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J. Germano, Faut-il gâter les enfants ? dans Le Journal de Françoise, Vol 1 No 4 1902


Faut-il gâter les enfants ?


SI l’on s’en tenait à la signification exacte du verbe employé dans ce titre, la réponse à la question qu’il formule ne pourrait être que négative. En effet, dans son acception la plus usuelle, le mot gâter exprime une idée de détérioration, de déformation sans profit, sans nul avantage. Mais le même vocable cesse entièrement de se montrer sous un jour aussi défavorable et se fait mieux apprécier, quand il s’applique aux rapports existant entre les parents et leurs enfants ; lorsqu’il vise les bons procédés dont les pères ne se montrent point avares envers ceux qui leur doivent la vie ; aux heures où il évoque les cajoleries, les tendresses que, sans compter, les mères prodiguent aux êtres qu’elles ont appelés à l’existence et qu’elles ne trouvent jamais assez choyés, suffisamment fêtés.

C’est, d’ailleurs, de ce terme, peu attirant au premier abord, qu’est né le substantif gâterie, résumant les soins délicats, les attentions touchantes dont la femme, avant tous autres, se montre coutumière. Combler quelqu’un de prévenances, de bontés, ne semble donc point répréhensible, et si l’on n’encourt aucun blâme en traitant ainsi de simples alliés et même des étrangers, on sera exempt de tout reproche chaque fois que cette louable habitude bénéficiera à une descendance directe. Il est, dès lors, incontestablement permis de conclure qu’il faut gâter ses enfants.

D’ordinaire, point n’est besoin de contrainte pour obtenir l’exécution de cette obligation, de ce devoir imposé par une loi naturelle, facile en son accomplissement. Tout au contraire, il y a lieu, dans bien des cas, de modérer l’élan et d’empêcher des excès avoisinant l’aveuglement. Au surplus, un cœur de pierre seul serait capable de contempler, sans émotion, le bébé rose, enseveli sous les riches dentelles ou enveloppé de modestes lainages, dormant en son berceau dont, à son réveil, il agite, souriant, les longs rideaux rasant le sol. Aussi, le chérubin qui esquisse ses premiers pas, saisi de crainte, à chaque mouvement, à chaque effort vers les bras tendus, s’inclinant, s’abaissant jusqu’à lui ; la mignonne tête blonde qui s’évertue à articuler les doux noms de papa, de maman, dont il fera, par la suite, un si fréquent usage, n’attendent jamais les baisers laissant leur empreinte sur leurs chairs à peine formées, les chaudes et innocentes étreintes, les transports de ce pur et profond amour que Dieu mit en l’âme de quiconque le seconde dans son œuvre. À cet égard, pourtant, on doit l’avouer, le mérite n’est pas immense. Ces frêles roseaux naissant à peine, complètement privés de la possibilité d’exister par eux-mêmes, ont besoin de tant de secours, demandent à être entourés d’une si vive sollicitude, qu’il y aurait cruauté manifeste à leur refuser l’appui qu’ils implorent sans cesse, et dont les caresses leur semblent la véritable expression.

Le chantre sublime de l’enfance, celui dont l’univers entier récemment célébrait le centenaire, en a dit tous les charmes :

Il est si beau, l’enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés ;
Laissant errer sa vue, étonnée et ravie,
Offrant, de toutes parts, sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers.

Mais, loin de se limiter aux premières années, l’extrême bienveillance des parents pour leur progéniture, est tenue de se soutenir, de s’affirmer en proportion du cas que peuvent en faire ceux qui en recueillent le bénéfice. Sitôt que se montre la raison, que se dessine le jugement, l’enfant doit se sentir enveloppé d’une bienfaisante atmosphère