Wikisource:Extraits/2016/47

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Eugène de Mirecourt, Biographie du poëte Victor Hugo dans Les Contemporains 1854

VICTOR HUGO


Lorsque la France traverse le gouffre des révolutions, il est rare qu’elle n’y laisse pas tomber quelques-uns de ses plus nobles enfants. Victor Hugo, comme autrefois Alighieri, chassé de Florence par les Guelfes, pleure sur la terre étrangère.

Il ne nous appartient pas d’écrire l’histoire de l’homme politique ; nous voulons seulement raconter celle du poëte.

C’est une tâche délicate, presque impossible, et que nous n’eussions jamais osé aborder peut-être, si Hugo (nous disons Hugo comme nous dirions Dante ou Shakespeare) n’était pas un de ces esprits heureux, un de ces rares écrivains qui assistent vivants à leur apothéose, et pour lesquels, sur le cadran de la postérité, l’aiguille avance toujours.

D’une ancienne et vaillante famille de Lorraine, anoblie sur les champs de bataille, le comte Victor Hugo porte d’azur au chef d’argent, chargé de deux merlettes de sable.

Il est né à Besançon, en 1803.

Son père, général au service de Joseph Bonaparte, alors roi de Naples, fut choisi pour combattre Fra-Diavolo, ce brigand terrible qui jetait l’effroi dans les contrées italiennes, et dont il parvint à disperser la bande.

Le général Hugo suivit ensuite Joseph Bonaparte en Espagne.

Il s’y distingua par sa science militaire et ne repassa les Pyrénées qu’en 1814, époque où Napoléon l’envoya défendre Thionville. Avec une poignée d’hommes, le courageux gouverneur protégea contre des armées entières de Cosaques et de Prussiens les remparts confiés à sa garde.

Victor Hugo, dès sa plus tendre enfance, voyagea donc en Italie et en Espagne.

Le soleil du Midi chauffa de ses plus ardents rayons cette jeune tête enthousiaste, d’où la poésie déborda bientôt comme d’une source féconde :

Avec nos camps vainqueurs, dans l’Europe asservie
J’errai, je parcourus la terre avant la vie ;
Et tout enfant encor, les vieillards recueillis
M’écoutaient, racontant d’une bouche ravie
Mes jours si peu nombreux et déjà si remplis.

Mes souvenirs germaient dans mon âme échauffée ;
J’allais, chantant des vers d’une voix étouffée ;
Et ma mère, en secret observant tous mes pas,
Pleurait et souriait, disant : « C’est une fée
Qui lui parle et qu’on ne voit pas ! »

À quatorze ans et quelques mois, Victor Hugo concourut pour un prix académique. Il obtint seulement la première mention honorable, et cela par une susceptibilité bizarre de messieurs les Quarante. On prétendit que