Friedrich de La Motte-Fouqué, Ondine 1811
Traduction anonyme, 1913
I
L’ARRIVÉE DU CHEVALIER
IL était une fois un vieux pêcheur qui vivait dans une
contrée merveilleuse. La pointe de terre, couverte de
gazon fleuri, où s’élevait sa chaumière, s’avançait très
loin au milieu des eaux d’un grand lac, et les ondes bleues
caressaient ce sol ombragé de beaux arbres.
Les hommes ne s’étaient pas encore partagé cet endroit délicieux : le pêcheur et sa famille en étaient les seuls habitants.
Cela tenait sans doute à ce que derrière cette presqu’île de rêve s’étendait une sombre forêt, réputée fort dangereuse, repaire, disait-on, d’esprits malins et pervers, en tout cas si effrayante que personne n’osait s’y aventurer. Cependant, pour aller vendre les produits de sa pêche à la ville voisine, le vieux pêcheur l’avait bien des fois traversée, et toujours sans accident ; mais il faut dire que le bonhomme avait le cœur pur et que toutes ses pensées allaient à Dieu : encore avait-il soin, afin d’armer son courage, d’entonner des cantiques dès l’instant où il abordait l’ombre épaisse des fourrés.
Or, ce soir-là, tandis qu’il raccommodait tranquillement ses filets au seuil de sa cabane, le bon pêcheur entendit soudain un bruit étrange qui semblait provenir de la forêt : on eût dit la course folle d’un cheval au galop. Il ne put s’empêcher de penser aux visions qu’il avait eues, certaines nuits de tempête : surtout l’image d’une sorte de géant, blanc comme neige, au chef branlant, lui revint en mémoire, et, comme il regardait dans la direction de la forêt, voici qu’il crut apercevoir le fantôme parmi les arbres. Il frissonna ; seule, l’idée que la verte et riante prairie où il se trouvait le mettait à l’abri des mauvais génies de la forêt parvint à le rassurer. Et puis, une prière lui monta aux lèvres, et bientôt il se mit à rire de ses hallucinations : ce qu’il prenait si volontiers pour un géant de neige, c’était tout simplement un ruisseau qui jaillissait d’un fourré et courait en clairs replis se jeter dans le lac. Et le bruit étrange, qui tout d’abord l’avait inquiété, cessa de