Vues des Cordillères/T1/16

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PLANCHE XIV.

Costumes dessinés par des peintres mexicains du temps de Montezuma.


Ces neuf figures sont tirées du Codex anonymus no 3738, qui est conservé parmi les manuscrits du Vatican, et que nous avons eu occasion de citer plusieurs fois : ce sont de copies de peintures faites par des peintres mexicains lors du premier séjour de Cortez à Ténochtitlan. Le père Rios, en copiant les dessins, paroît avoir été plus attentif au détail des costumes qu’à l’imitation fidèle des contours des figures. En comparant les peintures de la Planche xiv avec celles que renferment les manuscrits originaux qui sont parvenus jusqu’à nous, on voit que les figures copiées par le moine espagnol sont un peu trop allongées : ces altérations de forme se retrouvent partout où les artistes n’ont pas suffisamment senti combien il est important de conserver le style qui caractérise les productions de l’art chez des peuples plus ou moins éloignés de la civilisation. Quelle différence dans la justesse des contours, entre les hiéroglyphes publiés par Norden et ceux qu’on trouve dans l’ouvrage de Zoega sur les obélisques, ou dans la description des monumens de l’Égypte, dont l’institut du Caire vient d’enrichir les sciences !

No i-v. Quatre guerriers mexicains : les trois premiers portent le vêtement appelé ichcahuepilli, sorte de cuirasse de coton qui avoit plus de trois centimètres d’épaisseur, et qui couvroit le corps depuis le col jusqu’à la ceinture. Les soldats de Cortez adoptèrent cette armure, qu’ils désignèrent sous le nom d’escaupil, dans lequel on reconnaît à peine un mot de la langue aztèque. L’ichcahuepilli résistoit parfaitement aux flèches : il ne faut cependant pas le confondre avec les cottes de mailles d’or et de cuivre que portoient les généraux, appelés seigneurs des aigles et des tiqres, Quauhtin et Oocelo, à cause de leurs armures en forme de masques. Les boucliers, chimalli, no i et i, sont d’une forme très-différente de ceux figurés par Purchas et Lorenzana[1]. L’écusson no ii a un appendice en toile et en plume, qui servoit à amortir le coup des dards : sa forme rappelle les boucliers que l’on trouve représentés sur plusieurs vases de la Grande-Grèce. La massue que porte le guerrier no iii étoit creuse, et contetoit des pierres qui étoient lancées avec beaucoup de force, comme si elles partoient d’une fronde. La figure no iv représente un de ces soldats intrépides qui alloient presque nus au combat, le corps enveloppé dans un filet à grandes mailles, qu’ils jetoient sur la tête de l’ennemi, comme les retiarii romains dans la lutte avec les gladiateurs mirmillons. Le no v est un simple soldat qui ne porte qu’un manteau de toile et une bandelette de peau très-étroite, maxtlatl, autour de la ceinture.

La figure no vi représente, comme l’indique expressément le Codex Vaticanus, le malheureux Montezuma ii, en habit de cour, tel qu’il se présentoit dans l’intérieur de son palais. Sa robe, tlachquauhjo, est garnie de perles ; il a les cheveux réunis au sommet de la tête, et liés avec un ruban rouge, distinction militaire des princes et des capitaines les plus vaillans : son col est orné d’un collier de pierres fines (cozcapetlatl) ; mais il ne porte ni les bracelets (matemcentl), ni les bottines (cozehuatl), ni les boucles d’oreille (nacochtli), ni l’anneau garni d’émeraudes, suspendu à la lèvre inférieure, qui appartenoient au grand costume de l’empereur. L’auteur du Codex anonymus dit que « le souverain est figuré ayant dans une main des fleurs, et dans l’autre un jonc au bout duquel est fixé un cylindre de résine odoriférante. » Le vase que tient l’empereur dans sa main gauche, a quelque ressemblance avec celui que l’on voit dans la main de l’Indien ivre figuré dans le Recueil de Mendoza[2]. Les peintres mexicains représentoient généralement les rois et les grands seigneurs pieds nus, pour indiquer qu’ils n’étoient pas faits pour se servir de leurs jambes, et qu’ils dévoient constamment être portés dans un palanquin, sur les épaules de leurs domestiques[3].

No vii. Un habitant de la Tzapoteca, province qui comprenait la partie sud-est de l’intendance d’Oaxaca.

No viii et ix. Deux femmes de la Huasteca : le costume de la dernière figure est indubitablement indien ; mais celui du no viii ressemble beaucoup au vêtement européen. Est-ce une femme du pays à laquelle les soldats de Cortez ont donné un fichu et un rosaire ? Je ne déciderai pas cette question ; mais j’observe que le mouchoir triangulaire se retrouve dans plusieurs peintures mexicaines faites avant l’arrivée des Espagnols, et que le prétendu rosaire, qui n’est pas terminé par une croix, pourroit bien être un de ces chapelets qui ont existé, depuis la plus haute antiquité, dans toute l’Asie orientale, au Canada, au Mexique et au Pérou.

Quoique le père Rios, comme nous l’avons observé plus haut, paroisse avoir allongé un peu les figures, les extrémités, la forme des yeux, et celle des lèvres, dont la supérieure dépasse constamment la lèvre inférieure, prouvent qu’il a copié fidèlement.

  1. Purchas, Pilgrimes, Tom. III, p. 1080, fig.  LM ; p. 1099, fig. C ; pl. iv, fig. F. Lorenzana, Historia de Nueva Espana, p. 177, lam. 2, 8 et 9. Adornos molitares.
  2. Purchas, p. 1117, fig. F.
  3. Codex anon., n. 3738, fol. 60.