Wikisource:Extraits/2015/26

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Pierre Corneille, Défense des fables dans la poésie dans Poésies diverses (1641, édition 1862)


LXXV

Défense des fables dans la poésie.
Imitation du latin.


Qu’on fait d’injure à l’art de lui voler la fable !
C’est interdire aux vers ce qu’ils ont d’agréable[1],
Anéantir leur pompe, éteindre leur vigueur,
Et hasarder la Muse à sécher de langueur.
Ô vous qui prétendez qu’à force d’injustices 5
Le vieil usage cède à de nouveaux caprices,
Donnez-nous par pitié du moins quelques beautés
Qui puissent remplacer ce que vous nous ôtez ;
Et ne nous livrez pas aux tons mélancoliques
D’un style estropié par de vaines critiques. 10
Quoi ? bannir des enfers Proserpine et Pluton ?
Dire toujours le diable, et jamais Alecton ?
Sacrifier Hécate et Diane à la Lune,
Et dans son propre sein noyer le vieux Neptune ?
Un berger chantera ses déplaisirs secrets 15
Sans que la[2] triste Écho répète ses regrets ?
Les bois autour de lui n’auront point de dryades ?
L’air sera sans zéphyrs, les fleuves sans naïades,
Et par nos délicats les faunes assommés
Rentreront au néant dont on les a formés[3] ? 20


  1. Var. (édit. in-4o) :
    C’est interdire aux vers ce qu’ils ont d’admirable.
  2. Il n’y a la que dans l’édition in-4o. Toutes les autres portent le, mais c’est une faute évidente.
  3. Voyez dans le IIIe chant de l’Art poétique de Boileau (vers 163 et suivants) un assez long passage où l’auteur paraît se souvenir des vers de Santeul et de Corneille et défend la même opinion. Le vers 232 de Boileau : « D’ôter à Pan sa flûte, » rappelle notre 49e : « Otez Pan et sa flûte. »