Wikisource:Extraits/2016/21

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Maurice Magre, Conseils à un jeune homme pauvre qui vient faire de la littérature à Paris 1908


Ô jeune homme qui viens faire de la littérature à Paris, qui as peu d’argent et pour la première fois apparais à la gare d’Orsay, arrête. Il est temps encore. Tu pourrais, ayant contemplé les quais mélancoliques, le Louvre bas, reprendre un train qui te remporterait vers la ville d’où tu viens. Tu gagnerais ainsi, peut-être, dix années de ta vie.

Mais non ! Tu te diriges allègrement vers le quartier latin, à pied, car une légende provinciale représente les cochers de fiacres, pauvres esclaves errants, comme des personnages injurieux et redoutables.

Le choix d’un logis est une chose grave. Il faut payer d’avance le propriétaire de l’hôtel garni et tu seras condamné à rester un mois entier dans une chambre misérable, si tu cèdes à ta timidité et si tu acceptes la première venue, à cause de l’œil narquois du garçon qui te la fait visiter.

Veille à ce que le numéro de cette chambre ne soit pas marqué sur la porte par un chiffre énorme. Tu entendras assez souvent dans l’hôtel des phrases telles que celles-ci :

Les lettres du huit ! Le huit a sonné ! Une visite pour le huit !

Tu souffriras de sentir ton nom dédaigné et tu ne peux te douter combien il te serait amer, de voir, à minuit, à la lueur de ta bougie qui vacille, se dresser encore ce numéro fatidique comme le symbole de ton existence, désormais anonyme, dans la grande ville.

Veille encore à ce que cette chambre renferme une cheminée. Cela n’est point négligeable. Tes écrits se ressentiraient de cette absence. Ils seraient chétifs et grelottants, car il y a de grands vides sous les portes, et les fenêtres laissent passer l’air abondamment.

N’examine pas les meubles. Ils sont laids et dégagent une odeur indéfinissable de vieilleries. Accoutume-toi à leur médiocrité. Seule la table mérite quelque intérêt. Si tu en soulèves le tapis, peut-être y trouveras-tu une curieuse inscription, attestant le passage d’un autre jeune homme semblable à toi.

N’aie pas honte de la pauvreté de ton hôtel. Affecte au contraire d’en tirer vanité. Si quelque ami t’accompagne par la suite jusqu’à ta porte, raconte des anecdotes pittoresques sur ces vieux murs dont ton imagination te fournira les thèmes variés ; parle des personnages illustres qui les ont habités. Ainsi tu seras aisément comparé à un héros de Balzac et même celui qui a un riche appartement enviera peut-être la fantaisie de ta vie.

Crains cette grosse dame trop aimable et trop familière, cette gérante curieuse et bavarde. Elle te tend chaque soir ta bougie avec quelques paroles de bienveillance. Hâte-toi par un sourire complaisant de flatter la bonne tenue de sa maison, loue son esprit et même sa beauté, si elle y prétend encore.

Car cette grosse dame jouit d’un pouvoir terrible et discrétionnaire. Elle peut te faire