fréquemment des fourrages et quelques comestibles frais ; mais il faut bien se garder d’y compter. Parfois il y a, à côté du Rancho même, ce qu’on appelle une Venta, où l’on vend du maïs, de la farine de manioc, des fèves, du lard, des viandes desséchées et de la mauvaise eau-de-vie. Dans tous les cas il faut que le voyageur soit toujours muni de provisions pour quelques jours. En ce qui concerne les meubles du voyage, le hamac est, sous tous les rapports, préférable aux autres espèces de couches, non-seulement parce qu’il est plus léger, plus aisé à transporter et à dresser, mais parce que dans ces hamacs, qui souvent sont élevés de plusieurs pieds au-dessus du sol, le voyageur est mieux garanti contre les insectes et contre les autres animaux qui pourraient troubler son repos la nuit.

Quoique le nombre des animaux vraiment venimeux, et particulièrement des serpens, soit beaucoup plus petit qu’on ne le croit communément et que ne disent les Brésiliens eux-mêmes, il vaut mieux employer trop de précautions que de n’en pas prendre assez. Se coucher sur la terre est d’autant plus dangereux, que les serpens aiment la chaleur et se glissent volontiers sous la couverture du voyageur. Quand on ne les touche pas, il est vrai, ils ne font aucun mal ; mais si le voyageur, qui ne se doute pas de la présence d’un tel compagnon, le serre ou l’inquiète, il court risque d’en être mordu, et les morsures de plusieurs serpens, par exemple du serpent à sonnette (cascavella), et des giraraca, sont toutes presque infailliblement mortelles. Quant aux alimens, il faut toujours que le voyageur soit pourvu de maïs pour ses bêtes, et pour lui de fèves noires, de farine de maïs ou de manioc et de viande salée ou de lard. Il se peut que pendant des semaines entières il n’ait pas autre chose à manger, à moins qu’il ne soit un chasseur heureux, ou qu’il ne trouve à acheter çà et là de la viande fraîche ou de la volaille dans quelque fazenda : sur les routes fréquentées ces denrées sont de la plus grande cherté, et les colons ne consentent souvent qu’à grand’peine à céder quelque chose de leurs provisions. Néanmoins la conduite des colons dans les parties moins fréquentées est toute différente. Le voyageur y trouve presque toujours l’accueil le plus cordial et une abondante nourriture ; il est rare qu’on lui fasse payer autre chose que le fourrage des chevaux et des mulets. De la sorte, il arrive parfois que sur les routes les plus fréquentées du Brésil on éprouve plus de privations et de gêne que quand on s’écarte du chemin. Nous aurons à peine besoin de remarquer que dans un voyage en Brésil, comme dans toute autre contrée, il importe beaucoup que l’étranger s’accommode aux mœurs du pays, et qu’il ne repousse pas sans nécessité les opinions, les prétentions, les préjugés des habitans. Cette précaution, que la saine raison et l’usage du monde recommandent également, est d’autant plus nécessaire dans un pays où en général on n’aime pas les étrangers, et les Européens encore moins que les autres, où par différentes raisons on se méfie d’eux. Il est certain que les Brésiliens ne laisseront paraître leur méfiance et leur éloignement que fort rarement dans les relations ordinaires ; mais tôt ou tard, et souvent après un long espace de temps, l’étranger s’apercevra qu’on l’a simplement toléré, ou que sous main on travaillait contre lui. Il n’est pas rare que l’on entende d’amers reproches adressés aux Brésiliens sur ce trait de leur caractère ; mais ceux qui s’en plaignent avec le plus de véhémence ne sont réellement pas toujours ceux qui auraient le plus de droit de le faire, et quand on veut être juste, il faut bien convenir que la méfiance de l’habitant du Brésil envers l’Européen n’est pas entièrement dépourvue de fondement : elle repose sur la conviction que les Européens, qui viennent dans le pays pour faire leur fortune, soit comme négocians, soit par des emplois publics, soit par tout autre moyen, n’ont pour le pays ni pour ses habitans aucun attachement ; que même un orgueil outré leur fait repousser ces derniers ; qu’ils ne songent qu’à s’enrichir pour emporter ensuite en Europe ce qu’ils auront amassé ; enfin, que, pour atteindre ce but, ils sont prêts non-seulement à faire au Brésil toute sorte d’affaires, mais encore à trahir ce pays ; et dans le fait on ne saurait nier que beaucoup de ces suppositions ne soient fondées sur l’expérience, et qu’elles ne feraient point tort à une grande partie des Européens qui cherchent à faire fortune dans l’Amérique méridionale, et notamment au Brésil. Même parmi ceux que des qualités personnelles rendent dignes de considération, il en est fort peu qui jugent d’une manière équitable le pays et le peuple qui les accueille ; fort peu qui aient d’autre guide de leur conduite, d’autre but, que de s’enrichir et d’avancer rapidement ; et sans précisément employer de mauvais moyens, ils ne se sentent liés au pays et à la nation ni par un grand nombre de considérations, ni par un attachement réel : ils n’ont donc pas droit de se plaindre qu’on les regarde toujours comme des étrangers. Il ne faut pas oublier, non plus, que parmi les Européens d’après lesquels doivent se former les idées et les sentimens des Brésiliens à notre égard, il en est un grand nombre, et peut-être la plupart, qui ne pourraient, dans aucun pays, pas même dans leur propre patrie, élever la moindre prétention à la considération et à la confiance ; il ne faut pas oublier que le plus souvent l’absence de l’une et de l’autre est la raison pour laquelle ils ont quitté leurs foyers pour un nouveau monde, et que l’opinion exagérée qu’ils ont de la prépondérance que leur donne une éducation et une instruction souvent très-superficielles, leur inspire des prétentions que la fierté des Brésiliens repousse à bon droit. Ce que nous venons de dire, il est vrai, s’applique plus particulièrement aux Européens qui veulent faire au Brésil un établissement quelconque ; mais parfois celui qui se borne à parcourir la contrée rapidement, éprouve les inconvéniens de cette méfiance ; ce qui y contribue encore, c’est que les Brésiliens de l’intérieur du pays ne peuvent que difficilement être persuadés qu’un Européen soit poussé à des voyages si pénibles et si lointains par le seul amour de la science : dans l’état actuel des relations qui existent entre l’Amérique et l’Europe, et d’après les partis qui divisent le Brésil, on conçoit aisément que l’habitant soit prompt à supposer au voyageur des vues qui ne sont pas de nature à augmenter sa confiance. Du reste, il y a dans les relations sociales des hommes de toutes les conditions, et surtout dans celles des colons aisés avec lesquels le voyageur peut se trouver en rapport, une observation de convenances qui est trop générale pour que dans leur accueil ou dans leur fréquentation habituelle ils laissent apercevoir à l’étranger cet éloignement ou cette méfiance.

Quant aux frais d’un voyage en Brésil, ils sont beaucoup moindres qu’on pourrait le penser. Le séjour des villes maritimes est fort cher, et peut-être celui de Rio-Janeiro est-il le plus cher de tous, lorsqu’on veut, jusqu’à un certain point, y vivre comme en Europe ; mais dans l’intérieur, dès qu’on a fait face aux premières dépenses pour acheter des mulets et des chevaux, dès que l’on a pourvu pour un temps assez long aux provisions et aux autres objets nécessaires, en les achetant là où ils coûtent le moins, on peut voyager pendant des semaines et pendant des mois entiers sans trouver l’occasion de faire une dépense considérable. Le prix d’un bon mulet est de 50 à 60 piastres. Un homme, accompagné d’un nègre, peut, avec une bête pour sa monture et une bête de somme, voyager toute l’année pour 500 piastres. Naturellement ces indications, et ce que nous avons dit ici, sur ce qui est nécessaire pour parcourir le Brésil, ne s’appliquent pas au cas où le but particulier que se propose un voyageur, lui prescrirait des dispositions et des mesures de précaution spéciales. Ainsi le naturaliste, par exemple, sera obligé à bien plus de dépenses ; pour la conservation et le transport de ses collections il aura besoin de plus de compagnons, de plus de bêtes de réserve, et il lui faudra plus d’attention et une habitude achetée souvent au prix d’incidens désagréables. Mais le détail de toutes ces particularités est étranger à notre but 5 nous n’avons pu nous en proposer d’autre ici, que de dépeindre la manière ordinaire de voyager dans le Brésil.



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BOTA-FOGO


CASCADE DE TIJUCCA.


PORTO DO ESTRELLA.


RUE DROITE
à Rio Janeiro.


MANDIOCCA.


SERRA DAS ORGUAS.