Véga la Magicienne/22

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L’Indépendant du Cher (p. 34-35).

XXII

Retour au château

Nous avons abandonné la « femme-oiseau » à l’auberge des quatre routes où elle sanglotait éperdument devant le chemin désert par où venait de s’enfuir l’automobile emmenant son ami… La nuit tombait douce et claire, déjà des reflets de lune dessinaient l’ombre des monts sur la vallée et une grande tristesse paisible montait des choses…

Véga avait une nature énergique, elle avait été surprise par cette atteinte subite du malheur auquel rien ne l’avait préparée, mais elle se ressaisit.

— Je ne vais pourtant pas rester là, se dit-elle, il y a quelque chose à tenter, mais quoi ? Courir après cette voiture fantastique qui fait du cent à l’heure, est fou, l’important sera de savoir par où elle a passé et ce ne sera pas malaisé à retrouver, je pense, en faisant une enquête dès demain. Ah ! si j’avais ici « lady-bird », d’en haut, je verrais où on entraîne mon pauvre ami. Mais je n’ai rien. Le mieux ne serait-il pas de rentrer à Val-Salut et d’aller informer la Revenante…

Cette pensée illumina de joie le cœur de Véga. La Revenante ! oui, la mystérieuse revenante qui avait déjà secouru la jeune fille la nuit de l’incendie en faisant glisser sur de secrètes rainures la plaque de la cheminée et en découvrant derrière un long escalier droit, construit dans l’épaisseur du mur.

Véga se souvenait de son étonnement d’abord, puis du grand plaisir qu’elle avait pris à suivre la belle apparition, qui l’avait prise par la main pour l’éveiller au milieu du danger et, l’entraînant, l’avait guidée à travers le dédale sombre d’un souterrain où, pour toute lueur, elles avaient l’éclairage produit par la robe phosphorée de « l’Esprit ».

Oui, il fallait rentrer vite au château, aller prendre conseil de celle que la jeune fille continuait à nommer la Revenante, mais dont elle avait découvert la véritable humanité.

Véga descendit de la terrasse, les deux mécaniciens, leur repas achevé, causaient sur le seuil de l’auberge ; un peu surpris de la fugue de l’une des autos…

— Léonard, dit Véga prudente, monsieur le comte est parti avec Lord O’Kelly, nous allons rentrer vous et moi à Val-Salut. Avez-vous pu réparer l’accident ?

— Mal, mademoiselle, nous devrons aller bien doucement.

— Il faut partir. Chauffeur, fit-elle, s’adressant au conducteur de l’Anglais, est-ce que vous soupçonniez le départ de votre maître ?

— Un peu, mademoiselle, le « Milord » m’avait engagé seulement hier à Tarbes et m’avait payé d’avance me prévenant qu’il ne savait pas quand il me quitterait… Cependant, je trouve son départ un peu hâtif…

— Vous ne connaissez pas du tout ce monsieur ?

— Nullement, mademoiselle ; à part quelques ordres nécessaires, il ne m’a pas dit un mot.

Évidemment, le mécanicien était sincère. Véga devinait fort bien la machination, elle se souvenait de la lettre déchiffrée, Daniel avait été enlevé par ses ennemis, on le conduisait en Espagne, le plan se montrait limpide. À présent, le seul parti à prendre pour elle était de rentrer, d’écrire à Cleto Pizanni pour implorer son aide ; seulement il était bien loin, quand une lettre le joindrait-elle au milieu de ses voyages continuels ?…

Heureusement, Véga savait se tirer d’affaire, elle ne redoutait rien, âme unique et forte.

On mit longtemps à rentrer à Bagnères-de-Bigorre, l’auto traversa lentement la grande place des bains déserte et sombre, l’horloge au-dessus du perron marquait onze heures et les égrenait dans le silence, les deux voyageurs, le mécanicien honteux de sa machine éclopée et Véga anxieuse, ne prononçaient pas une parole.

La pauvre Véga trouva une vive sympathie chez le valet Wilhem, le brave homme pleurait son maître, nullement surpris d’un malheur que plusieurs alertes avaient pu lui faire prévoir, mais ignorant tout le mystérieux passé il ne pouvait rien conseiller ni deviner, il gémissait lamentable, attendant des autres un espoir.

La jeune fille, au lieu d’écouter les lamentations de l’office, alla droit au donjon.

Elle évita d’être suivie, se munit d’une lanterne qu’elle n’alluma pas tout d’abord pour échapper aux observations de l’entourage, et elle s’engagea à travers les escaliers branlants et les tiges de sapins noircis par l’incendie récent.

La lune éclairait un peu le couloir, des plaques claires, venant des fenêtres sans vitres, se projetaient sur le mur en face.

Elle parvint ainsi à la chambre hantée.

Là, elle alluma sa lanterne pour barrer soigneusement la porte par laquelle elle venait d’entrer.

La pièce immense, éclairée par la falotte lumière et le croissant de la lune, était vide.

— Allons, se dit Véga, nul n’est entré, tâchons de sortir.

Elle alla s’agenouiller devant la grande cheminée et examina, avec soin, la plaque du fond qui représentait, gravées sur la fonte noire de suie, les armes de Val-Salut.

Des clous noirs, énormes, au nombre de quatre, semblaient retenir cette plaque aux angles.

Véga poussa celui du haut dans le sens du couchant, celui du bas dans le sens de l’Est, et ceux des côtés dans le sens du Nord et du Sud. Ceci accompli, une légère traction fit basculer le rectangle de fonte et un vide large d’environ un mètre de haut et cinquante centimètres de large apparut.

L’oiselle s’y glissa aisément et se trouva sur la première marche de l’escalier, une pesée de son pied sur une pierre plate au milieu de la marche fit revenir en place la plaque de la cheminée.

Il faisait nuit absolue, mais Véga avait sa lanterne. L’escalier descendait tout droit, taillé dans le mur épais de l’enceinte du château ; il y avait bien quatre-vingts marches, les dernières très humides marquaient le niveau des douves. Des infiltrations d’eau entretenaient là une végétation de mauvais champignons et des bêtes affreuses, rampantes, couraient épouvantées.

Ceci ne pouvait arrêter l’exploratrice, seulement elle était perplexe, elle n’était pas descendue si bas avec la Revenante, leur causerie avait eu lieu dans l’escalier où elles étaient restées à l’abri des regards et du feu.