Wikisource:Extraits/2016/33

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Joseph Ferdinand Morissette, Le diable au bal 1883


LE DIABLE AU BAL.



NOUVELLE.

Alexis Provost avait deux filles à marier.

Une avait vingt-quatre ans, l’autre vingt et un ans. Comme on le voit, elles commençaient à être grandettes et il était bien temps que leur père songeât à leur trouver chacun un mari.

Alexis Provost était riche, au dire des gens qui le connaissaient.

Il avait fait sa fortune dans le commerce de bois.

C’était un homme peu instruit, mais dont les capacités commerciales surprenaient bien des gens. Il avait commencé son commerce avec une petite somme d’argent, et avait réussi à se créer une honnête aisance, grâce à un travail constant et assidu.

Il n’était pas aussi riche qu’on le disait cependant. Il avait environ cinquante mille piastres. Cette somme lui rapportait à 5 pour cent d’intérêt, un joli revenu de deux mille cinq cents piastres par année.

C’était plus que suffisant pour ses goûts modestes.

Alexis Provost avait épousé à l’âge de vingt-ans, une jeune fille de Montréal, Alice Boisvert.

Madame Provost était une gentille personne. Elle n’était âgée que de dix-huit ans, lors de son mariage. Elle avait été très bien élevée, elle avait reçu une bonne éducation ; c’était une femme accomplie ; ajoutez à cela une beauté assez rare et vous comprendrez facilement que le jeune Provost s’éprît d’elle et l’épousât.

Alice Boisvert avait pourtant un défaut, un grand défaut même, elle était affreusement légère… de caractère.

Des ennemis de la plus belle partie du genre humain ont prétendu que la légèreté était un défaut inné chez les femmes. Je ne serai pas aussi sévère qu’eux, mais je dirai que malheureusement, la chose se rencontre souvent.

Alice Boisvert, fille, contait fleurette à tous les garçons qu’elle rencontrait. Elle était gaie, rieuse, aimait à badiner ; partout où elle allait, on pouvait être certain que l’amusement ne manquerait pas.

Un beau jour, sa gaieté disparut comme par enchantement. On se demandait ce qu’elle pouvait avoir, mais personne ne réussissait à découvrir le secret de ce changement subit. Quelque temps après on apprenait le mariage de la jeune fille avec Alexis Provost. Le secret était découvert.

Malgré toute sa légèreté, Alice avait compris l’importance de l’acte qu’elle allait faire.

Le jour de son mariage, la jeune fille recouvra toute sa gaieté.

Cependant, devenue femme, elle avait mis un frein à sa légèreté et son mari n’eut jamais à lui faire le moindre reproche.

Au moment où commence notre récit, Alexis Provost est père de deux filles.

J’ai fait connaître leurs âges plus haut.

La plus âgée se nommait Alice, la plus jeune Arthémise.

Ces deux jeunes filles ne se ressemblaient en aucune manière. L’aînée était blonde, la plus jeune était brune. Alice avait la gaieté folle de sa mère ; Arthémise était sage et réservée comme son père.

Elles s’aimaient toutes deux bien cordialement, jamais de dispute, jamais de chicane. Disons de suite que les désirs d’Alice étaient des ordres pour Arthémise et que cette dernière obéissait aux moindres caprices de son aînée.

Les deux filles étaient libres de leurs actions. La mère qui se rappelait son jeune temps, prétendait que la jeunesse doit s’amuser. Ses filles ne passaient pas un soir sans assister à une soirée quelconque. Madame Provost préparait elle-même leur toilette, ce n’étaient pas elles qui avaient les plus vilains costumes.

J’ai oublié de dire que Alexis Provost demeurait à Montréal et qu’il fréquentait la meilleure société. Aussi les bals ne manquaient pas pour les deux jeunes filles. On sait que dans la grande société, il est de rigueur que