Voyage à l’île de Rhodes/02

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Deuxième livraison
Le Tour du mondeVolume 6 (p. 50-64).
Deuxième livraison


VOYAGE À L’ÎLE DE RHODES,

TEXTE ET DESSINS PAR M. EUGÈNE FLANDIN[1].
1844


Cathédrale Saint-Jean. — La rue des Chevaliers. — Prieuré de France. — Le Couvent. — Le Châtelet. — Le fort Saint-Nicolas.

Aucun chrétien ne s’arrête sans émotion devant cette vieille cathédrale Saint-Jean, ses longues fenêtres ogivales, son pignon à rosace, ses gouttières à tête de dragon, les marches de son perron de marbre qu’ont foulées les fidèles et usées, hélas ! sous les pieds des disciples de Mahomet. De gros clous de fer maintiennent les ais de la porte vermoulue que l’iman ouvre au visiteur, la main tendue pour recevoir quelque paras, prix de sa tolérance ; moyennant ce salaire, il laisse entrer. — Quelle nudité ! — Quelle misère dans ce saint temple ! — Que sont devenues les belles orgues que d’Aubusson y fit placer ? Où est ce magnifique reliquaire d’or rehaussé de pierreries qui renfermait la main droite de saint Jean ? — Singulier présent d’un sultan au grand maître ! — Partout la ruine, la décadence et l’avilissement. Le plâtre des murs tombe en entraînant des fragments de peinture à fresque, et de grandes lézardes annoncent leur chute prochaine. Une poussière vieille et moisie macule les épitaphes en langue latine. Des lambeaux de tapis cherchent vainement à couvrir les dalles. Une natte poudreuse s’étale sur un marbre noir où luisent çà et là quelques lettres dorées : c’est la tombe de Fabrizio Caretti, celui qui légua Rhodes au dernier de ses princes. Au plafond lambrissé, bleuâtre et constellé d’or, pendent quelques lampes éteintes et noircies où ne brûle plus l’huile sainte. La chaire du Koran, le mehrâb a remplacé l’autel. Le cœur se serre à l’aspect de ces murs sombres et humides qui semblent revêtus du cilice et pleurer l’absence du Christ ; leurs échos ne répètent plus les versets de l’Évangile. Les cloches n’annoncent plus à grande volée les fêtes de l’Église… On entend une voix perdue dans l’air, c’est celle de l’iman. Du haut de son minaret, il appelle les musulmans à la prière, en répétant d’une voix claire, avec un accent monotone : Allah il Allah ! Mohammet ressoul Allah ! Il faut s’éloigner. À cet appel : Dieu est Dieu, et Mahomet est son prophète, les Turcs vont entrer, et la protection du bien heureux saint Jean pourrait n’être pas efficace contre leur colère allumée par la profanation des pas d’un giaour dans ce sanctuaire qu’a élevé Foulques de Villaret, et qu’a béni un évêque chrétien !

Porte latérale de la cathédrale Saint-Jean, à Rhodes.

Près de là sont les ruines d’une église qui rappelle l’héroïque défense de Rhodes par d’Aubusson. Ce grand maître la fit élever près du rempart sur lequel avait eu lieu le combat sanglant qui avait décidé la retraite des Osmanlis, et il la plaça sous l’invocation de Notre-Dame de la Victoire. En 1522, comme si les Turcs eussent voulu renverser ce monument, souvenir de leur défaite, ils s’y acharnèrent et le firent écrouler sous les efforts des coups répétés de leur artillerie.

Ruines de l’église Notre-Dame de la Victoire, à Rhodes.

Au sortir de l’ancienne cathédrale, et en passant sous l’arcade en ogive qui est voisine, on se trouve au sommet de la fameuse rue des Chevaliers. À chaque pas, presque sur chaque maison, brillent des armoiries dont les conquérants s’enorgueillissent comme d’autant de trophées de leur victoire. On y reconnaît successivement celles d’Hélion de Villeneuve, de Roger de Pins, de Philibert de Naillac, de Jean de Lastic, de Jean-Baptiste des Ursins, de Pierre d’Aubusson, d’Émery d’Amboise, de Guy de Blanchefort, de Fabrizio Caretti, de Villiers de l’Ile-Adam, et de tant d’autres dont les blasons disent les noms illustres. De quel respect ne se sent-on pas saisi en face de ces radieux et nobles écussons où brille encore à côté de la croix, et dans tout son éclat, l’écu de saint Louis avec ses trois fleurs de lis, antique symbole de la pureté du vieux drapeau français qui flottait à Bouvines, à Alexandrie comme à Fontenoy ? Malgré son ardeur, le soleil d’Asie les a conservés frais ces lis de France, au milieu de plusieurs générations de musulmans qui les respectent par tradition. Les petits enfants apprennent de leurs pères combien ils ont coûté à cueillir, arrosés du sang de nos preux. Combien en effet leur tige solide n’a-t-elle pas résisté au cimeterre des infidèles ! Cachés aujourd’hui par la clématite blanche comme eux, ils se trahissent encore par leur éclat sous ces lianes pendantes qui les protégent de leur ombre.

La rue des Chevaliers, à Rhodes.

En descendant la rue, et déviant un peu de son chemin, on passe sous une voûte sombre. Là est une ancienne auberge de l’ordre. La tablette d’armoiries qui orne la façade indique qu’elle appartenait à la langue de France. Presque en face est celle d’Espagne, et un peu plus loin, la langue d’Italie avait la sienne.

Mais reprenons notre course dans cette rue vénérable où tout respire encore un parfum de chevalerie. Nous allons nous trouver en face du monument le plus beau et le plus intéressant par les détails de sa construction à la fois élégante et sévère, qu’ornent plusieurs cadres armoriés, entourés de guirlandes en feuilles d’acanthe. C’est un édifice crénelé comme une citadelle, avec des tourelles en vedettes fièrement placées à son faîte. De larges fenêtres encadrées de moulures délicatement refouillées s’ouvrent sur la façade et indiquent une noble habitation. C’était jadis la demeure du grand prieur de France. Trois dignitaires de cet ordre élevé y habitèrent successivement, et si l’on en croit les écussons et les millésimes qui sont placés entre les fenêtres ou sur la porte dont l’ogive élégante repose sur de petites colonnettes. La croix ancrée et le chapeau de cardinal sont à Pierre d’Aubusson ; les armes palé d’or et de gueules à six pièces, rappellent Émery d’Amboise ; et ce bras gonfalonné d’hermine est Celui de Villiers de l’Ile-Adam. Ce palais, parfaitement conservé, qu’une main respectueuse a su, sans ruine, approprier aux usages de ses nouveaux propriétaires, est aujourd’hui la demeure d’un Turc. Sa façade est défigurée par de petits balcons en bois, grillés, adaptés aux anciennes fenêtres largement ouvertes, telles qu’elles convenaient à la vie de chevaliers sans peur comme sans reproches, mais qu’une précaution jalouse et soupçonneuse a réduites aux proportions de la lucarne orientale. Cependant il faut rendre grâce au propriétaire actuel, peu soucieux d’ailleurs des hôtes auxquels il succède, de ne pas avoir détruit ces brillants écussons, qui conservent à l’extérieur de ce palais un reste de son ancienne splendeur. Quant à l’intérieur, l’inviolabilité du harem empêche d’y pénétrer.

Prieuré de France, à Rhodes.

Un peu avant ce magnifique prieuré de France, vers le milieu de la rue, est une petite chaire avec son abat-voix de pierre, de forme ogivale ; des marches usées et disjointes y conduisent encore ; c’est là que montait jadis le patriarche de Rhodes quand il prêchait la guerre sainte, à l’exemple de Pierre l’Ermite et de saint Bernard. C’est du haut de cette tribune que le grand maître Villiers de l’Ile-Adam exhorta les derniers habitants à défendre le Christ, leurs foyers, et à venger ses chevaliers morts sur les remparts.

Chaire dans la rue des Chevaliers, à Rhodes.

En continuant à descendre on passe devant une porte élevée, en bois de sycomore, sculptée et armoriée. C’est l’entrée latérale du couvent qui fait l’angle de la rue. En face de cet angle s’ouvre le porche d’une petite mosquée crénelée et défendue par une tour percée de meurtrières. Cette mosquée, qui n’a de turc que son minaret, est l’ancienne église dédiée à sainte Catherine. Quelques vitraux de couleur se distinguent encore sous l’ogive de ses fenêtres étroites.

Là est une petite place sur le côté de laquelle se développe la façade de l’ancien couvent. C’est un grand édifice simple, sévère, où, sur des loges voûtées et spacieuses, s’élève un second rang d’arcades avec balcons qui en composent la façade extérieure. À l’intérieur, un cloître formé d’arceaux et de colonnes armoriées enferme une cour sur laquelle s’ouvrent des salles voûtées, destinées sans doute aux cuisines et aux magasins du couvent ; au premier étage étaient les cellules et le réfectoire des religieux ; ils ouvraient sur le cloître. Cet édifice est complétement désert aujourd’hui. Il semble en général que les Turcs aient de la répugnance à habiter des lieux qui furent peuplés par les défenseurs de la foi chrétienne ; ils ont fait de la demeure des chevaliers, non pas un arsenal, ce nom ne saurait lui être donné, mais un lieu de dépôt où sont entassées sans ordre quelques vieilles armes du seizième siècle, que la reddition de Rhodes a fait tomber entre leurs mains et que la rouille dévore.

À côté était l’hôpital : il était toujours ouvert aux malades et aux pèlerins. Mais les chevaliers de Rhodes, oublieux des préceptes que transmit à leur ordre son vertueux patron, Gérard Tunc, le gardien des pauvres, n’y faisaient plus le service de frères hospitaliers. Né dans l’humilité de la première croisade, cet ordre avait depuis longtemps renoncé à la piété de ses premiers vœux. Une existence plus ambitieuse avait remplacé la vie monacale des premiers chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, dont les successeurs ne conservèrent que le caractère belliqueux et l’antique heroïsme. De modestes frères servants avaient pris au chevet des infirmes la place des chevaliers de l’Hôpital. Mais si, occupés de trop hauts intérêts et trop fiers pour descendre à ces humbles fonctions, ils les avaient confiées aux mains d’obscurs infirmiers, du moins ils se souvenaient assez de leur origine pour ne pas oublier les souffrants et les pauvres, et ils avaient élevé cet hospice, vieux symbole de leur confrérie.

Tout près de là, dans le curieux bazar où s’enchevêtrent actuellement les boutiques turques ou juives, on voit encore un monument de peu d’étendue, mais qui n’est pas moins remarquable que les autres. Il est percé de trois grandes fenêtres carrées, encadrées de feuilles d’acanthe, avec des croisillons fleurdelisés, et surmonté de gargouilles qui s’allongent sous la forme de dragons ou de crocodiles. On y monte par un large escalier de pierre, en face duquel est un superbe cadre à colonnettes torses, dans lequel sont sculptés des guerriers armés de toutes pièces, supportant l’écusson blasonné d’Émery d’Amboise. Sur la terrasse qui précède la façade s’ouvre une porte dont les chambranles sont ornés de sculptures au milieu desquelles serpentent les flammes emblématiques de l’enfer. C’est l’ancien Châtelet. C’est là que siégeait l’ancien justicier de l’ordre. C’est dans la salle où conduit cette porte d’aspect sinistre que fut condamné à être écartelé ce médecin juif qui entretenait avec Soliman une correspondance par laquelle le sort de la place pouvait être compromis ; et c’est sous ces mêmes arceaux séculaires que fut lue à d’Amaral la sentence du tribunal suprême de l’ordre, qui condamnait ce chevalier félon à payer de sa tête sa trahison et ses intelligences avec les Turcs.

Le Châtelet, à Rhodes.

Allant au delà, on arrive au quartier juif, où une large rue et plusieurs belles maisons armoriées attestent qu’elles servirent d’habitation à des membres de l’ordre de Saint-Jean. On y rencontre, à chaque pas, d’énormes boulets de marbre ou de granit lancés par ces fameux basilics, sorte de gros mortiers de soixante à quatre-vingts centimètres de diamètre qu’employèrent les Turcs dans ce siége où leur artillerie s’acharna à plusieurs reprises, mais vainement, contre cette partie de la ville. Ces singuliers projectiles, façonnés dans les montagnes du pays, sont restés là depuis 1522, et ils sont à moitié enterrés dans le sol ou rangés, en guise de bornes, contre les maisons.

En cet endroit on se retrouve tout près du port et de sa ligne imposante de hautes et solides murailles. Plusieurs tours s’élèvent au-dessus des fortifications que baigne la mer, et au pied desquelles venaient s’amarrer les galères de l’ordre, après leurs courses contre les Sarrasins, ou contre Court-Oglou, fils de loup, que le sultan de Constantinople lâchait comme un loup enragé sur les paisibles habitants de cette île. Les plus hautes de ces tours sont carrées et portent les armes de Hernandez d’Heredia, chevalier aragonais et grand maître de l’ordre, qui combattit à Crécy, de funeste mémoire, et sauva la vie au roi de France, Philippe VI de Valois, qui allait tomber aux mains des Anglais. Parmi ces tours, il y en à deux surtout qui sont remarquables ; elles renferment entre elles la principale porte de mer, surmontée des statues de la Vierge, de saint Jean et de saint Pierre, en marbre blanc, placées dans une grande niche terminée par un clocheton à trois faces. Les Turcs, qui conservent les blasons, n’ont pas eu le même respect pour ces saintes images qu’ils ont presque entièrement mutilées. Les écussons et les inscriptions qui sont au-dessous disent que Pierre d’Aubusson éleva cette porte, et y plaça ces figures vénérées qui devaient s’offrir les premières à la dévotion des chevaliers et des marins de l’ordre, rentrant au port après de longues fatigues et de périlleux combats que la mer leur avait offerts.

Vue du port de Rhodes et de la porte d’Aubusson.

Au milieu de tous ces remparts sur lesquels la victoire plana si longtemps, et qu’illustra à la fin une grande infortune, il ne faut pas oublier la fameuse tour Saint-Nicolas. À l’extrémité d’un môle qui s’oppose à la fureur des vagues de la grande mer soulevée par les vents du sud-ouest, et le pied sur des rochers, elle montre au loin, sous l’effigie de son céleste patron, les lions qui soutiennent, entouré du collier de la Toison d’or, l’écusson princier de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Ce prince, ému des dangers que courait Rhodes, voulut contribuer de ses deniers à la construction de ce fort destiné à protéger une partie de la côte et à défendre l’arsenal contre les agressions continuelles des corsaires que soudoyait Mahomet II enhardi par ses victoires que venait de couronner la prise de Constantinople. La tour Saint-Nicolas comprend dans son périmètre circulaire une double enceinte garnie de canons. Les Turcs racontent encore aujourd’hui de quel étonnement et de quelle épouvante furent saisis les janissaires de Soliman, au moment où, après avoir escaladé les ruines du mur extérieur, ils furent foudroyés par l’artillerie de la seconde ligne que défendait Guyot de Castellane, bailli de la langue de Provence. Cette fortification est maintenant délabrée. Les Turcs, dont la faiblesse et la décadence profitent, à notre époque, de l’ombrageuse susceptibilité des divers États de l’Europe au sujet de l’Empire ottoman, dorment dans une quiétude insouciante des défenses de leur territoire. Il en est ainsi à Rhodes, comme au Bosphore ou dans les Dardanelles. Le fort Saint-Nicolas, qui a changé son nom chrétien contre celui de Tour des Arabes, serait incapable de protéger la darse qu’il défendit si bien jadis. Les gros canons, dont les culasses sont armoriées ou ornées de devises latines, montrent toujours, à travers les embrasures, leurs énormes gueules noires, mais ils ne font plus vibrer l’air de puissantes détonations, leurs affûts vermoulus n’y résisteraient pas. La chapelle, que le grand maître castillan Raymond Zacosta y avait fait élever en l’honneur du patron des marins, bouleversée et détruite, s’est transformée en une citerne qui reçoit l’eau du ciel. Un petit phare s’élève sur ses ruines ; presque aussi inutiles que les canons que deux soldats turcs y gardent il est insuffisant pour diriger les navires et montrer le chemin du port aux pilotes que la tempête menace dans les ténèbres des nuits orageuses.

Vue de la darse et de la tour Saint-Nicolas, à Rhodes.


Excursion dans l’intérieur de l’île. — Archangelos. — Lindos. Ses antiquités.

Ce n’est point dans la cité seulement qu’il faut chercher les souvenirs de cette chevalerie héroïque qui prit naissance sur la terre où souffrit et expira le Christ, au foyer même de la foi plus pure. Ce n’est pas seulement à Rhodes que se retrouvent les créneaux blasonnés par les grands maîtres de l’Hôpital. L’intérieur de l’île offre aussi, de tout côté, des vestiges intéressants de l’époque des chevaliers. Pour me former une idée de l’ensemble des travaux par lesquels l’ordre de l’Hôpital avait assuré sa possession, j’entrepris une excursion au sein du pays. Cette exploration devait avoir deux résultats : me permettre d’apprécier de quelle façon le littoral avait été garanti contre les descentes des corsaires sarrasins, et me faire connaître Rhodes au point de vue de la culture et de son aspect géologique. J’étais curieux aussi de voir si je ne retrouverais pas quelques vestiges importants de l’antiquité rhodienne, ce que la place d’Armes des chevaliers, non plus que ses environs, ne me laissait guère espérer.

Après avoir fait marché avec un moukre ou muletier grec qui me fournit des mules, faute de chevaux qui ne se trouvent pas dans l’île, je me mis en route le 13 janvier 1844. Bien que nous fussions dans la saison rigoureuse, le ciel était pur et le soleil était chaud. Avançant au sud-est, dans un sentier qui serpentait au milieu d’une herbe verte et touffue, émaillée de fleurs, nous eûmes bientôt atteint le village de Zimboli. Nous y passâmes au milieu d’une grande quantité d’autels votifs, tous de forme cylindrique, avec des guirlandes et des têtes de taureaux ou de béliers, souvent accompagnées d’inscriptions. L’importance que devait avoir cette localité dans les temps reculés semble prouvée par ces monuments. On y traverse un ruisseau dont l’eau excellente fournit aux besoins de la ville de Rhodes. Les anciens habitants, comme les chevaliers et plus tard les Turcs, l’y ont amenée au moyen d’un aqueduc dont les arches, construites et restaurées, dénoncent les trois époques auxquelles les Rhodiens ont pourvu à la conservation de cet ouvrage hydraulique.

Le paysage était charmant. Nous avions à gauche la mer, à droite des collines qui se reliaient aux premiers contre-forts du mont Artamiti qu’on voit s’élever au centre de l’île. Partout le sol était orné d’une élégante et riche végétation à laquelle la douceur du climat assure un printemps perpétuel. Après avoir dépassé le petit village de Koskino, nous atteignîmes un pays montueux, couvert d’arbrisseaux peu élevés formant des bosquets épais, du milieu desquels se levaient fréquemment des oiseaux de toute sorte et notamment des perdrix.

Après quatre heures et demie de marche depuis notre départ de Rhodes, nous entrâmes sur le territoire de Fando, dont la fertilité me parut fort généreuse, à en juger par les cultures qui entouraient ce village et par les vergers remplis de beaux figuiers et d’oliviers entrelacés de vignes. Tout l’aspect de ce pays dénote chez ses habitants une grande aisance, et le voyageur a du moins, sur cette partie de l’empire turc, la satisfaction de se trouver partout au milieu de populations chrétiennes.

Quand nous eûmes dépassé Fando, il nous fallut gravir les pentes d’une petite montagne sauvage, rocailleuse, coupée par un torrent étroit et sans profondeur, mais dont les eaux, dans les grandes pluies, se répandent sur un lit très-étendu qui n’offre à l’œil qu’un sol pierreux et dénudé. De l’autre côté de cette petite chaîne, l’une des ramifications du mont Artamiti, nous descendîmes dans une belle plaine, riche de verdure, et où la végétation qui la couvre fait autant d’honneur à l’industrie des habitants qu’à la richesse d’un sol pour lequel il n’y a pas de saisons. C’était le district d’Archangelos, gros bourg bien bâti, propre, annonçant le bien-être : je m’y arrêtai. Il y avait environ sept heures que nous marchions, et nous ne pouvions trouver un meilleur gîte que celui qui nous fut offert par le chef du village, dont l’accueil nous promettait une hospitalité toute patriarcale.

Archangelos est un des bourgs les plus importants de l’île. Au temps des chevaliers il l’était déjà, à en croire le château d’assez belle apparence qu’on voit encore au sommet d’un mamelon qui domine le pays. Le voisinage de la mer, qui n’est qu’à quelques pas et dont le rivage est facilement abordable, exposait les habitants aux descentes des pirates musulmans. C’était en effet un danger qu’on n’évitait pas toujours, et la population de cette localité a eu beaucoup à souffrir de ces attaques soudaines qui avaient pour résultat l’enlèvement des femmes et des enfants au milieu du tumulte et du pillage. L’ordre de Saint-Jean, dans le but de garantir cette partie de la côte contre les incursions des Sarrasins, avait fait élever à l’est d’Archangelos un château crénelé où une petite garnison veillait au salut des habitants. Il fut commencé sous l’administration de Jacques de Milly, vers 1459, alors que, préoccupé des périls que faisaient courir à la religion les menaces de Mahomet II, ce grand maître mit toutes les possessions de l’ordre en état de résister au conquérant de Constantinople, qui faisait trembler la chrétienté. La mort prématurée de Jacques de Milly ne lui permit pas d’achever le château d’Archangelos, dont la construction fut continuée par Raymond Zacosta, et ensuite par Jean-Baptiste des Ursins, ainsi que l’indiquent les armoiries de ces deux grands maîtres. Cet ouvrage est dans un état de délabrement qui semble prouver qu’il ne tomba aux mains des Turcs qu’après avoir soutenu leurs assauts.

Rue des Juifs, à Rhodes.

Le lendemain matin, à neuf heures, nous étions en selle, et, côtoyant quelque temps la mer, nous ne tardâmes pas à nous engager, par un chemin difficile, dans un réseau de montagnes dont les pentes justifiaient le nom charmant de Rhodos donné à cette île. Depuis l’antiquité à qui elle le doit, jusqu’à nos jours, elle n’a point dégénéré sous le rapport de la végétation florissante qui couvre son sol. Ce n’était autour de nous que bosquets profonds et touffus de lauriers et de myrtes auxquels des rhododendrons et des rosiers mariaient leurs fleurs embaumant l’atmosphère. Après avoir descendu les flancs boisés de la montagne, nous passâmes une petite rivière dont l’eau claire et caressante fit un sensible plaisir à nos montures qui purent s’y abreuver et rafraîchir leurs pieds qu’échauffait le sol déjà brûlant. Au delà nous atteignîmes le village de Malona, dont les jolies maisons, blanches et carrées comme des cubes de marbre, s’apercevaient au travers d’une forêt d’orangers et de citronniers. Leurs fruits d’or remplaçaient alors ceux des figuiers et des mûriers, dont les branches soutenaient avec peine les longs festons des pampres dont les feuilles rougies par l’automne précédent laissaient pointer déjà des bourgeons verts. — Heureuse île ! charmant pays ! où les arbres ne sont jamais sans feuilles, ni les jours sans soleil.

À une demi-heure de Malona, nous passâmes devant Masari, et à notre gauche, sur le bord de la mer, dont l’azur foncé se montrait de temps à autre au-dessus de la côte, je reconnus un petit château perché sur la crête d’un rocher. — Ainsi ces gardiens vigilants de la chrétienté, au milieu du cercle d’ennemis qui les enserraient j de plus en plus, avaient, de distance en distance, placé des postes garantis contre un coup de main, pour protéger la côte et donner l’éveil à Rhodes dès qu’apparaissaient des voiles mahométanes.

Restes d’une caserne de chevaliers, à Rhodes.

Nous marchâmes encore quelques heures, ayant les cimes du mont Artamiti au sud-ouest, laissant le village de Kalathos sur le flanc de la montagne, et nous arrivâmes sur un territoire couvert de ruines, de fûts de colonnes, de pierres de toute espèce : c’était le site de l’antique Lindos. Dans le roc on voyait les traces d’un monument, d’un temple sans doute, qui y avait été élevé, et dont les colonnes cannelées, ainsi que les chapiteaux, étaient d’ordre dorique. De petits autels votifs se mêlaient à ces ruines qui s’étendaient jusqu’au pied d’un hypogée dont les triglyphes et les traces de pilastres cannelés signalaient une façade jadis fort belle. Il me fut dit par les gens du pays que, trois ans auparavant, ce monument était encore bien conservé. Mais des pluies abondantes étant survenues, elles ont creusé le roc en s’infiltrant par toutes les fissures, et l’entablement est tombé en entraînant avec lui une grande partie de la façade. À l’est sont les traces d’un théâtre dont les gradins avaient été creusés dans le roc, en avant d’un temple en marbre noir dont le soubassement existe encore.

Entrée du château de Lindos, dans l’île de Rhodes.

Si l’en en juge par l’étendue du terrain qui est jonché de pierres portant les traces de l’art antique, Lindos a dû être une grande ville. C’est d’ailleurs une conjecture conforme aux traditions de l’histoire, et si son antiquité est suffisamment prouvée par les restes d’architecture qui en ont conservé tout le caractère, son importance ne l’est pas moins par l’étendue et la nature des ruines que l’on y rencontre. La ville paraît avoir été jadis adossée à une colline qui descendait jusqu’au rivage, au fond d’une petite baie s’ouvrant à l’orient, et protégée par une langue de terre appelée cap Saint-Jean. Quelques pêcheurs y retirent aujourd’hui leurs barques, mais le peu de profondeur des eaux devait être insuffisant pour les galères de l’ordre de Saint-Jean. Au reste, on ne voit pas, dans les écrits contemporains, que les chevaliers y aient jamais formé aucun établissement maritime, ni que Lindos ait joué aucun rôle pendant leur occupation.

La petite ville, ou plutôt le bourg moderne, s’étale au pied d’un rocher fort élevé qui porte à son sommet, comme un nid d’aigle, une forteresse à laquelle servent de racines les fondations plus que séculaires de l’antique acropole que couronnait le temple de Minerve. Par les nombreuses marches d’un long et rapide escalier on arrive à des salles encore entières, avec de grandes cheminées fleurdelisées. Des anges, peints à fresque sur leurs larges manteaux, y soutiennent la croix ancrée et le chapeau de cardinal de Pierre d’Aubusson. À côté se lisent, en caractères gothiques, quelques noms français : Regnault, Allart, Guichard, et d’autres écrits à la main, probablement par des hommes d’armes pendant les loisirs d’un jour de garde, ou peut-être par des soldats de la milice de Saint-Jean qui, après une défense désespérée contre les Turcs, au moment de mourir en combattant, ont voulu transmettre à leurs camarades le souvenir de leur dévouement.

Plusieurs salles se suivent : on reconnaît celle des hallebardiers, celle des chevaliers, le salon du gouverneur ; on y recherche instinctivement la place où l’un appuyait sa lance, l’autre son arquebuse. Ici devaient être déposés les cuirasses et les gantelets, là les morions et les casques. Plus loin, sur les décombres de la chapelle à demi renversée, la porte est encore debout, grâce aux blocs de marbre, au profil antique, dont elle a été faite. Partout, autour de ces restes de la domination des Hospitaliers, on retrouve des tronçons de colonnes d’un grand diamètre, des portions de chapiteaux corinthiens, des autels votifs avec leurs têtes d’animaux et leurs guirlandes, ainsi que des inscriptions grecques. C’est tout ce qui reste du temple de Minerve. Le soleil, à qui cette île était consacrée dans l’antiquité, projeta ses rayons ardents sur les temples dont on reconnaît les traces, longtemps avant d’éclairer la crèche où naquit le Fils de Marie. — C’est ainsi que le christianisme s’est approprié les débris échappés à la ruine du paganisme, de même que les musulmans ont transformé plus tard en mosquées les églises chrétiennes.

Château de Lindos, dans l’île de Rhodes.

Aucun point de cette côte n’offrait un lieu aussi propice à l’établissement d’une fortification, du haut de laquelle la vue pouvait se porter au loin vers les rivages de l’Égypte, et dont l’escarpement présentait une défense inexpugnable à l’ennemi.


Sclipio. — Apollona. — Villanova. — Mont Philiermo. — Retour à Rhodes.

Le 16 janvier je quittai Lindos à sept heures du matin. Deux heures après nous arrivions à Lardos, et un peu plus loin nous passions devant un monastère de religieux grecs, en laissant à droite le château de Ferraclé, où le conseil de l’ordre faisait enfermer les frères de l’Hôpital qui avaient encouru la perte de l’habit. C’est là que l’implacable Soliman, après la capitulation de Rhodes, trouva réfugié, sous la protection de la croix, et fit étrangler son infortuné cousin Amurat, dont le père Zizim était venu demander aux chevaliers de Rhodes un asile où il pût se soustraire à la vengeance de son frère Bajazet. Amurat paraissait cependant devoir être bien peu fait pour porter ombrage au sultan, car on raconte que, recevant la visite d’un ambassadeur du schah de Perse, venu à Rhodes pour conclure un traité d’alliance avec le grand maître, il était si pauvre que le trésorier de l’ordre dut lui envoyer quelques présents afin qu’il pût, selon l’usage de l’Orient, les remettre à l’envoyé persan.

Le pays que nous traversions, quoique occupé par des bois et couvert çà et là de cette belle végétation que j’avais déjà remarquée, me parut cependant moins fertile dans cette partie de l’île. Peut-être faut-il l’attribuer aux vents brûlants du sud. Cette pointe qui s’étend jusqu’au cap de Cattavia regarde l’Afrique, et le siroco, ainsi que les bandes dévorantes de sauterelles qui viennent s’y abattre après avoir traversé la mer, sont sans doute funestes à cette partie de l’île.

Six heures après mon départ de Lindos, j’arrivai au pied d’un petit fortin en ruines, dû encore aux chevaliers, et qui servait là d’abri à une petite garnison chargée de surveiller le pays. C’était Sclipio.

D’après ce que me dirent mes guides, je ne jugeai pas à propos de m’avancer davantage vers la côte sud, qui n’offrait rien d’intéressant, et je repris ma course en revenant quelque peu sur mes pas. Puis, me dirigeant à l’ouest, je gagnai Laërma, en traversant des bois de pins assez étendus. Ce village me parut misérable, et son territoire boisé ou marécageux ne semblait offrir que peu de ressources à l’agriculture. Cependant le pacha de Rhodes avait voulu encourager les habitants de ce district et tirer parti d’un sol où la nature avait repris tous ses droits et était redevenue sauvage. Il favorisait les défrichements, et çà et là je pus voir sur ma route des portions de bois abattus, de grandes bruyères qui brûlaient, ou des charrues attelées de bœufs qui retournaient péniblement une terre noire que le soleil n’avait pas éclairée depuis des siècles. Cette partie de l’île est la moins peuplée. Aussi le pacha qui, sous ce rapport, se montrait moins Turc que la généralité de ses compatriotes, accordait-il un peu d’argent à ceux qui bâtissaient des maisons sur une certaine étendue de terre concédée, à la condition de la défricher — Ces velléités d’améliorations dans la condition des populations de ce district ont-elles eu un résultat ? Il faut l’espérer. — Quoi qu’il soit, plût à Dieu que les agents du gouvernement ottoman fussent toujours aussi bien intentionnés !

À deux heures et demie de Laërma nous passâmes près d’un village du nom d’Apollona, dans le voisinage duquel se trouvent quelques ruines sans importance, au milieu d’un terrain couvert de pierres que le ciseau paraît avoir taillées. Les cartes indiquent en cet endroit la position de l’antique cité de Kamiro qui, avec Yelissos et Lindos, fut l’une des trois premières cités de l’île. Il est probable que le nom du village moderne qui a remplacé la ville primitive rappelle la cité antique où le culte du soleil ou d’Apollon était en grand honneur.

Nous passâmes au pied du mont Artamiti, dont la cime disparaissait dans une bande épaisse de nuages ; et, après avoir traversé le village et les vignobles d’Ebbona, nous atteignîmes Kalavarda, en nous rapprochant de la mer. Du rivage on apercevait l’île de Kalchi, l’une de celles sur lesquelles flottait, il y a trois siècles, le pavillon de Saint-Jean. En suivant la côte, et remontant toujours au nord, nous rencontrâmes successivement les bourgades de Farés et d’Amathéria avant d’arriver à un groupe de ruines qui portent le nom de Villanova. Ici se retrouve évidemment le souvenir du grand maître Hélion de Villeneuve, à qui l’on doit attribuer ce monument que la guerre a détruit. Différent de ceux que j’avais rencontrés sur plusieurs points, celui-ci me parut avoir été affecté à une autre destination que la défense du pays. D’après ces dimensions et la physionomie des salles dont on retrouve les murs et les arceaux gothiques, il est probable que c’était une maison de plaisance dans laquelle Villeneuve et ses successeurs allaient goûter le repos et chercher les loisirs de la campagne.

Nos montures étaient trop lasses pour que nous pussions pousser jusqu’à Rhodes, et quoique nous n’en fussions pas éloignés, nous dûmes nous arrêter à Kremasto, qui est sur le bord de la mer, défendu par un castel dont l’aspect militaire atteste encore sur ce point la vigilance des chevaliers. Une pierre porte un écusson sur lequel figurent les armes d’Émery d’Amboise.

De Kremasto nous allâmes à Trianda, où il y avait aussi un château pour protéger le rivage. Mais sa destruction remonte au magistère de des Ursins qui le fit démanteler comme incapable de se défendre et plus propre à servir d’abri à l’ennemi que de protection aux campagnards. Autour de Trianda se voient de nombreux vestiges de constructions qui portent le cachet de la plus haute antiquité. Ils sont épars au pied du mont Philiermo, et c’est en cet endroit que la tradition place la troisième des villes primitives de l’île, Yelissos. Près de là sont les ruines d’une église sous l’invocation de Notre-Dame de Philiermo. Il y a trente ans, on y voyait encore des peintures à fresque qu’on attribuait à un élève de Cimabué, frère servant de l’ordre de Saint-Jean. Les blasons de Villeneuve et de Roger de Pins y montraient la part que ces deux grands maîtres avaient prise à sa construction.

Sur le plateau du mont Philiermo il existe des restes des murailles qui paraissent fort anciennes ; — je pense qu’il devait y avoir là, comme à Lindos, une acropole dominant la ville qui était au bas de la montagne. — Les murailles furent utilisées par les chevaliers, qui les réparèrent et en firent un poste fortifié. On y voit aussi les restes de deux tours, l’un au sud, l’autre au nord. Le mont de Philiermo est voisin de Rhodes, mais il en est cependant assez distant pour qu’il n’ait pu servir ni aux chevaliers pour en faire une défense de leur place, ni aux Turcs pour l’attaquer.

Tels sont les souvenirs qui offrent le plus d’intérêt dans l’île de Rhodes, dont la célébrité historique se mêle à la fable. Son illustration, vieillie depuis les Héliades qui la consacrèrent au soleil, avait besoin d’être rajeunie par celle d’un autre âge, et la gloire des chevaliers de Saint-Jean est venue brillamment effacer celle des divinités païennes dont la croix avait renversé les autels. — Que sont devenues les statues de Minerve et d’Apollon ? — le temps en a dispersé les débris. — Et le colosse fabuleux, compté parmi les merveilles du monde ? — à peine le voyageur ose-t-il en demander la place que nul ne saurait lui indiquer. Les habitants actuels ne tiennent en rien des géants leurs ancêtres, et le Grec de Lindos a oublié que Danaüs s’y réfugia avec ses cinquante filles. Le temple qu’il y éleva est tombé aussi bien que celui de Jupiter sur le mont Artamiti. Qui redira à Rhodes que Vénus y aborda en allant en Chypre, et que Cadmus y fut jeté par la tempête en cherchant Europe ?

Laissant les fictions ingénieuses de la mythologie, cherche-t-on les traces d’Alexandre, de Cicéron, de Pompée ou de Tibère ? — rien ne les indique plus, et personne ne sait plus rien du passage de ces grands hommes dans l’île. Mais si l’antiquité a disparu tout entière, la mémoire des Hospitaliers est encore palpitante ; elle vit de tout côté, et sert d’aliment aux traditions populaires, Les hauts faits de nos pères sont racontés par les Turcs eux-mêmes, étonnés des vertus guerrières de cette noble milice dont les rejetons sont venus, trois siècles plus tard, prouver à l’Orient endormi sur des lauriers fanés, qu’ils n’avaient rien perdu de la valeur belliqueuse qui animait les preux de Godefroy et de d’Aubusson. On se souvient à Rhodes, comme si c’était d’hier, que la trente et unième demi-brigade y relâcha à son retour d’Égypte. Les vainqueurs des Pyramides et d’Héliopolis ont ravivé les souvenirs de ceux de Jérusalem et d’Antioche. Les soldats de Bonaparte et de Kléber étaient les fils de ceux de Villeneuve ou de l’Île-Adam, et les Turcs se demandaient pourquoi les lis de saint Louis ne s’épanouissaient plus sur le drapeau français ; mais alors les échos répétèrent la Marseillaise, dont le refrain est resté dans la mémoire des habitants, et plus d’un vieux Turc vous dira qu’il a dansé, de force, la carmagnole dans une ronde de soldats républicains. — Ainsi, à huit cents ans de distance, des légions françaises avaient foulé cette terre d’Orient et combattu la barbarie mahométane, d’abord en exaltant la croix du Christ, ensuite en proscrivant ceux qui l’adoraient. Un seul sentiment restait debout et animait les cœurs des descendants comme il avait fait battre celui de leurs ancêtres, le sentiment de l’honneur militaire.

La Rhodes moderne est la seule qui subsiste aujourd’hui, et ses monuments sont ceux de nos pères comme ses souvenirs sont des pages de notre histoire.

Eugène Flandin.



  1. Suite et fin. — Voy. page 39.