Wikisource:Extraits/2014/39

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Michel Carré et Léon Battu, Le Mariage aux lanternes 1857

LE
MARIAGE AUX LANTERNES

OPÉRETTE
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre des Bouffes-Parisiens, le 10 novembre 1857.


Une place de village. — À gauche la maison de Guillot ; à droite, l’entrée d’une grange devant laquelle se trouve un gros arbre dont le pied forme banc de gazon ; une petite table rustique devant la maison.



Scène PREMIÈRE

GUILLOT, DENISE.

Denise est debout auprès de l’arbre, elle est pensive. — Guillot entre par la gauche.

GUILLOT, brusquement. Eh bien ! qu’est-ce que tu fais là, plantée comme une image ?

DENISE. Moi, mon cousin, je ne fais rien.

GUILLOT. Je le vois bien ! … à quoi que tu penses ?

DENISE. Dame ! mon cousin…

GUILLOT. À pas grand’chose de bon, bien sûr. Les poules ont-elles à manger seulement ? je parie que tu ne leur z’as pas encore donné leur grain d’aujourd’hui !

DENISE. Non, mon cousin, mais…

GUILLOT. Là ! qu’est-ce que je disais ! … As-tu fini de tricoter la paire de bas que tu as commencée avant-z’hier ?

DENISE. Oh ! pour ça non, mon cousin…

GUILLOT. J’en étais sûr ! et il est déjà sept heures du matin ! — Mais quoi que t’as fait aujourd’hui, je vous le demande ? … À quoi que tu passes ton temps ? à dormir debout, à rêvasser comme une demoiselle ! … ça n’peut pas marcher comme ça, d’abord ! … avec ta mine triste à porter le diable en terre…

DENISE. Oui, mon cousin…

RONDEAU.

GUILLOT.

Que dirait l’oncle Mathurin,
S’il te voyait l’air si chagrin ?
Toi qui jadis toujours rieuse,
Étais d’ici la plus joyeuse !
Allons, je veux te voir soudain
Riante, gaie, heureuse, enfin !
I

GUILLOT.

À quoi passes-tu la journée ?
Trouverai-je en rentrant la basse-cour gavée ?

DENISE.

Oui, mon cousin.

GUILLOT.

As-tu rentré dans l’écurie
Le foin ? As-tu mené les bœufs dans la prairie ?

DENISE.

Oui, mon cousin.

GUILLOT.

Et la soupe est-elle trempée ?
As-tu mis au grenier la luzerne coupée ?

DENISE.

Oui, mon cousin.

GUILLOT.

Trouverai-je enfin, je te prie,
Tout en ordre en rentrant dans notre métairie ?

DENISE.

Oui, mon cousin.

GUILLOT.

Alors, tu dois être contente ?
Pourquoi donc n’as-tu plus la mine souriante ?
Que dirait l’oncle Mathurin
S’il te voyait, etc., etc., etc.
II

GUILLOT.

Tu ne fais rien depuis deux heures
Eh bien !… en vérité, l’on dirait que tu pleures !

DENISE, s’essuyant les yeux.

Non, mon cousin.

GUILLOT.

Ne suis-je pas la bonté même ?
Et, pour toi, ma douceur n’est-elle pas extrême ?