Wikisource:Extraits/2019/31

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Lorédan Larchey, Les Cahiers du capitaine Coignet : Détails sur l'auteur et sur son œuvre. 1883


DÉTAILS SUR L’AUTEUR ET SUR SON ŒUVRE. — PARALLÈLE DE COIGNET ET DE FRICASSE xv. — ENSEIGNEMENTS À TIRER DE CES CAHIERS xx. — LA DISCIPLINE ET L’ESPRIT MILITAIRE DU PREMIER EMPIRE xxviii. — POURQUOI IL NE FAUT RIEN OUBLIER DE SON HISTOIRE. xxxvii [1]


Le journal du sergent Fricasse m’a permis de faire revivre un type accompli du soldat de la République. Avec les Cahiers du capitaine Coignet, qui peuvent passer pour un chef-d’œuvre du genre familier, nous tenons le type du soldat du premier Empire, car chez lui le grade ne modifia point l’homme ; il resta sous l’épaulette un vrai sergent de grenadiers.

Le manuscrit de Fricasse avait été mis à la disposition de ceux qui voudraient en constater l’authenticité. Pour Coignet, je ferai la même offre. En telle matière il est bon de poser la question de confiance dès le début, et ceci m’amène à dire comment les Cahiers sont en ma possession.

Vers 1865, à l’étalage d’un bouquiniste, sur le parapet du quai des Saints-Pères, je mettais la main sur deux in-octavo à couverture verte dédiés solennellement aux Vieux de la Vieille : c’étaient les Souvenirs de Jean-Roch Coignet. imprimés en 1851, à Auxerre, par l’imprimeur Perriquet. Leur intérêt me parut si vif, que j’en servis presque aussitôt d’abondants extraits aux lecteurs du Monde illustré, où je poursuivais alors chaque semaine une sorte de revue rétrospective. Les extraits reparurent à la tête d’un volume d’essai publié en 1871, sous le titre de Petite Bibliothèque des Mémoires. « Il n’en est point dont la lecture soit plus attachante, disais-je alors… En admettant que l’orthographe doive sa correction à l’imprimeur, le récit a les allures qui devaient caractériser Jean-Roch. »

On voit que j’admettais, à première vue, la sincérité de l’œuvre, mais je conservais le désir de m’en assurer mieux, et je finis par m’enquérir au pays de mon héros. J’écrivis à l’imprimeur du livre et au bibliothécaire de la ville, guide naturel et autorisé en pareilles recherches. Au premier, je demandais s’il avait vu l’auteur ; je priais le second de vouloir bien me donner sur la personnalité de Coignet tous les renseignements qu’il pourrait recueillir.

Une double réponse arriva bientôt. — D’une part, l’imprimeur déclarait que l’impression n’avait pas été faite sur le manuscrit original, reconnu défectueux. De son côté, M. Molard, bibliothécaire d’Auxerre, me communiquait avec une obligeance parfaite de précieux détails, et me comblait de joie en m’annonçant que le précieux original n’était point perdu.

J’appris ainsi qu’un avocat de la ville avait préparé pour l’impression les premiers chapitres. Le travail, qu’il n’avait pas voulu continuer, avait été mené à bonne fin par un de ses confrères, non sans peine, à cause des entêtements d’un auteur peu familiarisé avec les exigences de la publicité. Tiré à peu d’exemplaires, le livre est devenu rare par suite d’une particularité assez curieuse.

Sur la fin de sa vie, Coignet était resté l’habitué d’un café très fréquenté par les voyageurs de commerce que divertissaient ses récits d’aventures. Cette clientèle, sans cesse renouvelée, avait suffi à l’écoulement de l’édition. Un nouveau venu ne paraissait point sans que Coignet liât conversation et lui dît, avec une tape amicale sur l’épaule : « Tu vas acheter ma belle ouvrage. » Le prix étant modéré (5 francs), on acceptait la proposition. Coignet courait alors au comptoir, où il avait installé un petit dépôt d’exemplaires. Tous les volumes se dispersèrent ainsi, mais leur conservation ne gagna point à la vie nomade des souscripteurs, peu bibliophiles de leur métier. Toutefois, leurs relations avec l’auteur n’en devaient pas rester là.

Lorsque le vieux capitaine mourut, il laissa une somme de sept cents francs pour les frais d’un grand repas qui devait être servi au retour des funérailles. Tous ses anciens et chers souscripteurs, les voyageurs de commerce en passage, étaient invités de droit. De plus, un crédit de trois cents francs était ouvert pour le café, les liqueurs et autres consommations. On devait, bien entendu, assister aux obsèques, et se mettre ensuite immédiatement à table.

Cent vingt invitations furent ainsi faites aux ayants droit. La moitié des invités s’abstint, jugeant tout divertissement peu convenable, malgré la volonté formelle du défunt. Le repas n’en fut pas moins animé. Un poète du cru récita des

  1. On trouvera dans cet avant-propos beaucoup de renvois aux pages du texte ; ils m’ont paru nécessaires pour appuyer la partie analytique, en épargnant au lecteur les incertitudes de recherche.