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Noël Bazan, Vol de papillons
1887


NOËL BAZAN




VOL DE PAPILLONS




LES AMOURS



I l pleut. — Dans le creux des chênes
Tous les amours sont blottis,
Et d’enivrantes haleines,
Montant du val et des plaines,
Les réchauffent, ces petits !

Ce matin, leur troupe folle
S’ébattait dans les buissons,
Courait légère et frivole,
Chiffonnant chaque corolle
Au murmure des chansons !

Lutinait les scarabées
Dans les roses endormis,
Et des cerises tombées
Offrait les rondeurs bombées
Pour déjeuner aux fourmis !

Guettait passer Yvonnette
Par les sentiers reposés,
Et partout, sur sa cornette
Et sur sa boucle follette,
Mettait un tas de baisers !

Le reflet de l’astre unique
Jouait dans leurs cheveux d’or
Et la cohorte magique,
Idéale et poétique,
Prenait un nouvel essor !

Fuyez, Amours !… L’ombre passe
Là-bas au rideau des cieux,
Déjà la foudre menace…
Allez vite prendre place
Sous votre abri gracieux !


En été la pluie est douce ;
Elle caresse un moment
L’humide et tremblante pousse ;
Elle reverdit la mousse…
Attendez patiemment.

Attendez… Sous la feuillée
Les rayons vont revenir :
Votre aile serait mouillée,
Et ce n’est qu’ensoleillée
Qu’elle peut vous soutenir !

Le nuage se déchire,
Tout resplendit à la fois,
Et les amours de se dire,
En riant leur joli rire :
Reprenons notre carquois !

Et la troupe folle et blonde,
Sous le rayon éclatant,
Retourne de par le monde,
Faire à chacun à la ronde,
Le mal que nous aimons tant !



LE VASE


À Mathilde d’E***


L a-bas dans la pénombre, au coin de l’étagère,
Le vase avec ses fleurs, roses, lys, œillets blancs,
Herbe folle, jasmin, élégante fougère,
Semble peint par un dieu sur les rideaux tremblants.

Le ton rouge éclatant de l’étoffe alourdie,
Accentue à souhait les suaves pâleurs
Du merveilleux faisceau. — C’est une mélodie
Faite par le printemps qu’elles chantent, ces fleurs !

Et ce vase lui-même, aux formes contournées,
Rugueux comme du grès, dont les flancs travaillés
Ont roulé dans les flots pendant bien des années,
Par la vague mobile incessamment mouillés,

Ce vase chante aussi son poème ; il exhale
Une sombre tristesse !… Il a vu si souvent,
Comme un linceul glacé, passer sur un front pâle
L’eau verte dont l’écume haletait sous le vent !…

Il a vu tant de fois des formes incertaines,
Quand la lune montait livide à l’horizon,
Il a vu si souvent de joyeux capitaines,
Qui n’ont plus