Voyage religieux et sentimental aux quatre cimetières de Paris/Lachaise/6

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CHAPITRE VI.

Madame Garnier. M. de Londre. Madame Frémont.


Après avoir jeté un coup-d’œil général sur les monumens et sur les pierres sépulcrales, je m’arrêtai devant le tombeau qui avoit d’abord frappé mes regards en entrant. Ce tombeau qui est isolé, présente quatre faces dont les plus grandes regardent le Levant et le Couchant. Il renferme la dépouille de madame Garnier, décédée en 1806, âgée de trente-quatre ans. L’inscription latine, fort bien faite, qui est gravée sur le côté de l’ouest, m’apprend que cette jeune épouse étoit ornée de toutes les vertus qui rendent une femme recommandable devant Dieu et devant les hommes.

Sponso, parentibus, proximis,
et pauperibus flebilis.

À droite, et auprès de l’avenue de tilleuls qui conduit à la terrasse de la maison, s’élève un monument surmonté d’une croix noire. Sur ses quatre côtés, revêtus d’un marbre noir, on lit quatre inscriptions en lettres d’or. Il est renfermé dans une enceinte formée par une grosse chaîne attachée aux quatre bornes qui répondent à ses quatre angles.

L’inscription du côté de l’Ouest annonce que ce tombeau est la sépulture de P. René de Londre, négociant, décédé en 1806, à l'âge de cinquante ans. Sur le côté de l’Est, on lit l’éloge de sa charité envers les pauvres, de ses vertus morales, et l’expression des regrets et de la douleur de son épouse. A côté de ce monument, dans la même enceinte à l’ouest, s’élève, à dix huit pouces de terre, en forme de cercueil, le tombeau de M. Darbonne, beau-père de M. de Londre, auquel il ne survécut que trois mois. Combien madame de Londre a droit de s’écrier :

Voyez s’il est une douleur comparable à la mienne !

Quel malheur ! perdre en trois mois son père et son époux ! Grand Dieu, protecteur des affligés, donne à cette épouse et à cette fille désolée, la force de supporter une si accablante infortune j et que son fils soit toujours son consolateur, par sa tendresse et par ses vertus !


Près de la même avenue de tilleuls, à gauche, s’élève une pyramide sépulcrale de neuf pieds de hauteur, surmontée d’une boule, et soutenue sur sa base par quatre pates de lion. Je lis les mots suivans sur le côté qui fait face au midi :

Ce monument
renferme une épouse chérie.
A la fleur de l’âge,
elle passa du lit nuptial dans la tombe.
La mort y réunira deux époux
qu’elle seule a pu séparer.

L’inscription du couchant avertit le voyageur mélancolique que sous ce monument, repose la dépouille mortelle d’Antoinette Bobée, épouse de M. Frémont, propriétaire, décédée en 1805 après trois années de mariage.

Quel engagement prend un jeune époux, en faisant creuser sa tombe à côté de celle de sa jeune épouse ! Quelle sagesse n’a-t-on pas lieu d’attendre de celui qui a marqué sa propre sépulture, et qui, de temps en temps, vient méditer sur la fragilité de la vie, à l’endroit où repose ce qu’il a eu de plus cher, et où ses restes seront un jour déposés par ses enfans ou par ses neveux !