Wikisource:Extraits/2022/44

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Emmanuel Kant, Explication nouvelle des premiers principes de la connaissance métaphysique 1755

Traduction Joseph Tissot 1865



OBJET DE CETTE DISSERTATION.


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J’espère jeter un peu de jour sur les premiers principes de notre connaissance, et mon dessein est d’exposer, dans le plus petit nombre de pages que je pourrai, le résultat de mes méditations sur cette matière ; je m’abstiendrai donc avec soin de tout développement superflu, ne conservant que les parties essentielles d’une argumentation vigoureuse et puissante, sans songer à les revêtir d’un style élégant et gracieux. Si parfois, dans l’accomplissement obligé de cette tâche, je juge à propos, dans l’intérêt de la vérité, de m’écarter de l’opinion de savants distingués, et quelquefois même de les nommer tout en les réfutant, leur désintéressement éclairé m’est un sûr garant que je ne leur semblerai pas vouloir amoindrir le moins du monde l’estime dont ils sont dignes, et j’ai la conviction qu’ils ne se formaliseront pas de cette manière d’en user à leur égard. Car au milieu du conflit des opinions chacun a le droit d’avancer la sienne, et, pourvu qu’on s’interdise les vivacités et les intempérances d’une discussion passionnée, il n’est pas défendu d’examiner modestement et de rétorquer les arguments des autres, et je ne sache pas que, de l’avis de juges équitables, il y ait rien en cela de contraire aux lois du bon ton et des convenances.

Ainsi donc et d’abord, pour ce qui est des arguments allégués, avec plus de confiance en général que de raison, en faveur de l’autorité suprême, universelle et incontestable, du principe de contradiction, je les soumettrai autant que possible à un examen plus minutieux, et je tâcherai d’indiquer en peu de mots ce qu’il y a de raisonnable à dire sur ce sujet. Puis, abordant la loi de la raison suffisante, je dirai tout ce qui peut en rendre l’idée plus précise et la démontrer, en même temps que je ferai connaître les difficultés qui semblent en être inséparables, et j’y opposerai toute la vigueur de raisonnement dont je suis capable. Enfin faisant un pas de plus, j’établirai deux nouveaux principes de la connaissance métaphysique, principes qui ne me paraissent pas dépourvus d’une certaine importance ; non pas qu’ils soient premiers et des plus simples, mais ils sont par cela même d’une application pratique et ne laissent pas d’avoir en même temps une très-haute portée spéculative. En abordant un pareil sujet, je n’ignore pas que je m’engage dans un chemin inconnu, où je risquerai de m’égarer à chaque pas ; c’est pourquoi je compte sur un lecteur impartial, bienveillant, et disposé à interpréter toutes choses dans le sens le plus favorable.





SECTION I.
Du principe de contradiction.

AVERTISSEMENT.

Comme je veux m’appliquer ici à être aussi succinct que possible, je ne crois pas nécessaire de reproduire les axiomes, non plus que les définitions qui reposent sur des notions familières à tout le monde, et qui sont conformes à la droite raison ; je n’imiterai pas l’exemple de ceux qui, stériles observateurs de je ne sais quelle méthode, ne croient avoir procédé d’une manière sûre et logique qu’autant que, prenant un sujet d’aussi haut que possible, ils ont fait le recensement de toutes les erreurs qu’ils ont découvertes dans les écrits des philosophes. Qu’on ne me reproche donc pas cette omission volontaire. J’ai cru bon d’en avertir le lecteur.