Aventures du gourou Paramarta : 1. Le Passage de la rivière dans Fables et Contes indiens (Dates inconnues)
Traduction Jean-Antoine Dubois 1826
Il y avait autrefois un gourou[1], nommé Paramarta[2], qui avait auprès de lui pour le servir et l’aider dans ses fonctions cinq disciples, dont l’un s’appelait Stupide, l’autre Idiot, le troisième Hébété, le quatrième Badaud, et le dernier Lourdaud.
Un jour que Paramarta, accompagné de ses disciples, venait de faire la visite de son district, et retournait à son mata (couvent), ils arrivèrent tous les six, vers l’heure du midi, auprès d’une rivière qu’il leur fallait passer : avant de s’exposer à la traverser, ils s’arrêtèrent quelque temps pour examiner l’endroit où elle était le plus aisément guéable, et après l’avoir découvert, comme les disciples se disposaient à entrer dans l’eau, le gourou les arrêta :
Mes enfans, leur dit-il, cette rivière se trouve souvent dans de très-mauvaises dispositions, et on rapporte par-tout un grand nombre d’événemens tragiques en tout genre qu’elle a occasionnés. J’ai ouï dire qu’afin de n’être pas exposé à des accidens fâcheux, il fallait la traverser toujours dans le temps qu’elle était endormie, et jamais lorsqu’elle était éveillée : ainsi, avant d’y mettre le pied, il faut que l’un de vous aille tout doucement examiner si elle dort, ou si elle veille ; après quoi, nous nous déciderons à la traverser tout de suite, ou à attendre pour le faire un moment plus favorable.
L’avis du gourou ayant paru très-sage à ses cinq disciples, Stupide fut aussitôt député pour aller examiner si la rivière dormait, ou si elle était éveillée. Pour s’assurer du fait, celui-ci prit un tison avec lequel il venait d’allumer sa chiroute (pipe de tabac), et s’approchant tout doucement de la rivière, de crainte de l’éveiller, il appliqua sur la surface de l’eau le tison allumé qu’il tenait à la main. Aussitôt que ce dernier vint en point de contact avec l’eau, le feu s’éteignit en produisant un sifflement qui fit bouillonner l’eau d’alentour, renvoyant en même temps sur le visage de Stupide la fumée qu’il exhala en s’éteignant.
Stupide, épouvanté à la vue de tous ces phénomènes, courut bien vite à l’endroit où il avait laissé le gourou et ses disciples, et s’étant approché d’eux d’un air consterné, et encore tout tremblant de frayeur, il adressa au gourou ces paroles d’une voix entrecoupée : Seigneur gourou, bien vous en a pris de m’envoyer pour examiner l’état de la rivière ; si nous avions eu le malheur de nous exposer à la traverser sans prendre cette précaution, aucun de nous ne serait maintenant en vie, elle nous aurait tous engloutis.
Conformément à vos ordres, je me suis approché d’elle très-doucement pour savoir si elle dormait ou si elle était éveillée ; pour m’assurer du fait, j’ai appliqué légèrement sur la surface de l’eau le tison que vous me voyez encore à la main ; à l’instant même où je l’ai touchée, elle est entrée dans un accès de fureur qui a fait bouillonner l’eau d’alentour, et