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Maurice Leblanc, André de Maricourt, Où il est montré comment Peau d’Âne et don Quichotte portèrent secours à Cendrillon

1932

in Le Gaulois, 1927 p. 30-38



V

Où il est montré comment Peau d’Âne et don Quichotte portèrent secours à Cendrillon


Encore émus de leur étrange aventure, Pierre et Violette marchaient sans rien dire sur le velours des mousses où s’enfonçaient leurs jeunes pas. Vraiment, la forêt semblait accueillante. Les ancolies baissaient leurs têtes roses pour saluer des enfants, tandis qu’au contraire se redressaient les iris aux visages parfumés comme pour leur dire : « Arrêtez-vous, petits, arrêtez-vous et dites-nous si les senteurs de l’eau, de la forêt et des prés ne valent vas tout l’or du monde que vous allez quérir ? »

Mais Pierre ne s’arrêta pas. Il venait d’atteindre avec Violette une belle route pavée qui fuyait très loin dans les bois, entre les anciennes bornes royales que les majestés disparues ont marquées de leurs fleurs de lis.

À droite, à gauche, c’était l’inquiétant fourré, le taillis si méchant qu’il ne laisse même pas au soleil le droit de lui faire de petites visites chaudes.

Holà ! Un bruit suspect… des branches qui remuent, des herbes froissées. Qu’est-ce donc ? Un loup, peut-être ? Pierre est brave. Incontinent, il tire de sa poche un pistolet qu’il avait caché à Violette.

— Ho ! dit en riant Violette, qui aurait bien voulu être un peu effrayée… Ce n’est qu’un pistolet à bouchon ! Vrai ! Si c’était une-bête sauvage, tu ne l’aurais pas tuée, mon petit !

Pierre fut très humilié.

— Non, mais je lui aurais fait peur.

Sur ces mots, la bête sauvage traversa le « pavé du Roi ». Elle n’était pas très imposante. C’était un lapereau qui cavalcadait en remuant la drôle de houppette de sa queue mi-blanche.

Violette fut assez déçue.

— C’est ennuyeux, la grand’route, fit-elle. Si on prenait ce petit chemin sous bois ?

— Oui, c’est ça.

Les enfants s’engagèrent dans un layon. Cette nuit, le ciel avait versé son grand arrosoir sur la forêt. Ça sentait bon. Il y avait des gouttelettes de diamant sur le métal des feuilles de chêne. Les bouleaux en robe blanche secouaient leur vert manteau, les peupliers frileux tremblaient et frissonnaient de pluie. Les champignons étaient heureux de pousser dans le cristal des herbes humides, qu’une brise légère courbait en d’innombrables révérences.

Tout à coup, Pierre s’arrêta, pétrifié comme s’il avait été chargé en statue de sel :

— Oh ! fit-il. Oh ! regarde, Violette. Mais regarde donc !

Les yeux de Violette s’écarquillaient.

— Oui, ça c’est très curieux !

— Sûrement, c’est Cendrillon qui aura passé par là !

— Ma foi, peut-être, répondit Violette, que tout doucement gagnait l’amour du merveilleux.

… Mais que viennent donc de découvrir les enfants ?

Sur le sol mouillé du chemin, c’est l’empreinte très visible d’un tout petit pas !…

Un peu tremblant, Pierre applique la pantoufle « de vair » sur une des empreintes.

— C’est ça, c’est tout à fait ça. C’est la même taille, Violette. Oui, c’est une Cendrillon.

— Seulement, c’est triste, fait Violette, parce que ta Cendrillon elle n’a qu’une seule jambe. Regarde, on ne voit les empreintes que d’un pied.

— Dieu ! que tu es étourdie ! Elle n’avait qu’une seule pantoufle. C’est les traces qu’on en voit. Son autre — de pied — il était tout nu, puisque j’ai la pantoufle. Alors, tu comprends, la pluie a effacé la marque du pied qui était tout nu.

— Tu es bien intelligent