Wikisource:Extraits/2014/28

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Charles-Hubert Millevoye, Le Bûcher de la Lyre dans Anthologie des poètes français du XIXème siècle 1887


LE BÛCHER DE LA LYRE




À la fière Cléis tes chants ont pu déplaire ;
Elle a maudit tes chants, ô lyre des amours !
Il faut qu’un sacrifice apaise sa colère :
Tu dois périr ; adieu, Lyre, adieu pour toujours !

« Ô nymphes des coteaux, oréades légères,
Venez ; venez aussi, déités des forêts !
Apportez les parfums des plantes bocagères,
Quelques lauriers, un myrte, et de jeunes cyprès.

« Les dieux aiment les fleurs qui parent la victime :
Couronne-toi de fleurs une dernière fois,
Lyre ! au suprême instant que ta voix se ranime ! »
Et la Lyre en ces mots fit entendre sa voix :

« Toi que j’ai consolé, songes-y bien ! dit-elle,
Les dieux, les justes dieux punissent les ingrats.
L’amour vit peu d’instants, la gloire est immortelle :
Quelque jour, mais en vain, tu me regretteras.

« À tes doigts répondaient mes cordes poétiques,
Je m’éveillais pour toi dans le calme des nuits,
J’aurais fait plus encor : sous les cyprès antiques
L’Élégie en tes vers eût pleuré ses ennuis.

« Vers les bords du Mélès, pour toi du Méonide
J’eusse été recueillir quelque chant commencé,
Ou chercher à Céos du touchant Simonide
Les nobles vers perdus dans la nuit du passé.

« J’ouvrirais à tes pas la grotte accoutumée
Où rêvait Théocrite, où ses chants tous les soirs
Retentissaient, plus purs que l’huile parfumée
Dont l’or, dans Sicyone, inonde les pressoirs.

« Un jour, je sommeillais dans les bois d’Aonie ;
La Muse me toucha d’un magique rameau,
Et d’un mode inconnu m’enseigna l’harmonie ;
Mais