Wikisource:Extraits/2022/3

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Charles Baissac, Le lièvre et la tortue au bord du bassin du roi 1888


I

LE LIÈVRE ET LA TORTUE
AU BORD DU BASSIN DU ROI

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Il y a bien bien longtemps, il y avait au pays de Maurice un roi qui avait un grand bassin. C’est là qu’il prenait son bain tous les matins comme son médecin le lui avait ordonné. Un jour il arrive au bord du bassin ; l’eau est sale : impossible de se baigner. Le roi appelle le gardien et le gronde. Le lendemain, l’eau est sale. Le troisième jour, l’eau est sale. Le roi prend le gardien par le cou, le secoue et lui dit :

— Et toi, enfant de chien ! tu veux que j’attrape la gale dans cette eau-là ? Si demain le bassin n’est pas propre, tu verras quelle pile !

Le gardien a peur. Le soir venu, il prend son fusil, il se cache dans les feuilles de songe au bord du bassin ; la nuit était noire, pas de lune. Au coup de canon, il entend qu’on vient : tac, tac, tac : c’était un lièvre. Avant que le gardien ait le temps de lever son fusil, le lièvre vient droit à lui et lui dit :

— Bonjour, bonjour, gardien ! Comme je suis heureux de vous voir ! il y a longtemps que je cherchais à vous rencontrer, parce que j’ai quelque chose d’excellent à vous donner. Goûtez-moi ce miel que mes parents m’ont envoyé des Trois Îlots ! vous me direz si vous avez jamais vu du miel comme ça.

Le gardien prend la calebasse et avale une gorgée :

— Oui, certes ! c’est exquis !

Le gardien reste attaché à la calebasse, et la vide. Mais je ne sais trop quelle espèce d’herbe le lièvre avait mêlée au miel : le gardien n’a que le temps de s’allonger au bord du bassin, le sommeil le prend, il ronfle. Le lièvre se déshabille en riant, et pique une tête dans l’eau.

Ce lièvre était plein de malice. Quand il en a assez, il sort du bassin, casse un long bâton, remue la vase, fait du bassin une vraie tasse de chocolat, et s’en va.

Au point du jour, le roi arrive. Il n’a besoin que d’un coup d’œil à son bassin. Quelle colère ! Le gardien dormait encore au bord de l’eau. Le roi prend le bâton même dont le lièvre s’était servi pour troubler l’eau, et tombe sur le gardien. Sous cette grêle de coups, le gardien tarde peu à s’éveiller. Une fois debout, il prend ses jambes à son cou, détale, et se sauve, dans le bois d’où il n’est jamais ressorti.

Le roi fit sonner la trompette : « On demande un gardien pour un bassin, huit piastres par mois, une demi-balle de riz et les vivres du magasin. Mais si le gardien laisse quelqu’un troubler l’eau du bassin, on lui tranchera la tête. « Les animaux entendant cette menace ont tous peur, personne ne demande la place : le coq a peur, le chien a peur, l’oie a peur.

Trois jours se passent. Le lièvre se baigne et trouble l’eau. Le roi ne sait quoi faire : son corps commence à démanger ferme ; voilà sept jours qu’il n’a pu prendre son bain.

Le quatrième jour, l’officier du roi vient lui dire qu’il y a là quelqu’un qui demande la place de gardien du bassin : « Fais entrer. » C’était une tortue de rien du tout. Le roi la regarde, il a bien envie de se fâcher :

— C’est toi qui pourras empêcher les gens de salir mon eau ?

— Oui, mon roi ; c’est moi.