Wikisource:Extraits/2021/42

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Cesare Beccaria, Des délits et des peines 1764

Traduction Jacques Collin de Plancy 1822

CHAPITRE PREMIER.

INTRODUCTION.


Les avantages de la société doivent être également partagés entre tous ses membres.

Cependant, parmi les hommes réunis, on remarque une tendance continuelle à rassembler sur le plus petit nombre les privilèges, la puissance et le bonheur, pour ne laisser à la multitude que misère et faiblesse.

Ce n’est que par de bonnes lois qu’on peut arrêter ces efforts. Mais, pour l’ordinaire, les hommes abandonnent à des lois provisoires et à la prudence du moment le soin de régler les affaires les plus importantes, ou bien ils les confient à la discrétion de ceux-là mêmes dont l’intérêt est de s’opposer aux meilleures institutions et aux lois les plus sages.

Aussi, n’est-ce qu’après avoir flotté long-temps au milieu des erreurs les plus funestes, après avoir exposé mille fois leur liberté et leur existence, que, las de souffrir, réduits aux dernières extrémités, les hommes se déterminent à remédier aux maux qui les accablent.

Alors enfin ils ouvrent les yeux à ces vérités palpables, qui, par leur simplicité même, échappent aux esprits vulgaires, incapables d’analyser les objets, et accoutumés à recevoir sans examen et sur parole toutes les impressions qu’on veut leur donner.

Ouvrons l’histoire : nous verrons que les lois, qui devraient être des conventions faites librement entre des hommes libres, n’ont été le plus souvent que l’instrument des passions du petit nombre, ou la production du hasard et du moment, jamais l’ouvrage d’un sage observateur de la nature humaine, qui ait su diriger toutes les actions de la multitude à ce seul but : Tout le bien-être possible pour le plus grand nombre.

Heureuses les nations (s’il y en a quelques-unes) qui n’ont point attendu que des révolutions lentes et des vicissitudes incertaines fissent de l’excès du mal un acheminement au bien, et qui, par des lois sages, ont hâté le passage de l’un à l’autre. Qu’il est digne de toute la reconnaissance du genre humain, le