Wikisource:Extraits/2016/19

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Éphraïm Mikhaël, Le Cor fleuri 1888



LE COR FLEURI

La scène représente une clairière dans la forêt des fées. Parmi des herbes lumineuses et des fleurs coule une fontaine. À droite, des buissons de roses. Oriane est assise près de la fontaine. Elle dévide sur son rouet des fils pareils à des rayons de lune.
ORIANE.

Ô fils resplendissants, ô fils couleur d’étoile
Serez-vous le manteau d’un prince ou bien le voile
D’une reine ?… Non, non, fils couleur du printemps,
Je veux que vous soyez les clairs rideaux flottants
Éployés sur le lit ardent d’une amoureuse
Comme un pavillon d’or sur une barque heureuse.
Un silence. Le rouet s’arrête. Oriane laisse tomber son fuseau et rêve.
Oui, moi la calme sœur du lys et du ramier,
J’aime l’amour, et c’est mon plaisir coutumier
D’endormir une vierge et des songes d’épouse.
Ô songes nuptiaux…
Vivement, se faisant un reproche.
Ô songes nuptiaux…Eh ! bien, suis-je jalouse ?
Oriane serait jalouse des amants ?
Ah ! folle !… N’ai-je pas dans mes palais dormants,
L’orgueil des voluptés ineffablement pures ?
Là-bas, aux buissons bleus je cueille au lieu de mûres
Des saphirs… et le soir, en tournant mes fuseaux,
J’entends chanter les mandragores. Mes oiseaux
Exhalent dans leur vol un parfum de corolles
Et je suis une fée, et je sais les paroles
Qui font surgir au ciel des astres inconnus.
Je peux tout !
Tristement.
Je peux tout ! Non ! car mes longs cheveux, mes bras nus,
Ma gorge qui s’émeut sous ma robe étoilée,
Nul ne les voit ; et si parfois, dans une allée
Un voyageur épris de cieux et de forêts
Passe en chantant au loin, vite, je disparais !