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Alexandre Hérault, De la liberté de la boulangerie pour la fabrication et la vente du pain limitée aux règles du droit commun 1877


DE LA
LIBERTÉ DE LA BOULANGERIE
POUR LA
FABRICATION ET LA VENTE DU PAIN
LIMITÉE AUX RÈGLES DU DROIT COMMUN

Les considérations que je vais présenter ont pour objet d’obtenir une réforme qui aura pour conséquence :

D’abord, de permettre une répartition équitable dans le prix de la vente du pain, et par suite une diminution sensible sur le prix de vente, pour un grand nombre de consommateurs ; et puis encore une amélioration générale dans la fabrication du pain ;

En second lieu, d’affirmer au boulanger le droit reconnu à tout citoyen par les lois de 1791 et par celle du 1er  brumaire an vii, d’exercer librement son commerce ou son industrie, moyennant le paiement des impôts légalement établis en pareille matière.

Enfin, de donner au commerce de la boulangerie la sécurité à laquelle il a droit, en le plaçant sous l’empire des règles du droit commun, et de mettre fin à une situation exceptionnelle que l’expérience a définitivement condamnée.


Si un boulanger verse dans son pétrin une culasse, autrement dit 157 kilog. de farine, et si après l’avoir transformée en une pâte uniforme, il divise celle-ci en 70 pâtons d’égal poids chacun, lorsque ces pâtons seront cuits, ils donneront au boulanger 70 pains qui lui auront coûté chacun le même prix, soit pour la quantité de farine, soit pour le travail, soit pour la cuisson. On peut donc affirmer que selon toute justice le boulanger doit pouvoir vendre chacun de ces pains le même prix. Ceux qui ont l’habitude de la boulangerie savent bien qu’il est impossible de donner au pain une cuisson uniforme, et que, sortis du four, ces 70 pains auront tous des poids différents les uns des autres, avec un écart qui pourra varier de 5 % au moment du refroidissement, dans la même catégorie, suivant la qualité. Il est donc très-injuste de vouloir qu’un pain se vende d’autant moins cher que la cuisson plus grande en diminue le poids.

Mais les 70 pains en question perdront 5 % de leur poids en moyenne, dans les 36 heures, par l’évaporation ; n’est-il pas encore très-injuste que le boulanger remplace par du pain l’eau évaporée.

Et cependant voilà la conséquence forcée de la situation faite à la boulangerie d’Angers par l’arrêté municipal du 30 juillet 1863[1], qui veut que le pain mis en vente ait l’unité de qualité et de poids dans chaque catégorie.

En raison de cela, et d’après l’interprétation qu’ils donnent à la loi du 27 mars 1851, les tribunaux considèrent la forme d’un pain comme indicative de son poids, en faisant supposer un pesage antérieur et exact.

L’application, à ce point de vue, de la loi de 1851, est très-grave et fâcheuse pour le boulanger.

Somme toute, avec l’arrêté municipal précité, on arrive à exiger que le boulanger fasse des pains qui pèsent un poids déterminé, malgré les écarts de cuisson, et que ces pains conservent leur poids malgré l’évaporation et malgré tous les autres empêchements. Autrement dit, on veut que le boulanger fasse ce que les chimistes les plus habiles ne pourraient obtenir dans leurs laboratoires, malgré tous leurs soins et malgré les progrès de la science.

Dans ces conditions, que peut faire le boulanger ? Évidemment, avec la meilleure volonté du monde, il ne pourra jamais se conformer à la règle qu’on lui impose, parce qu’elle est tout à fait impraticable.

Pour vendre son pain au poids, dans les conditions qui lui sont prescrites par l’arrêté municipal, le boulanger doit employer en moyenne, — si la fabrication du pain et la qualité de la matière employée sont bonnes, — 5 % du poids total de son pain pour remplacer l’eau évaporée, soit dans le pain le plus cuit, soit dans le pain rassis. Mais, afin de ne pas perdre son bénéfice qui doit être de 5 % sur le prix total de la vente, il faut qu’il élève le prix général de son pain de 5 %. Ceux qui prennent du pain plus cuit ou du pain rassis en profitent au détriment des autres.

D’un autre côté, l’arrêté municipal, en ordonnant la vente au poids, ne distingue pas entre la vente au comptant et celle à crédit. Le boulanger est donc forcé de vendre le même prix au comptant qu’à crédit. Alors il faut encore qu’il élève au moins de 5 % le prix général de sa vente pour faire face à la perte d’intérêt et à la perte par le crédit. Et cela au détriment du consommateur qui paye comptant. Si le boulanger avait la liberté que je demande, il pourrait

  1. Arrêté municipal de la ville d’Angers, du 30 juillet 1863.

    Art. 3. — Il est prescrit aux boulangers d’afficher ostensiblement dans leur boutique le prix du pain par kilogramme et par qualité qu’il leur conviendra de fixer chaque jour.

    Ce prix sera invariable pour toute la journée.