Wikisource:Extraits/2015/48

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Wilkie Collins, Le Secret 1856

Traduction Old Nick 1872

LIVRE PREMIER.


CHAPITRE PREMIER.

Le 23 août 1829.


« Ira-t-elle bien jusqu’à demain ?

— Regardez l’horloge, Joseph.

— Minuit dix minutes. Une nuit de plus, qu’elle aura duré. Quoi qu’il arrive, Robert, elle aura vu les dix premières minutes de cette journée. »

Ce dialogue s’était engagé dans la cuisine d’une grande maison de campagne, située sur la côte occidentale du pays de Cornouailles. Les interlocuteurs étaient deux des domestiques mâles du capitaine Treverton, officier de marine, et l’aîné des représentants masculins d’une ancienne famille du pays. Les deux serviteurs se parlaient à l’oreille, sotto voce, serrés l’un contre l’autre, et jetant un regard inquiet vers la porte, à chaque intervalle de silence.

« Ce n’est pas une chose de peu de conséquence, dit le plus âgé, que de nous trouver ainsi, tous deux, seuls, à cette heure de silence et de ténèbres, comptant les derniers moments de vie qui restent à notre maîtresse.

— Robert, dit l’autre, baissant encore la voix, de manière à être à peine entendu, vous servez ici depuis votre enfance. Avez-vous jamais entendu dire que madame fut une comédienne à l’époque où l’épousa monsieur ?

— Comment avez-vous su cela ? demanda vivement le vieux domestique.

— Chut !… » s’écria l’autre, se levant soudain de sa chaise.

Une sonnette vibrait dans le corridor extérieur.

« Est-ce pour un de nous ? demanda Joseph.

— Ne savez-vous pas encore distinguer le timbre de ces sonnettes ? s’écria Robert, non sans quelque dédain. Celle-ci appelle Sarah Leeson. Allez plutôt voir dans le corridor. »

Le plus jeune des deux valets prit un flambeau, et suivit le conseil qui lui était donné. En ouvrant la porte de la cuisine, il vit, sur la muraille en face de lui, une longue rangée de sonnettes. Au-dessus de chacune était peint, en lettres noires, le titre du domestique qu’elle était destinée à faire marcher. À une extrémité figuraient la femme de charge et le sommelier ; à l’autre bout, la fille de cuisine et le petit saute-ruisseau de cet aristocratique établissement.

Joseph, par un simple coup d’œil jeté sur ces sonnettes, distingua celle qui, muette déjà, s’agitait encore sur sa tige frémissante. Au-dessus étaient ces mots : Femme de chambre. Instruit par là de ce qu’il avait à faire, il longea vivement le corridor et alla frapper à une grande porte en chêne, travaillée à l’ancienne mode, qui en fermait une des extrémités. Ne recevant aucune réponse, il ouvrit et regarda. La chambre était obscure et déserte.

« Sarah n’est pas dans la chambre de la femme de charge, dit Joseph à son camarade qu’il était allé rejoindre.

— Elle est donc rentrée chez elle, répliqua l’autre.