Wikisource:Extraits/2022/7

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Pline le Jeune, Panégyrique de Trajan 1er  siècle ap. J.-C.

Traduction Émile-Louis Burnouf 1845



PANÉGYRIQUE
DE
L’EMPEREUR TRAJAN,
PRONONCÉ
PAR PLINE, CONSUL.


I. C’est une belle et sage institution de nos ancêtres, pères conscrits, de préluder par des prières non-seulement aux actions, mais aux simples discours ; puisque l’homme ne peut rien entreprendre sous de bons auspices et avec une pensée intelligente, si les dieux, honorés d’un juste hommage, ne le soutiennent et ne l’inspirent. Qui doit être, plus qu’un consul, fidèle à cet usage ? et quand sera-t-il religieusement observé, si ce n’est lorsque nous sommes appelés, par l’ordre du sénat et par le vœu de la république, à rendre au meilleur des princes de solennelles actions de grâce ? Eh ! le plus beau, le plus magnifique présent des dieux immortels, n’est-ce pas un prince dont l’âme pure et vertueuse offre d’eux une vivante image ? Oui ; quand on aurait pu douter jusqu’à ce jour si c’est le hasard ou le ciel qui donne des chefs à la terre, il n’en serait pas moins évident que le nôtre fut établi dans ce haut rang par une main divine. Car ce n’est pas le pouvoir inaperçu de la destinée, c’est Jupiter lui-même qui a visiblement désigné ce grand homme, élu, vous le savez, devant les autels et dans ce temple auguste, où la présence du dieu n’est pas moins sensible ni moins réelle que parmi les astres et au sein des célestes demeures. C’est donc pour moi un pieux devoir de t’invoquer, ô le meilleur et le plus grand des dieux, Jupiter, fondateur et soutien de cet empire ; afin que tu me fasses trouver un langage digne d’un consul, digne du sénat, digne du prince ; afin que l’indépendance, la vérité, la candeur, éclatent dans toutes mes paroles ; et que mes actions de grâces ne paraissent pas plus exagérées par la flatterie, qu’elles ne sont commandées par la nécessité.

II. Il est une chose que doit observer, je ne dis pas tout consul, mais tout citoyen qui parle de notre prince : c’est de n’en rien dire qui puisse avoir été dit de quelque autre avant lui. Bannissons donc et rejetons bien loin ces expressions que la tyrannie arrachait à la crainte. Ne disons rien comme autrefois ; les maux d’autrefois ne pèsent plus sur nous. Que nos discours publics soient différents, quand nos secrets entretiens ne sont plus les mêmes. Que la diversité des époques se reconnaisse à celle du langage ; et que le ton seul des remerciements annonce en quel temps et à qui les grâces furent rendues. Ne nous faisons point un dieu pour le flatter : ce n’est pas un tyran, mais un citoyen ; ce n’est pas un maître, mais un père, qui est le sujet de ce discours. Il se croit l’un de nous, et rien ne le distingue et ne le relève autant que de se confondre avec nous, et de ne pas oublier qu’il est homme, comme il n’oublie pas qu’il commande à des hommes. Comprenons donc notre bonheur ; et, par la manière d’en user, montrons que nous en sommes dignes.