Wikisource:Extraits/2016/50

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Père Hugolin, Robichoux dans Au fond du verre : histoires d’ivrognes 1908

Robichoux



Je ne veux pas d’ivrogne, pas de tapageur, chez moi !… Et vlan ! une main au collet, l’autre… ailleurs, le cabaretier aux larges épaules, au ventre en boule, jette à la porte Robichoux, qui roule dans la neige…

C’est bien la centième fois que Robichoux saôulé, désargenté et casseur entend le respectable aubergiste lui déclarer : « Je ne veux pas d’ivrogne, pas de tapageur, chez moi ! » et qu’il se voit ignominieusement jeté à la porte… et ce sera bien aussi la centième fois demain que Robichoux retournera au cabaret, accueilli par le sourire engageant du buvetier, pour être de nouveau saôulé, désargenté, puis expulsé par sa large main et par son large pied… lorsqu’il parlera de tout casser…

Pas de cœur dans la poitrine, Robichoux !…

Le cœur aux talons, l’aubergiste !

L’ivrogne s’est ramassé comme il a pu… a retrouvé son casque roulé à dix pas… s’est retourné vers l’auberge qu’il apostrophe du poing et de la voix.

Puis grommelant il s’ébranle…

Il y a un bon mille du cabaret à la maison de Robichoux, et ce qu’il fait froid en cette nuit du 22 décembre ! L’ivrogne titube, tombe et se ramasse pour rechuter… il va comme ça, plus longtemps étendu que debout.

Sa maison a donc reculé ?… n’y arrivera-t-il donc jamais ?… Il sent le froid l’envahir ; chaque minute le fige, et voilà déjà trois quarts d’heure qu’il cherche son équilibre et son logis…

Et toujours il titube, tombe, se relève pour tomber encore…

Il est une heure, aucun passant attardé ne survient pour aider le malheureux.

À chacune des chutes de l’ivrogne, ses mains nues font une plongée dans la neige étincelante ou se collent à la glace du chemin.

Maintenant ses jambes, engourdies par l’ivresse, ankylosées par le froid, ne le portent plus debout. Robichoux ne marche plus que sur ses mains et ses genoux.

Il se traîne ainsi dans la neige et sur le verglas… longtemps… un quart d’heure ? une demi-heure ?…

Enfin ! la voilà sa maison !… Ô joie d’y arriver ! va-t-il se chauffer, se dégeler !

Il se rue sur la porte, qu’on lui ouvre… et