Vues des Cordillères/T2/1

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VUES PITTORESQUES
DES CORDILLÈRES,
ET MONUMENS DES PEUPLES INDIGÈNES
DE L’AMÉRIQUE.



SUITE DE LA PLANCHE XXIII.[1]

Relief en basalte, représentant le Calendrier mexicain.



Nous venons de voir que les Mexicains, les Japonnois, les Tibétains et plusieurs autres nations de l’Asie centrale, ont suivi le même système dans la division des grands cycles, et dans la dénomination des années qui les composent. Il nous reste à examiner un fait qui intéresse plus directement l’histoire des migrations des peuples, et qui paroît avoir échappé jusqu’ici aux recherches des savans. Je crois pouvoir prouver qu’une grande partie des noms par lesquels les Mexicains désignoient les vingt jours de leurs mois, sont ceux des signes d’un zodiaque usité depuis la plus haute antiquité chez les peuples de l’Asie orientale. Pour faire voir que cette assertion est moins hasardée qu’elle ne le paroît d’abord, je vais réunir dans un seul tableau, 1.° les noms des hiéroglyphes mexicains, tels qu’ils nous ont été transmis par tous les auteurs du seizième siècle ; 2.° les noms des douze signes du zodiaque tartare, tibétain et japonnois ; 3.° les noms des nakchatras, ou maisons lunaires du calendrier des Hindoux. J’ose me flatter que ceux de mes lecteurs qui auront examiné attentivement ce tableau comparatif, s’intéresseront aux discussions dans lesquelles nous devons entrer sur les premières divisions du zodiaque.

SIGNES DU ZODIAQUE. hiéroglyphes des jours
du calendrier

MEXICAIN.
nakchatras
ou
maisons lunaires

DES HINDOUX.
hindoux, grecs et peuples occidentaux. tartatres mantchoux. japonois. tibétains.
Verseau. Singueri. Ne. Tehip, rat, eau. Atl, eau.
Capricorne. Ouker. Ous. Lang, boeuf. Cipactli, monstre marin. (Le mahara est un monstre marin)
Sagittaire. Pars. Torra. Tah, tigre. Ocetotl, tigre.
Scorpion. Taoulaï. Ov. Io, lièvre. Tochtli, lièvre.
Balance. Lon. Tats. Bron, dragon. Cohuatl, serpent. Serpent.
Vierge. Mogaï. Mi. Proul, serpent. (Acatl, canne). Canne.
Lion. Morin. Ouma. Tha, cheval. (Tecpatl, silex, couteau). Rasoir.
Cancer. Koin. Tsitsouse. Lon, boue. (Ollin, chemin du soleil). Traces des piés de Vichnou.
Gémaux. Petchi. Sar. Prehou, singe. Ozomatli, singe. Singe.
Taureau. Tukia. Torri. Tcha, oiseau. Quauhtli, oiseau.
Bélier. Nokai. In. Ky, chien. Itzcuintli, chien. Queue de chien.
Poissons. Gacai. Y. Pah, porc. (Calli, maison). Maison.

Depuis les temps les plus reculés, les peuples de l’Asie connoissoient deux divisions de l’écliptique, l’une en vingt-sept ou vingt-huit maisons ou préfectures lunaires, l’autre en douze parties. C’est à tort qu’on a avancé que cette dernière division ne se trouvoit que chez les Égyptiens. Les monumens les plus anciens de la littérature indienne, les ouvrages de Calidas et d’Amarsinh[2], font mention à la fois des douze signes du zodiaque et des vingt-sept campagnes de la lune. D’après ce que nous savons sur les communications qui, plusieurs milliers d’années avant notre ère, ont eu lieu entre les peuples de l’Éthiopie, de la Haute-Égypte et de l’Hindoustân, il n’est pas permis de regarder, comme appartenant exclusivement aux Égyptiens, tout ce que ces derniers ont transmis aux peuples de la Grèce.

La division de l’écliptique en vingt-sept ou vingt-huit maisons lunaires, est probablement[3] plus ancienne que la division en douze parties, qui se rapporte au mouvement annuel du soleil. Des phénomènes qui se répètent toutes les lunaisons dans le même ordre, fixent bien plus l’attention des hommes que des changemens de position, dont le cycle n’est achevé que dans l’espace d’un an. La lune étant presque placée, dans chaque lunaison, près des mêmes étoiles, il paraît naturel qu’on ait donné des noms particuliers aux vingt-sept ou vingt-huit constellations qu’elle parcourt dans une révolution synodique. Peu à peu les noms de ces constellations ont passé aux jours lunaires mêmes, et cette liaison apparente entre le signe et le jour est devenue la base principale des calculs chimériques de l’astrologie.

En examinant attentivement les noms que les nakchatras, ou hôtelleries lunaires, portent dans l’Hindoustân, on y reconnaît non seulement presque tous les noms du zodiaque tartare et tibétain, mais aussi ceux de plusieurs constellations qui sont identiques avec les signes du zodiaque grec. Chaque nakchatras a 15° 20′, et 21/4 nakchatras correspondent à un de nos signes. Le tableau suivant rend assez probable que le zodiaque solaire a tiré son origine du zodiaque lunaire, et que les douze signes du premier ont été choisis en grande partie parmi les vingt-sept nak-chatras.

MAISONS LUNAIRES. SIGNES (dodecatemoria)
DU ZODIAQUE.

Rat.

Gazelle.

Flèche, arc.

Queue de lion.

Fléau de balance.

Serpent.

Cheval.

Chèvre.

Singe.

Aigle.

Queue de chien.

Poisson.

Rat, verseau.

Bœuf, capricorne.

Tigre, sagittaire.

Lion.

Dragon, balance.

Serpent, vierge.

Cheval.

Brebis, cancer.

Singe, gémeaux.

Oiseau, taureau.

Chien, bélier.

l’orceau, poisson.

Dans le ciel arabe, le baudrier d’Orion est désigné sous le nom de fléau de balance, Micân ; et il paroît d’autant plus remarquable qu’une station lunaire des Hindoux porte la même dénomination, que, depuis la découverte du zodiaque de Tentyra, on a élevé des doutes sur l’ancienneté de la constellation de la balance. On ne sauroit nier que les signes qui composent le zodiaque égyptien, chaldéen et grec, sont connus dans l’Inde depuis les temps les plus reculés ; et il est probable que, lorsque Jules-César ajouta la balance au zodiaque romain, il le fit en suivant les conseils de l’astronome Sosigènes[4] qui, né en Égypte, ne pouvoit pas ignorer les divisions de l’écliptique usitées dans l’Orient. On n’a pas besoin[5], d’ailleurs, de jeter des doutes sur la haute antiquité du signe de la balance, pour infirmer l’hypothèse hasardée d’après laquelle un temple de la Haute-Égypte a été construit plus de quatre mille ans avant notre ère.

Frappé de l’analogie qui existe entre les dénominations des nakchatras et celles de plusieurs signes du zodiaque tibétain et grec, j’ai examiné si les constellations, qui portent le même nom, répondoient aux mêmes points du ciel. Cette correspondance n’a pas lieu, soit que l’on suppose que le premier nakchatras, connu sous la dénomination de cheval, est le cheval du zodiaque tibétain, et par conséquent le lion du zodiaque grec, soit que l’on admette, avec MM. Jones et Culbrooke[6], que l’origine des nakchatras est placée dans le signe du bélier qui est le chien du zodiaque tibétain. Cette dernière hypothèse n’offriront quelque probabilité que dans le cas où les hôtelleries lunaires auroient été comptées contre l’ordre des signes : alors les six nakchatras, désignés par les noms de deux faces, de trois empreintes des pieds de Vichnou, de la queue du lion, du feston de feuilles, de la flèche et de la tête de gazelle, auroient représenté nos signes gémeaux, écrevisse, lion, vierge, sagittaire et capricorne. Mais, dans aucune des suppositions que nous venons d’indiquer, la balance, le lion et le bélier ne se trouvent placés dans l’éloignement réciproque qui leur convient. D’après les savantes recherches des membres de la société de Calcutta, les nakchatras aswini, cheval ; pushia, flèche, et mula, queue de lion, répondent à α du bélier, δ de l’écrevisse, et γ du scorpion du zodiaque grec, ou au chien, à la brebis et au lièvre du zodiaque tartare et tibétain.

Il peut paroître extraordinaire, au premier abord, qu’en formant des vingt-sept ou vingt-huit signes du zodiaque lunaire les douze signes du zodiaque solaire, les peuples aient conservé les noms d’un grand nombre de constellations, sans avoir égard à leur position absolue et à l’ordre dans lequel elles se suivent ; mais il ne faut pas en conclure que l’analogie frappante, qu’offrent douze nakchatras avec autant de signes du zodiaque tibétain et grec, soit purement accidentelle. Comme les dénominations des mansions lunaires ont passé peu à peu aux jours mêmes, on conçoit qu’elles étaient devenues familières au peuple qui ignoroit sans doute la position des étoiles dont se composent les divisions de l’écliptique. Il se pourroit que des nations, retombées dans la barbarie, n’eussent conservé qu’une réminiscence confuse des noms des nakchatras, et qu’en réformant leur calendrier, elles eussent choisi parmi ces noms ceux des Signes du zodiaque solaire, sans suivre l’ordre anciennement adopté. Il se pourroit aussi, et j’incline à donner la préférence à cette dernière opinion, que le zodiaque composé de douze signes eût tiré son origine d’un ancien zodiaque lunaire, dans lequel les nakchatras étoient placés selon un ordre plus analogue à celui que nous remarquons aujourd’hui dans les dodecatemoria des peuples du Tibet et de la Tartarie. En effet, les divisions de l’écliptique que sir William Jones, Colbrooke et Sonnerat ont fait connaître, diffèrent essentiellement entre eux. La flèche qui, selon un auteur indien, est le huitième nakchatras, n’est que le vingt-troisième d’après un autre auteur. Nous verrons même plus bas, en parlant d’un bas-relief romain décrit par Bianchini, que dans l’Orient il existoit jadis des zodiaques solaires qui avoient les mêmes signes, mais placés dans un ordre différent. De plus, le retour du soleil des tropiques vers d’équateur, et le phénomène de l’égale durée des jours et des nuits, dévoient engager les hommes à faire de grands changemens aux figures des nakchatras ; lorsqu’ils en employèrent une partie pour former le zodiaque solaire.

Cette liaison intime entre les hôtelleries lunaires et les signes du zodiaque se manifeste encore dans les noms que les Hindoux donnent aux mois et aux années. Ces noms, d’après les recherches curieuses de M. Davis[7], ne sont pas ceux des dodecatemoria du zodiaque solaire ; ils sont tirés des nakchatras mêmes, chaque mois portant le nom de la maison lunaire dans laquelle la pleine lune a lieu. Nous avons vu plus haut qu’au Tibet, en Chine et chez les peuples tartares, chaque année des cinq indictions du grand cycle porte le nom d’un des douze animaux du zodiaque solaire. Chez les Hindoux, les années prennent le nom du nakchatras dans lequel se trouve Jupiter à son lever héliaque. C’est ainsi qu’aswini (cheval), ou magha (maison), sont les noms d’une année, d’un mois, et d’un ti’thi ou jour lunaire, comme au Mexique les signes tochtli (lapin), ou calli (maison), président à la fois à l’année, à la demi-lunaison et au jour.

Il résulte de l’ensemble de ces considérations, que la division de l’écliptique en douze signes a tiré probablement son origine de la division en vingt-sept ou vingt-huit maisons lunaires, et que le zodiaque solaire a été primitivement un zodiaque lunaire, chaque pleine lune étant a peu près éloignée de la précédente de deux nakchatras et un quart, ou de 13° 20′. C’est ainsi que la plus ancienne astronomie des peuples se trouve liée aux seuls mouvemens de la lune. S’il arrive que les douze signes du zodiaque portent des noms qui diffèrent totalement de ceux des nakchatras, il ne faut pas en conclure que les étoiles mêmes aient été distribuées d’après une double division. Dans l’Asie orientale, le zodiaque en douze signes n’a été, pendant long-temps, qu’une division abstraite[8], tandis que le zodiaque en vingt-sept ou vingt-huit nakcha ras étoit seul un véritable zodiaque étoile. J’ai cru devoir insister sur la liaison intime qui existe entre les deux divisions de l’écliptique, pour faire voir que l’une et l’autre peuvent avoir donné naissance aux signes du zodiaque mexicain.

Examinons d’abord l’analogie qu’offrent les dénominations des jours mexicains avec celles des signes du zodiaque tibétain, chinois, tartare et mongol. Cette analogie est frappante dans les huit hiéroglyphes appelés atl, cipactli, occlotl, tochtli, cohuatl, quauhli, ozoniatli et itzcuintli.

Atl, eau, est indiqué souvent par un hiéroglyphe dont les lignes parallèles et ondulées rappellent le signe que nous employons pour désigner le verseau. Le premier tse ou catastérisme du zodiaque chinois, le rat (chou) se trouve aussi fréquemment représenté sous la figure de l’eau[9]. Lors du règne de l’empereur Tchouen-hiu, il y eut un grand déluge ; et le signe céleste hiuen-hiao, qui, par sa position, répond à notre verseau, est le symbole de ce règne. Ainsi, observe le père Souciet dans ses Recherches sur les cycles et les zodiaques, la Chine et l’Europe s’accordent à représenter, sous des dénominations différentes, le signe que nous nommons amphora ou aquarius. Chez les peuples occidentaux, l’eau qui sort du vase de l’aquarius (χύςιςὔδατις) formoit aussi une constellation particulière (ὔδωρ), à laquelle appartenoient les belles étoiles Fomahand et Deneb kaitos, comme le prouvent[10] plusieurs passages d’Aratus, de Geminus et du Scholiase de Germanicus.

Cipactli est un animal marin[11]. Cet hiéroglyphe présente une analogie frappante avec le capricorne que les Hindoux et d’autres peuples de l’Asie appellent monstre marin. Le signe mexicain indique un animal fabuleux, un cétacée dont le front est armé d’une corne. Gomera et Torquemada[12] l’appellent espadarte, nom par lequel les Espagnols désignent le narval dont la grande dent est connue sous le nom de corne de licorne. Boturini a pris cette corne pour un harpon, et traduit faussement cipactli par serpent armé de harpons. Comme ce signe ne représente pas un animal réel, il est assez naturel que sa forme varie plus que celle des autres signes. Quelquefois la corne paroît un prolongement du museau, comme dans le fameux poisson oxyrinque, représenté à la place du poisson austral sous le ventre du capricorne, dans quelques planisphères[13] indiens : d’autres fois la corne manque entièrement. En jetant les yeux sur les figures, Planches xxiii et xxviii, faites d’après des dessins et des reliefs très-anciens, on voit combien Valadès, Boturini et Clavigero ont eu tort de représenter le premier hiéroglyphe des jours mexicains comme un requin ou un lézard. Dans le manuscrit du musée Borgia, la tête de cipactli ressemble à celle d’un crocodile ; et ce même nom de crocodile est donné, par Sonnerat, au dixième signe du zodiaque indien qui est notre capricorne.

D’ailleurs l’idée de l’animal marin cipactli se trouve liée, dans la mythologie mexicaine, à l’histoire d’un homme qui, lors de la destruction du quatrième soleil, après avoir long-temps nagé dans les eaux, se sauva seul en atteignant la cime de la montagne de Colhuacan. Nous avons fait observer plus haut que le Noé des Aztèques, appelé communément Coxcox, porte aussi le nom de Teo-Cipactli, dans lequel le mot dieu ou divin est ajouté à celui du signe cipactli. En jetant les veux sur le zodiaque de peuples de l’Asie, nous trouvons que le capricorne des Hindoux est le poisson fabuleux maharan ou souro[14], célèbre par ses exploits, et représenté, depuis la plus haute antiquité, comme un monstre marin à tête de gazelle[15]. Comme les habitans de l’Inde, de même que les Mexicains, indiquent souvent les nakchatras (maisons lunaires) et les laquenons (dodecatemoria) par les seules têtes des animaux qui composent les zodiaques lunaire et solaire, il ne faut pas être surpris que les peuples occidentaux aient transformé le mahara en capricorne (αίγόχερως), et qu’Aratus, Ptolémée et le persan Kazwini, ne lui donnent pas même une queue de poisson. Un animal qui, après avoir long-temps habité les eaux, prend la forme d’une gazelle et gravit les montagnes, rappelle à des peuples, dont l’imagination inquiète saisit les rapports les plus éloignés, les traditions antiques de Menou, de Noé, et ces Deucalions célèbres parmi les Scythes et les Thessaliens. Il est vrai que, d’après Germanicus, Deucalion que l’on peut considérer comme le Coxcox, ou le Teo-Cipactli de la mythologie mexicaine, étoit placé, non dans le signe du capricorne, mais dans le signe qui le suit immédiatement, dans celui du verseau (ὑδροχόος) ; cette circonstance n’a cependant rien qui puisse nous surprendre : elle confirme plutôt l’opinion ingénieuse de M. Bailly sur l’ancienne liaison des trois signes des poissons, du verseau et du capricorne, ou poisson-gazelle[16].

Ocalotl, tigre, le jaguar (felis onca) des régions chaudes du Mexique ; tochtli, lièvre ; ozomatli, singe femelle ; itzcuintli, chien ; cohuatl, serpent ; quauhtli, oiseau, sont des catastérismes qui se trouvent, sous les mêmes noms, dans le zodiaque tartare et tibétain. Dans l’astronomie chinoise, le lièvre ne désigne pas seulement le quatrième tse, ou signe du zodiaque ; la lune, depuis l’époque reculée du règne d’Yao, étoit figurée comme un disque dans lequel un lièvre[17], assis sur ses pieds de derrière, tourne un bâton dans un vase, comme s’il étoit occupé à faire du beurre ; idée puérile qui peut avoir pris naissance dans les steppes de la Tartarie, où abondent les lièvres, et qui sont habitées par des peuples pasteurs. Le singe mexicain, ozomatli, répond au heou des Chinois[18], au petchi des Mantchoux, et au prehou des Tibétains, trois noms qui désignent le même animal. Procyon paroît être le singe hanuan[19], si connu dans la mythologie des Hindoux ; et la position de cet astre, placé sur une même lingne avec les gémeaux et le pôle de écliptique, répond très-bien à la place qu’occupe le singe dans le zodiaque tartare, entre l’écrevisse et le taureau. Des singes se trouvent aussi dans le ciel des Arabes : ce sont des étoiles de la constellation du grand chien, appelées El-kurûd[20] dans le catalogue de Kazwini. J’entre dans ces détails sur le signe ozomatli, parce qu’un animal de la zone torride, placé parmi les constellations des peuples mongols, mantchoux, aztèques et toltèques, est un point très-important, non seulement pour l’histoire de l’astronomie, mais aussi pour celle des migrations des peuples.

Le signe itzcuintli, chien, répond à l’avant dernier signe du zodiaque tartare, au ky des Tibétains, au nokaï des Mantchoux, et à l’in des Japonnois. Le père Gaubil nous apprend que le chien du zodiaque tartare est notre dodécatémorion du bélier, et il est très-remarquable que, d’après Le Gentil, chez les Hindoux, quoique ce peuple ne connoisse pas la série des signes qui commence par le rat, le bélier est remplacé quelquefois par un chien marron. De même, chez les Mexicains, izcuintli désigne le chien sauvage : car celui qui est domestique s’appeloit techichi. Le Mexique abondoit jadis en quadrupèdes[21] carnassiers qui tenoient à la fois du chien et du loup, et que Hernandez ne nous a fait connaître qu’imparfaitement. La race de ces animaux, connus sous les noms de xoloitzcuintli, itzcuintepotzotli, tepeitzcuintli, n’est vraisemblablement pas entièrement détruite : mais il est probable qu’ils se sont retirés dans les forêts les plus désertes et les plus éloignées : car, dans la partie du pays que j’ai parcourue, je n’ai jamais entendu parler d’un chien marron. Le Gentil[22] et Bailly ont été induits en erreur, lorsqu’ils ont avancé que le mot mècha, qui désigne notre bélier, signifie un chien marron. Ce mot de la langue sanscrite est le nom vulgaire du bélier : on le trouve employé[23] d’une manière très-poétique par un auteur indien qui décrit le combat de deux guerriers, en disant « que par leurs têtes c’étoient deux mècha (béliers) ; par leurs bras, deux éléphans ; par leurs pieds, deux nobles coursiers. »

Le tableau suivant réunit les signes du zodiaque tartare avec ceux des jours du calendrier mexicain :

ZODIAQUE
des tartares-mantchoux.
ZODIAQUE
des mexicains.

Pars, tigre.

Taoulai, lièvre.

Mogai, serpent.

Petchi, singe.

Nokaï, chien.

Tukia, oiseau, poule.

Ocelotl, tigre.

Tochtli, lièvre, lapin.

Cohuatl, serpent.

Ozomatli, singe.

Itzcuintli, chien.

Quauhtli, oiseau, aigle.

Sans rappeler les hiéroglyphes eau (atl), et monstre marin (cipactli), qui offrent une analogie frappante avec les catastérismes du verseau et du capricorne, les six signes du zodiaque tartare, retrouvés dans le calendrier mexicain, suffisent pour rendre extrêmement probable que les peuples des deux continents ont puisé dans une source commune leurs idées astrologiques. Ces traits de ressemblance sur lesquels nous insistons, ne sont pas tirés de peintures informes ou allégoriques, susceptibles d’être interprétées selon la nature des hypothèses que l’on désire faire valoir. Si l’on consulte les ouvrages composés, au commencement de la conquête, par des auteurs espagnols ou indiens qui ignoroient jusqu’à l’existence d’un zodiaque tartare, l’on verra qu’au Mexique, depuis le septième siècle de notre ère, les jours s’appeloient tigre, chien, singe, lièvre ou lapin, comme, dans toute l’Asie orientale, les années portent encore les mêmes noms en tibétain, en tartare-mantchou, en mogol, en kalmouk, en chinois, en japonnois, en coréen, dans les langues du Touquin et de la Cochinchine[24].

On conçoit que des nations qui n’ont jamais eu de rapports entre elles, divisent également l’écliptique en vingt-sept ou vingt-huit parties, et donnent à chaque jour lunaire le nom des étoiles près desquelles la lune se trouve placée dans son mouvement progressif de l’ouest à l’est. Il paroît très-naturel aussi que des peuples chasseurs ou pasteurs désignent ces constellations et ces jours lunaires, par les noms des animaux qui sont l’objet constant de leurs affections ou de leurs craintes. Le ciel des hordes nomades se trouvera peuplé de chiens, de cerfs, de taureaux et de loups, sans qu’on doive en conclure que ces hordes ont jadis fait partie d’un même peuple. Il ne faut pas confondre des traits de ressemblance purement accidentels, ou naissant d’une identité de position, avec ceux qui attestent une origine commune ou d’anciennes communications.

Mais les zodiaques tartare et mexicain ne renferment pas seulement les animaux propres aux climats que ces peuples habitent aujourd’hui ; on y trouve aussi des tigres et des singes. Ces deux animaux sont inconnus sur les plateaux de l’Asie centrale et orientale, auxquels une grande élévation donne une température plus froide que celle qui règne vers l’ouest sous la même latitude. Les Tibétains, les Mogols, les Mantchoux et les Kalmouks, ont donc reçu d’un pays plus méridional le zodiaque que l’on appelle trop exclusivement le cycle tartare. Les Toltèques, les Aztèques, les Tlascaltèques, ont reflué du nord vers le sud : nous connaissons des monumens aztèques jusqu’aux rives du Gila, entre les 33° et 34° de latitude nord. L’histoire nous montre les Toltèques venant de régions plus septentrionales encore. Ces colons, sortis d’Aztlan, n’arrivoient pas comme des hordes barbares : tout annonçoit chez eux les restes d’une ancienne civilisation. Les noms imposés aux villes qu’ils construisoient, étoient les noms des lieux qu’habitoient leurs ancêtres : leurs lois, leurs annales, leur chronologie, l’ordre de leurs sacrifices, étoient modelés sur les connaissances qu’ils avoient acquises dans leur première patrie. Or, les singes et les tigres qui figurent parmi les hiéroglyphes des jours et dans la tradition mexicaine des quatre âges ou destructions du soleil, n’habitent pas la partie septentrionale de la Nouvelle-Espagne et les côtes nord-ouest de l’Amérique. Par conséquent les signes ozomatli et ocelotl rendent singulièrement probable que les zodiaques des Toltèques, des Aztèques, des Mogols, des Tibétains, et de tant d’autres peuples qui sont séparés aujourd’hui par une vaste étendue de pays, ont pris naissance sur un même point de l’ancien continent.

Les mansions lunaires des Hindoux, dans lesquelles nous trouvons aussi un singe, un serpent, une queue de chien et la tête d’une gazelle ou d’un monstre marin, offrent encore d’autres signes dont les noms rappellent ceux de calli, acatl, tecpatl et ollin du calendrier mexicain.

NAKCUATRAS INDIENS. SIGNES MEXICAINS.

Magha, maison.

Venou, canne.

Critica, rasoir.

(Sravana, trois empreintes de pieds.)

Calli, maison.

Acatl, canne.

Tecpatl, silex, couteau de pierre.

(Ollin, mouvement du soleil, figuré par trois empreintes de pieds)

Nous observerons d’abord que le mot aztèque calli à la même signification que le kuala ou kolla[25] des Wogouls qui habitent les rives du Kama et de l’Irtisch, comme atel (eau) en aztèque, et itels (rivière) en vilèle, rappellent les mots atl, atelch, etel ou idel (rivière) dans la langue des Tartares Mogols, Tscheremisses et Tschouwasses[26]. La dénomination de calli, maison, désigne très-bien une station ou hôtellerie lunaire (en arabe, menâzil el kamar), un lieu de repos. C’est ainsi que, parmi les nakchatras indiens, outre les maisons (magha et punarvasu), on trouve aussi des bois de lit et des couchettes.

Le signe mexicain acatl, canne, est généralement figuré comme deux roseaux liés ensemble[27]. Mais la pierre trouvée à Mexico en 1790, et qui offre les hiéroglyphes des jours, représente le signe acatl d’une manière très-différente. On y reconnaît un faisceau de joncs, ou une gerbe de maïs renfermée dans un vase. Nous rappellerons à cette occasion que, dans la première période de treize jours de l’année tochtli, le signe acatl est constamment accompagné de Cinleotl, qui est la déesse du maïs, Cérès, la divinité qui préside à l’agriculture. Chez les peuples occidentaux, Cérès est placée dans le cinquième dodécatémorion : on trouve même des zodiaques très-anciens, dans lesquels un faisceau d’épis[28] remplit toute la place que dévoient occuper Cérès, Isis, Astrée ou Erigone, dans le signe des moissons et des vendanges. C’est ainsi que, depuis une haute antiquité, chez les peuples les plus éloignés, nous trouvons les mêmes idées, les mêmes symboles, la même tendance à ramener les phénomènes physiques à l’influence mystérieuse des astres.

L’hiéroglyphe mexicain tecpatl indique une pierre tranchante de forme ovale, allongée vers ses deux extrémités, semblable à celles dont on se servoit comme couteau ou que l’on attachoit au bout d’une pique. Ce signe rappelle le critica, ou couteau tranchant du zodiaque lunaire des Hindous. Sur la grande pierre représentée Planche xxiii, l’hiéroglyphe tecpatl est figuré d’une manière qui diffère un peu de la forme que l’on donne ordinairement à cet instrument. Le silex est percé au centre, et l’ouverture paroît destinée à recevoir la main du guerrier qui se sert de cette arme à deux pointes. On sait que les Américains avoient un art particulier pour percer les pierres les plus dures et pour les travailler par frottement. J’ai rapporté de l’Amérique méridionale, et j’ai déposé au Musée de Berlin un anneau d’obsidienne qui a servi de bracelet à une jeune fille, et qui forme un cylindre creux de près de sept centimètres d’ouverture, de quatre centimètres de hauteur, et dont l’épaisseur n’est pas de trois millimètres. On a de la peine à concevoir comment une masse vitreuse et fragile a pu être réduite à l’état d’une lame si mince. Le tecpatl diffère d’ailleurs de l’obsidienne, substance que les Mexicains appeloient iztli ; on confond, sous la dénomination de tecpatl, les jades, les hornstein et le silex pyromaque.

Le signe ollin ou ollin tonatiuh, préside, dans le commencement du cycle de cinquante-deux ans, au dix-seplième jour du premier mois. L’explication de ce signe a beaucoup embarrassé les moines espagnols qui, dépourvus des connoissances les plus élémentaires de l’astronomie, ont fait connaître le calendrier mexicain. Les auteurs indiens traduisent ollin par mouvemens du soleil. Lorsqu’ils trouvent ajouté le nombre nahui, ils rendent nahui ollin par les mots soleil (tonatiuh) dans ses quatre mouvemens. Le signe ollin est figuré de trois manières : tantôt (Pl. xxxvn) comme deux rubans entrelacés, ou plutôt comme deux portions de courbes qui se croisent et qui ont trois inflexions sensibles à leurs sommets ; tantôt (Pl. xxiiin) comme le disque solaire entouré de quatre carrés, qui renferme les hiéroglyphes des nombres un (ce) et quatre (nahui) ; tantôt comme trois empreintes de pieds. Les quatre carrés faisoient allusion, comme nous l’exposerons plus bas, à la fameuse tradition des quatre âges ou quatre destructions du monde, arrivées les jours 4 tigre, nahui ocelotl ; 4 vent, nahui ehecatl ; 4 pluie, nahui quiahuitl ; et 4 eau, nahui atl, dans les années ce acatl, 1 canne ; ce tecpatl, 1 silex ; et ce calli, 1 maison. À ces mêmes jours répondoient à peu près les solstices, les équinoxes et les passages du soleil par le zénith de la ville de Ténochtitlan.

La représentation du signe ollin par trois xocpalli, ou empreintes de pieds, telle qu’on la trouve souvent dans les manuscrits conservés au Vatican et dans le Codex Borgianus, fol. 47 no 210, est remarquable par l’analogie qu’elle offre en apparence avec sravana, ou les trois empreintes des pieds de Vichnou, une des mansions du zodiaque lunaire des Hindoux. Dans le calendrier mexicain, les trois empreintes indiquent ou les traces du soleil dans son passage par l’équateur et dans son mouvement vers les deux tropiques, ou les trois positions du soleil au zénith, dans l’équateur et dans un des solstices. Il seroit possible que le zodiaque lunaire des Hindoux renfermât quelque signe qui, comme celui de la balance, eût rapport à la marche du soleil. Nous avons vu que le zodiaque de vingt-huit signes peut avoir été transformé peu à peu en un zodiaque de douze mansions de la pleine lune, et que quelques nakchatras peuvent avoir changé de dénomination, depuis que, par la connaissance du mouvement annuel du soleil, le zodiaque des pleines lunes est devenu un véritable zodiaque solaire. Crichna, l’Apollon des Hindoux, n’est en effet autre chose que Vichnou, sous la forme du soleil[29] qui est adoré plus particulièrement sous le nom du dieu Soûrya. Malgré cette analogie d’idées et de signes, nous pensons que les trois empreintes qui forment le vingt-troisième nakchatras sravana, n’ont qu’une ressemblance accidentelle avec les trois vestiges de pieds qui représentent le signe ollin. M. de Chézy, qui réunit une connaissance profonde du persan à celle de la langue sanskrite, observe que le sravana du zodiaque indien fait allusion à une légende très-célèbre parmi les Hindoux, et consignée dans la plupart de leurs livres sacrés, particulièrement dans le Bhagavat-Poûrânam. Vichnou, voulant punir l’orgueil d’un géant qui se croyoit aussi puissant que les dieux, se présente devant lui sous la forme d’un nain : il le prie de lui accorder, dans son vaste empire, l’espace qu’il pourroit embrasser par trois de ses pas. Le géant accorde la prière en souriant ; mais aussitôt le nain grandit si prodigieusement, qu’en deux pas il mesure l’espace qu’il y a entre le ciel et la terre. Comme il demande, au troisième pas, où il pourroit placer son pied, le géant reconnoît le dieu Vichnou, et se prosterne devant lui. Cette fable explique si bien la figure du nakchatras sravana, qu’il seroit difficile d’admettre que ce signe soit lié à celui de ollin, comme cipactli et le Noé mexicain, Teo-Cipactli, sont liés à la constellation du capricorne et à celle de Deucalion, placée anciennement dans le verseau.

Nous venons de développer les rapports qui existent entre les signes dont sont composés les différens zodiaques de l’Inde, du Tibet et de la Tartarie, et les hiéroglyphes des jours et des années du calendrier mexicain. Nous avons trouvé que, parmi ces rapports, les plus frappans et les plus nombreux sont ceux que présente le cycle des douze animaux, que nous avons désigné sous le nom de zodiaque tartare et tibétain. Pour terminer une discussion dont les résultats sont si importans pour l’histoire des anciennes communications des peuples, il nous reste à examiner de plus près ce dernier zodiaque, et à prouver que, dans le système de l’astrologie asiatique avec laquelle l’astrologie mexicaine paroît avoir une origine commune, les douze signes des zodiaques président non seulement aux mois, mais aussi aux années, aux jours, aux heures, et même aux parties les plus petites des heures.

Lorsqu’on considère que les peuples de l’Asie orientale emploient à la fois des divisions de l’écliptique en vingt-sept ou vingt-huit, en douze et en vingt-quatre parties, et que les mêmes signes du zodiaque solaire y portent des dénominations et souvent des figures entièrement différentes, on est tenté de croire que cette multiplicité de signes doit produire une confusion extrême dans les limites assignées aux constellations zodiacales. Chez les Hindoux, par exemple, nous trouvons, outre les nakchatras ou mansions lunaires, douze laquenons dont les noms sont les mêmes que ceux des signes du zodiaque grec et égyptien. Les Chinois divisent l’écliptique de trois manières, savoir : en vingt-huit nakchatras qu’ils appellent che ou eul-chepo-sieou[30] ; en douze tse qui répondent à nos signes, mais qui portent des noms en partie mystiques, en partie empruntés aux productions du pays, comme grande splendeur, vide profond, queue et tête de caille[31] ; et en vingt-quatre tsieki. Les dénominations de ces tsieki, ou demi-tse, sont relatives au climat et aux variations de la température[32]. Les Chinois ont, en outre, deux autres cycles de douze signes : celui des tchi et celui des animaux, dont les noms sont identiques avec ceux des cycles tibétain et tartare : sept che répondent à trois tse, comme six tsieki répondent à trois tchi et à trois animaux célestes. Le cycle de ces douze animaux chinois, parmi lesquels nous avons trouvé le singe, le tigre, le rat (symbole de l’eau), le chien, l’oiseau, le serpent, et le lièvre du calendrier mexicain, donne les noms au cycle de douze ans comme à la petite période de douze jours. On se sert des douze animaux, dit le P. Gaubil[33], pour marquer les douze lunes de l’année, les douze heures du jour et de la nuit, et les douze signes célestes. Mais toutes ces divisions en douze parties désignées par différens noms, ne sont, dans l’est de l’Asie, que des divisions abstraites ou imaginaires : elles servent pour rappeler à l’esprit le mouvement du soleil dans l’écliptique ; le véritable zodiaque étoile, comme l’a très-bien observé M. Bailly[34], et comme cela est confirmé par les recherches plus récentes de MM. Jones et Colbrooke, consiste dans les vingt-huit mansions lunaires. Il est vrai qu’on dit en Chine que le soleil entre dans le singe et le lièvre, comme nous disons qu’il entre dans les gémeaux ou dans le scorpion ; mais les Chinois, les Hindoux et les Tartares ne distribuent les étoiles que d’après le système des nakchatras. La division du zodiaque en vingt-sept ou vingt-huit parties, connue depuis l’Yemen jusqu’au plateau de Turfan et à la Cochinchine, appartient, avec la petite période de sept jours, aux monumens les plus anciens de l’astronomie.

Partout où l’on observe à la fois plusieurs divisions de l’écliptique qui diffèrent, non par le nombre des cathétérismes, mais par leurs dénominations, comme les tse, les tchi et les animaux célestes des Chinois, des Tibétains et des Tartares, cette multiplicité de signes est probablement due à un mélange de plusieurs nations qui ont été subjuguées les unes par les autres. Les effets de ce mélange, ceux de l’influence exercée par les vainqueurs sur les peuples vaincus, se manifestent surtout dans la partie nord-est de l’Asie, dont les langues, malgré le grand nombre de racines mogoles et tartares qu’elles renferment, différent si essentiellement[35] entre elles, qu’elles semblent se refuser à toute classification méthodique. À mesure que l’on s’éloigne du Tibet et de l’Hindoustan, on voit s’évanouir le type uniforme des institutions civiles, celui des connoissances et du culte. Or, si les hordes de la Sibérie orientale, chez lesquelles les dogmes du Bouddhisme ont évidemment pénétré, paroissent cependant ne tenir que par de foibles liens aux peuples civilisés de l’Asie australe, pourrions-nous être surpris que, dans le nouveau continent, auprès de quelques traits d’analogie dans les traditions, dans la chronologie et le style des monumens, on découvre un si grand nombre de dissemblances frappantes ? Lorsque des peuples d’origine tartare ou mogole, transplantés sur des rives étrangères, mêlés aux hordes indigènes de l’Amérique, sont parvenus à se frayer péniblement une route vers la civilisation, leurs langues, leur mythologie, leurs divisions des temps, tout prend un caractère d’individualité qui efface, pour ainsi dire, le type primitif de leur physionomie nationale.

En effet, au lieu des cycles de soixante ans, des années divisées en douze mois et des petites périodes de sept jours, usitées chez les peuples d’Asie, nous trouvons chez les Mexicains des cycles de cinquante-deux ans, des années de dix-huit mois, dont chacun de vingt jours, des demi-décades et des demi-lunaisons de treize jours. Le système des séries périodiques, dont les termes correspondans servent à désigner les dates des jours et des années, est le même dans les deux continens ; une grande partie des signes qui composent les séries dans le calendrier mexicain, sont empruntés du zodiaque des peuples du Tibet et de la Tartarie ; mais ni leur nombre ni l’ordre dans lequel ils se succèdent, ne sont ceux que l’on observe en Asie.

Le zodiaque tartare ne commence pas, comme celui des Hindoux, par le chien qui correspond à notre signe du bélier, mais par le rat qui représente le Verseau[36]. Ce même zodiaque a en outre la particularité frappante, que les animaux célestes sont comptés contre l’ordre des signes : au lieu de placer ces derniers dans celui qui est marqué par le mouvement du soleil dans l’écliptique d’occident en orient, les Tibétains, les Chinois, les Japonnois et les Tartares, comptent les signes dans l’ordre suivant : rat ou verseau, bœuf ou capricorne, tigre ou sagittaire, lièvre ou scorpion, etc. Cette habitude bizarre a peut-être sa cause dans la circonstance que les douze constellations zodiacales, lors de leur passage par le méridien, président aux différentes heures du jouir et de la nuit. Comme elles participent au mouvement général de la sphère céleste de l’est à l’ouest, on les a rangées dans l’ordre selon lequel elles se lèvent ou se couchent les unes après les autres.

Dans le calendrier mexicain, les signes des jours, qui sont identiques avec les signes du cycle tartare, ceux du chien, du singe, du tigre ou du lièvre, sont placés de manière qu’on n’y reconnoit aucune analogie de position relative. Cipactli, que nous avons prouvé plus haut être le poisson-gazelle, est le premier catastérisme, comme le capricorne paroît l’avoir été chez les Égyptiens[37]. Il règne parmi les signes mexicains à peu près l’ordre suivant : cipactli, cohuatl, tochtli, itzcuintli, ozomatli et ocelotl ; ou, en substituant les noms de nos signes : capricorne, vierge, scorpion, bélier, gémeaux et sagittaire. Cette dissemblance dans la distribution des signes seroit-elle purement apparente, et tiendroit-elle à une cause analogue à celle qui, selon le témoignage d’Hérodote et de Dion Cassius[38], a fait nommer chez tous les peuples de l’Orient les jours de la semaine d’après les planètes, placées dans un ordre très-différent de celui que leur assigne l’astronomie des Hindoux, des Égyptiens et des Grecs ? En considérant le nombre de termes qui composent la série des heures et celle des hiéroglyphes mexicains, on reconnaît que cette hypothèse n’est pas admissible.

Nous avons développé plus haut, en parlant de l’analogie que l’on observe entre les noms de plusieurs mansions lunaires et ceux des signes du zodiaque solaire, comment l’ordre primitif des catastérismes peut être changé, lorsque des peuples, replongés dans la barbarie, cherchent, d’après une réminiscence obscure, à rétablir le système de leur chronologie. Quoique la supposition de ces changemens se présente d’elle-même, nous ne sommes cependant pas forcés de l’admettre pour expliquer la dissemblance qu’offre la position des mêmes signes dans les zodiaques tartare et mexicain. Les Hindoux conservent plusieurs divisions de l’écliptique en vingt-sept ou vingt-huit nakchatras, dont les noms sont en grande partie les mêmes, sans être placés dans le même ordre. Un monument antique, que Bianchini a fait connaître au commencement du dernier siècle, prouve qu’il existoit dans l’Orient des zodiaques solaires dans lesquels on retrouve les catastérismes tartares du cheval, du chien, du lièvre, du dragon et de l’oiseau, rangés de manière que le chien répond au taureau, et non au bélier du zodiaque grec, et que le chien et le lièvre sont séparés non par quatre, mais seulement par deux signes. Or, si dans l’Asie les mêmes nakchatras et les mêmes dodécatémorions n’ont pas toujours suivi le même ordre dans les différens zodiaques lunaires et solaires, il ne faut pas être surpris de la transposition des signes que nous observons dans le cycle des hiéroglyphes du jour chez les Mexicains. Il se pourroit même que cette transposition fût purement apparente, et qu’elle nous parût réelle, parce que nous ne pouvons comparer le calendrier toltèque et mexicain qu’aux cycles que nous trouvons aujourd’hui chez les Tartares et les Tibétains. Peut-être d’autres peuples de l’Asie orientale ont-ils communiqué leur zodiaque à ces hordes guerrières qui, depuis le septième siècle, ont inondé le Mexique. Peut-être, en parcourant le plateau de l’Asie centrale, en examinant plus attentivement les restes de civilisation conservés dans la petite Bukharie, au Turfan, on près des ruines de Karacorum, l’ancienne capitale de l’empire des Monghols, les voyageurs découvriront-ils un jour cette même série de signes que renferme le zodiaque des Mexicains.

Le monument astronomique dont Bianchini adressa un dessin à l’Académie, est un fragment de marbre conservé au Vatican, et trouvé à Rome en 1705. Nous nous proposons ici de l’examiner avec un soin particulier, parce qu’il nous paroît propre à jeter du jour sur les divisions de l’écliptique, usitées au Mexique et dans l’Asie orientale. Il offre, dans cinq zones concentriques, les figures des planètes, les decans, les catastérismes du zodiaque grec, répétés deux fois, et les signes d’un autre zodiaque qui à la plus grande analogie avec celui des peuples tartares. On peut être surpris que Fontenelle, Bailly, Dupuis et d’autres savans qui ont écrit sur l’origine des zodiaques, aient pris ce bas-relief pour un ouvrage égyptien[39]. D’après l’observation d’un savant illustre, M. Visconti, le style des figures qui représentent les planètes prouve évidemment qu’il a été sculpté du temps des Césars. On reconnaît, dans ce monument mutilé, parmi les signes de la zone intérieure, un cheval, une écrevisse, un serpent, un chien qui tient un peu du loup, un lièvre, deux oiseaux dont un paroît placé vis-à-vis d’un serpent, et deux quadrupèdes, l’un à longue queue, et l’autre à cornes de chèvre. Comme les catastérismes du zodiaque grec sont rapprochés un à un de ceux du zodiaque inconnu, on voit que le cheval et le lièvre répondent, comme dans les dodécatémorions tartares, à nos signes du lion et du scorpion. Le tableau suivant présente l’ordre dans lequel les catastérismes se trouvent placés dans le planisphère de Bianchini. J’ai ajouté les signes du cycle tartare dont nous avons trouvé des vestiges chez les peuples du nouveau continent.

ZODIAQUE DE BIANCHINI. CYCLE TARTARE.
zone extérieure. zone intérieure.
Sagittaire. Oiseau. Tigre.
Scorpion. Lièvre. Lièvre.
Balance. Chèvre. Dragon.
Vierge. Animal à longue queue. Serpent.
Lion. Cheval. Cheval.
Cancer. Cancer. Brebis.
Gémeaux. Serpent. Singe.
Taureau. Chien ou loup. Poule.
Bélier. Oiseau. Chien.
Poisson.. Cochon.
Verseau.. Rat.
Capricorne.. Bœuf.

On a imprimé en italique les noms des animaux qui sont trop mutilés pour qu’on les reconnaisse avec certitude : on a distingué de la même manière les catastérismes de la sphère grecque qui manquent entièrement, mais qu’il est facile de suppléer. J’ai rangé ces derniers, contre l’ordre des signes, d’après l’usage des peuples tartares. Il est assez remarquable que, dans ce monument curieux, les planètes et les decans, dont les derniers seuls sont figurés dans le style égyptien avec des têtes ou des masques d’animaux, se trouvent placés dans des directions contraires. Quoique, dans les deux zones qui représentent le zodiaque grec, il y ait quatre signes répétés sous les mêmes formes, on ne peut en conclure que les autres étoient également identiques. Il seroit surtout à désirer que les gémeaux et Pan ou le capricorne eussent été conservés dans les deux zones ; car le sculpteur paroît avoir eu l’intention de réunir les zodiaques de différens peuples, et les formes hétérogènes[40] données aux mêmes catastérismes chez les Chaldéens, les Égyptiens et les Grecs. Les gémeaux sont représentés par deux figures que M. Bailly a crues être de sexe différent, et dont l’une tient une massue et l’autre une lyre. C’est sous cette même forme que ce signe est décrit dans l’Astronomicon d’Hygin[41] ; c’est ainsi qu’il est désigné dans des vers sanscrits du poête Sripeti : « le couple, mithouna, dit cet auteur hindou, est formé d’une fille qui joue du vina, et d’un jeune homme qui brandit une massue[42]. »

Le zodiaque intérieur ne renferme, comme celui des Tibétains, des Chinois et des Tartares, que des animaux, de vrais ζώδια. Dans la sphère grecque, la moitié des signes est formée d’animaux que l’on retrouve dans la nature ; l’autre moitié est composée de figures humaines et d’êtres fabuleux ou allégoriques. La balance, ζυγός ou λίτρα, est tenue tantôt par les pinces χηλαί du scorpion[43], tantôt par une figure mâle, comme dans le planisphère de Bianchini et dans le zodiaque indien, tantôt par la vierge qui, dans ce cas, prend le nom d’Astrée ou de Δίχη. Les signes des mansions lunaires, ou les hiéroglyphes des jours du calendrier mexicain, présentent à la

fois des animaux et des objels inanimés. Si l’on adopte l’idée ingénieuse de M. Hager, d’après laquelle la pierre sacrée, rapportée par Michaux des bords du Tigre, est un ancien zodiaque, on reconnaîtra que, chez les Chaldéens, la série des véritables ζώδια étoit aussi interrompue par des autels, des tours et des maisons[44]. Ce dernier fait favorise l’hypothèse que les dodécatémorions doivent leur origine aux maisons ou hôtelleries lunaires. La même pierre semble offrir une autre analogie. Dans le cycle tartare, le tigre correspond au sagittaire, indiqué souvent par une simple flèche. Dans le zodiaque décrit par M. Hager, on reconnaît, outre le loup ou chien marron, et le capricorne ou poisson-gazelle, une flèche qui représente le fleuve du Tigre. Cette analogie est purement accidentelle, car le nom du fleuve n’a rien de commun avec celui que porte l’animal tigre dans les langues de l’Orient.

Lorsqu’on se rappelle que le zodiaque qui renferme un chien, un lièvre et un singe, appartient exclusivement à l’Asie orientale, et que de là il a vraisemblablement passé en Amérique, on est surpris de voir qu’on en ait eu connaissance à Rome dans les premiers siècles de notre ère, époque à laquelle le planisphère de Bianchini a été sculpté. Les astrologues ou Chaldéens, établis en Grèce et en Italie, communiquoient sans doute avec ceux de l’Asie : ces communications dévoient être d’autant plus fréquentes et plus étendues, que l’astrologie étoit plus en vogue chez le peuple et à la cour des Césars. Sur huit signes qui sont reconnaissables dans le planisphère de Bianchini, il n’y en a qu’un seul, le cancer, qui n’appartienne pas au zodiaque tartare. Le lièvre qui se trouve chez les Tibétains et les Mexicains, est un peu haut de jambes, mais sa place dans le scorpion le caractérise suffisamment. J’ignore pourquoi M. Bailly a pris le chien ou le loup pour un cochon. Ce dernier animal se trouve cependant aussi dans le zodiaque tartare ; il correspond au signe des poissons de la sphère grecque ; et, ce qui est très-remarquable, dans les planisphères du temple de Tentyra on voit deux fois, près de ce même signe[45], une figure qui tient un cochon dans sa main. Le monument décrit par Bianchini est d’autant plus intéressant que, dans aucun ouvrage d’astronomie, grec ou latin, pas même dans les Saturnales de Macrobius, écrites du temps de Théodose, on ne reconnaît les traces de ce cycle d’animaux, dont les Monghols et d’autres hordes tartares qui ont dévasté l’Europe, ont fait, sans doute, usage dans leur chronologie, et que nous n’avons cependant appris à bien connaître que par nos communications avec la Chine et le Japon. Il est étrange que l’éloquent historien de l’Académie, Fontenelle, n’ait pas reconnu que les rêveries astrologiques sont intimement liées aux premières notions de l’astronomie, et qu’elles peuvent servir à répandre du jour sur les anciennes communications des peuples. « Le monument, dit-il, sur lequel Bianchini a désiré des renseignemens, appartient à l’histoire des folies des hommes, et l’Académie a quelque chose de mieux à faire que de s’occuper de ce genre de recherches. »

En réunissant maintenant ce que nous avons exposé sur les différentes divisions de l’écliptique, et sur les signes qui président, dans les deux continens, aux années, aux mois, aux jours et aux heures, nous trouvons les résultats suivans. Chez les peuples qui ont fixé leur attention sur la voûte étoilée du ciel, le zodiaque lunaire, divisé en vingt-sept ou vingt-huit mansions, est plus ancien que le zodiaque en douze parties ; ce dernier, qui n’a d’abord été qu’un zodiaque des pleines lunes, est devenu plus tard un zodiaque solaire. Les noms des mois sont tantôt choisis parmi les mansions lunaires, comme chez les Hindoux ; tantôt ils sont ceux des dodécatémorions, comme dans l’année dionysienne. On dit encore, sur les rives du Gange : les mois Flèche, Maison ou Tête d’Antilope ; comme, du temps de Ptolémée Philadelphe, on disoit à Alexandrie : les mois Didymon, Parthenon et Aegon, mois des gémeaux, de la vierge et du capricorne[46]. Une liaison intime s’observe entre les noms des dodécatémorions et ceux des nakchatras : chez plusieurs peuples, les derniers ont passé aux jours lunaires. Outre la division réelle de l’écliptique qui est une zone du ciel étoilé, il existe encore, et surtout dans l’Asie orientale, des divisions du temps que le soleil emploie pour revenir à peu près aux mêmes étoiles ou au même point de l’horizon. Ces cycles, composés généralement de douze ou de vingt-quatre parties, d’après le nombre des lunaisons ou demi-lunaisons écoulées, appartiennent plutôt à la chronologie qu’à l’astrognosie ; ils ne présentent qu’une division idéale de l’écliptique, dont chaque partie prend un nom et un signe particulier. Tels sont les animaux tartares, les tse et les tsieki des Chinois. Ces signes, qui ne mesurent que le temps et qui subdivisent les saisons, peuvent être inventés chez des peuples qui ne fixent point leur attention sur les étoiles. On auroit pu trouver un véritable zodiaque composé de douze signes qui président aux mois, et, par l’artifice des séries périodiques, aux années, aux jours et aux heures, dans la région basse du Pérou, là même où une couche épaisse de vapeurs dérobe aux habitans la vue des étoiles, sans leur cacher les disques de la lune et du soleil. Les signes du zodiaque idéal, dont la révolution complète (le cercle, annulus) forme une année, (annus, ἐνιαυτὸς), passent facilement aux constellations mêmes : dès lors, la division du temps devient une division de l’espace.

Nous ne discuterons point si le zodiaque des Hindoux, des Chaldéens, des Égyptiens et des Grecs, n’a point aussi été originairement un cycle[47], dont les signes désignoient les variations du climat dans un pays sujet à des inondations périodiques. L’inégale étendue qu’occupent la vierge et le cancer, et le manque de liaison[48] que l’on observe entre les figures des dodécatémorions et les constellations extrazodiacales, semblent donner quelque probabilité à cette supposition. Nous voyons, en effet, qu’il est des peuples qui emploient à la fois plusieurs divisions de l’écliptique, et que les signes qui, chez une nation, appartiennent à des constellations, ne sont chez une autre que des divisions du temps. Peut-être existoit-il jadis quelque région de l’Asie dans laquelle le cycle tartare des animaux célestes que Bailly regarde comme le plus ancien des zodiaques, tandis que Dupuis[49] s’efforce à le faire passer pour une table des paranatellons, étoit une division réelle des étoiles placées dans l’écliptique. Pour bien saisir les rapports qui, dès les temps les plus reculés, se sont formés entre les peuples des deux continens, il ne faut pas perdre de vue la liaison intime qui existe entre le zodiaque imaginaire et le zodiaque réel, entre les cycles et les constellations de l’écliptique, entre les mansions et les divisions de l’orbite solaire.

Ce sont ces mêmes considérations sur le développement progressif de l’astrognosie, qui nous empêchent de décider si les hiéroglyphes des jours et des années du calendrier toltèque et aztèque, comme les tse et les tchi chinois, n’appartiennent qu’à un zodiaque imaginaire ou fictif, ou s’ils désignent des constellations zodiacales. Nous avons déjà observé plus haut que les grandes roues qui représentent le cycle de cinquante-deux ans, étoient entourées d’un serpent qui se mordoit la queue, et dont les quatre replis marquoient les quatre indictions. Les hiéroglyphes étant disposes par séries périodiques de quatre termes, et les intervalles qui séparent un repli de l’autre renfermant douze années, chaque nœud du serpent correspondoit à un autre signe. Je pense que ces quatre nœuds, désignés par les catastérismes lapin, canne, silex et maisonn, faisoient allusion aux points des solstices et des équinoxes, ou à l’intersection des colures avec l’écliptique. La plus ancienne division du zodiaque, dit Albategnius[50], est celle en quatre parties. En effet, dans la première année du grand cycle des jours, matlactli tochtli (10 lapin), chicuei acatl (8 canne), chicome calli (7 maison), et matlactli tecpactl (11 silex), répondoient aux 22 décembre, 22 mars, 20 juin et 23 septembre. Ces jours s’éloignent très-peu des équinoxes et des solstices ; et, comme l’année mexicaine commençoit au solstice d’hiver, de même que l’année des Chinois, il est assez naturel que, dans la série périodique des signes des années, le premier terme soit tochtli, quoique, dans la série des vingt signes des jours, tochtli soit précédé par calli.

Nous savons en outre, par les notions que Siguenza a puisées dans les ouvrages d’Ixtlilxochitl, que les quatre replis du serpent et les quatre catastérismes qui leur appartiennent indiquoient les quatre saisons, les quatre élémens et les points cardinaux. La terre étoit dédiée au lapin, et l’eau à la canne ; en traitant plus haut des signes de la nuit, nous avons vu que Tepeyollotli, une des divinités qui habitent les cavernes, et Cinteotl, la déesse des moissons, accompagnent les signes diurnes lapin et canne. Le sens de ces allégories est trop clair pour qu’elles aient besoin d’explication. Les quatre signes des équinoxes et des solstices, choisis dans une série de vingt signes, rappellent en outre les quatre étoiles royales, Aldebaran, Regulus, Antares et Fomahault, célèbres dans toute l’Asie, et présidant aux saisons[51]. Dans le nouveau continent, les indictions du cycle de cinquante-deux ans forment, pour ainsi dire, les quatre saisons de la grande année, et les astrologues mexicains se plaisoient à voir présider chaque période de treize ans par un des quatre signes équinoxiaux ou solsticiaux.

Quoique, dans toutes les parties de l’Empire mexicain, on se servît des mêmes signes, et qu’on les rangeât dans le même ordre, on observe cependant quelque différence dans le choix du signe solsticial et équinoxial placé à la tête du xiuhmolpilli, ou ligature des années. Les habitans de Tezcuco commençoient la grande année par acatl ; ceux de Téotihuacan, par calli les Toltèques, par tecpatl. On a révoqué en doute si, chez ces mêmes peuples, malgré la différence que nous venons d’indiquer, le premier jour de l’an eut constamment le signe cipactli : mais les fragmens de leurs annales historiques, conservés dans le musée de Boturini et dans la collection du père Pichardo, à Mexico, semblent indiquer que la variété des dates provient de l’époque à laquelle se faisoit l’intercalation des treize jours, et non de la différente manière de marquer le commencement du cycle.

Nous ignorons si les vingt signes des jours mexicains sont les restes d’une ancienne division du zodiaque en vingt-huit mansions lunaires, on si, avec les quatre signes de la nuit, dont les noms ne se retrouvent pas parmi ceux des jours, ils ont formé anciennement vingt-quatre catastérismes, comme les tsieki du zodiaque chinois. Peut-être avoit-on placé entre les quatre signes équinoxiaux et solsticiaux un nombre égal de signes ; peut-être le nombre de vingt ne dérive-t-il que d’une division de l’hémisphère visible en dix parties. Il est certain que cette même division a engagé les Mexicains à partager en dix-huit mois l’année de trois cent soixante jours ; et qu’elle est devenue la base d’un système dont nous ne trouvons aucun vestige dans l’ancien continent. J’incline à croire cependant que la division en dix-huit mois de vingt jours est postérieure à une autre en douze lunes de trente jours ; car la méthode de faire présider chaque jour par un signe du zodiaque, et de déterminer le nombre des mois par le retour des séries périodiques, a dû se présenter plus tard que l’idée plus simple de diviser l’année d’après le nombre des lunaisons qu’elle renferme. Quoiqu’en Asie il existe des divisions de l’écliptique en vingt-quatre tsieki[52] et en trente-six decans, ces divisions n’y ont pourtant pas donné lieu à des années de dix ou de quinze mois ; et si l’antiquité nous en offre de quatre, de six ou de vingt-quatre mois, ces divisions ne tiennent pas à l’usage des séries périodiques, comme les dix-huit mois de l’année mexicaine, mais à l’importance attachée aux points équinoxiaux et solsticiaux, aux cycles de soixante jours, et à la durée des demi-lunaisons.

Nous avons rappelé plus haut que l’année mexicaine, comme celle des Égyptiens et des Perses, étoit composée de trois cent soixante purs, auxquels on ajoutoit cinq jours épagomènes furtifs (musteraka), ou inutiles (uemontemi). Si les Mexicains n’avoient pas connu l’excès de la durée d’une révolution du soleil sur trois cent soixante-cinq jours, le commencement de leur année, comme celui de l’année vague des Égyptiens, auroit passé, à peu près en quatorze cent soixante ans, par toutes les saisons ou par tous les points de l’écliptique. Quatre siècles s’étoient écoulés depuis la réforme du calendrier mexicain, en 1091, jusqu’à l’arrivée des Espagnols. Les écrivains de ce temps affirment tous, qu’à cette époque, le calendrier des Européens coïncidoit, à peu de jours près, avec le calendrier aztèque : le calcul exact des éclipses de soleil marquées dans les annales mexicaines, a même rendu probable que la différence observée entre les deux calendriers provenait en entier de ce que le nôtre n’avoit pas encore subi la correction grégorienne. Examinons maintenant quel étoit le mode d’intercalation par lequel les Mexicains parvenoient à éviter les erreurs de leur chronologie.

L’année mexicaine étant solaire et non lunaire, le mode d’intercalation pouvoit être d’une bien plus grande simplicité que celui employé par les Grecs et les Romains, avant l’introduction du Merkidinus. En jetant un coup d’œil général sur les intercala lions usitées chez différens peuples, nous voyons que les uns laissent s’accumuler les heures jusqu’à ce qu’elles forment un jour entier, tandis que d’autres négligent L’intercalation jusqu’à ce que les heures excédantes forment une période qui égale une des grandes divisions de leur année. Le premier mode d’intercalation est celui de l’année julienne ; le second est celui des anciens Perses, qui ajoutaient, tous les cent vingt ans, à une année de douze mois, un mois entier de trente jours, et de manière que le mois intercalaire parcourut toute l’année en 12 x 120, ou quatorze cent quarante ans[53]. Les Mexicains ont évidemment suivi le système des Perses : ils conservoient l’année vague jusqu’à ce que les heures excédantes formassent une demi-lunaison ; ils intercaloient, par conséquent, treize jours toutes les ligatures ou cycles de cinquante-deux ans. Il en résultait, comme nous l’avons observé plus haut, que chaque ligature renfermoit 18993/13 ou quatorze cent soixante-une petites périodes de treize jours. L’année mexicaine commençoit la première année de xiuhmolpilli, le jour qui correspond au 9 janvier du calendrier grégorien. La cinquième, la neuvième et la treizième année du cycle, le premier jour de l’an étoit le 8, le 7 et le 6 janvier : à chaque année du signe tochtli, les Mexicains perdoient un jour ; et, par l’effet de cette rétrogradation, l’année calli de la quatrième indiction commençoit le 27 décembre, et finissoit au solstice d’hiver, le 21 décembre, en ne faisant pas entrer en ligne de compte les cinq jours inutiles ou complémentaires. Il en résulte que le dernier des nemontemi, appelé cohuatl (serpent), et regardé comme le jour le plus malheureux, parce qu’il n’appartient à aucune période de treize jours, tombe à la fin du cycle sur le 26 décembre, et que treize jours intercalaires ramènent le commencement de l’année au 9 janvier. Pour rendre plus clair ce que nous venons d’exposer, nous ajouterons ici le tableau des derniers vingt-cinq jours de la première année d’un cycle.

CALENDRIER
GRÉGORIEN.
TONALPOHUALLI METZLAPOUHUALLI.
série de treize nombres
et de
vingt signes du jour.
série de neuf signes
de la nuit
.
DÉCEMBRE DE L’ANNÉE 1091.
15 ATEMOZTLI DE L’ANNÉE 2 ACATL.
1 27e. PÉRIODE DE 13 JOURS.
3 Cipactli. Tepeyollotli.
16 2 4 Ehecatl. Quiahuitl.
17 3 5 Calli. Tletl.
18 4 6 Cuetzpaliu. Tecpatl.
19 5 7 Cohuatl. Xochitl.
20 6 8 Miquiztli. Cinteotl.
21 7 9 Mazatl. Miquiztli.
22 8 10 Tochtli. Atl.
23 9 11 Atl. Tlazolteotl.
24 10 12 Itzcuintli. Tepeyollotli.
25 11 13 Ozomatli. Quiahuitl.
26 12 28e. PÉRIODE DE 13 JOURS.
1 Malinalli. Tletl.
27 13 2 Acatl. Tecpatl.
28 14 3 Ocelotl. Xochitl.
29 15 4 Quauhtli. Cinteotl.
30 16 5 Cozcaquauhtli. Miquiztli.
31 17 6 Ollin. Atl.
JANVIER DE L’ANNÉE 1092.
1 18 7 Tecpactl. Tlazolteotl.
2 19 8 Quiahuitl. Tepeyollotli.
3 20 9 Xochitl. Quiahuitl.
4 NEMONTEMI.
1 10 Cipactli.
5 2 11 Ehecatl.
6 3 12 Calli.
7 4 13 Cuelzpalin.
8 5 1 Cohuatl.
9 TITITL
.de l’année de 3 tecpatl.
1 1. re PÉR. DE 13 J.
1 Cipactli. Tletl.
10 2 2 Ehecatl. Tecpatl
11 3 3 Calli. Xochitl.
12 4 4 Cuetzpalin. Cinteotl.
13 5 5 Cohuatl. Miquiztli.
14 6 6 Miquiztli. Atl.
15 7 7 Mazatl. Tlazolteotl.

L’intercalation de treize jours donnoit lieu à la grande fête séculaire appelée xiuhmolpia ou toxiuhmolpilia (ligature de nos années), et décrite par tous les historiens de la conquête. Les Mexicains croyoient, d’après une prédiction très-ancienne, que la fin du monde arriveront à la fin d’un cycle de cinquante-deux ans ; que le soleil ne reparoîtroit plus sur l’horizon, et que les hommes seroient dévorés par des génies malfaisans et d’une figure hideuse, connus sous le nom de Tzitzimimes. Cette croyance tenoit sans doute à la tradition toltèque des quatre âges, d’après laquelle la terre avoit déjà subi quatre grandes révolutions, dont trois étoient arrivées à la fin d’un cycle. Le peuple passoit dans une profonde consternation les cinq jours épagomènes qui précédoient le xiuhmolpia : le cinquième jour, le feu sacré étoit éteint dans les temples, par ordre du teoteuctli, ou grand-prêtre : dans les couvens, dont le nombre étoit aussi considérable à Ténochtitlan qu’il l’est depuis les temps les plus reculés au Tibet et au Japon, les religieux ou tlamacazquis se livroient à la prière : à l’approche de la nuit, personne n’osoit allumer du feu dans sa maison ; on brisoit les vases d’argile, on déchiroit ses habits, on détruisoit ce qu’on possèdent de plus précieux, parce que tout paroissoit inutile au moment terrible du dernier jour. Par une superstition bizarre, les femmes enceintes devenoient des objets d’épouvante pour les hommes : on leur cachoit la figure sous des masques faits de papier d’agave : on les enfermoit même dans les magasins de maïs, parce qu’on étoit persuadé que si le cataclysme avoit lieu, les femmes transformées en tigres se joindroient aux génies malfaisans (tzitzimimes) pour se venger de l’injustice des hommes[54].

C’étoit dans la soirée du dernier jour des nemontemi, qui est présidé par le signe du serpent, que commençoit la fête du feu nouveau. Les prêtres prenoient les vêtemens de leurs dieux ; et, suivis d’une immense foule de peuple, ils alloient, en procession solennelle, à la montagne de Huixachtecatl[55], située à deux lieues de Mexico, entre Iztapallapan et Culhuacan. Cette marche lugubre s’appeloit la marche des dieux, teonenemi ; dénomination qui rappeloit aux Mexicains que les dieux quittoient leur ville, et que peut-être ils ne les reverroient plus. Lorsqu’on étoit arrivé à la cime de la montagne porphyrique de Huixachtecatl, on attendoit l’instant où les Pléiades occupoient le milieu du ciel, pour commencer l’épouvantable sacrifice dont nous avons parlé plus haut[56], et qui est représenté Planche xv, no 8. Le cadavre de la victime restoit étendu sur la terre, et l’instrument dont on se servoit pour allumer le feu par frottement ( πυρεἶα chez les Grecs, tletlaxoni chez les Mexicains) étoit placé dans la plaie même que le prêtre de Copulco, armé d’un couteau d’obsidienne avoit faite dans la poitrine du prisonnier destiné au sacrifice. Lorsque les parcelles de bois (la harina del palillo), détachées par le frottement rapide du cylindre, avoient pris feu, on allumoit un énorme bûcher qui avoit été préparé d’avance pour recevoir le corps de la malheureuse victime. Le peuple jetoit des cris de joie ; la lueur du bûcher pouvoit être vue dans une grande partie de la vallée de Mexico, à cause de la hauteur de la montagne sur laquelle se faisoit cette sanglante cérémonie. Tous ceux qui n’avoient pu suivre la procession étoient placés sur les terrasses des maisons, sur les sommets des téocallis, sur les collines qui s’élèvent au milieu du lac, les jeux fixés sur le lieu où devoit paroître la flamme, présage certain de la bienveillance des dieux et de la conservation du genre humain pendant le cours d’un cycle nouveau. Des messagers, postés de distance en distance, et tenant des torches de bois de pin très-résineux, portoient le feu nouveau de village en village, jusqu’à la distance de quinze ou vingt lieues ; on le déposoit partout dans les temples, d’où il étoit distribué dans les maisons des particuliers. Lorsqu’on voyoit le soleil se lever sur l’horizon, l’allégresse redoublait, la procession retournait de la montagne d’Iztapalapan à la ville, et le peuple croyoit voir rentrer ses dieux dans leur sanctuaire. Alors les femmes sortoient de leur prison : on se paroit de nouveaux habits, et l’on employait les treize jours intercalaires à nettoyer les temples, à blanchir les murs, et à renouveler les meubles, la vaisselle et tout ce qui sert à la vie domestique.

Cette fête séculaire, cette crainte de voir le cinquième soleil s’éteindre à l’époque du solstice d’hiver, semble offrir un nouveau trait d’analogie entre les Mexicains et les habitans de l’Égypte. Achilles Tatius[57], dans son commentaire sur Aratus, nous a conservé la notice suivante, que Scaliger croit être empruntée de l’Octaétéride d’Eudoxe : « Les Égyptiens, lorsqu’ils voyoient descendre le soleil du cancer vers le capricorne, et que les jours se raccourcissoient de plus en plus, avoient coutume de gémir, craignant que le soleil ne les abandonnât entièrement. Cette époque coïncidoit avec la fête d’Isis : mais quand l’astre commençoit à se montrer de nouveau, et que la durée des jours devenoit plus grande, ils mettoient des habits blancs et se couronnoient de fleurs (λευχειμονήσαντες έςτεφανηφόρησαν). » En lisant ce passage d’Achilles Tatius, on croit lire ce que Gomera et Torquemada rapportent de la fête du jubilé mexicain : de même[58] que, dans l’ouvrage de Sextus Empiricus[59] contre les astrologues, on trouve pour ainsi dire décrite la figure symbolique[60] que nous avons fait représenter Planche xv, d’après le manuscrit conservé à Veletri. Chez tous les peuples de la terre, les idées superstitieuses prennent la même forme au commencement et au déclin de la civilisation, et c’est à cause de cette analogie qu’il est difficile de distinguer ce qui a été communiqué de nation à nation, et ce que les hommes ont puisé dans une source intérieure.

En parlant de la fête séculaire, le père Torquemada désigne l’instant du sacrifice d’une manière très-précise en apparence, mais qui renferme une contradiction réelle : « Lorsque la procession, dit-il[61], arrivoit à la montagne d’Huixachtecalt, les prêtres attendoient qu’il fût minuit, ce qu’ils reconnoissoient par la position des Pléiades, qui, à cette heure, étoient montées au milieu du ciel (estavan encumbradas en medio del cielo) : car le temps du jubilé ou de la fête séculaire étoit venu quand ces étoiles se levoient au commencement de la nuit ; ce qui, pour l’horizon du Mexique, est généralement au mois de décembre. » L’expression « lorsque les Pléiades se trouvent au milieu du ciel » signifie sans doute le passage de ces étoiles par le méridien, ou, ce qui est à peu près la même chose pour la latitude de Mexico, leur passage par le zénith. Or, la dernière fête séculaire fut célébrée dans la sixième année du règne de Montezuma, et, à cette époque, la culmination des Pléiades avoit lieu à minuit, en tenant compte de la précession des équinoxes, non au mois de décembre, mais le 8 novembre. Le 26 décembre, cette constellation se levoit déjà 3 h 23 avant le coucher du soleil, et son passage par le méridien étoit à 8 h 53 du soir. Ces circonstances sont naturellement les mêmes pour tous les lieux de la terre où l’on pourroit supposer que le calendrier mexicain a été formé ; et si l’on remonte au premier sacrifice célébré à Tlalixco en 1091, ou aux migrations des Toltèques dans le sixième siècle de notre ère, on trouve que, vers le solstice d’hiver, par l’effet de la précession des équinoxes, la culmination des Pléiades se rapproche davantage du coucher du soleil. Il est probable que les expressions « au moment de minuit, » et « au milieu du ciel, » ne doivent pas être prises dans un sens très-précis. Le père Torquemada parle en général d’une manière si confuse du système de la chronologie des Mexicains, qu’on peut supposer qu’il a mal entendu presque tout ce que les Indiens lui ont rapporté des phénomènes astronomiques. Après avoir dit formellement que le cycle, et par conséquent l’année, finissoit au mois de décembre, il admet que le premier jour de l’an est le 1er février ; et il ajoute qu’au solstice d’hiver, le soleil arrive à Mexico au point le plus élevé de sa course. Torquemada a réuni, avec la plus scrupuleuse exactitude, des noms, des traditions et des faits isolés : mais, dépourvu de toute critique, il se contredit lui-même chaque fois qu’il essaie à combiner ces faits, ou à juger de leurs rapports mutuels. Comme les Mexicains ne connoissoient pas l’usage des clepsydres, qui sont très-anciens[62] en Chaldée et à la Chine, ils ne pouvoient pas indiquer avec précision le moment de minuit. D’ailleurs, le coucher cosmique des Pléiades étoit aussi regardé, dans toute l’Asie, comme une indication du commencement de l’hiver[63]. On chercheroit en vain une exactitude rigoureuse dans des traditions populaires, qui peut-être avoient pris naissance dans des régions plus boréales, où le froid se fait sentir un mois avant le solstice.

Ce que nous venons de dire sur la constellation des Pléiades suffit d’ailleurs pour prouver combien quelques auteurs ont eu tort de regarder comme incertain si l’année commençoit vers l’équinoxe du printemps, ou vers le solstice d’hiver. Plus on s’éloigne de l’époque du 5 novembre, jour du lever acronique des Pléiades, moins il est possible qu’au milieu de la nuit où se faisoit le sacrifice séculaire, les Mexicains aient vu cette constellation près du zénith[64]. Cependant Torquemada, Léon et Betancourt ont cru que l’année commençoit le 1er ou le 2 février ; Acosta et Clavigero, le 26 du même mois ; Valadès et Alva Ixtlilxochitl, le 1er et le 20 mars ; Gemelli et Veytia, le 10 avril. Au seizième siècle, la culmination des Pléiades avoit lieu le jour de l’équinoxe du printemps, 3 h 8 avant le coucher du soleil. Il est vrai que, d’après une ancienne tradition[65], la disparition de cette constellation au lever du soleil marquoit jadis le jour de l’équinoxe d’automne, ce qui suppose une observation faite trois mille ans avant notre ère : mais noas ne saurions admettre que les Mexicains avoient reçu leur chronologie d’un peuple qui commençoit l’année à l’entrée de l’automne. La concordance des dates, plusieurs phénomènes astronomiques, le témoignage des auteurs espagnols, qui ont accumulé des matériaux sans connaître le véritable système du calendrier, tout parle pour le système de Gama. Je me contenterai de citer ici une seule de ces preuves. L’historiographe indien, Christoval del Castillo, dans un ouvrage manuscrit[66] écrit en mexicain et conservé à Mexico, affirme que les cinq jours complémentaires étoient ajoutés à la fin du mois Atemoztli, qui correspondoit, d’après le témoignage unanime des auteurs indiens et espagnols, à notre mois de décembre. Torquemada dit en outre que la troisième fête du dieu de l’eau étoit célébrée au solstice d’hiver, qui a lieu vers la fin d’Atemoztli, et que le cycle finit au mois de décembre. Toutes ces circonstances s’accordent à placer les jours intercalaires peu de temps après le solstice d’hiver. La crainte de voir s’éteindre ou s’éloigner l’astre du jour, les idées de deuil et de joie exprimées dans la fête séculaire, se rapportent aussi bien mieux à l’époque de l’accourcissement des jours qu’à celle de l’équinoxe. Il est vrai que c’étoit à l’entrée du printemps, qu’à Rome le pontife prenoit le feu nouveau sur l’autel de Vesta, et que les Perses célébroient les grandes fêtes du Neurouz : mais les motifs[67] de ces fêtes étoient diffèrens de ceux qui guidoient les Mexicains et les Égyptiens dans les fêtes solsticiales et isiaques.

J’ai exposé le système de l’intercalation, tel qu’on le voit indiqué dans les manuscrits mexicains, tel que l’ont adopté Siguenza, Clavigero, Carli, et long-temps avant eux, Boulanger et Freret. D’après ce système, la longueur de l’année est supposée de 365j,25 : d’où il résulte que, depuis la réforme du calendrier en 1091 jusqu’à l’arrivée des Espagnols, les Mexicains auroient dû se trouver en erreur de plus de trois jours. Or, les recherches que Gama a faites sur les éclipses de soleil du 23 février 1477 et du 7 juin 1481, qui sont indiquées dans les annales hiéroglyphiques, sur plusieurs époques mémorables de la conquête, et sur les jours où, d’après les fastes mexicains, le soleil passe par le zénith de Ténochtitlan, semblent prouver que cette erreur de trois jours n’avoit pas lieu, et qu’au commencement du seizième siècle, comme nous l’avons observé plus haut, les dates du calendrier aztèque correspondoient mieux avec les jours des solstices et des équinoxes, que celles du calendrier espagnol.

Sans connaître la longueur exacte de l’année, les Mexicains auroient pu rectifier de temps en temps leur calendrier, à mesure que des observations gnomoniques les avertissoient que, dans la première année du cycle, les équinoxes du printemps et de l’automne s’éloignoient de quelques jours du 7 malinalli et du 9 cozcaquauhtli. Les Péruviens du Couzco, dont l’année étoit lunaire, régloient leur intercalation, non d’après l’ombre des gnomons, qu’ils mesuroient d’ailleurs très-assidûment, mais d’après des marques placées dans l’horizon pour désigner les points où le soleil se levoit et se couchoit le jour des solstices et des équinoxes. Une intercalation périodique et exacte, comme celle que les Persans ont connue depuis le onzième siècle, est sans doute préférable à ces changemens brusques que l’on désigne sous le nom de réformes du calendrier ; mais une nation qui, depuis des siècles, emploieront un mode d’irtercalation très-imparfait, pourroit cependant conserver l’accord entre son calendrier et celui des peuples les plus policés, si, conduite par l’observation directe des phénomènes célestes, elle changeait de temps en temps le commencement de son année. L’histoire mexicaine, dans ses annales, n’offre aucune trace de ces changemens brusques ou de ces intercalations extraordinaires. Depuis l’époque célèbre du sacrifice de Tlalixco, le calendrier n’avoit subi aucune réforme ; l’intercalation se fit uniformément à la fin de chaque cycle ; et, pour expliquer comment quatre siècles n’avoient pas suffi pour produire une erreur sensible dans la chronologie, M. Gama admet que les Mexicains n’intercaloient que vingt-cinq jours tous les cycles de cent quatre anscehuchuetiliztli, ou douze jours et demi à la fin de chaque cycle de cinquante-deux ans, ce qui fixe la durée de l’année à 565j,240. Il croit pouvoir conclure du récit même des historiens du seizième siècle, que la fête séculaire se célébroit alternativement le jour et la nuit, et que, si les années d’un cycle commençoient toutes à minuit, celles d’un autre commençoient toutes à midi. Ne pouvant pas examiner les ouvrages écrits en langue mexicaine, je ne suis point en état de prononcer sur la justesse des idées de M. Gama. Les raisons qu’il allègue dans sa dissertation sur les monumens découverts en 1790, ne me paroissent plus aussi concluantes que je les ai crues autrefois, avant d’avoir pu faire une étude approfondie du calendrier mexicain. Lorsque ses héritiers auront obtenu les moyens de faire imprimer son traité de Chronologie toltèque et aztèque, il sera plus facile de juger du vrai nombre des jours intercalaires. Les travaux astronomiques de Gama, dont nous avons eu occasion de vérifier l’exactitude, doivent d’ailleurs inspirer beaucoup de confiance, et il est probable qu’un savant qui a eu la patience de calculer, pour le parallèle de l’ancien Ténochlitlan, d’après les tables de Mayer, un grand nombre d’éclipses de soleil, liées à des époques historiques, n’auroit pas hasardé légèrement une hypothèse nouvelle, s’il n’y avoit été conduit par une comparaison soignée des dates et par l’étude des peintures hiéroglyphiques.

« L’intercalation de vingt-cinq jours en cent quatre ans, dit M. La Place[68] dans son excellent précis de l’histoire de l’astronomie, suppose une durée de l’année tropique plus exacte que celle d’Hipparque, et, ce qui est très-remarquable, presque égale à l’année des astronomes d’Almamon. Quand on considère la difficulté de parvenir à une détermination aussi exacte, on est porté à croire qu’elle n’est pas l’ouvrage des Mexicains, et qu’elle leur est venue de l’ancien continent. Mais de quel peuple et par quel moyen l’ont-ils reçue ? Pourquoi, si elle leur étoit transmise par le nord de l’Asie, ont-ils une division du temps si différente de celles qui ont été en usage dans cette partie du monde ? » Dans l’état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons nous flatter de résoudre ces questions : mais, en se refusant même à admettre l’intercalation de douze jours et demi par cycle, en n’accordant aux Mexicains que la connoissance de l’ancienne année perse de 365j,250, on trouvera pourtant, dans les hiéroglyphes des jours et dans l’emploi des séries périodiques, des témoignages irrécusables d’une ancienne communication avec l’Asie orientale.

Quoique le cycle mexicain commençât par l’année du lapin, tochtli, comme le cycle tartare commence par l’année du rat, singueri, l’intercalation ne se faisoit que dans l’année ome acatl : c’est même cette circonstance qui a engagé les Mexicains à désigner dans leurs peintures un xiuhmolpilli, ou cycle de cinquante-deux ans, par un faisceau de cannes. Les Mexicains étoient sortis d’Aztlan en l’année 1064, ou 1 tecpatl ; leurs migrations durèrent vingt-trois ans jusqu’en 1087, ou 11 acatl, où ils arrivèrent à Tlalixco. Or, quoique la réforme du calendrier eût lieu en 1090, ou l’année 1 tochtli, la fête du feu nouveau ne fut pourtant célébrée que l’année suivante 2 acatl : « parce que, dit l’historien indien Tezozomoc[69], le dieu tutélaire du peuple, Huitzilopochtli, avoit fait sa première apparition le jour 1 tecpatl de l’année 2 acatl. »

Quelques auteurs ont soupçonné qu’avant la réforme du calendrier à Tlalixco, les Mexicains avoient intercalé un jour tous les quatre ans ; une fête du dieu du feu (Xiuhteuclli), célébrée avec plus de solennité dans les années qui portaient le symbole tochtli, paroît avoir donné lieu à cette opinion. Le comte Carli, dont les Lettres américaines offrent un mélange singulier d’observations exactes, d’idées purement ingénieuses et d’hypothèses incompatibles avec les principes d’une bonne physique et la vraie théorie des mouvemens célestes, a cru reconnaître, dans les fêtes de neuf jours célébrées tous les quatre ans, les restes d’une intercalation lunaire. Il suppose que les prêtres mexicains comptaient, dans une année, douze lunaisons de vingt-neuf jours huit heures, et que, pour ramener tous les quatre ans ces années de trois cent cinquante-deux jours, à de véritables années lunaires, ils ajoutaient neuf jours. Cette supposition est presque aussi hasardée que celle d’après laquelle le même auteur attribue aux corps célestes l’erreur des anciens calendriers, en admettant que, quelques milliers d’années avant notre ère, la terre achevoit sa révolution autour du soleil en trois cent soixante jours[70], et qu’un mois lunaire n’étoit que de vingt-sept jours et demi.

Comme une série périodique de quatre termes étoit employée pour distinguer les années renfermées dans un cycle, les Mexicains se voyoient très-naturellement conduits à des fêtes quadriennales. Telles étoient le jeûne solennel de cent soixante jours, célébré, à l’équinoxe du printemps, dans les petites républiques de Tlascalla, Cholula et Huetxocingo, et l’horrible sacrifice qui avoit lieu tous les quatre ans à Quauhlitlan, au mois itzcalli. Dans ce dernier, les pénitens se scarifioient le corps en faisant ruisseler le sang à travers des tiges de roseau qu’ils introduisoient dans les plaies[71] et qu’ils déposoient dans les temples, comme des marques publiques de leur dévotion. Ces fêles, qui rappellent les pénitences usitées au Tibet et dans l’Inde, se répétoient chaque fois qu’un même signe présidoit l’année.

En examinant, à Rome, le Codex Borgianus de Veletri, j’y ai reconnu le passage curieux[72] duquel le jésuite Fabrega a conclu que les Mexicains connoissoient la véritable durée de l’année tropique. Ou y trouve indiqués, sur quatre pages, vingt cycles de cinquante-deux ans, ou mille quarante ans : à la fin de cette grande période, on voit le signe du lapin tochtli précéder immédiatement, parmi les hiéroglyphes des jours, l’oiseau cozquauhtli ; de manière que sept jours sont supprimés, ceux de l’eau, du chien, du singe, de l’herbe malinalli, de la canne, du tigre et de l’aigle. Le père Fabrega suppose, dans son Commentaire manuscrit, que cette omission se rapporte à une réforme périodique de l’intercalation julienne, parce qu’une soustraction de huit jours, à la fin d’un cycle de mille quarante ans, ramène, par un moyen ingénieux, une année de 365,250 j à une année de 365,245 j, qui n’est que de 1′ 26″, ou de 0,0 010 j plus grande que la véritable année moyenne, telle que la donnent les Tables de M. Delambre. Quand on a eu occasion d’examiner un grand nombre de peintures hiéroglyphiques des Mexicains, et que l’on a vu le soin extrême avec lequel elles sont exécutées dans les plus petits détails, on ne sauroit admettre que l’omission de huit termes, dans une série périodique, soit due au simple hasard. L’observation du père Fabrega mérite sans doute d’être consignée ici, non qu’il soit probable qu’une nation n’emploie effectivement une réforme du calendrier qu’après de longues périodes de mille quarante ans ; mais parce que le manuscrit de Veletri semble prouver que son auteur a eu connaissance de la véritable durée de l’année. S’il existoit au Mexique, à l’arrivée des Espagnols, une intercalation de vingt-cinq jours en cent quatre ans ; il est à supposer que cette intercalation plus parfaite a été précédée d’une intercalation de treize jours en cinquante-deux ans. Or, la mémoire de cette ancienne méthode se sera conservée parmi les hommes, et il se peut que le prêtre mexicain, qui a composé le rituel du musée Borgia, ait voulu indiquer dans son livre un artifice de calcul propre à rectifier l’ancien calendrier, en retranchant sept jours d’une grande période de vingt cycles. On ne pourra juger de la justesse de cette opinion, que lorsqu’un plus grand nombre de peintures mexicaines aura été consulté en Europe et en Amérique : car, je ne saurois le répéter assez, tout ce que nous avons appris jusqu’ici de l’ancien état des peuples du nouveau continent, n’est rien en comparaison des lumières qui seront répandues un jour sur cet objet, si l’on parvient à réunir les matériaux qui sont épars dans les deux mondes, et qui ont survécu à des siècles d’ignorance et de barbarie.

Le monument précieux que j’ai fait représenter sur la Planche viii[73], et qui avoit déjà été gravé à Mexico, il y a près de vingt ans, sert à confirmer une partie des idées que nous venons de développer sur le calendrier mexicain. Cette pierre énorme a été trouvée, au mois de décembre 1790, dans les fondations du grand temple de Mexitli, à la Plaza major de Mexico, à peu près soixante-dix mètres à l’ouest de la seconde porte du palais des vice-rois, et trente mètres au nord du marché des fleurs appelé Portal de las Flores, à la petite profondeur de cinq décimètres. Elle étoit placée de manière que la partie sculptée ne pouvoir être vue qu’en la mettant dans une position verticale. Cortez, en détruisant les temples, avoit fait briser les idoles et tout ce qui tenoit au culte ancien. Les masses de pierre qui étoient trop grandes pour qu’on les détruisît, furent enterrées pour les soustraire aux yeux du peuple vaincu. Quoique le cercle qui renferme les hiéroglyphes des jours n’ait que 5,4 m de diamètre, on reconnoît que la pierre entière formoit un parallélépipède rectangle de quatre mètres de longueur, d’autant de mètres de largeur, et d’un mètre d’épaisseur.

La nature de cette pierre n’est pas calcaire, comme l’affirme M. Gama, mais de porphyre trappéen gris-noirâtre, à base de wacke basaltique. En examinant avec soin des fragmens détachés, j’y ai reconnu de l’amphibole, beaucoup de cristaux très-alongés de feldspath vitreux, et, ce qui est assez remarquable, des paillettes de mica. Cette roche, fendillée et remplie de petites cavités, est dépourvue de quartz, comme presque toutes les roches de la formation de trapp. Comme son poids actuel est encore de plus de quatre cent quatre-vingt-deux quintaux (24,400 kilogrammes), et qu’aucune des montagnes qui entourent la ville à huit ou dix lieues de distance, n’a pu fournir un porphyre de ce grain et de cette couleur, on se figure aisément les difficultés que les Mexicains ont éprouvées pour transporter une masse si énorme au pied du téocalli. La sculpture en relief a le même fini que l’on trouve dans tous les ouvrages mexicains : les cercles concentriques, les divisions et les subdivisions sans nombre sont tracés avec une exactitude mathématique ; plus on examine le détail de cette sculpture, plus on y découvre ce goût pour la répétition des mêmes formes, cet esprit d’ordre, ce sentiment de la symétrie qui, chez des peuples à demi-civilisés, remplace le sentiment du beau.

Au centre de la pierre se présente le fameux signe nahui ollin Tonatiuh (le soleil dans ses quatre mouvemens) dont nous avons parlé plus haut[74]. Huit rayons triangulaires entourent le soleil ; ces rayons se retrouvent dans le calendrier rituel, tonalamatl dans les peintures historiques, partout où est figuré le soleil, Tonatiuh[75]. Le nombre huit fait allusion à la division du jour et de la nuit en huit parties[76]. Le dieu Tonatiuh est représenté ouvrant une large bouche armée de dents : cette bouche ouverte, cette langue qui en sort, rappellent la figure d’une divinité de l’Hindoustân, celle de Kâla, le Temps. D’après un passage du Bhagavat-guita, « Kâla engloutit les mondes, ouvrant une bouche enflammée, armée d’une rangée de terribles dents, et montrant une langue énorme[77]. » Tonatiuh, placé au milieu des signes des jours, mesurant l’année par les quatre mouvemens des solstices et des équinoxes, est en effet le véritable symbole du Temps : c’est Krichna prenant la forme de Kâla, c’est Kronos qui dévore ses enfans, et que nous croyons reconnaître sous le nom de Moloch chez les Phéniciens.

Le cercle intérieur offre les vingt signes des jours : en se souvenant que cipactli est le premier, et xochitl le dernier de ces cathétérismes, on voit qu’ici, comme partout ailleurs, les Mexicains ont rangé les hiéroglyphes de droite à gauche. Les têtes des animaux sont placées dans une direction opposée, sans doute parce que l’animal qui tourne le dos à un autre, est censé le précéder. M. Zoega a observé cette même particularité chez les Égyptiens[78]. La tête de mort, miquiztli, placée près du serpent, et l’accompagnant comme signe de la nuit dans la troisième série périodique, fait exception à la règle générale ; elle seule est dirigée vers le dernier signe, tandis que les animaux ont la face tournée vers le premier. Cet arrangement n’est pas le même dans les manuscrits de Veletri, de Rome et de Vienne.

Il est probable que la pierre sculptée dont M. Gama a entrepris l’explication, étoit anciennement placée dans l’enceinte du téocalli, dans un sucellum dédié au signe ollin Tonatiuh. Nous savons, par un fragment d’Hernandez, que le jésuite Nieremberg nous a conservé dans le huitième livre de son Histoire naturelle, que le grand téocalli renfermoit dans ses murs six fois treize ou soixante-dix-huit chapelles, dont plusieurs étoient dédiées au soleil, à la lune, à la planète Vénus, appelée Ilcuicatitlan ou Tlazolteotl, et aux signes du zodiaque[79]. La lune, que tous les peuples regardent comme un astre qui attire l’humidité, avoit un petit temple (teccizcalli) construit en coquilles. Les grandes fêtes du soleil (Tonatiuh) étoient célébrées au solstice d’hiver et dans la seizième période de treize jours, qui étoit présidée à la fois par le signe nahui ollin Tonatiuh, et par la voie lactée, connue sous le nom de Citlalinycue ou Citlalcueye. Pendant une de ces fêtes du soleil, les rois avoient l’usage de se retirer dans un édifice situé au milieu de l’enceinte du téocalli, et appelé Hueyquauhxicalco. Ils y passoient quatre jours dans le jeune et la pénitence : ensuite on faisoit un sacrifice sanglant en l’honneur des éclipses (Netonatiuhqualo, malheureux soleil mangé). C’est dans ce sacrifice que de deux victimes masquées, l’une représentoit l’image du soleil, Tonatiuh, et l’autre celle de la lune, Meztli, comme pour rappeler que la lune est la vraie cause de l’éclipse du soleil.

Outre les catastérismes du zodiaque mexicain et la figure du signe nahui ollin, la pierre offre aussi les dates de dix grandes fêtes qui étoient célébrées depuis l’équinoxe du printemps jusqu’à l’équinoxe d’automne. Comme plusieurs de ces fêtes correspondent à des phénomènes célestes, et que l’année mexicaine est vague pendant l’espace d’un cycle, l’intercalation ne se faisant que de cinquante-deux en cinquante-deux ans, les mêmes dates ne désignent pas, quatre ans de suite, les mêmes jours. Le solstice d’hiver qui, la première année du cycle, a lieu le jour 10 tochtli, huit ans plus tard a déjà rétrogradé de deux signes, et tombe sur le jour 8 miquiztli. Il en résulte que, pour indiquer les dates par les signes des jours, il faut ajouter l’année du cycle à laquelle ces dates correspondent. En effet le signe 13 cannes, ou matlactly omey acatl, placé au-dessus de la figure du soleil, vers le bord supérieur de la pierre, nous annonce que ce monument renferme les fastes de la vingt-sixième année du cycle, depuis le mois de mars jusqu’au mois de septembre.

Pour faciliter l’intelligence des signes qui indiquent les fêtes du culte mexicain, je dois rappeler de nouveau que les ronds, placés auprès des hiéroglyphes des jours, sont des termes de la première des trois séries périodiques dont nous avons développé l’usage plus haut. En comptant de droite à gauche, et en commençant à la droite du triangle qui repose sur le front du dieu Ollin Tonatiuh, et dont la pointe est dirigée vers cipactli, on trouve les huit hiéroglyphes suivans : 4 tigre ; 1 silex ; tletl, feu, sans indication de nombre ; 4 vent ; 4 pluie ; 1 pluie ; 2 singe et 4 eau. Voici maintenant l’explication des fastes mexicains, d’après le calendrier de M. Gama, et d’après l’ordre des fêtes indiquées dans les ouvrages des historiens du seizième siècle.

Dans l’année 13 acatl, qui est la dernière année de la seconde indiction du cycle, le commencement de l’année a rétrogradé de six jours et demi, parce que l’intercalation n’a pas eu lieu depuis vingt-six : ans. Le premier jour du mois tititl, qui porte le signe 1 cipactli tletl, correspond par conséquent non au 9, mais au 3 janvier ; et le signe qui préside à la septième période de treize jours, 1 quiahuitl ou 1 pluie, coïncide avec le 22 mars ou avec l’équinoxe du printemps. C’est à cette époque que l’on célébroit les grandes fêtes de Tlaloc ou du dieu de l’eau, qui commençoient même déjà dix jours avant l’équinoxe, le jour 4 atl, ou 4 eau, sans doute parce que, le 12 mars, ou le 3 du mois Tlacaxipehualiztli, l’hiéroglyphe de l’eau, atl, étoit à la fois[80] le signe du jour et celui de la nuit. Trois jours après l’équinoxe du printemps, le jour 4 ehecatl, ou 4 vent, commençoit un jeûne solennel de quarante jours, institué en l’honneur du soleil. Ce jeûne finis soit le 30 avril, qui correspond à 1 tecpatl ou 1 silex. Comme le signe de ce jour est accompagné du seigneur de la nuit, tletl, feu, nous trouvons placé l’hiéroglyphe tletl près de 1 tecpatl, à gauche du triangle, dont la pointe est dirigée vers le commencement du zodiaque. À droite du signe 1 tecpatl se trouve celui 4 ocelotl, ou 4 tigre ; ce jour est remarquable par le passage du soleil par le zénith de la ville de Mexico. Toute la petite période de treize jours, dans laquelle ce passage a lieu, et qui est la onzième de l’année rituelle, étoit encore dédiée au soleil. Le signe 2 ozomatli ou 2 singe correspond à l’époque du solstice d’été : il se trouve placé immédiatement auprès de 1 quiahuitl, ou 1 pluie, jour de l’équinoxe.

On peut être embarrassé[81] pour l’explication de 4 quiahuitl ou 4 pluie : dans la première année du cycle, ce jour correspond exactement au second passage du soleil par le zénith de la ville de Mexico ; mais dans l’année 13 acatl, dont ce monument offre les fastes, le jour 4 pluie précédait déjà ce passage de six jours. Comme toute la période de treize jours, dans laquelle le soleil parvient au zénith, est dédiée au signe ollin Tonatiuh et à la voie lactée, citlalcueye, et comme le jour 4 pluie appartient constamment à cette même période, il est assez probable que les Mexicains ont indiqué de préférence ce dernier jour, pour que la figure du soleil fût entourée de quatre signes qui eussent tous le même nombre quatre, et surtout pour faire allusion aux quatre destructions du soleil, que la tradition place dans les jours 4 tigre, 4 vent, 4 eau, et 4 pluie. Les cinq petits ronds que l’on trouve à gauche du jour 2 singe, immédiatement au-dessus du signe malinalli, paroissent faire allusion à la fête du dieu Macuil-Malinalli, qui avoit des autels particuliers : cette fête étoit célébrée vers le 12 septembre, appelé Macuilli Malinalli. La pointe du triangle qui sépare le signe du jour 1 silex du signe de la nuit, tletl ou feu, est dirigée vers le premier des vingt catastérismes des signes du zodiaque, parce que, l’année 13 cannes, le jour 1 cipactli correspond au jour de l’équinoxe d’automne : vers ce temps on célébroit une fête de dix jours, dont le plus solennel étoit le jour 10 ollin, ou 10 soleil, qui correspond à notre 16 septembre. On croit, à Mexico, que les deux cases, placées sous la langue du dieu Ollin Tonatiuh, présentent deux fois le nombre cinq : mais cette explication me paroît aussi hasardée que celle que l’on a tenté de donner des quarante cases qui entourent le zodiaque, et des nombres six, dix et dix-huit, que l’on trouve répétés vers le bord de la pierre. Nous n’examinerons pas non plus si les trous creusés dans cette énorme pierre ont été faits, comme l’a pensé M. Gama, pour placer des fils qui servoient de gnomons. Ce qui est plus certain et très-important pour la chronologie mexicaine, c’est que ce monument prouve, contre l’opinion de Gemelli et de Boturini, que le premier jour, quel que soit le signe de l’année, est constamment présidé par cipactli, signe qui correspond au capricorne de la sphère grecque. On peut croire que, près de cette pierre, en étoit placée une autre qui renfermoit les fastes depuis l’équinoxe d’automne jusqu’à l’équinoxe du printemps.

Nous venons de réunir, sous un même point de vue, tout ce que nous savons jusqu’ici de la division du temps chez les peuples mexicains, en distinguant avec soin ce qui est certain de ce qui est simplement probable. On voit, d’après ce qui a été exposé sur la forme de l’année, combien sont imaginaires les hypothèses d’après lesquelles on attribuoit aux Toltèques et aux Aztèques, tantôt des années lunaires, tantôt des années de 286 jours, divisées en 22 mois[82]. Il seroit intéressant de connoître le système de calendrier suivi par les peuples les plus septentrionaux de l’Amérique et de l’Asie. Chez les habitans de Noutka nous retrouvons encore les mois mexicains de 20 jours, mais leur année n’a que 14 mois, auxquels ils ajoutent, d’après des méthodes très-compliquées, un grand nombre de jours intercalaires[83]. Dès qu’un peuple ne règle pas les subdivisions de l’année d’après les lunaisons, le nombre des mois devient pour lui assez arbitraire, et son choix ne paroît dépendre que d’une prédilection particulière pour certains nombres. Les peuples mexicains ont préféré les doubles décades, parce qu’ils n’avoient de signes simples que pour les unités, pour vingt et pour les puissances de vingt.

L’usage des séries périodiques et les hiéroglyphes des jours nous ont offert des traits frappans d’analogie entre les peuples de l’Asie et ceux de l’Amérique. Quelques-uns de ces traits n’avoient pas échappé à la sagacité de M. Dupuis[84], quoiqu’il ait confondu les signes des mois avec ceux des jours, et qu’il n’ait eu qu’une connaissance très-imparfaite de la chronologie mexicaine. Il seroit contraire au but que nous nous sommes proposé dans cet ouvrage, de nous livrer à des hypothèses sur l’ancienne civilisation des habitans du nord et du centre de l’Asie. Le Tibet et le Mexique présentent des rapports assez remarquables dans leur hiérarchie ecclésiastique, dans le nombre des congrégations religieuses, dans l’austérité extrême des pénitences et dans l’ordre des processions. Il est même impossible de ne pas être frappé de cette ressemblance, en lisant avec attention le récit que Cortez fît, à l’Empereur Charles-Quint, de son entrée solennelle à Cholula qu’il appelle la ville sainte des Mexicains.

Un peuple qui régloit ses fêtes d’après le mouvement des astres, et qui gravoit ses fastes sur un monument public, étoit parvenu sans doute à un degré de civilisation supérieur à celui que lui ont assigné Pauw, Raynal, et même Robertson, le plus judicieux des historiens de l’Amérique. Ces auteurs regardent comme barbare tout état de l’homme qui s’éloigne du type de culture qu’ils se sont formé d’après leurs idées systématiques. Nous ne saurions admettre ces distinctions tranchantes en nations barbares et nations civilisées. En examinant dans cet ouvrage, avec une scrupuleuse impartialité, tout ce que nous avons pu découvrir par nous-mêmes sur l’état ancien des peuples indigènes du nouveau continent, nous avons taché de recueillir les traits qui les caractérisent individuellement, et ceux qui paroissent les lier à différens groupes de peuples asiatiques. Il en est des nations entières comme des simples individus ; de même que, dans ces derniers, toutes les facultés de l’âme ne parviennent pas à se développer simultanément ; chez les premiers, les progrès de la civilisation ne se manifestent pas à la fois dans l’adoucissement des mœurs publiques et privées, dans le sentiment des arts, et dans la forme des institutions. Avant de classer les nations, il faut les étudier d’après leurs caractères spécifiques ; car les circonstances extérieures font varier a l’infini les nuances de culture qui distinguent des tribus de race différente, surtout lorsque, fixées dans des régions très-éloignées les unes des autres, elles ont vécu long-temps sous l’influence de gouvernemens et de cultes plus ou moins contraires aux progrès de l’esprit et à la conservation de la liberté individuelle.

  1. Pl. viii de l’édition in-8o.
  2. Rech. Asiat., Vol. II, p. 346.
  3. Le Gentil, Vol. I, p. 261.
  4. Butmann, dans Ideler, Hist. Unt., p. 372-378.
  5. Voyez un savant Mémoire de M. Visconti, inséré dans la traduction d’Hérodote de M. Larcher (2.e éd.), Tom. II, p. 576 ; et Visconti, Miscell, di Museo Pio-Clementino, Tom. VI, p. 25, note c.
  6. Asiat. Res., Tom. IX, p. 118.
  7. On the cycle of sixly years. Asiat. Res., Vol. III, p. 217-261.
  8. Bailly, Ast. ind., p. 5 ; Astr. mod., Tom. III, p. 301.
  9. Obs. mathém. du P. Souciet, publiées par le P. Gaubil, Tom. III, p. 33.
  10. Ideler, Sternnamen, p. 197.
  11. Gama, Descripc. histor. y cronol. de dos Piedras (Mexico, 1792), p. 27 et 100.
  12. Conquista, fol. cxix, Mon. ind.,Tom. III, p. 223.
  13. Philos. transact., 1772, p. 353.
  14. Sonnerat, Voyage aux Indes, Tom. I, p. 310. Bailly, Astr. ind., p. 210.
  15. Rech. asiat., Tom. II, p. 335, no 7.
  16. Astr. moderne, Tom. III, p. 297.
  17. Grosier, Hist. gén. de la Chine, Tom. I, p. 114.
  18. Deguignes, Hist. des Huns, Tom. I, p. xlvii.
  19. Depuis, Origine des Cultes, Tom. III, p. 363.
  20. Ideler, Sternnamen, p. 238, 248, 413.
  21. Voyez mes Tableaux de la Nature, Tom. I, p. 117.
  22. Le Gentil, Voyage, Tom. I, p. 247.
  23. Observation de M. de Chézy.
  24. Souciet, Tom. II, p. 138.
  25. Vater, Amer. Bevolker, S. 160.
  26. Engel, Ungar. Gesch., T. I, S. 346, 361. Georgi, Reisen, B. II, p. 904. Thwrocz, Chron. Hungaror., p. 49.
  27. Planche xxvii de l’éd. in-fo.
  28. Ideler, Sternnamen, S. 172. Dupuis, Origine des Cultes, Tom. II, p. 228-234. Atlas, no 6.
  29. Rech. asiat., Tom. I, p. 200.
  30. Souciet et Gaubil, Tom. III, p. 80.
  31. L. c., Tom. III, p. 98.
  32. L. c., Tom. III, p. 94. Bailly, Astr. ind., p. lxxxxvi.
  33. Souciet, Tom. II, p. 156, 174.
  34. Astr. ind., p. v.
  35. Abelung, Mithridates, Tom. II, p. 533 et 560.
  36. Souciet, Tom. II, p. 136. Bailly, Astr. ind., p. 212. Langlès, Notes du Voyage de Thunberg, p. 319.
  37. Fragmentum ex Gazophylacio Card. Barberini (Kircheri Oedipus, 1653, Tom. II, p. 160).
  38. Dio Cassius, Lib. xxxvii, c. 19 (éd. Fabric, 1750, Tom. I, p. 121). Herod., Lib. II, c. 80 (éd. Wesseling y 1763, p. 105).
  39. Hist.de l’Acad. des Sciences, 1708, Tom. I, p. 110. Bailly, Hist. de l’Astr. anc., p. 403 et 504. Dupuis, Origine des Galles, Tom. I, p. 180. Hager, Illustraz. d’uno zodiaco orientale, 1811, p. 15.
  40. Eratosthenis Cataster., ed. Schaubach, 1795, p. 21. Hygin. Poeticon astr., Lib. II, c. 28 ; Lib. III, c. 27 (Auctores mythographi latini, ed. van Staveren, 1742, Tom. II, p. 481-528). p. 523). Du Choul, Discours de la religion des anciens Romains, 1556, p. 180. Ideler, Sternnamen, S. 151.
  41. Lib. III, c. 21 (Auct. mythograph., Tom. II,
  42. Rech. Asiat., T. II, p. 335.
  43. Manil, Lib. I, v. 609.
  44. Illustrazione d’uno Zod. orientale, Cap. VIII, p. 39, Tav. 2.
  45. Denon, Voyage, Pl. 130 et 132.
  46. Ideler, Hist. Untersuch. S. 264.
  47. Rhode, Versuch über das Alter des Thierkreises, 1809, S. 15 et 101.
  48. Recherches sur l’origine des constellations de la sphère grecque, 1807, p. 63.
  49. Origine des cultes, Tom. III, p. 362.
  50. De scientia stellarum, cap. 2 (éd. Bonon, 1645 p. 3).
  51. Firmicus, Lib. VI, c. i.
  52. Amiot, dans les Mémoires concernant les Chinois, Vol. II, p. 161. Gaubil, Traité de l’Astr. chin., p. 32.
  53. Ideler, Hist. Unters. S. 379.
  54. Torquemada, de una Fiesta grandissima, Lib. X, c. 33-36, Tom. II, p. 312 et 321. Acosta, Lib. VI, c. 2, p. 259.
  55. Vixachtla, d’après Gomara, Conquist., fol. 133 (a)
  56. Tom. I, p. 254.
  57. Achill. Tat., Isag. in Phœnom., c. 23 (Petavius de Doctr. tempor., 1703, Tom. III, p. 85.) Scalig., Adnot. ad Manil. Astron., Lib. I, v. 69, p. 85. Voyez aussi la traduction des Lettres du comte Carli, Tom. I, p. 398, not. 1.
  58. Dupuis, Mém. explicatif du zodiaque, 1806, p. 145.
  59. Sext. Empir. contra Mathem., Lib. V (ed. Stephan., Tom. III, p. 187). Firmicus, Lib. II, c. 27 (ed. Ald. Manut., 1503, fol. cv). Origen. contra Celsum, Lib. VIII, c. 55 (ed. Delarue, 1733, Tom. I, p. 783).
  60. Voyez plus haut, Vol. I, p. 251.
  61. Torquemada, Tom. III, p. 313 b. et 321 a.
  62. Sext. Empir. pag. Stephan. 113. Lettre du Père Du Croz, dans Souciet, Observât., Tom. I, p. 245.
  63. Bailly, Astr. mod., p. 477.
  64. Gama, §. 35, p. 52, note.
  65. Plin. Hist. Nat., Lib. XVIII, c. 25 (ed. Harduin, 1741, Tom. II, p. 129).
  66. M S S., cap. 71.
  67. Dupuis, Origine des Cultes, Tom. I, p. 156 ; Tom. II, Pl. 2, p. 96.
  68. Exp. du Système du Monde, 3.e édit., Tom. II p. 318.
  69. Gama, §. 7, p. 21.
  70. Lettres américaines, Tom. II, p. 161, 167, 333 et 371.
  71. Gomara, p. cxxxi, cxxxii. Torquemada, Tom. II, p. 307. Gemelli, Tom. VI, p. 75.
  72. Cod. Borg., fol. 48-63. Fabrega, M S S, fol. k, p. 7.
  73. Planche xxiii de l’édition in-fol.
  74. P. 28 de ce volume.
  75. Pl. xv, no 4. de l’éd. in-fol. (Cod. Borg Vel., f. 49)
  76. Voyez plus haut, Tom. I, p. 339.
  77. Traduction de M. Wilkins. Voyez aussi The Hindu Pantheon, art. Kâla.
  78. Zoega, de Obel., p. 464 (où, par erreur typographique, les mots dextrorsum et sinistrorsum sont confondus).
  79. Eusebii Nieremberh Hist. nat., Lib. VIII, cap. 22 (Antwerpice, 1635, p. 142-156). Templi partes, 3,8, 9, 20, 25.
  80. Nahui atl, atl, atl ; voyez Vol. I, p. 379.
  81. Gama, §. 75, p. 109.
  82. Waddilove, dans Robertson’s Hist. of America, Vol. III, p. 404, note xxxv.
  83. Don José Moziño, Viage à Noutka, manuscrit. (Voyez mon Essai politique sur la Nouvelle-Espagne, Vol. II, p. 475 de l’éd. in-8o.
  84. Mémoire explicatif sur le Zodiaque, p. 99.