Westminster et le Château de Windsor

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Imprimerie de Pommeret et Guénot (p. 3-15).

WESTMINSTER.


And Santa Croce wants their migthy dust.
Byron.




 
L’Angleterre sans doute aux regards enchantés
Étale sous sa brume un trésor de beautés !
Que la Tamise est belle avec son onde verte,
Calme, majestueuse et de voiles couverte,
Qui des peuples connus porte les pavillons,
Et qui sans les mêler unit les nations ;
Avec tous ces bateaux où la vapeur bouillonne,
Dont la marche rapide en tous sens la sillonne,
Avec ses ponts hardis qui cintrent l’horizon !
Que j’aime ces bosquets, ces tapis de gazon,

Ces bronzes ornements de tes places publiques,
Tes parcs aux claires eaux, tes fraîches basiliques,
Ô Londres ! et tes docks incessamment ouverts
Aux tributs qu’en ton sein apporte l’univers !
Que j’aime ce tunnel, la merveille du monde,
Montrant Brunel vainqueur de l’envie et de l’onde ;
Et ce square de tours par le fleuve enclavé,
Commencé par César, par Guillaume achevé,
Qui vit tant d’échafauds et dont les pierres noires
Content au voyageur tant de tristes histoires !
Et Richmond !… Le regard qui de Richmond descend
N’a jamais rencontré d’aspect plus ravissant
Que ce mélange frais de plaines, de vallées,
De cottages, de bois et de prés verts mêlées,
Que se plaît à couper de ses franges d’azur
La Tamise contente encor d’un sort obscur,
Image de la vierge humble et timide encore
Qui, pour voir les cités que le luxe décore,
N’a pas quitté le chaume abri de son berceau !
C’est un beau monument que Saint-Paul, ce vaisseau,
Du culte réformé superbe cathédrale,
Que pare de Nelson la pierre sépulcrale,
Dont la haute coupole et le dôme romain
Ont de Newton aidé le glorieux chemin !
Mais Londres, c’est surtout pour ton vieux monastère
Que j’ai besoin de dire : Honneur à l’Angleterre !

 
Oh ! comme le regard et le cœur sont ravis,
Gothique Westminster, en tes sacrés parvis,
Qui de toute grandeur reflètent la mémoire,
Dont Albion a fait le temple de sa gloire !


Là c’est une chapelle au travail merveilleux,
Aux dentelles de pierre enchantement des yeux,
Où de l’ordre du Bain s’assemble le chapitre,
Où chaque chevalier a sa stalle à pupitre,
Et le carré flottant d’un soyeux gonfanon
Étalant ses couleurs, ses armes et son nom ;
Où, quand Dieu l’a voulu, tombés du rang suprême,
Gisent ceux dont le front porta le diadème !
Près des autres Stuarts, sous un marbre noirci,
Marie est là couchée ! Élisabeth aussi !
Ici c’est d’autres rois la dépouille glacée !
Westminster donne asile aux rois de la pensée !
Salut, Gray, Richardson, Row, Shakspeare et Dryden !
Salut, chantre inspiré des exilés d’Éden !…


Là ce sont les guerriers que sur l’onde ou la terre
Ont consacré leur sang, leur âme à l’Angleterre,
Et dont avec orgueil elle redit le nom !
Salut, Kempenfelt, Howe, Wolfe, Shovell, Vernon !

Ici les orateurs dont la voix souveraine
Des whigs et des torys a dominé l’arène,
Ces ministres fameux, esprits vastes, puissants,
Que sacrent du pays les destins florissants !
Salut, rivaux unis dans la lugubre enceinte,
Pitt, ardent protecteur de la royauté sainte,
Fox, dont le mâle accent, cher à l’humanité,
Du noir qui le bénit fonda la liberté !
Là c’est Garrick, l’acteur, l’aigle des jeux scéniques ;
Ici Newton, qui, fort des pensers tyranniques
Dont il était rempli, flambeau victorieux,
Dévoila les secrets de la terre et des cieux !


Grands hommes que la gloire à son banquet rassemble,
Oh ! quel charme je trouve à vous voir tous ensemble !
Car, avec les rayons de votre front vainqueur,
Je vous contemple tous de l’esprit et du cœur ;
Car, ainsi que les morts ranimés par le Dante,
À l’appel souverain de la pensée ardente
Qui vous réveille tous, vous dites : Nous voilà !
Vous ne murmurez pas ! et Byron n’est point là !


Oh ! non, c’est vainement qu’un puissant statuaire,
Thorlwaldsen, a sculpté son marbre mortuaire ;

Celui qui de la mort gouverne le palais
A repoussé Byron du panthéon anglais ?


En accueillant Milton sous ces voûtes funèbres.
On ne se souvint pas qu’ange aussi de ténèbres »
Le chantre de Satan, niveleur orgueilleux,
Dédaignant d’éclairer son rêve ambitieux
Au feu que la vertu pour le poëte allume,
Du meurtre de Stuart avait taché sa plume !
Et l’on s’est souvenu qu’en un cri de douleur
Un homme contre Dieu fit parler le malheur,
Quand cet homme est Byron, miraculeux génie ;
Poëte à la féconde et magique harmonie ;
Byron, Childe-Harold, ce barde pèlerin
Qui part comme un coursier délivré de son frein,
Qui sur ses ailes d’or nous prend et nous emporte,
Qui de son feu sublime en courant nous transporte,
Soit qu’aux vallons du Tage, âme de volupté,
Il chante son doux ciel, son rivage enchanté,
Ses femmes aux yeux noirs que l’amour divinise !
Soit qu’en donnant ses pleurs aux splendeurs de Venise,
Aux sables du Lido battu des flots amers,
Il effleure le sol comme l’oiseau des mers ;
Soit qu’il base, en peignant l’éternité de Rome,
La grandeur du vrai Dieu sur le néant de l’homme ;

Soit que de lord Elgin il flétrisse le nom
En évoquant Minerve où fut le Parthénon ;
Soit que, des cœurs français partageant la souffrance,
Il foule à Waterloo la tombe de la France !
Byron dont le nom brille au terrestre séjour
Comme au dôme étoilé brille l’astre du jour,
Byron qui, lorsqu’en proie aux vents de la détresse,
Désespérant du sort de la moderne Grèce,
Sparte, Athènes jetaient un vain appel aux rois,
Est mort, vouant son or et son glaive à la croix !



Londres, 14 septembre 1839.


LE
CHÂTEAU DE WINDSOR.



…………………Majesty,
Power, glory, Strengh, and beauty.
Byron.

Surge et ambula.
Evang. saint Luc.




Windsor, Pope a chanté ta forêt magnifique,
Ses dômes de verdure aux mobiles réseaux,
Ses opulents viviers à l’onde pacifique,
Ses coteaux, ses vallons peuplés de mille oiseaux,
Sa rivière qui tient son doux nom de Lodone,
Cette nymphe des bois, vierge aux malheurs touchants,
Et ces chênes rivaux des chênes de Dodone !
Mais ton château n’a pas encor trouvé de chants !

Et pourtant devant toi, vieux manoir de Guillaume,
Devant tes hautes tours et tes murs imposants,
Formidable rempart de son nouveau royaume,
Sur qui s’est émoussé le ravage des ans,
Dont le pavé n’est point une pierre muette,
Où tant de souvenirs se groupent en faisceau,
Comment ne pas sentir, alors qu’on est poëte,
Couler sa poésie en abondant ruisseau ?


Comment ne pas chanter lorsque le vent enlève
Le blanchâtre rideau des brumes du matin,
Quand le géant de pierre à vos regards se lève,
Heureux de dépouiller son masque de satin ;
Quand mon âme de feu que le passé féconde
Repeuple ce château de ses hôtes divers,
Ainsi que l’Éternel repeuplera le monde
Au jour qu’il lui plaira de juger l’univers ?


Comment ne pas chanter quand sous les yeux défile
Un essaim de héros, de belles et de rois ?
D’abord, parmi la longue et glorieuse file,
Avec Salisbury se présente Edward-Trois !
Alix, à ta beauté quelle autre peut atteindre !
Oh ! quel prestige en toi ! je conçois qu’à te voir,

En l’un de ces amours que rien ne peut éteindre,
Edward-Trois ait d’un roi méconnu le devoir !


Je conçois qu’Edward-Trois, heureux de ta tendresse,
Au milieu d’une fête ait pu, le front courbé,
En humble serviteur de sa belle maîtresse,
Relever le ruban de ton genou tombé ;
Qu’il ait de son bonheur, de sa galanterie
À l’immortalité voué le souvenir
Par cet ordre éclatant de la chevalerie
Pour qui Cromwell faillit vendre son avenir !


Voici le fils d’Eward sous son armure noire !
Ce prince belliqueux, qui nous fut si fatal,
M’apparaît le front ceint de ses palmes de gloire,
Au milieu des créneaux de son palais natal !
Toi qui vis à Crécy poindre ta renommée,
Dont tant de fois depuis le drapeau triomphant
Flotta, signal de deuil pour la France alarmée,
Je ne te maudis pas ! Poitiers me le défend !


Après cette bataille à jamais mémorable
Qui jeta sur nos champs un voile de douleur,

Sublime chevalier, vainqueur incomparable,
N’as-tu pas dignement honoré le malheur
En ce roi qui, brûlant d’une héroïque flamme,
Une hache à la main et le front menaçant,
Pour son trône, son fils, la France et l’oriflamme
Combattit seul debout sur la plaine de sang !


J’aperçois Henri-Huit portant sur sa poitrine
L’armure qu’il reçut d’un empereur germain,
Alors que l’Aragon enchaîna Catherine,
La veuve de son frère, à son premier hymen !
Mes cheveux malgré moi sur ma tête se dressent !
Une invincible horreur glace mon sein tremblant !
Oh ! c’est qu’autour de lui ses victimes se pressent !
C’est qu’il marque ses pas sur un pavé sanglant !


Toi, je te reconnais à ta taille élancée,
Aux perles dont les fleurs parent tes vêtements,
À ton visage empreint d’une mâle pensée,
À ton front rayonnant d’or et de diamants !
Salut, Élisabeth, toi dont la main puissante
Étouffa les serpents de la sédition,
Dota le peuple anglais d’une paix florissante
Et livra l’océan au sceptre d’Albion !

Mais des taches de sang souillent la blanche moire
De ta robe aux reflets ondoyants et soyeux ;
Et, malgré tout l’éclat que jette ta mémoire,
De ton aspect royal je détourne mes yeux ;
Et je pleure, en lisant en mon âme attendrie,
En proie au souvenir d’une autre majesté,
La courageuse mort de la belle Marie,
Dont le crime pour toi n’était que sa beauté !


Voilà Charles-Premier sous l’armure dorée
Dont Londres, en bénissant son règne paternel,
À genoux, contemplant sa face vénérée,
Lui présenta l’hommage en un jour solennel !
Oh ! qui pouvait penser, au milieu de la fête
Où l’on voyait joyeux tout un peuple accourir,
Que Stuart au billot irait porter sa tête
Et que ce peuple ingrat le laisserait mourir !…


Anne, toi dont le nom rayonne dans l’histoire,
Que tu mérites bien l’éclat dont tu jouis !
Ton règne ami des arts et cher à la victoire
Balança la grandeur du règne de Louis !
Si Marlborough, guerrier à la gloire éternelle,
T’apporta ses lauriers, opulente moisson,

Sous tes yeux, à ta voix, à l’ombre de son aile
Naissaient les nobles chants de Pope et d’Adisson !


Salut, George-Premier !… Mais quelle est cette femme
À robe blanche, au front d’un diadème orné,
Aux yeux noirs éclatant d’une divine flamme
Et qui pose sa main sur le roi consterné !
C’est la reine Sophie ! Il me semble l’entendre,
Après les saints avis de son dernier adieu,
Dire à George, d’un ton et solennel et tendre :
Cher sire, dans un an vous rendrez compte à Dieu !


Quelle est cette autre femme et si pâle et si belle ?
C’est le sang des Cobourg ! c’est la fille des rois,
Charlotte qui repose en la sainte chapelle
Que pour ses chevaliers a bâtie Edward-Trois,
Charlotte dont la vie, hélas ! trop éphémère
Vous promettait, Anglais, un règne de splendeur,
Que vous pleurez ainsi qu’un fils pleure sa mère
Quand le monde n’a pas desséché sa candeur !


Oh ! pour vous consoler contemplez votre reine !
Il ne se courbe point sous le royal bandeau

Le front de votre rose blonde souveraine,
Son beau sceptre n’est pas en ses mains un fardeau !
Vers elle sont tournés les regards d’espérance
Des nobles fils d’Érin, d’injustices lassés !
Je la vois mettre un terme à leur longue souffrance !
Règnes d’Élisabeth et d’Anne, pâlissez !


Londres, 20 septembre 1838.







Paris. — Imprimerie de Pommeret et Guénot, rue Mignon, 2.