Wikisource:Extraits/2019/29

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Edward Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain : tome III, chapitre XVIII 1776

Traduction François Guizot 1819


Massacre des princes.

La voix de l’empereur mourant avait recommandé le soin de ses funérailles à la piété de Constance ; et ce prince, par la proximité de sa résidence en Orient, pouvait aisément prévenir l’arrivée de ses frères, dont l’un était en Italie et l’autre dans les Gaules. Quand il eut pris possession du palais de Constantinople, son premier soin fut de tranquilliser ses cousins en se rendant caution de leur sûreté par un serment solennel, et le second fut de trouver un prétexte spécieux qui pût soulager sa conscience du poids d’une si imprudente promesse. La perfidie vint au secours de la cruauté, et le plus odieux mensonge fut attesté par l’homme le plus vénérable par la sainteté de son ministère. Constance reçut un funeste rouleau des mains de l’évêque de Nicomédie, et le prélat affirma qu’il contenait le véritable testament de Constantin. L’empereur y annonçait le soupçon d’avoir été empoisonné par ses frères ; il conjurait ses fils de venger sa mort et de pourvoir à leur propre sûreté par le châtiment des coupables [685]. Quelques raisons que pussent alléguer ces malheureux princes pour défendre leur vie et leur honneur contre une accusation peu croyable, ils furent réduits au silence par les clameurs des soldats qui se montrèrent à la fois leurs ennemis, leurs juges et leurs bourreaux. Les lois et toutes les formes légales de la justice furent violées par des iniquités multipliées, dans le massacre général qui enveloppa les deux oncles de Constance, sept de ses cousins, dont Dalmatius et Annibalianus étaient les plus illustres, le patricien Optatus, qui avait épousé la sœur du dernier empereur, et le préfet Ablavius, qui, par sa puissance et par ses richesses, avait conçu l’espoir d’obtenir la pourpre. Nous pourrions ajouter, si nous voulions augmenter l’horreur de cette scène sanglante, que Constance avait épousé lui-même la fille de son oncle Julius, et qu’il avait donné sa sœur en mariage à Annibalianus. Ces alliances, que la politique de Constantin, indifférente pour le préjugé du peuple [686], avait formées entre les différentes branches de la maison impériale, servirent seulement à prouver au monde que ces princes étaient aussi insensibles à l’affection conjugale, qu’ils étaient sourds à la voix du sang et aux supplications d’une jeunesse innocente. D’une si nombreuse famille, Gallus et Julien, les deux plus jeunes enfans de Julius-Constance, furent seuls dérobés aux mains de ces assassins féroces jusqu’au moment où leur rage rassasiée de sang commença à se ralentir. L’empereur Constance, qui, pendant l’absence de ses frères, se trouvait le plus chargé du crime et du reproche, fit paraître dans quelques occasions un remords faible et passager des cruautés que les perfides conseils de ses ministres et la violence irrésistible des soldats avaient arrachées à sa jeunesse sans expérience [687].

Division de l’empire. A. D. 337. 11 sept.

Le massacre de la race Flavienne fut suivi d’une nouvelle division des provinces, ratifiée dans une entrevue des trois frères. Constantin, l’aîné des Césars, obtint, avec une certaine prééminence de rang, la possession de la nouvelle capitale qui portait son nom et celui de son père [688]. La Thrace et les contrées de l’Orient furent le patrimoine de Constance, et Constans fut reconnu légitime souverain de l’Italie, de l’Afrique et de l’Illyrie occidentale. L’armée souscrivit à ce partage, et après quelques délais, les trois princes daignèrent recevoir du sénat romain le titre d’Auguste. Quand ils prirent en main les rênes du gouvernement, l’aîné était âgé de vingt-un ans, le second de vingt, et le troisième de dix-sept [689].

Sapor, roi de Perse. A. D. 310.

Tandis que les nations belliqueuses de l’Europe suivaient les étendards de ses frères, Constance, à la tête des troupes efféminées de l’Asie, resta seul chargé de tout le poids de la guerre de Perse. À la mort de Constantin, le trône était occupé par Sapor, fils d’Hormouz ou Hormisdas, petit-fils de Narsès, qui, après la victoire de Galère, avait humblement reconnu la supériorité de la puissance romaine. Quoique Sapor fût dans la trentième des longues années de son règne, il était encore dans toute la vigueur de la jeunesse ; un étrange hasard avait rendu la date de son avénement antérieure à celle de sa naissance. La femme d’Hormouz était enceinte quand son mari mourut, et l’incertitude de l’événement de la grossesse et du sexe de l’enfant qui devait naître, excitait les ambitieuses espérances des princes de la maison de Sassan ; mais les mages firent à la fois cesser leurs prétentions et les craintes de la guerre civile dont on était menacé, en assurant que