Voyage sentimental/23

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Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 78-79).


PARIS.


L’agréable ville, quand on a un bel équipage, une demi-douzaine de laquais et une couple de cuisiniers ! avec quelle liberté, quelle aisance on vit !

Mais un pauvre prince, sans cavalerie, et qui n’a pour tout bien qu’un fantassin, fait bien mieux d’abandonner le champ de bataille, et de se confiner dans le cabinet, s’il peut s’y amuser.

J’avoue que mes premières sensations, dès que je fus seul dans ma chambre, furent bien éloignées d’être aussi flatteuses que je me l’étois figuré… Je m’approchai de la fenêtre, et je vis à travers les vitres une foule de gens de toutes couleurs, qui couroient après le plaisir : les vieillards, avec des lances rompues et des casques qui n’avoient plus leurs masques ; les jeunes, chargés d’une armure brillante d’or, ornés de tous les riches plumages de l’Orient, et joutant tous en faveur du plaisir, comme les preux chevaliers faisoient autrefois dans les tournois pour l’amour et la gloire.

Hélas ! mon pauvre Yorick, m’écriai-je, que fais-tu ici ? À peine es-tu arrivé, que ce fracas brillant te jette dans le rang des atomes. Ah ! cherche quelque rue détournée, quelque profond cul-de-sac, où l’on n’ait jamais vu de flambeau darder ses rayons, ni entendu de carosses rouler… C’est-là où tu peux passer ton temps. Peut-être y trouveras-tu quelque tendre grisette qui te le fera paroître moins long. Voilà les espèces de cotteries que tu pourras fréquenter.

Je périrai plutôt, m’écriai-je en tirant de mon porte-feuille la lettre que madame de L… m’avoit chargé de remettre. J’irai voir madame de R… et c’est la première chose que je ferai… La Fleur ? — Monsieur. — Faites venir un perruquier… Vous donnerez ensuite un coup de vergette à mon habit.