Georges Feydeau, Le Potache 1883
LE POTACHE
Monologue
Hein ? Vous croyez que je ris ? Je suis furieux ! Ces professeurs, quels crétins ! Si jamais je suis ministre, je les supprime ! Vous ne savez pas ce qui m’arrive ? Mon professeur me demande ma leçon ; je n’en savais pas un mot ; il me flanque un zéro. Quelle injustice ! Est-ce que je pouvais la savoir… je ne l’avais pas apprise. J’ai réclamé… il m’a mis à la porte. Alors je lui ai dit un mot, mais un mot ! Eh bien, il n’a pas bronché, le lâche ! — Il est vrai qu’il n’a pas pu l’entendre, je l’ai dit tout bas.
Ah ! c’est que ce matin j’avais bien autre chose à faire que d’apprendre des leçons. J’ai dormi moi !… parce que, avant hier, j’ai été en soirée… Oh ! une soirée étonnante ! Il y avait des hommes, des femmes et deux députés… dont un Auvergnat. L’Auvergnat a voulu prendre la parole, mais on s’y est opposé… à cause de l’autre. Ils n’étaient pas du même avis ; cela aurait pu faire du grabuge.
Quand je suis arrivé, il y avait peu de monde ; dans le vestibule, j’ai trouvé un monsieur très aimable… avec des favoris : on m’a dit que c’était le maître d’hôtel ; Ah ! il a un bien bel hôtel ! — Je lui ai serré la main, il a eu l’air très flatté… et il m’a demandé mon paletot. Vrai, pour un propriétaire aussi riche, il n’est pas fier. Moi, vous comprenez, j’ai refusé et j’ai donné mon caban à un monsieur qui avait l’air beaucoup moins bien, mais qui devait être quelque chose dans la maison, car tous les invités lui serraient la main en l’appelant « mon cher ».
Je suis entré dans le salon ; la maîtresse de la maison est venue à moi et m’a serré la main… (avec fatuité). Et je crois même…, à la façon dont elle m’a regardé, que… Enfin passons, pauvre enfant ! — Elle a voulu me présenter à son mari, mais je lui ai dit que j’avais eu l’honneur de lui serrer la main dans le vestibule. — Je me suis assis. À côté de moi, il y avait une jeune fille… qui me regardait… (avec fatuité) et je crois même…, à la façon dont elle me regardait, que… Enfin passons, pauvre enfant ! — Voyant qu’elle n’osait me parler la première, j’ai pris la parole et je lui ai dit : « Mademoiselle, il ne fait pas encore très chaud ! Mais, tout à l’heure il fera beaucoup plus chaud. » Elle a commencé à rougir… pauvre enfant ! Alors