Wikisource:Extraits/2015/47

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Charles Perrault, La Belle au bois dormant dans Histoires ou Contes du temps passé 1697


LA BELLE
AU BOIS
DORMANT


CONTE


Il estoit une fois un Roi & une Reine qui estoient si faschez de n’avoir point d’enfans, si faschez qu’on ne sçauroit dire. Ils allerent à toutes les eaux du monde : vœux, pelerinages, menuës devotions, tout fut mis en œuvre, & rien n’y faisoit. Enfin, pourtant, la Reine devint grosse, & accoucha d’une fille ; on fit un beau Baptesme ; on donna pour Maraines à la petite Princesse toutes les Fées qu’on pust trouver dans le Païs (il s’en trouva sept), afin que, chacune d’elles luy faisant un don, comme c’estoit la coustume des Fées en ce temps-là, la Princesse eust, par ce moyen, toutes les perfections imaginables. Aprés les ceremonies du Baptesme, toute la compagnie revint au Palais du Roi, où il y avoit un grand festin pour les Fées. On mit devant chacune d’elles un couvert magnifique, avec un estui d’or massif où il y avoit une cuillier, une fourchette & un couteau de fin or, garnis de diamants & de rubis. Mais, comme chacun prenoit sa place à table, on vit entrer une vieille Fée, qu’on n’avait point priée, parce qu’il y avait plus de cinquante ans qu’elle n’estoit sortie d’une Tour, & qu’on la croyoit morte ou enchantée. Le Roi lui fit donner un couvert ; mais il n’y eut pas moyen de lui donner un estuy d’or massif, comme aux autres, parce que l’on n’en avoit fait faire que sept pour les sept Fées. La vieille crût qu’on la méprisait, & grommela quelques menaces entre ses dents. Une des jeunes Fées qui se trouva auprés d’elle, l’entendit, et, jugeant qu’elle pourroit donner quelque fâcheux don à la petite princesse, alla dés qu’on fut sorti de table, se cacher derriere la tapisserie, afin de parler la derniere, & de pouvoir réparer, autant qu’il luy seroit possible, le mal que la vieille aurait fait. Cependant les Fées commencerent à faire leurs dons à la Princesse. La plus jeune luy donna pour don qu’elle seroit la plus belle personne du monde, celle d’aprés qu’elle auroit de l’esprit comme un Ange, la troisiéme qu’elle auroit une grace admirable à tout ce qu’elle feroit ; la quatriéme qu’elle danseroit parfaitement bien, la cinquiéme qu’elle chanteroit comme un rossignol, & la sixiéme, qu’elle joüeroit de toutes sortes d’instrumens dans la derniere perfection. Le rang de la vieille Fée estant venu, elle dit, en branlant la teste, encore plus de dépit que de vieillesse, que la Princesse se perceroit la main d’un fuseau & qu’elle en mourroit. Ce terrible don fit fremir toute la compagnie, & il n’y eut personne qui ne pleurât. Dans ce moment, la jeune fée sortit de derriere la tapisserie, et dit