Voyage religieux et sentimental aux quatre cimetières de Paris/Lachaise/17

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CHAPITRE XVII

Monument de madame Howard. Tombe de madame Cottin, auteur de plusieurs romans estimés. M. Féline.


De l’avenue de tilleuls, je remonte sur l’esplanade orientale, et j’entre dans un sentier à droite, qui conduit aux tombeaux de la famille Fieffé et de M. Jacquemart. Au milieu de l’allée de verdure qui termine ce sentier, s’élève, sur le côté droit, dans l’enceinte d’un balustrade, une colonne de cinq pieds de hauteur, qui supporte une urne couronnée d’une guirlande d’immortelles ; deux petits génies, dans l’attitude de la douleur, sont assis sur sa base. L’un d’eux tient un flambeau renversé ; et l’autre, une horloge de sable, couverte d’un voile, symbole énergique du temps qui ne se mesure plus pour la jeune épouse inhumée sous ce monument.

Au contour de la colonne, on lit une inscription latine dont voici la traduction :
Cette humble pierre couvre
aujourd'hui la dépouille
d'Anne-Josephine-Françoise
Bontemps,
née à Paris, épouse
de M. Jean Howard.
Aucune femme ne fut jamais plus chère à son époux,
n'eut des mœurs plus douces.
Sa vie fut courte ;
mais elle fut heureuse
par ses bienfaits,
et par l'accomplissement de ses devoirs
de fille, d'amie et de mère.
elle quitta la vie,
le 19 avril 1808,
âgée de 25 ans,
dans la fleur de la jeunesse,
et au moment où la société
alloit profiter de ses services.
Elle repose ici, pleurée
et arrosée des larmes
de ses parens, de ses amis, de son époux,
et de sa sœur privée d'une excellente amie.
cet éloge, hélas !
est une foible récompense de ses vertus,
comparée à celle dont elle jouit
dans les cieux.

Je m’assieds sur le banc de pierre, place derrière le monument ; et là, seul, sous les regards de Dieu dont la présence m’investit et me pénètre, abîmé dans les utiles pensées du trépas, et attendri par le lugubre spectacle que j’ai devant les yeux, j’unis mes soupirs et mes regrets à ceux des parens et de l’époux désolé de la jeune femme dont l’insensible dépouille est chaque jour imbue des larmes de la plus amère douleur. Pour m’affliger davantage, je tâche de me faire illusion… Je me persuade à moi-même que c’est moi qui ai fait cette perte déplorable. Je me rappelle ces jours de bonheur, de délices, sitôt écoulés… Ces tendres et chastes effusions d’un amour vertueux. Des pleurs s’échappent de mes yeux… Ma tête s’incline sur ma poitrine. Une vive et sombre douleur m’oppresse, et je ne sens plus, à force de sentiment.

Mais, tout-à-coup, mes regards s’élèvent, un transport religieux exalte ma pensée ; une froide dépouille n’est plus l’objet de mes méditations, et le trépas a replié ses sombres voiles, pour me laisser apercevoir une intelligence radieuse qui me console, en me montrant l’éternel et bienheureux séjour dont elle a pris possession. « Que l’on pleure, me dit-elle, la mort d’une femme coupable, et d’une mauvaise mère, puisque le bonheur ne sauroit être la récompense de celle qui a fait des malheureux ; mais que l’on se réjouisse du départ de celle qui fut une chaste épouse et une tendre mère ; et que l’on s’accoutume à penser que dans l’heureuse situation où elle se trouve, elle ne cesse de veiller sur l’homme qu’elle aima, et sur les chers enfans qui reçurent d’elle le présent de la vie, et tant de preuves de son amour.




Je retourne vers le cabinet de verdure où sont déposés les restes de M. Mestrezat. A quelques pas, et hors de la haie qui l’environne, on a placé une tombe inclinée et tant soit peu élevée, sur laquelle est gravée cette modeste inscription :
ICI REPOSE
Marie-Sophie Risteau,
veuve de J. M. P. Cottin,
décédée le 25 août 1807.


Qui croiroit que cette pierre autour de laquelle on ne voit aucune de ces plantes, symboles de la douleur, couvre les restes de l’auteur célèbre de Claire-d’Albe, de Malvina, et de Mathilde ? Je n’entreprendrai point de faire l’éloge de cette femme spirituelle et sensible, que l’on pourroit placer, peut-être, à la tête des modernes romanciers français. Cet éloge a déjà été fait plusieurs fois, et beaucoup mieux que je ne pourrois le composer. Je dirai seulement qu’elle fut l’amie du vertueux Mestrezat, auprès duquel elle demanda, avant d’expirer, que sa dépouille fût placée. Je dirai aussi que, par un de ces pressentimens qu’il est si difficile d’expliquer autrement que par ces rapports incompréhensibles, que l’amitié établit entre les ames qu’elle unit, je dirai que madame Cottin, peu satisfaite de l’emplacement où les restes de son ami avoient été déposés, au cimetière de Montmartre, alla choisir elle-même à la maison Lachaise, celui où ils se trouvent aujourd’hui, et qu’alors elle se chargea de tous les soins qu’exigeoit la translation de cette chère dépouille, à laquelle, hélas ! elle ne pensoit peut-être pas que la sienne seroit réunie trois mois après. Madame Cottin attend son amie, madame Garnier, dans une partie de ce terrain, dont elles firent ensemble l’acquisition.




Auprès de la tombe de madame Cottin, repose une respectable dépouille, sous une pierre tumulaire qui porte cette inscription :

CI-GIT
Louis Féline,
ancien de l’église réformée
du département de la Seine ;
né à Alais, le 24 août 1726 ;
décédé à Paris le 11 avril 1808,
dans la 50me année de l’union
la plus parfaite,
avec Magdeleine Susane Levier,
son épouse chérie,
sa veuve inconsolable.
Né de parens peu fortuné,
s’il acquit quelques biens,
ce fut avec honneur,
justice et probité.
Bienfaiteur de sa famille,
économe pour lui-même,
libéral envers l’indigent,
il laisse une veuve,
des enfans qui le pleurent,


Dieu a donc dans toutes les religions de bons serviteurs ; c’est-à-dire, il est donc un point essentiel où se réunissent tous les hommes qui l’adorent, ainsi que son divin fils ; ce point, c’est donc la justice et la bienfaisance, vertus inséparables dans le cœur de l’homme juste. Où est l’homme anti-social qui, en lisant cet éloge si simple d’un bon époux, d’un bon père de famille, osera dire : toutes ses vertus ne furent que des vices, toutes ses bonnes actions ne furent que des furent, parce qu’il n’eut pas la croyance que je professe ? la morale l’absout, Dieu le condamneroit-il ?