Voyage religieux et sentimental aux quatre cimetières de Paris/Lachaise/12
CHAPITRE XII.
Hélas ! pourquoi faut-il que les tombeaux, en nous mettant devant les yeux la triste destinée de l’homme, nous rappellent quelquefois sa méchanceté ? pourquoi faut-il que j’apprenne qu’une épouse chérie fut victime de sa bienfaisance et de l’ingratitude, avant d’être la victime d’une mort prématurée ? Quels ennemis peuvent lui rester aujourd’hui ? et de vaines plaintes contre ses persécuteurs peuvent-elles dédommager sa cendre des peines qu’ils lui firent éprouver ? L’inscription de ce tombeau, ainsi que celle de la tombe du Philosophe au Champ de Montmartre, sont les deux qui m’ont le plus désagréablement affecté. Ce style amer ne convient point à l’affliction ; et l’on fait mal l’éloge morts, en faisant des reproches aux vivans.
Sur la face de devant d’une petite pyramide qui supporte une urne funéraire, on lit cette inscription latine :
Cette courte inscription ne laisse rien à désirer pour l'éloge de celui qu’elle concerne, et sa belle simplicité me dispense de toute espèce de réflexion.
Si le sentiment est le charme de la vie, pourquoi la sensibilité en est-elle presque toujours le fléau ? C’est que le sentiment agite doucement le cœur, et que la sensibilité le remue toujours avec une vivacité et une force qui rendent souvent les facultés physiques victimes de ce mouvement indépendant de la raison. Quel qu’ait été l’objet de là sensibilité de madame Boissière, mon cœur s’émeut par le seul voisinage de sa dépouille ; et j’unis volontiers mes regrets à ceux de l’époux qui l’a perdue.
Au nord, et contre la muraille de l’ouest, est une tombe qu’avoisine un petit bosquet. On y a gravé cette inscription :
Que de cœurs ont été percés du même trait ! Que de larmes ce seul trépas a fait couler ! Quelle aimables et précieuses qualités dût avoir cette jeune épouse, pour emporter avec elle dans la tombe tant de regrets, et pour laisser à sa place de si tendres souvenirs ! O femmes qui lui survivez, en est-il beaucoup parmi vous qui puissent se dire à elles-mêmes : Je suis chérie de mon père, de mon époux, de mes enfans, de mes frères, et de ceux qui se disent mes amis ? que de vertus ce témoignage suppose ? Combien la société seroit heureuse, si beaucoup de femmes pouvoient se le rendre !
- ↑ Les champs de mort de la capitale ont déjà reçus la dépouille de plusieurs individus respectables de la famille Brochant, dans laquelle les vertus sont un héritage que les pères transmettent à leurs enfans.